[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMEA TAIRES. [29 septembre 1791.] gjû influence extérieure; que des hommes pervers ou ambitieux tentent de s’en emparer, et d’en faire des instruments utiles à leur ambition ou à leur vengeance. Si les actes de ces sociétés deviennent publics, si des affiliations les transmettent, si des journaux les font connaître, on peut rapidement avilir ou discréditer une autorité constituée, diffamer un citoyen ; et il n’y a pas d’homme qui puisse résister à cette calomnie. Il a été accusé, c’est par son ennemi ; on a donné, chose trop facile, on a donné à l’accusation un air de civisme ; elle a été applaudie dans la société, quelquefois accueillie; toutes les sociétés affiliées en sont instruites, et l’homme le plus honnête, le fonctionnaire public le plus intègre, peut être la victime de la manœuvre habile d’un méchant. Sous l’aspect de la morale et des mœurs, comme sous celui de la Constitution, il ne faut donc ni affiliations de sociétés, ni journaux de leurs débats. Croyez que c’est beaucoup à cela que tiennent l’ordre public, la confiance et. la sécurité d’une foule de citoyens : nul ne veut avoir d’autre maître que la loi-. Si les sociétés pouvaient avoir quelque empire; si elles pouvaient disposer de la réputation d’un homme; si corporativement formées, elles avaient, d’un bout de laFranceàl’autre, des ramifications et des agents de leur puissance, les sociétaires seraient les seuls hommes libres, ou plutôt la licence de quelques affiliés détruirait la liberté publique. 11 ne faut donc ni affiliation de sociétés, ni journaux de leurs débats. Nous ne vous proposons que 3 articles de loi. Ils ne portent que sur ces actes qui usurperaient une partie de la puissance publique, ou qui arrêteraient son action ; tout le reste esi abandonné à l’influence delà raison et à la sollicitude du patriotisme. Voici notre projet de décret : « L’Assemblée nationale, considérant que nulle société, club, association de citoyens ne peuvent avoir, sous aucune forme, une existence politique, ni exercer aucune influence ni inspection sur les actes des pouvoirs constitués et des autorités légales ; que, sous aucun prétexte, ils ne peuvent paraître sous un nom collectif, soit pour former des pétitions ou des députations, pour assister à des cérémonies publiques, soit pour tout autre objet, décrète ce qui suit: « Art. 1er. S’il arrivait qu’une société, club ou association se permît de mander quelque fonctionnaire public ou de simples citoyens, ou d’apporter obstacle à l’exécution d’un acte de quelque autorité légale, ceux qui auront présidé aux délibérations, ou fait quelques actes tendant à leur exécution, seront, sur la poursuite du procureur général-syndic du département, condara nés par les tribunaux à être rayés, pendant 2 ans, du tableau civique, et déclarés inhabiles à exercer pendant ce temps aucune fonction publique. « Art. 2. En cas que lesdites sociétés, clubs ou associations fissent quelques pétitions en nom collectif, quelques députations au nom de la société, et généralement tous actes où elles paraîtraient sous les formes de l’existence politique, ceux qui auront présidé aux délibérations, porté les pétitions, composé des députations ou pris une part active à l’exécution de ces actes, seront condamnés par la même voie à être rayés, pendant 6 mois, du tableau civique, et suspendus de toutes fonctions publiques, et déclarés inhabiles à être élus à aucune place pendant le même temps. « Art. 3. A l’égard des membres qui, n’étant point inscrits sur le tableau des citoyens actifs commettraient les délits mentionnés aux articles précédents, ils seront condamnés par corps à une amende de 12 livres s’ils sont Français, et de 3,000 livres s’ils sont étrangers. » Le comité vous prie d’adopter ce projet de décret et d’ordonner que le rapport que je viens de faire, soit imprimé et distribué comme instruction. (La discussion est ouverte sur le projet de décret.) M. Robespierre. Messieurs, on propose à l’Assemblée de décréter que le rapport qui vient de lui être fait, sera imprimé et distribué comme instruction; il renferme cependant une ambiguïté et des expressions qui attaquent les principes de la Constitution; on a su y parler le langage de la liberté et de la Constitution pour les aaeantir et pour cacher des vues personnelles, des ressentiments particuliers sous le prétexte du bien, de la justice et de f intérêt public... ( Applaudissements dans les tribunes .) Plusieurs membres : A l’ordre! M. Robespierre. C’est un art qui n’est pas étranger aux révolutions, et que nous avons vu déployer assez souvent dans la nôtre pour avoir su l’apprécier et pour avoir appris à le démasquer. Pour moi, je l’avoue, si jamais j’ai senti vivement la joie de toucher au terme de notre carrière, c’est bien au moment où j’ai vu en donner ce dernier exemple, où j’ai entendu les réclamations qu’on vient d’élever contre les sociétés qui ont assuré la Révolution. J’aurais pensé que, la veille du jour où la législature nouvelle va nous remplacer, nous pouvions nous reposer à la fois, et sur les lumières et sur le zèle de nos successeurs, qui, arrivant des départements, sont à portée d'apprécier les faits dont on vous parle, et de savoir ce que les sociétés des amis de la Constitution ont été et sont encore, et si elles doivent être plus utiles que nuisibles à la Constitution et à la liberté; il me semble, dis-je, que nous aurions pu nous reposer sur leur zèle etr*sur leurs lumières, du soin de prendre le parti le plus convenable. Je me rappelle avec confiance, et c’est une chose qui me rassure contre la manière dont ou veut terminer notre session, je me rappelle, dis-je, avec confiance et satisfaction, que c’est du sein de ces sociétés que sont sortis un très grand nombre de ceux qui vont occuper nos places (. Applaudissements à l'extrême gauche et dans les tribunes ); je sais que c’est à eux particulièrement que s’attachent l’espoir et la confiance de la nation française; c’est à eux qu’elle semble recommander le soin de défendre la liberté contre les progrès d’un système machiavélique qui la menace d’une ruine prochaine... (. Applaudissements dans les tribunes.) M. Rarnave. Monsieur le Président, imposez donc silence aux tribunes. M. Robespierre... ce sont eux qui seront chargés de défendre les droits de la nation contre les artifices de ces hommesfauxqui ne parlent de la liberté avec éloge, que pour l’opprimer avec impunité, que pour la poignarder plus à leur aise... ( Applaudissements dans les tribunes.) C’est encore le choix de ces législateurs, de ces vrais représentants du peuple, qui me rassure contre 620 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1791. J le décret proposé aujourd’hui, quel qu’en puisse être le succès; car sans doute, les hommes dont je parle, auront de l’influence, et nos erreurs seront bientôt redressées. J’aborde la question plus directement, on n’a pas craint de justifier la loi que l’on vous propose par les principes de la Constitution : je vais les comparer moi-même avec le projet de loi. La Constitution garantit aux Français le droit de s’assembler paisiblement et sans armes; la Constitution garantit aux Français la communication libre des pensées, toutes les fois qu’on ne fait point de tort à autrui; la Constitution garantit aux Français le droit de faire tous les actes qui, par leur nature, n’ont rien de contraire aux lois de l’Etat. D’après ces principes, je demande comment on ose vous dire que la correspondance d’une réunion d’hommes paisibles et sans armes, avec d’autres assemblées de la même nature, peut être proscrite par les principes de la Constitution? Si les assemblées d’hommes sans armes sont légitimes, si la communication des pensées est consacrée par la Constitution, comment osera-t-on me soutenir qu’il soit défendu à ces sociétés de correspondre entre elles? N’est-il pas évident que c’est celui qui a attaqué ces principes, qui les viole de la manière la plus ouverte, et qu’on ne les met aujourd’hui en avant, que pour pallier ce qu’il y a d’odieux dans l’attentat qu’on veut se permettre contre la liberté? Comment et de quel front enverrez-vous dans les départements, une instruction par laquelle vous prétendez persuader aux citoyens qu’il n’est pas permis aux sociétés des amis de la Constitution d’avoir des correspondances, d’avoir des affiliations ? Qu’y a-t-il donc d’inconstitutionnel dans une affiliation? L’affiliation n’est autre chose que la relation d’une société légitime avec une autre société légitime par laquelle elles conviennent de correspond) e entre eiles sur les objets de l’intérêt public. Comment y a-t-il là quelque chose d’inconstitutionnel ? ou plutôt, qu’on me prouve que les principes de la Constitution que j’ai développés ne consacrent pas ces vérités ?... M. I�e Chapelier, rapporteur. Je demande à répondre à M. Robespierre, qui ne sait pas un mot de la Constitution. ( Vifs applaudissements.) M. Prieur. Et moi je demande à répondre à M. Le Chapelier, qui en sait trop. (. Applaudissements dans les tribunes.) M. lavie. Ce sont des déclamations diva-gant -s. M. Rrederer. Le renvoi à la prochaine législature! On ne doit pas plus gêner la liberté des clubs que celle des biribis. M. d’André. Je demande que M. Robespierre continue son opinion; j’ai la parole après lui; je lui répondrai. M. Robespierre. On a donné de grands éloges aux sociétés amies ne la Constitution : c’était à la \érité pour acquérir le droit d’en dire beaucoup de mal, et d’alléguer, d’une manière très vague, ues laits qui ne sont point du tout prouvés, et qui sont absolument calomnieux. Mais, n’nn-porte, on en a dit au moins le bien qu’on ne pou 'ait pas méconnaître. Eh bien, il n’est autre chose que l’aveu ues services rendus à la liberté et à la nation depuis le commencement de la Révolution; il me semble que cette considération seule aurait pu dispenser le comité de Constitution de se hâter sitôt de mettre des entraves à des sociétés qui, de son aveu, ont été si utiles. Mais, dit-on, nous n’avons plus besoin de ces sociétés, car la Révolution est finie ; il est temps de briser l’instrument qui nous a si bien servis. (. Applaudissements dans les tribunes.) M. le Président. Je rappelle les tribunes à l’ordre; elles ne doivent pas troubler à chaque instant la délibération. M. Robespierre. La Révolution est finie : je veux bien le supposer avec vous, quoique je ne comprends pas bien le sens que vous attachez à cette proposition que j’ai entendu répéter avec beaucoup d’affectation; mais, dans cette hypothèse, est-il moins nécessaire de propager les'connais-sances, les principes de la Constitution et l’esprit public, sans lequel la Constitution ne peut subsister? Est-il moins utile de former des assemblées où les citoyens puissent s’occuper en commun de la manière la plus efficace de ces objets, des intérêts les plus chers de leur patrie? Est-il un soin plus légitime et plus digne d’un peuple libre? Pour qu’il soit vrai de dire que la Révolution est finie, il faut que la Constitution soit affermie, puisque la chute, l’ébranlement de la Constitution doit nécessairement prolonger la Révolution, qui n’est autre chose que les efforts de la nation pour conserver ou pour conquérir la liberté. Or, comment peut-on proposer de rendre nul et sans influence le plus puissant moyen de l’affermir, celui qui, de l’aveu du rapporteur lui-même, a été généralement reconnu nécessaire jusqu’ici? Mais, d’où vient donc cet étrange empressement u’ôter tous les étais qui appuient un édifice encore mal affermi? Quel est ce système de vouloir plonger la nation dans une profonde incurie sur les plus sacrés de tous ses intérêts ; de vouloir interdire aux citoyens toute espèce d’inquiétudes, lorsque tout annonce qu’on peut encore en avoir sans être insensé; de leur faire un crime de la surveillance que la raison impose aux peuples mêmes qui jouissent, depuis des siècles, de la liberté? Pour moi, quand je vois d’un côté que la Constitution naissante a encore des eunemis intérieurs et extérieurs; quand je vois que les discours et les signes extérieurs sont changés, mais que les actions sont toujours les mêmes, et que les cœurs ne peuvent avoir été changés que par un miracle; quand je vois l’intrigue, la fausseté, donner eu même temps l’alarme, semer les troubles et la discorde ; lorsque je vois 'es chefs des faciions opposées, combattre moins pour la cause de la Révolution que pour envahir le pouvoir de dominer sous le nom du monarque; lorsque d’un autre côté je vois le zèle exagéré avec lequel ils prescrivent l’obéissance aveugle, en même temps qu’ils proscrivent jusqu’au mot de liberté; que je vois les moyens extraordinaires qu’ils emploient pour tuer l’es-p rit public, en ressuscitant les préjugés, la légèreté, l’idolâtrie; je ne crois pas que la Révolution soit finie. Loin de condamner l’esprit d’ivresse qui anime ceux qui m’entourent, je n’v vois q< e l’esprit de vertige qui propage i’es-clavage des nations et le despotisme des tyrans. (. Applaudissements dans les tribunes.). Si ceux qui partagent les sollicitudes des législateurs sont regardés comme des hommes dangereux; si je [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1791.] ne suis pas convaincu que ceux qui pensent ainsi sont des insensés, des imbéciles, une raison me force à les regarder comme des perfides. [Murmures.) S’il faut que je tienne un autre langage, s’il faut que je cesse de réclamer contre les projets d-s ennemis de la patrie, s’il faut que j’applaudisse à la ruine rie mon pays, ordonnez de moi ce que vous voudrez, faites-moi périr avant la perte de la liberté ( Murmures et applaudissements ); aussi bien, il restera en France des hommes assez sincèrement amis de la liberté, assez clairvoyants, pour apercevoir tous les pièges que l’on nous tend de toute part, pour empêcher les traî-tr< s de jouir jamais du fruit de leurs travaux. Je sais que, pour préparer le succès des projets que l’on offre aujourd’hui à votre délibération, on a eu soin de prodiguer les critiques, les sophismes, les calomnies et tous les petits moyens employés par de petits hommes qui sont à la fois l’opprobre et le fléau des Révolutions. (Applaudissements dans les tribunes; rires au centre.) Je sais qu’ils ont rallié à leurs opinions tout ce qu’il y a eu France de méchants et de sots. ( Nouveaux rires.) Je sais que ces sortes de projets plaisent beaucoup à tous les hommes intéressés à prévariquer impunément ; car tout homme qui peut être corrompu, craint la surveillance des citoyens instruits, comme les brigands redoutent la lumière qui éclaire leurs forfaits. Il n’y a que la vertu qui puisse découvrir cette espèce de conspiration contre les sociétés patriotiques. Dëtruisez-les, et vous aurez ôté à la corruption le frein le plus puissant, vous aurez renversé le dernier obstacle qui s’opposait à ses sinistres projets; car les conspirateurs, les intrigants, les ambitieux sauront bien s’assembler, sauront bien éluder la loi qu’ils auront fait rendre; ils sauront bien se rallier sous les auspices du despotisme pour régner sous son nom, et ils seront affranchis des sociétés d’hommes libres qui se rassemblent paisiblement et publiquement sous des titres communs, parce qu’il est nécessaire d’opposer la surveillance des honnêtes gens aux forces des intrigants ambitieux et corrompus. Alors ils pourront déchirer la patrie impunément pour élever leur ambition personnelle sur les ruines de la nation. Messieurs, si les circonstances passées pouvaient maintenant se retracer d’une manière nette à votre esprit, vous vous souviendriez que ces sociétés étaient composées des hommes les plus recommandables par leurs talents, par leur zèle pour la liberté qu'ils ont conquise; que dans leur sein ils se réunissaient pour se préparer d’avance à combattre, dans cette Assemblée, même la ligue des ennemis de la Révolution, pour apprendre à démêler les pièges que les intrigants n’ont cessé de nous tendre jusqu’à ce moment. Si vous vous rappeliez toutes ces circonstances, vous verriez avec autant de surprise que de douleur que ce décret est provoqué peut-être par l’injure personnelle qu’on a faite à certaines personnes qui avaient acquis une trop grande influence dans l’opinion publique qui les repousse maintenant. Est-ce donc un si grand malheur que, dans les circonstances où nous sommes, l’opinion publique, l’esprit public se développent aux dépens mêmes de la réputation de quelques hommes qui, après avoir servi la cause de la patrie en apparence, ne l’ont trahie qu’avec plus d’audace! (Applaudissements dans les tribunes; murmures aux centres.) 621 Je sais tout ce que ma franchise a de dur; mais c’est la seule consolation qui puisse rester aux bons citoyens, dans le danger où ces hommes ont mis la chose publique, de les juger d’une manière sévère. On vous a représenté les sociétés patriotiques comme ayant usurpé la puissance publique, tandis quejamais elles n’ont eu la ridicule prétention de toucher aux autorités constituées, taudis qu’elles n’ont jamais eu d’autre but que d’instruire, que d’éclairer leurs concitoyens sur les vrais principes de la Constitution et de répandre les lumières sans lesquelles elle ne peut subsister. Si quelques sociétés se sont écartées des règles prescrites par les lois : eh bien ! les lois sont là pour réprimer ces écarts particuliers. Mais veut-on induire de quelques faits isolés, dont on n'a point apporté la preuve, la conséquence qu’il faille détruire, paralyser, anéantir entièrement une institution utile en elle-même, nécessaire au maintien de la Constitution, et qui, de l’aveu de ses ennemis mêmes, a rendu des services essentiels à la liberté? S’il est un spectacle hideux, c’est celui où l’Assemblée représentative sacrifierait aux intérêts de quelques individus, dévorés de passions, et ambitieux, la sûreté de la Constitution. Je me borne à dernander la question préalable sur le projet du comité, et je laisse à ceux qui veulent combattre mon opinion Je soin de me réfuter par des plaisanteries calomnieuses et par des sentiments machiavéliques. ( Applaudissements à l’extrême gauche et dans les tribunes.) M. d’André. Je pense, comme le préopinant, qu’il faut donner un exemple à nos successeurs. Je prétends, moi, que l’Assemblée leur donnera celui d’uu corps qui, allant quitter ses fonctions, reste toujours invariable dans ses principes, toujours inébranlable, toujours au-dessus des applaudissements mendiés ou attirés par de vaines déclamations. (Applaudissements.) Voilà l’exemple que je pense qu’elle doit donner et j’espère que nos successeurs sauront en profiter. Je viens à présent à la question ; le préopinant ne l’a pas traitée, parce qu’il avait un discours préparé... (Rires.) et avait arrangé son opinion dans l’idée qu’on proposerait la destruction des clubs; et, en conséquence, il a démontré très judicieusement, très éloquemment, qu’il ne fallait pas détruire les clubs. Or, précisément le projet du comité, qu’on ne lui avait pas communiqué malheureusement, ne parle pas de la destruction des clubs. Le projet du comité porte que, dans toute société qui aurait mandé devant elle, ou qui aurait exercé des fonctions publiques, le président et les secrétaires seront punis en étant rayés pendant 2 ans du tableau des citoyens actifs ; c’est là précisément ce que demandait le préopinant en finissant son opinion ; il disait : si ces sociétés s’écartent des lois qui leur sont prescrites, il faut que la loi les punisse. Or, pour que la loi les punisse, il faut qu’il y en ait une; il n’y avait point de loi ; il fallait la faire. Le premier article est donc précisément la loi que demandait le préopinant. A présent il faut examiner si cette loi est bonne ou mauvaise. Or ici deux questions se présentent ; la première, les hypothèses portées sont-elles présumables ? la seconde, la peine portée est-elle juste et convenable? Quant à la première, il reste à savoir si les hypothèses ont existé ; et je remarquerai, quoi que le préopinaut eu ait pu dire, qu’il vous 622 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1791.] a été rendu compte ici de procès-verbaux très bien circonstanciés, très autbenliques, très légaux, et contre lesquels toutes les réclamations de toutes les sociétés ne peuvent pas faire foi en justice, puisque les procès-verbaux ont été faits par des corps constitués. Ainsi ces hypothèses ont donc existé. Et je dis qu’il est impossible de ne pas supposer que des citoyens rassemblés, que des citoyens qui délibèrent sur les affaires publiques, ne s’immisceraient pas dans l’admi-Distration : il est impossible de le supposer : il est évident qu’ils s’en mêleraient ; et qu’il faut des peines répressives. Donc le premier principe existe ; donc il faut une loi. A présent, la peine est-elle trop sévère ? Je ne crois pas que personne dans l’Assemblée pense que la radiation pendant deux ans du tableau des citoyens soit une punition trop grave ; car enfin il faut une subordination dans un Etat. La liberté ne peut pas exister sans obéissance aux lois : il faut non seulement l’obéissance aux lois, mais il faut l’obéissance aux fonctionnaires publics qui parlent au nom de la loi. Il faut donc que toute désobéissance soit punie ; et je ne crois pas que la punition soit trop grave, si une société se permettait les hypothèses prévues par le décret. Le second article porte que, dans le cas où les sociétés auraient fait des pétitions en nom collectif, ou quelque autre démarche collective, le président, le secrétaire et tous ceux qui auront été membres de la députation seront punis aussi de six mois de radiation. C’est une conséquence des décrets que vous avez rendus qui défendent toute espèce de démarche collective. Ce décret est constitutionnel, ce décret est fondé sur la sagesse ; car enfin, si un citoyen était calomnié par une société, il faut bien qu’il puisse avoir recours contre quelqu’un ; sinon la fortune, l’honneur, la vie même d’un citoyen sont compromis et exposés par des sociétés. Ce principe-là nous a déterminés à défendre les démarches collectives ; mais la défense seule n’est rien, il faut une peine : or, la peine n’est pas trop forte ; et même dans ce cas-là, où les suites peuvent être extrêmement funestes, on pourrait demander une peine plus grave. Mais enfin cet article-là ne présente aucune espèce d’inconvénients, puisqu’il est textuellement conforme à la Constitution. Le troisième article dit seulement que ceux qui ne sont pas citoyens français seront punis de 3,000 livres d'amende. Je ne pense pas que cette amende soit trop forte pour un étranger qui ne eut pas être rayé du tableau des citoyens actifs. insi je ne vois pas de difficulté là-dessus : car je ne pense pas que personne veuille autoriser les étrangers à venir se mêler de nos affaires. Le décret reste donc tout entier puisque aucun des trois articles n’a été discuté par le préopinant. Je passe maintenant à la discussion que le préopinant a effleurée, parce qu’elle se rapprochait un peu plus de son discours : c’est celle qui porte sur la correspondance et les affiliations. Quant à la correspondance, elle est défendue par la Constitution aux corps administratifs, par un article précis et très nécessaire pour empêcher les mouvements simultanés et les coalitions qui peuvent être dangereuses. Remarquez que, dans l’instruction, il ne s’agit pas de rendre des décrets, il s’agit de supprimer des inconvénients. Il faut se demander si ces inconvénients existent. A moins de vouloir, comme l’a mal fait, je crois, le préopinant, calomnier les 99 centièmes de la nation pour faire l’éloge d’un centième, on ne peut dire que ces conférences et que cette correspondance active entre eux soit inutile. Je crois que chaque délibération prise dans le sein d’une société peut être très utile pour éclairer, pour instruire les citoyens sur la Constitution, sur la liberté; mais une correspondance entre eux, tend à leur donner une force qui leur ferait subjuguer toute la nation. Le préopinant vous a dit qu’il regardait comme les seuls défenseurs de la liberté les députés nommés qui avaient été membres des clubs. Or, comme il n’y en a dans le royaume qu’en-viron 400, qui peuvent former à peu près 40,000 individus, il s’ensuit que le préopinant a regardé le patriotisme de tout le royaume comme concentré dans 40,000 individus, à l’exclusion de tous les autres citoyens. ( Applaudissements .) Je crois que tous les citoyens qui ont été nommés sont bons; et, comme je n’aime point à répandre de fausses impressions sur le caractère politique des gens, quand il ne s’est pas encore développé, j’aime à les croire tous bons. En attendant, il faut se renfermer dans la discussion, en écartant toutes les protestations de vouloir mourir pour la patrie, quand nous sommes tous disposés à mourir pour elle. La discussion porte sur deux objets : trois articles du comité qui ne peuvent pas être attaqués, parce qu’ils sont inattaquables, parce qu’ils sont l’exécution des décrets déjà rendus, parce qu’ils tendent à établir l'ordre public d’une manière assurée, parce qu’ils tendent à empêcher la nation entière d’être subjuguée par des gens qui, étant rassemblés, auront toujours une beaucoup plus grande influence que ceux qui sont isolés. Quant à l’instruction, elle indique toutes les dispositions : elle ne porte point de loi, elle indique que la correspondance ne devrait pas exister, parce qu’en effet, moi, je pense que chaque club devrait se renfermer à examiner dans son sein tous les objets qui lui plaisent ; mais qu’il ne devrait pas avoir de communication ailleurs. L’instruction ne porte point de peine, n’amène point de décret ; elle ne fait qu’indiquer ce qui nous paraît le plus conforme à la Constitution, sur quoi nos successeurs feront ce qu’ils voudront. On a prétendu qu’on aurait pu laisser à nos successeurs le soin de rendre ce décret. Moi je maintiens que nous faisons bien de terminer notre session par ce décret-là, parce qu’il prouvera que, même en nous en allant, nous ne mendions pointd’applaudissements... (Murmures et exclamations à l'extrême gauche; applaudissements au centre.) Si ce sont nos successeurs qui nous font ce ha-ha! nous le leur rendrons dans huit jours. . . . parce qu’il prouvera que, la Révolution finie, nous voulons la consolider ; qu’elle ne peut se consolider que par la tranquillité et par l’ordre; que, sans la tranquillité et l’ordre, le crédit sera détruit ; que, sans la tranquillité et l’ordre, il est impossible que les gens aisés veuillent rester dans le royaume; que, par conséquent, nous voulons en. nous en allant repousser de la même manière, que nous l’avons fait, ceux qui voudraient faire renaître l’ancien régime ; nous voulons, dis-je, repousser également ceux qui voudraient subsituer au régime détruit un régime nouveau plus destructeur peut-être que l'ancien* car il nous [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1791.} QQ'A mettrait absolument en proie aux intrigants, aux ambitieux, aux gens qui se populacieraient. . . M. lia vie. Voilà! voilà! M. d’André. Voilà pourquoi nous devons rendre ce décret ; voilà pourquoi jusqu’au dernier moment nous ne devons pas dévier de nos principes ; voilà pourquoi surtout, en finissant, nous devons rendre un décret qui, sans détruire les sociétés des amis de la Constitution, les remettra pourtant dans leurs justes bornes, et leur apprendra qu’elles ne peuvent, sous aucun prétexte, se mêler des affaires du gouvernement d’une manière active, ni empiéter sur les autorités constituées. Je conclus donc, Monsieur le Président, à ce que vous mettiez l'instruction et le projet de décret aux voix, parce que l’un et l’autre sont sages et raisonnables. (. Applaudissements .) Au centre : La discussion fermée! M. Pétion. Je demande la parole. (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion.) M. Pétion. Je demande à faire un amendement... Le comité de Constitution a enchaîné avec adresse... (Murmures.) M. Cigongne. La discussion est fermée. M. Pétion.,. un ensemble d’arguments qui n’ont évidemment pour but que d’avilir et de calomnier les sociétés; ensuite... Au centre : Votre amendement! M. Pétion... l’instruction interdit la correspondance entre deux sociétés : j’observe à cet égard qu’il n’est pas plus au pouvoir de l’Assemblée d’interdire une correspondance entre deux sociétés qu’entre deux individus. (Applaudissements à l'extrême gauche.) Au centre : Votre amendement ! M. Pétion. Il faut bien que je dise que l’ins-truetion est conçue dans de mauvaises vues, puisque j’en veux demander la division. Vous voulez interdire aux sociétés de faire imprimer. Eh bien, Messieurs, dans un pays où l’on est assez ombrageux pour la liberté, en Angleterre, la société de la Révolution imprime publiquement ses arrêtés. M. le Chapelier, rapporteur. Vous êtes là contre la Constitution frauçaise. M. Pétion. Je ne vous parle pas d’un nom collectif; mais il est libre à des citoyens de faire imprimer... Au centre : Aux voix ! aux voix 1 M. Rœderer. Je demande l’impression et l’ajournement du rapport et du projet de décret. Au centre : La question préalable sur l’ajournement 1 M. Prieur. On ne décrète une instruction que pour expliquer des lois antérieures et je ne conçois pas pourquoi le comité de Constitution vient nous proposer de décréter, comme instruction, son opinion sur les sociétés patriotiques, opinion que je voudrais combattre. Je demande qu’on rejette l’instruction tout entière et qu’on ajourne le projet de décret. Au centre : La question préalable gur l'ajournement! (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement.) MM. l’abbé Grégoire et Goupilleau. L’appel nominal! Il y a des étrangers dans la salle. ( Murmures au centre.) M. Buzot. Je demande la division du projet de décret. M. Ce Chapelier, rapporteur. La division sera établie en allant successivement aux voix sur chaque article. (Il relit le préambule et l’article premier.) MM. Buzot et l’abbé Grégoire. Noüs demandons le retranchement du copsidérant. Au centre : Non ! non ! M. Ce Chapelier, rapporteur. Voulez-vous donner aux citoyens qui s’assembleront Une influence quelconque? M. Buzot. Nous ne demandons pas cela; biais nous demandons que la loi soit claire et précise, qu’elle ne prête pas à l’arbitraire. Vous n’avez pas voulu défendre les correspondances par un décret exprès, mais vous l’avez mis dans votre préambule. Bien plus, vous ajoutez à la fin : « soit pour tout autre objet ». Je vous demande comment il est possible de laisser à l’arbitraire du juge si tel ou tel objet qui n’est pas dans la loi, mérite la peine que vous infligez. Je conclus à la suppression de ces derniers mots qui sont certainement trop vagues. M. Ce Chapelier, rapporteur. Je suis de l’avis de M. Buzot qu’il faut qu’une loi, et surtout une loi pénale, soit très précise, ne contienne rien de vague et que ceux qui auront à l’appliquer soient bien certains qu’ils ne peuvent aller au delà des limites qui leur sont prescrites par la loi. Mais je crois, contre l’opinion de M. Buzot, que les mots employés ici sont très limitatifs, car dans le préambule, qui n’est que l’énonciation des principes constitutionnels que vous avez décrétés, il est dit que, sous aucun prétexte, les sociétés ne peuvent paraître sous un nom collectif. M. Buzot. Mais la correspondance n’en entre pas moins dans votre préambule. M. Ce Chapelier, rapporteur. La correspondance, comme on l’a très bien observé, ne peut pas être plus interdite à une société qu’à un individu ; mais ce qui est contraire au gouvernement représentatif, ce qui annonce une existence politique, c’est une affiliation constatée publiquement, c’est une correspondance publiée par la voie d’un journal. Au centre : Aux voix! aux voix! M. Rewbell. Le mot « influence » employé 624 [Assemblée nationale.] dans le préambule est si vague, prête à tant d’interprétations, que je né conçois pas comment on peut l’insérer dans une loi. Plusieurs membres : Il faut mettre « action ». M. l�e Chapelier, rapporteur. J’adopte; voici en conséquence la nouvelle rédaction du préambule : « L’Assemblée nationale, considérant que nulle société, club, association de citoyens ne peuvent avoir, sous aucune forme, une existence politique, ni exercer aucune action ni inspection sur les actes des pouvoirs constitués et des autorités légales; que, sous aucun prétexte, ils ne peuvent paraître sous un nom collectif, soit pour former des pétitions ou des députations, pour assister à des cérémonies publiques, soit pour tout autre objet, décrète ce qui suit : (Adopté.) M. Ce Chapelier, rapporteur, donne lecture de l’article 1er. M. fioupîlleau. Je demande que la peine portée dans cet article ne puisse être appliquée qu’après un jugement par jurés. (Cet amendement est rejeté.) En conséquence, l’article est mis aux voix, saris changement, comme suit : Art. 1er. « S’il arrivait qu’une société, club ou association se permît de mander quelque fonctionnaire public ou de simples citoyens, ou d’apporier obstacle à l’exécution d’un acte de quelque autorité légale, ceux qui auront présidé aux délibérations, ou fait quelques actes tendant à leur exécution, seront, sur la poursuite du procureur général syndic du département, condamnés par les tribunaux à être rayés, pendant deux ans, du tableau civique, et déclarés inhabiles à exercer pendant ce temps aucune fonction publique. » (Adopté.) M. I�e Chapelier, rapporteur , donne lecture de l’article 2. M. Buzot. Que voulez-vous dire par « actes où les sociétés paraîtraient sous les formes de l’existence politique »? Je ne conçois rien de plus vague que cela. Si vous aviez mis « un corps politique qui suppose une existence politique », alors je vous entendrais. Au centres : Aux voix ! aux voix I L’article est mis aux voix, sans changement, comme suit : Art. 2. « En cas que lesdites socitétés, clubs ou associations fisseut quelques pétitions en nom collectif, quelques députations au nom de la société, et généralement tous actes où elles paraîtraient sous les formes de l’exisience politique, ceux qui auront présidé aux délibérations, porté les pétitions, composé des députations, ou pris une part active à l’exécution de ces actes, seront condamnés par la même voie à être rayés, pendant 6 mois, du tableau civique, et suspendus de toutes fonctions publiques, et déclarés iu habiles à être élus à aucune place pendant le même temps. » (Adopté.) [29 septembre 1791.] M. JLe Chapelier, rapporteur, fait lecture de l’article 3 qui est mis aux voix, sans changement, comme suit : Art. 3. « A l’égard des membres qui, n’étant point inscrits sur le tableau des citoyens actifs, commettraient les délits mentionnes aux articles précédents, ils seront condamnés par corps à une amende de 12 livres s’ils sont Français, et de 3,000 livres s’ils sont étrangers. » (Adopté.) M. Ce Chapelier, rapporteur. C’est avec raison que l’on a dit que l’Assemblée ne peut pas prendre comme un de ses actes le rapport de -on comité; je me borne donc à demander qu’il soit imprimé non comme instruction, mais comme rappoit. Voici, en conséquence, le dernier article que je propose : Art. 4. « L’Assemblée nationale décrète que le rapport de son ancien comité de Constitution sera imprimé avec la présente loi. » (Adopté.) M. le Président lève la séance à quatre heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. VICTOR. DE BROGLIE, EX-PRÉSIDENT. Séance du jeudi29 septembre 1791, au soir( 1). La séance est ouverte à six heures du soir. M. Heurtault-Camervllle, au nom ducomité d'agriculture et de commerce , observe qu’il y a une contradiction entre deux articles du décret rendu hier matin et relatif aux lois rurales (2) : la disposition de 8 jours pour la poursuite des délits, portée dans l’article dernier du titre Ier contrarie la dernière disposition de l’article 3 du titre II, qui porte 1 mois au lieu de 8 jours. Il propose en conséquence de décréter que les mots 1 mois remplaceront les mots 8 jours dans l’article dernier du titre Ier et que la dernière disposition de l’article 3 sera supprimée. (Ces changements sont adoptés.) En conséquence, les articles ci-dessus visés sont modifiés comme suit : Art. 8 (delà 7e section du titre Ier). « La poursuite des délits ruraux sera faite au plus tard dans le délai d’un mois, soit par les parties lésées, soit par le procureur de la commune ou ses substituts, s’il y en a, soit par des hommes de loi commis à cet effet par la municipalité; faute de quoi il n’y aura plus lieu à poursuite » (Adopté.) Art. 3 (du titre II). « Tout délit rural, ci-après mentionné, sera punissable d’une amende, ou d’une détention soit municipale, soit correctionnelle, ou de déten-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (2) Voir ci-dessus, séance du 28 septembre 1791, au matin, page 431. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.