638 [Assemblée naliouale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 février 1790.J lecture des procès-verbaux des deux séances du mardi 16 février. M. Belley-d’Agier. Je demande que, dans l’article 2 du décret général sur la division du royaume, on insère la clause suivante : « et lorsqu'il nest exprimé aucune exception particulière. » La proposition n’est pas appuyée Un membre fait remarquer; à propos du procès-verbal de la séance du soir, qu’on a poussé l’esprit d’économie beaucoup trop loin en décrétant qu’il ne serait pas fait de feu dans les bureaux de l’Assemblée. Il demande que ce décret soit retranché du procès-verbal. Cette motion est adoptée. M. le comte de Castellane, secrétaire , fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, mercredi. M. Lucas, député de Moulins, fait la motion qu’au lieu de le désigner par cette expression : « un membre, » on indique nominativement qu’il a prêté le serment de ne pas quitter l’Assemblée que la constitution ne soit terminée. Ce serment est un devoir, dit-il; oc a inscrit sur une liste jointe au procès-verbal les noms de ceux qui ont prêté ce serment le 20 juin et les jours suivants. M. Camus. Un grand nombre de membres ont hier adhéré au serment de M. Lucas; ils doivent donner leur signature à la suite du procès-verbal. On ne délibère pas sur ces deux propositions. M. Boulouvard, député d'Arles , demande et obtient la permission de s’absenter. M. le Président fait lecture de la lettre suivante, écrite par M. le duc d’Orléans : « Monsieur le Président, « Absent de l’Assemblée nationale, d’après la permission qu’elle m’en a donnée le 14 octobre dernier, pour aller remplir la mission que le roi m’a fait l’honneur de me confier, j’ai dû, depuis ce moment, diriger sur d’autres objets les efforts du zèle qui m’anime pour l’avantage de la nation et la gloire du monarque; mais je n’en suis pas moins resté uni d’esprit et de cœur à l’auguste Assemblée dont j’ai l’honneur d’être membre; et qu’il me soit permis de le dire, j’ai suivi ses travaux avec d’autant plus d’intérêt, que j’ai eu le bonheur de trouver toujours mon vœu particulier conforme au vœu général, exprimé par ses décrets. « Je partage également les sentiments d’amour et de respect qu’a inspirés à l’Assemblée la démarche vraiment royale et paternelle de Sa Majesté, quand, sans autre cortège que ses vertus, sans autre motif que son amour pour son peuple, elle est venue se réunir aux représentants de la nation pour affermir et pour presser, s’il est possible, l’heureuse régénération qui assure à jamais la gloire et le bonheur de la France. « Il était naturel qu’en ce jour mémorable chacun des membres de l’Assemblée fût empressé de faire publiquement profession des principes qu’elle a si constamment praiiqués, et pour me consoler de ne m’être pas trouvé à portée de participer è ce grand et beau mouvement, j’ai eu besoin de me rappeler que je pouvais être ici de quelque utilité à la patrie. « Dans ces circonstances, je vous prie, Monsieur le Président, de supplier l’Assemblée, de ma part, de vouloir bien recevoir mon adhésion formelle au serment que ses membres ont prêté le 4 de ce mois, et de trouver bon que, comme eux : « Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale, et acceptée par le roi. Signé : L.-P.-J. d’Ou-LÉANS. « Par là, j’exécute, autant qu’il est en mon pouvoir, le décret porté le 4 de ce mois par l’Assemblée nationale, et je me trouverai heureux d’avoir été constamment uni à elle en sentiments comme en principes. « Je suis avec respect, « Monsieur le Président, « Votre très humble et très obéissant serviteur, t Signé : L.-P.-J. d’ÜRLÉANS, « député de l’Assemblée nationale, » L’Assemblée, applaudissant aux sentiments patriotiques exprimés daas cette lettre, décrète qu’elle sera insérée en entier dans le procès-verbal. M. Gnillotin. La dernière phrase du décret de mardi soir, qui autorise vos comités à prendre, dans les dépôts publics, les expéditions et même les minutes des pièces nécessaires à leurs travaux, présente les plus graves inconvénients. J’observe qu’aucun comité n’a de greffe en règle; que les membres sont changés tous les mois ; que les greffiers, tant des Chambres des comptes, que de la Cour des aides et autres, pourraient, s’ils avaient intérêt à le faire, soustraire certaines pièces, sur des récépissés revêtus de faux seings. Je demande donc la suppression des mots : « et remises, s’ils le jugent nécessaire, sur « le récépissé des secrétaires des comités, à la < charge d’être rétablies dans les dépôts d’où « elles auront été tirées, après qu’il en aura été « rendu compte à l’Assemblée. » Cette suppression est décrétée par l’Assemblée ; ce qui réduit son décret de mardi soir aux termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète que les différents comités établis par elle seront autorisés à demander, dans les dépôts des départements, ceux des cours et autres dépôts publics, toutes les pièces qu’ils jugeront nécessaires à leurs travaux; desquelles pièces il leur sera délivré des copies certifiées, sur papier timbré ou non timbré, et sans frais; même que dans les cas où lesdits comités jugeront nécessaire de voir les minutes, elles seront représentées aux commissaires qu’ils nommeront à cet effet. » M. Bureaux de Pusy. Vos archives contiennent un amas déjà très considérable de pièces, mémoires, cartes et places dans lequel il devient indispensable de mettre de l’ordre. La difficulté de ce travail exige qu’il soit confié à un particulier qui ait l’habitude et le talent d’un semblable classement : je propose d’en charger M. Gottereau, qui a fait ses preuves. fe M. Camus. Je demande à l’Assemblée d’ajour- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1$ février 1790.J 639 ner cette question et de la renvoyer à l’examen du comité de constitution, du comité des finances, des quatre inspecteurs de la salle et de l’archiviste, lesquels se réuniront pour aviser sur le parti le plus convenable et vous le proposer ensuite. La proposition de M. Camus est adoptée. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion sur le premier des articles décrétés hier, concernant les religieux. La question à résoudre est celle-ci : Faut-il admettre une différence entre les ordres rentés et les ordres non rentés? M. Treilhard, rapporteur du comité ecclésiastique, propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que les traitements à faire aux religieux qui sortiront de leur couvent, sera le même pour ceux des ordres rentés et ceux des ordres non rentés. » Dom Gerle. D’après les principes d’humanité dont vous avez formé la base de vos opérations, je pense que cette question ne mérite pas une discussion sérieuse. En effet, on ne voit pas d’où pourrait naître une différence en faveur des religieux rentés. Les religieux sont tous enfants d’une même mère, qui doit les rendre égaux à vçs yeux comme ils le sont aux siens. Une distinction ne pourrait êlre accordée qu’au travail sans jouissances, et non aux jouissances sans travail. Par vos décrets, vous avez nivelé tous les hommes. Je pense donc que tous les religieux ont les mêmes droits à votre justice et à votre humanité, et que dans les pensions que vous allez leur assigner, il ne doit exister aucune différence. Une grande partie de l’Assemblée applaudit. — Quelques membres demandent à aller aux voix. M. le duc de La Rochefoucauld. L’avis du préopinant mérite certainement beaucoup d’éloges ; mais son désintéressement ne m’a pas convaincu de la justesse absolue de ses principes. Vous devez faire une différence entre les religieux rentés et non rentés, parce qu’en ouvrant les cloîtres aux religieux, vous devez leur donner l’équivalent de ce qu’ils quittent. Il résulterait une véritable inégalité de l’égalité du traitement des religieux. Ceux qu’on appelle mendiants sont accoutumés à une vie plus active, à vicarier, à prêcher; ils auront plus de moyens d’améliorer leur sort. Ceux qui auront passé leur vie a des études tranquilles n’auront pas d’aussi faciles ressources. Les uns et les autres, en entrant dans le cloître , ont fait des sacrifices ; mais , en général, les religieux rentés auraient eu un patrimoine plus considérable que les autres , s’ils n’eussent pas quitté le monde. Ils ont plus abandonné, on leur doit plus. Il faut donc accorder une différence pour qu’aucun ne regrette son ancien état. M. l’abbé Grégoire. Il me paraît qu’il suffit de présenter une réflexion simple pour fixer son opinion sur la question. Tous les religieux ont à peu près le même état et les mêmes besoins : voulez-vous être injustes, inconséquents? Etablissez une différence entre eux : il en résultera souvent que la valeur du traitement sera en raison inverse du mérite et du travail. Je ne suis pas touché de la dernière observation du préopinant : souvent un homme riche s’est fait religieux mendiant ; presque toujours des gens sans fortune sont allés chercher à assurer leur sort dans des congrégations riches... Préférez-vous l’inutile cistercien au franciscain qui supporte le poids du jour et le travail ? M. Guillotin. Les raisons en faveur del’égalité ne m’ont pas convaincu, et. m’ont paru sortir de la question. Elles sont tirées des considérations religieuses, et non du contrat civil fait avec la société. Trop longtemps le clergé a reproché à l’autorité civile de porter la main à l’encensoir. Examinons donc la question du côté civil. Les religieux sont des hommes... (On interrompt par des applaudissements , en prenant cette expression dans un sens différent de l'opinion de l'orateur.) Quelles conditions ont-ils faites avec la société ? Ils ont renoncé à leur patrimoine, à leur liberté ; la société doit maintenir le sort qu’ils ont choisi pour prix de ces sacrifices. Les uns ont contracté envers des ordres mendiants, ils pouvaient faire autrement; les autres, avec des ordres riches. Ceux-ci ont dit : nous abandonnons notre patrimoine pour jouir de tels et tels' avantages : sans cela nous ne contracterions pas : ces avantages entrent dans le contrat civil. Vous forcez les religieux rentés à tenir une partie de leur engagement, puisqu’ils ne rentrent pas dans les droits qu’ils avaient à leurs biens patrimoniaux, maintenez l’exécution de l’autre partie ; faites en sorte qu’ils soient contents, ou bien ils vous diront : Laissez-nous comme nous étions. M. Dupont (de Nemours). Il faut distinguer la propriété indivise du corps moral de la propriété des individus. Lorsque le corps moral est détruit, la société rentre, par déshérence, dans cette propriété; mais les individus n’étant pas morts, qui que ce soit au monde n’a le droit de porter atteinte à leurs moyens de jouissance : ces moyens étaient plus étendus chez les religieux rentés que chez les religieux mendiants; vous ne pouvez les enlever eu totalité ou en partie à aucun d’eux, puisque c’est l’espoir de ces jouissances qui les a déterminés à se consacrer à tel ou tel ordre : vous devez donc, par une suite nécessaire de ce raisonnement, établir une différence entre le traitement des religieux rentés et celui des religieux non rentés... Le désir de profiter le plus possible des avantages d’une suppression ne doit cependant pas entrer pour quelque chose dans vos dispositions; vous ne devez pas examiner ce qui vous restera, mais ce que vous avez à rendre ..... Je voudrais que ceux qui ont un avis différent du mien me disent comment ils statueront sur les propriétés avec des principes ascétiques... Il est juste de compatir aux faiblesses de l’humanité et de satisfaire aux besoins de l’habitude. Nul d’entre nous, s’il est riche, ne voudrait être réduit au sort de celui qui est pauvre : ne faites donc pas aux religieux ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit; ne confondez donc pas les religieux rentés avec les religieux non rentés. M. Thibault, curé de Souppes. En supprimant les vœux, vous avez mis tous les religieux sous la protection de la loi : or, aux yeux de la loi, tous les hommes sont égaux; la loi doit donc accorder à chacun des religieux un traitement égal. Qu’on ne dise pas que les individus rentés, enfermés dans le cloître, nuis pour la société, avaient plus de jouissances que ceux qui vivaient des secours de la charité : ni les uns, ni les autres ne jouissaient. Je ne connais de jouissance que dans