282 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |88 août 1790.] DEUXIÈME ANNEXE A U SÉANCE DE D’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 25 AOUT 1790. Réponse des officiers du régiment du roi au mémoire imprimé au nom des soldats, députés de ce régiment (1). AVANT-PROPOS. Les députés du corps des officiers du régiment d’infanterie du roi avaient cru devoir se borner à présenter au comité militaire leurs réponses à deux manuscrits faits par les soldats de ce régiment, dont ils avaient eu connaissance. Ils n’ont pu voir sans étonnement un libelle imprimé et publié au nom des députés de ces mêmes soldats, qui, quelques jours auparavant, avaient reconnu et rétracté leurs erreurs par un écrit dont la lecture a été faite à l’Assemblée nationale. D’après ce libelle imprimé ils pensent devoir rendre publique leur réponse. Le directoire du département de la Meurthe et la municipalité de Nancy ont déjà attesté, par leurs procès-verbaux remis aux différents comités, la vérité des faits qu’ils ont articulés. Les soldats cherchent en vain a en atténuer l’authenticité en représentant la municipalité de Nancy comme débitrice des officiers du régiment du roi, et dès lors leur esclave. Un mot suffira pour démontrer la malignité de cette assertion. Au mois de juillet ou d’août de l’année dernière, la disette la plus grande affligeait la ville de Nancy; les blés étaient très rares, l’étranger seul pouvait en fournir, les moyens pour s’en procurer manquaient à la ville; le régiment du roi prêta alors, sans aucun intérêt, au comité permanent chargé de l’administration de cette ville, une somme de 100,000 livres pour le mettre en état d’en acheter. N’est-ce pas une atrocité que de présenter comme un crime un acte de bienfaisance utile à la ville entière? N’est-ce pas le comble de la calomnie que de vouloir en tirer avantage pour accuser les officiers municipaux actuels qui ri’ont été nommés que huit mois après, de connivence avec les officiers du régiment du roi? N’est-ce pas une absurdité inventée uniquement pour atténuer l’authenticité des preuves qui existent contre eux, et pour sûppléer au défaut de celles qui manquent à leur mémoire? Il existe encore dans ce libelle une allégation omise dans leur premier mémoire) et que les officiers du régiment du roi ne croient pas devoir passer sous silence: c’est le reproche d’avoir donné une quantité considérable de congés limités, d’en avoir même offert à ceux qui n’en demandaient pas, dans le moment où le passage annoncé des troupes autrichiennes devait interdire toute absence. Le régiment du roi, depuis longtemps en garnison à Nancy, se trouve composé d'un grand nombre de soldats de la province; l’usage du régiment est et a toujours été de donner des congés limités, dans le temps des moissons, à ceux d’entre eux que leurs parents ou des ci-(1) Co document n’a pas été inséré au Moniteur. toyens désirent avoir pour les aider dans leurs travaux; c’est à ceux-là qu’il en a été accordé, Ge qu’il est facile de prouver par les registres de l’état-major. La prétendue réclamation des soldats à ce sujet est de toute fausseté, ainsi que les propos qu’ils prétendent avoir tenus à leurs officiers sur d’autres objets, et les réponses qu’ils disent leur avoir été faites, qui sont aussi dénuées de preuves que de vraisemblance. Ces soldats ne sont pas de meilleure foi lorsqu’ils osent qualifier, avec la plus grande indécence, leur ancien colonel, du titre de caissier et de comptable; tandis que personne, au régiment du roi, n’a jamais ignoré que les fonctions du chef du régiment de Sa Majesté, depuis sa création, ont toujours été les mêmes que celles des inspecteurs généraux des autres troupes, avec celte seule différence que les inspecteurs rendent compte au ministre, et que celui du régiment de Sa Majesté ne rend compte qu’au roi. Le quartier-maître trésorier, connu dans tous les autres régiments, est le seul caissier, le seul comptable; la signature de l’inspecteur sur ses registres opère sa décharge, et l’approbation du ministre pour tous les régiments en général et celle du roi pour son régiment en particulier, confirme les décisions de l’inspecteur. Tel est l’ordre qui a été suivi de tout temps par l’armée, et tel est celui qui a été constamment observé pour le régiment du roi. Le décret de l’Assemblée nationale du 6 de ce mois ayant déterminé l’époque et les formes dans lesquelles les comptes des régiments seraient revus et vérifiés, en présence d’un officier général nommé à cet effet pour chaque garnison, M. de Malseigne, chargé de vérifier les comptes de celle de Nancy, a déjà commencé cette opération pour le régiment suisse de Château-Vieux, les doubles des comptes du trésorier du régiment du roi et les bons approuvés de Sa Majesté lui ont été envoyés par M. Du Châtelet; en sorte que rien n’arrêtera la révision du compte conformément aux décrets de l’Assemblée nationale, dès que la tranquillité sera suffisamment rétablie pour qu’on puisse y procéder. Les officiers du régiment du roi croient devoir borner leur défense aux simples éclaircissements des nouveaux faits contenus dans le mémoire que les soldats viennent de faire imprimer : l’exposé de leur conduite, appuyé de pièces authentiques et remis depuis longtemps aux comités militaire, des recherches et des rapports, suffira pour la mettre dans tout sou jour; et la modération dont ils ne veulent jamais s’écarter ne leur permettra pas d’opposer d’autres armes à la calomnie. Réponse. Il suffit aux officiers du régiment du roi, pour répondre à ce mémoire, de mettre sous les yeux du comité le procès-verbal de la municipalité de la ville de Nancy, dont ils joignent ici la copie, et d’exposer la vérité des faits, tels qu’ils se sont passés; et c’est ce qu’ils vont faire en peu de mots. Vers la fin du mois de mai dernier, un soldat du régiment du roi fut arrêté aux casernes par une partie des soldats de ce régiment, pour des faits graves qui lui étaient imputés ; et ces soldats exigèrent séditieusement, contre toutes les lois de la discipline militaire, qu’il fût chassé immédiatement, et sans autre examen ,■ ce. soldat [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [25 août 1790.] était coupable, les soldats pouvaient avoir raison dans le fond, mais ils avaient des torts inexcusables dans la forme; le commandant du régiment l’avait déjà condamné à une punition beaucoup plus sévère à laquelle la démarche illégale des soldats n’a fait que le soustraire. Quelques jeunes officiers se trouvèrent compromis dans cette affaire: l’un, étant de semaine, avait permis à ce soldat, sans en prévoir les conséquence�, de sortir après l’appel du soir ; il en fut puni par trois semaines de captivité ; trois autres furent mis aux arrêts, sur quelques propos indiscrets qui leur étaient attribués ; mais Gomme il n’y avait eu ni accusation ni preuve contre eux, le commandant du régiment prit le parti de leur donner des congés, uniquement pour éviter que leur présence n’excitàt une nouvelle effervescence dans l’esprit des grenadiers, déjà connus pour être les moteurs de toutes les insurrections. Dans le même temps, un des meilleurs sergents-majors du régiment, accusé d’avoir tenu un propos qu'il ne désavoua pas, fut dénoncé par ces mêmes factieux, et l’on fut encore obligé de le congédier ; cependant il n’avait eu d’autre tort que celui de représenter fortement aux soldats de sa compagnie l'irrégularité de la conduite des grenadiers, de les leur dénoncer comme les moteurs de toutes les insurrections et de les engager à les chasser quand ils viendraient dans leurs chambres pour les séduire et les corrompre. Le procès-verbal de la municipalité de Nancy prouve ce que l’on doit penser d’un comité qui se prétend l’amt de la paix et de la Constitution , puisqu’elle le dénonce comme le moteur de toutes tes insurrections; elle ajoute de plus qu’il est désavoué par une grande partie du corps. Des ennemis de la nation et du bon ordre étaient parvenus, par des manœuvres sourdes et des propos supposés, à semer la division entre les trois régiments qui composent la garnison de Nancy, lorsque l’officier général commandant dans cette place, d’accord avec les officiers supérieurs de la garnison, rassembla chez lui des députés des différents régiments, et après les avoir fait expliquer devant lui, le raccommodement se fit et parut sincère; l’on donna deux louis pour boire à ces différents députés, et quoiqu’on semble insinuer, dans le cours du mémoire, qu’il a été donné une somme pour susciter un parti contre le comité, nous certifions que c’est le seul argent qui ait été donné ; et c’était assurément pour un but bien différent de celui qu’on veut lui supposer, puisqu’il n’avait d’antre objet que de cimenter la paix et l’union qui venaient d’être rétablies entre les trois corps. Quelques jours après ce raccommodement, il y eut une rixe, dans un cabaret, entre des grenadiers et soldats durégiment, membres des comités, et d’autres qui le désapprouvaient [le reste de la garnison n’y prit aucune part). La querelle fut peu de chose, d’après les informations qui en ont été faites sur les lieux, mais elle servit de prétexte aux prélendus amis de la paix pour ameuter au quartier les soldats de leur parti, qui se répandirent en tumulte dans la ville, et y arrêtèrent, sans ordre et de la manière la plus illégale, oeuf de leurs camarades, qu’ils accusaient d’avoir voulu les assassiner, tandis que ces mêmes horntnes n’avaient aucune espèce d’armes. Les factieux demandèrent avec menaces le renvoi des prisonniers qu’ils avaient faits, ce qui détermina les chefs du régiment à assembler, le lendemain matin, quatre hommes par compagnie, pour tâcher de calmer les esprits ? cette séance fut si tumultueuse qu’il fut impossible de se faire entendre ; cependant le désir de connaître le vœu du régiment engagea celui qui le commande à ordonner à chaque capitaine d’aller à sa compagnie prendre individuellement l’avis des soldats; ces avis furent très partagés ; les uns voulaient que ces hommes fussent chassés sur-le-champ; d’autres, qu’ils fussent jugés; d’autres enfin, qu’ils rentrassent dans leur compagnie; mais, d’après la lettre du ministre qui établit les conseils de régiment, aucun homme ne peut être mis en jugement qu’au préalable, la compagnie du coupable n’ait porté plainte contre lui au commandant ducorps qui l’a jugée admissible ou non ; il n’était donc pas possible, aux termes de cette lettre, d’assembler un conseil de régiment, puisque des compagnies entières, loin de demander que les prisonniers de leur compagnie fussent chassés, demandaient au contraire qu’ils fussent mis en liberté. Dans celte circonstance difficile, M. de Noue, commandant dans la place, ordonna que les soldats arrêtés resteraient en prison jusqu’à ce que le ministre informé prononçât sur leur sort; cet ordre augmenta le trouble et le tumulte au quartier ; alors les officiers du régiment du roi prièrent la municipalité de se joindre à eux pour rétablir le calme ; elle vint par députation aux casernes, elle y parla avec l’amour de la paix et le patriotisme qui lui est ordinaire, ce qui n’eiii-pêcha pas les chefs des mutins de se rendre chez M. de Noue et de lui parler avec une insolence qui le surprit d’autant plus, qu’il avait toujours reconnu, dans les soldats du régiment du roi, ie respect pour leurs chefs et l’amour pour leurs officiers. Il se contenta de leur dire : Je retiens en prison des gens qui ne sont pas coupables , j'en ai donné avis au ministre ; vous demandez justice, si on vous l'avait rendue , il y a longtemps que vous ne seriez plus au régiment (1). Mais d’après les propos incendiaires qui avaient été tenus dans la matinée, et les menaces réitérées de partir en enlevant la caisse et les drapeaux, M. de Noue crut devoir à la tranquillité publique de prendre des précautions et notamment celle de placer une brigade de maréchaussée sur la place du marché où se trouve logé le trésorier du régiment ; il crut de plus devoir instruire la municipalité du désordre qui régnait au quartier, et requérir d’elle, au cas que l’insur-reciion augmentât, la force que la loi a mise entre ses mains. Mais quoique le désordre fût extrême dans les casernes, comme il ne s’était pas encore propagé dans la ville, la municipalité crut cette mesure au delà des bornes de son pouvoir ; et comme on apprit que les soldats insubordonnés voulaient se porter à la prison, la forcer et enlever les prisonniers, le commandant du régiment prit le parti de le faire assembler, et d’ordonner que les prisonniers seraient conduits par un peloton de grenadiers à la prison militaire de la ville pour y rester sous la sauvegarde de la municipalité et de la loi jusqu’à l’arrivée des ordres du ministre. La justice que les corps administratifs de la ville de Nancy ont rendue à la conduite des officiers du régime it du roi dans cette pénible circonstance, les dispense de se justifier des incula (1) Les officiers supérieurs de la garnison, qui étaient en ce moment ctiezM, de Noue peuvent attester la manière indécente arec laquelle ces députés lui parlèrent. • ■ 284 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 août 1790.1 pations vagues et calomnieuses contenues dans le mémoire présenté au comité militaire et qui n’est signé, pour la majeure partie, que des membres mêmes de cette association factieuse, réprouvée par les lois de la discipline militaire, par la saine partie des soldats du régiment du roi et par l’improbation que la municipalité de Nancy en a manifesté dans son procès-verbal. Quant aux soldats que l’on prétend avoir été renvoyés du régiment, le nombre en est très exaéré : Presque tous ne l’ont été qu’à la demande e leurs camarades et avant l’époque où le conseil de régiment n’était pas encore établi. RÉPONSE à l'addition du premier mémoire remis au comité militaire par les soldats députés du régiment du roi. Nous avons déjà répondu au mémoire des soldats du régiment du roi, en date du 22 juillet; une nouvelle addition à ce mémoire présenté par eux nous force encore à reprendre la plume : les faits qu’ils avancent ne sont appuyés par aucune preuve : ceux que nous allons déduire, certifiés par les corps administratifs du département de la Meurthe, ne laisseront aucun doute sur leur authenticité. Nous n’avons rien avancé que nous ne puissions prouver dans la suite des informations décrétées par l’Assemblée nationale contre la garnison de Nancy. Assurés de la justice de notre cause, nous supplions le Corps législatif de peser dans sa sagesse les pièces authentiques que nous avons mises sous ses yeux, lorsque le rapport de toute l’affaire lui fut fait par son comité militaire. Nous sommes convenus que quelques jeunes officiers avaient été compromis dans l’affaire de Roussière ; nous ne répéterons pas les détails que nous avons donnés dans notre réponse au premier mémoire. Ces officiers ont été punis, l’étourderie de quelques jeunes gens sans expérience peut-elle faire préjuger désavantageusement l'opinion entière d’un corps ? Mais ce qui nous afflige sensiblement, c’est que des soldats, à qui nous n’avons jamais fait que du bien, aient osé calomnier l’aide-major du corps, pour avoir donné 6 francs publiquement, à la grille du quartier, à un de leurs camarades qui avait été, quelque temps auparavant, grièvement blessé (1) ; ils ont voulu faire entendre que cet argent n’avait été donné que pour l’engager à se battre, sans doute, avec les membres du comité; voilà comme un acte d’humanité s’est interprété ; mais il fallait supposer des torts aux officiers pour se dégager envers eux des lois de la subordination et de l’obéissance; c’est ce qui est arrivé aussi à M. Demontluc. Cet officier, étant de garde, dit aux soldats de son poste, qui s’en étaient éloignés après la retraite, de s’en rapprocher; c’était sa consigne, c’était son devoir. Un grenadier lui répondit qu'il était bien où il était , et qu'il y resterait. Dans d’autres circonstances, l’officier aurait pris sur (1) Le nommé Rïondé, soldat de la colonelle, avait reçu plusieurs coups de sabre à la première fédération des milices nationales ; il était à peine convalescent, lorsque l’aide-major du corps rejoignit, le 15 juin dernier. Il dit à ce soldat de passer chez lui, qu’il lui donnerait quelque argent pour soigner sa convalescence; cet homme n’y vint pas : trois semaines après, cet officier supérieur l’ayant rencontré, comme il sortait du quartier, il lui donna 6 francs. lui d’ordonner lui-même la punition de cet homme; mais, par prudence, il crut devoir en faire rendre compte sur-le-champ à l’état-major de la place et au commandant du régiment ; celui-ci ordonna qu’à la descente de sa garde, le grenadier serait mis à la salle de discipline; les soldats de garde et la compagnie de grenadiers s’y opposèrent. M. de Noue, officier général commandant dans la place et dans la province, crut, après une désobéissance aussi marquée et aussi opiniâtre, devoir suspendre de toutes fonctions de service cette compagnie jusqu’à ce qu’il eût rendu compte au ministre de la guerre de cette nouvelle insubordination. Le lendemain matin, le commandant du corps et les officiers de grenadiers ayant épuisé tous les moyens possibles de conciliation pour faire rentrer cette cpmpagnie dans le devoir, elle persista dans son insurrection ; bientôt, un grand nombre de soldats prit parti pour elle, et, comme le désordre augmentait au quartier, M. de Noue suspendit le régiment de tout service; pour ce jour-là, il envoya l’ordre au régiment suisse de Château-Vieux ,et aux gardes citoyennes de monter la garde; c’est alors que le tumulte, les menaces, les propos se firent entendre de toute part; les soldats qui devaient monter la garde s’assemblèrent en armes malgré l’ordre contraire qu’ils en avaient reçu ; ils demandèrent des cartouches à un adjudant qui les refusa ; ils enfoncèrent à coups de hache les portes du magasin qui les renfermait ; ils en distribuèrent un grand nombre à ceux qui étaient de garde, et portèrent le surplus dans une chambre des grenadiers ; un tambour qui s’était refusé à battre pour rassembler la garde fut menacé d’être pendu; deux sergents furent battus pçur n’avoir pas voulu conduire leurs soldats au lieu du rassemblement ; les soldats seuls donnaient les ordres; un grenadier appela l’officier de garde, lui dit qu’il le ferait marcher de force, s’il s’y refusait ; alors Je commandant de la place, requis par la municipalité, qui craignait un plus grand désordre, ordonna que le service se ferait par le régiment du roi; les officiers se mirent à leurs postes et la garde défila. Le prétendu tort de M. Demontluc, par lequel les soldats cherchent à justifier leur insurrection, consiste donc à avoir exécuté, sans rigueur de sa part, les lois militaires du service et les ordres reçus du commandant du régiment. Ce même jour, à onze heures du soir, une garde composée de grenadiers, chasseurs et soldats, assemblée sans ordre, vint chez le commandant du corps, sous le prétexte d’y garder les drapeaux ; les officiers, disaient-ils , voulaient les enlever ; il est certain qu’il n’en avait jamais été question; n’étaient-ils pas d’ailleurs gardés ainsi que la caisse et les portes de la ville par les soldats du régiment du roi ? A quel propos donc cette nouvelle garde? Cette accusation tombe d’elle-même, puisqu’elle est aussi absurde qu’invraisemblable et dénuée de preuves. Mais comment ces mêmes soldats peuvent-ils excuser la manière dont ils ont exigé leurs comptes? La réponse des officiers supérieurs, constatée par tous les procès-verbaux, ne devait-elle pas les engager à attendre celle de M. Du Châtelet; il ne se serait pas refusé sans doute à leur faire justice sui; toutes les réclamations qu’ils pouvaient faire raisouuablement ; au lieu de cela, ils vont chez le trésorier uu régiment, vieillard de soixante-dix-huit ans, aussi respectable par son âge, que recommandable par sa probité ; ils le traînent en prison, parce que cet [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 août 1790.J 288 officier répond qu’il ne peut rendre compte que depuis l’année 1776 ; ils gardent à vue les chefs du régiment; le second lieutenant-colonel a besoin de sortir, il est accompagné par des hommes armés ; un jeune officier (1) se présente à la grille du quartier pour sortir, il se trouve consigné ; il demande par quel ordre? on lui répond : par l'ordre des grenadiers ; il veut continuer son chemin, il est couché en joue ; c’est dans ce moment et de cette manière que ces soldats amis de la paix demandent des comptes et font des répétitions exorbitantes sur lesquels leurs chefs mêmes n’avaient pas le droitdeprononcer; enfin, forcés par les circonstances, et pour avoir la paix et la liberté du trésorier, ils consentent qu’il leur soit délivré une somme de cent cinquante mille livres; ce consentement de leur part n’empêche pas les soldats de continuer leurs comptes, et de persévérer dans leurs prétentions sur le reste des fonds déposés dans la caisse ; toutes les démarches qui avaient précédé cette remise d’argent peuvent-elles annoncer un consentement libre des officiers, ainsi que les soldats ont cherché à le faire croire ? Le décret du 6 de ce mois fut publié à Nancy et connu des soldats du régiment du roi, avant l’arrivée du courrier qui le portait officiellement; ils prétendirent qu’il était faux ; la municipalité le certifia véritable; ils ne pouvaient donc en prétendre cause d'ignorance. Le 12 du même mois, le commandant de la place fit battre la générale et ordonna à la garnison de prendre les armes en grande parade ; les soldats du régiment qui avaient ordre de prendre des guêtres blanches en mirent de noires et dirent qu’ils ne sortiraient pas du quartier. Sur ce refus, le commandant du régiment s’y transporta pour les déterminer à suivre l’ordre donné, et à se rendre sur la place royale pour la publication du décret, ce qu’ils ne firent qu'après avoir chargé leurs armes, et contre l’ordre de leurs officiers. Le décret fut lu et publié à haute et intelligible voix, à chaque bataillon en particulier, par l’officier général commandant dans la place, assisté de la municipalité et du directoire du département. Les procès-verbaux remis au comité militaire en font foi. Il était donc impossible que les soldats du régiment du roi ignorassent que tous comités devaient cesser, que toutes voies de fait étaient interdites; dans leur mémoire, ils cherchent, en confondant les dates à diminuer leurs torts et leurs désobéissances au décret ; il suffit seulement de les rétablir; connu dès la veille par le certificat authentique des officiers municipaux, il a été lu le 12 au matin aux troupes assemblées; c’est après sa publication que le soir même, et malgré les défenses de la municipalité, iis vont enlever à main armée la caisse du régiment pour la déposer dans une des chambres des grenadiers, d’où elle n’a été reportée que le lendemain chez le mjaor du régiment : c’est d’une manière contraire aux dispositions du décret qu’ils continuent leurs comités, et qu’ils arrêtent d'envoyer à Paris une députation pour demander, disent-ils, des comptes à M. Du Châtelet, tandis qu’ils ne doivent le faire qu’à l’officier général dont l’arrivée était ordonnée ; enfin, c’est malgré le décret u’ils continuent à demander et à faire des véri-cations qui leur étaient interdites. En vain cherchent-ils à prouver le consentement de leurs chefs à leur députation, par les congés en règle dont leurs députés sont porteurs, ainsi que par le certificat de la municipalité. Des soldats exigeant à maiu armée des décomptes qui ne leur appartiennent pas ; enlevant , les armes à la main, la caisse du régiment à celui qui en était le dépositaire depuis 56 ans, ne doivent-ils pas faire présumer qu’ils ont employé les mêmes moyens pour obtenir ces congés et ces certificats? L’insurrection la plus criminelle, tant avant qu’après la publication du décret est prouvée, une infinité d’autres faits relatifs au régiment suisse de Château-Vieux, promenés par eux en triomphe le jour même de la publication du décret, en fourniraient de nouvelles preuves et ajouteraient encore à nos moyens, mais le rôle de dénonciateur n’est pas dans notre caractère : nous plaignons l’égarement de nos soldats sans les accuser, et nous bornant seulement à regretter ces moments heureux pendant lesquels, fidèles aux lois du devoir et de l’honneur, ils nous mettaient à même de leur donner journellement des preuves de notre attachement et de notre sensibilité. Nous nous contenterons d’ajouter que jamais corps d’officiers ne mérita mieux de ses soldats, ne chercha mieux à y maintenir un bon esprit, n’employa des moyens plus doux et plus paternels pour leur faire observer la discipline ; nous osons en appeler au témoignage des anciens officiers, des anciens soldats même qui ont servi au régiment du roi, tous nous rendront cette justice, ainsi qu’à M. Du Châtelet, ce chef respectable, qui savait si bien nous inspirer ses sentiments par ses propos, son exemple et ses ordres. Pendant vingt-trois ans il n’a cessé de faire au régiment du roi les établissements les plus utiles pour les officiers, sous-officiers et soldats, ainsi que pour leurs enfants; il n’a jamais reçu aucune réclamation fondée, de la part des soldats, sans y avoir fait droit aussitôt ; après avoir mis ce régiment dans l’état le plus florissant, il est, ainsi que nous, calomnié aujourd’hui; à son exemple, nous ne pouvons qu'en gémir, et notre unique vœu se borne à desirer que les informations ordonnées par l’Assemblée nationale au procureur du roi du bailliage de Nancy, en manifestant la pureté de nos motifs et notre conduite, nous fassent connaître les auteurs de ces insurrections et puissent nous mettre à même de distinguer d’avec les vrais coupables, ceux qui n’ont été qu’égarés, ainsi que ceux qui, par faiblesse, ont eu l’air de participer à des désordres dont ils gémissaient, sans doute, sans avoir la force ou le courage de s’y opposer. De Compïègne et de Molien, pour le corps des officiers du régiment du roi. PIÈCES JUSTIFICATIVES. Département de la Meurthe. Extrait du registre des délibérations de la municipalité de Nancy. Du 20 juillet 1790. Le conseil municipal, extraordinairement assemblé à huit heures et demie du soir, sur Pin-(1) M. de la Tour-Dupin-Montauban .