684 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1791.] Adresses du conseil général de la commune de Condrieu et de la société des amis de la Constitution séant à Colonges. M. le Président fait donner lecture d’une lettre d'Armand Richelieu, qui, quoique Français, est en ce moment au service de la Russie : il demande un passeport pour aller remplir ses engagements. Il promet de revenir aussitôt la guerre finie, et il désire que les connaissances militaires qu’il y acquerra, le mettent à portée de concourir un jour à la gloire de sa patrie. (L’Assemblée, en accordant ce passeport, ordonne que le motif en sera exprimé dans son procès-verbal.) M. Delavigne, secrétaire , fait lecture d’une lettre des officiers municipaux du Port-au-Prince , lie Saint-Domingue , qui annonce que le décret du lor février dernier a été reçu avec transport dans les parties du sud et de l’ouest, et dans la plupart des paroisses de celles du nord. Ils attendent avec l’empressement du besoin l’arrivée des commissaires civils qui doivent les faire jouir des bienfaits de la régénération ; mais ils suspectent les intentions du gouvernement. La conduite du sieur Bianchelande leur paraît conforme à celle du sieur Mauduit. Ils donnent connaissance à l’Assemblée d’une lettre écrite par ce colonel à l’ambassadeur d’Espagne, qui ne laisse aucun doute sur l’incivisme et la haine pour la Révolution qu’on imputait au sieur Mauduit. Ils ont inséré dans leur lettre une copie du procès-verbal dressé par la municipalité le 2 du mois de mai dernier, où sont relatés les événements malheureux qu’on attribue au régiment du Port-au-Prince : ils se félicitent du départ de ce régiment et ils en attendent le retour de la paix publique. Suit la teneur de cette lettre : « Messieurs, « Nous avons eu l’honneur de vous faire deux adresses, l’une du 8, l’autre du 31 du mois de mars dernier. Dès avant la date de la seconde, la nouvelle de votre décret du 1er février 1791 était parvenue à Saint-Domingue. Cette nouvelle, bien qu’indirecte, avait été reçue avec transport dans les parties de l’ouest et nu sud, et dans un grand nombre des paroisses des parties du nord. Elle s’est confirmée depuis par les papiers publics, et par une infinité de lettres particulières, et nous nous flattions de voir arriver bientôt sur nos bords les commissaires civils que ce décret nous annonce. Mais ces ministres de paix n’ont point encore paru : votre décret n’est pas encore connu officiellement, à Saint-Domingue; celui du 12 octobre est le seul dont nous ayons eu jusqu’à présent une connaissance officielle depuis ceux du 8 et 28 mars. « Que ces relardements paraissent longs aux vrais amis de la paix I Quand jouirons-nous enfin, comme les autres Français, du bienfait de la régénération ? L’arrivée des commissaires civils peut seule remplir nos espérances. A peine se sont-ils montrés a la Martinique, que les troubles y ont été apaisés. Ceux dont nous avons été agités nous-mêmes, calmés en partie aujourd’hui, peuvent cependant renaître, soit par la conduite flottante du général, soit par le défaut de municipalité dans quelques paroisses de la colonie. « Si les commissaires civils que votre décret nous annonce étaient arrivés, la plus parfaite paix régnerait déjà dans toute la partie de Saint-Domingue ; chacun verraiten eux les dépositaires de l’autorité suprême de l’Assemblée nationale ; chacun ferait avec plaisir le sacrifice de son opinion particulière, car nous désirons tous unanimement de voir la colonie participer à la régénération de l’Empire Français, nous tendons tous au même but et nous ne différons que sur les moyens que chacun veut prendre pour y parvenir. « Le gouvernement seul paraît avoir d’autres vues; c’est du moins ce que fait présumer la conduite de M. Bianchelande depuis le moment qu’il a mis le pied dans la colonie. Asservi en tout aux idées du colonel Mauduit, il s’est porté à tous les actes de violence et de tyrannie que cet ennemi juré de la Révolution a voulu exercer. Mais, pour vous mettre plus à portée de juger des intentions funestes de cet homme, dont les avis semblaient être des ordres pour M. Bianchelande, nous allons transcrire ici une lettre qu’il écrivait à l’ambassade d’Espagne, en 1790, avant son retour à Saint-Domingue. Nous avons en dépôt l’original de cette lettre, écrite tout entière de sa main. « Copie de la lettre écrite par M. Mauduit dans le temps qu’il était à Paris, en 1790, à M. le comte Fernand Nunès, ambassadeur d’Espagne. « Vous m’avez comblé d’intérêt, Monsieur le « comte, et j’en serai toute ma vie reconnaissant. « Vous m’avez donné une grande marque de con-« fiance, et je vous donne ma parole d’honneur « qu’elle est bien placée. Le plus ardent de mes « désirs est Je bonheur de Camille, et soyez sûr « que j’y travaillerai sans cesse, » Je n’estime personne plus que le comte de « Fernand Nunès, je lui suis profondément atta-« ché! Mais les circonstances me forcent à quit-« ter sa maison pour aller loger dans un hôtel « garni, je cesserai de le voir, mais mon senti-« ment le suivra toujours. « Oui, je l’aimerai jusqu’au dernier moment. « Je lui dirai avec franchise ce qui me déter-« mine à cette démarche qui me peine et m’af-« flige. J’aime ma patrie avec passion, j’aime le « sang de mes rois comme on savait l’aimer il « y a deux siècles. Je suis attaché à la patrie, à « la Constitution de mon pays et tout ce qui ar-« rive me déchire. La démarche actuelle du roi, « en allant à l’Assemblée nationale, me parait « désespérante. C’est, suivant moi, la destruction « totale de la monarchie ; c’est un hommage cnie « le souverain rend au crime qui a tout boule-« versé, tout détruit ; c’est, suivant moi, unprin-« cipe qui abandonne ses fidèles serviteurs, les < honnêtes gens de son royaume, pour aller se « mettre à la tête des misérables qui l’ont dé-« trôné, qui ont détruit son royaume et qui ont « juré la perte des gens de bien. C’est un roi qui « se coalise avec le crime pour accabler, anéantir « toute vertu, tout honneur, toute probité. <- Voilà ma profession de foi, Monsieur le « comte. Jugez du déchirement que j’ai éprouvé, « lorsque je vous ai entendu, mardi au soir, dans « votre appartement, me dire que vous approu-« viez cette démarche. Oui, mon âme a saigné, « et depuis ce moment je vous évite, je m’évite « moi-même, je suis malheureux et je vous « quitte. « Comment, Monsieur le comte, vous, noble « espagnol, Français par votre mère, représentant « un souverain du sang de nos rois, vous ap-« prouvez une Révolution atroce, la destruction « de la religion, le détrônement de notre roi, 685 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 juillet 1791.] « ravilissement du sang des Bourbons, la viola-« tion de tous droits, de toute justice, enfin l’ou-« vrage de l'ingratitude, l’ouvrage des monstres « voués depuis longtemps au mépris public, con-« nus par leurs vices et leurs bassesses. « Pouvez-vous désirer, pouvez-vous croire que « vous conserverez dans la France une alliée. « Non, le vœu de ceux qui ont fait la Révol u-« tion est de l’opérer aussi en Espagne. Vous « n’avez point de nation plus dangereuse, plus « ennemie que la France actuelle. Les honnêtes « gens mêmes désireront qu’on renonce à votre « alliance, à tout lien qui unissait à vous. Vous « avez abandonné la cause des souverains, de la « justice, des honnêtes gens. On n’a pas fait un « pas pour arrêter le torrent qui a tout em~ « porté : la politique des représentants des rois de « l’Europe a été de paraître se réunir au vœu des « monstres et de la populace parisienne. Oui, « l’ambassadeur d’Espagne, et j’ose vous le dire, « passe dans le public pour avoir servi dans la >< Révolution. « Enfin la France a été détruite, et personne « n’a voulu la secourir. « Dans le nouvel ordre de choses, la politique « française est-elle de continuer son alliance « avec vous ? En quoi notre malheureuse nation « peut-elle vous être utile comme alliée? Pointée « marine, excepté des vaisseaux qui deviendront « la proie des Anglais. Point d’armée, point d’ar-« gent, la discorde qui déchirera bien longtemps « son sein: voilà la France actuelle. « Ne croyez jamais que la noblesse aura de « l’intérêt, de l’énergie dans le système actuel : « Non, la classe générale des officiers, qui font la force unique de nos armées de terre et de « mer, n’agira pas. Aussi on aura des armées « sans officiers, sans chefs et sans argent, et si « les officiers ne quittent pas leurs emplois, ils « n’apporteront ni zèle, ni désir d’y réussir. « Oui, Monsieur le comte, je vous le dis et je « vous le répète, vous avez assisté à la mort de « la France et aux funérailles de votre marine, « par conséquent de vos colonies, qui, seules, « vous donnent votre considération. Oui, l’ou-« vrage auquel vous avez applaudi, est plus dé-« sastreux pour vous qu’une guerre de 20 ans « et 30 batailles perdues. « Qu’il est cruel pour vous que la ruine de « votre marine date de votre ambassade en « France ! Qu’il est malheureux pour vous d’avoir « remplacé M. d’Arandal L’Espagne nous eût se-« courus, et eût entendu ses véritables intérêts. « Vous voyez qu’avec mes opinions et mon aus-« tère franchise, je ne puis plus habiter chez « vous. Je vous respecte, je vous estime et vous « aime du fond de mon âme ..... Ouil j’ai l'âme O navrée. Pourquoi vous ai-je connu? Je sens « combien il est cruel de renoncer à vous, à votre « amitié; pour votre estime, vous ne pouvez me « la refuser. « Signé : De MaUDUIT. » « Une autre lettre, qu'un ami de M. Mauduit lui écrivait de Paris à la fin de 1790, vous fera voir, Messieurs, qu’à cette époque il n’avait pas changé d’opinion; vous jugerez par là de ses véritables intentions, lorsqu’il versait à Saint-Domingue le sang des colons. « Quand il fut parvenu à détruire au Port-au-Prince tous les établissements populaires , il fit faire, de concert avec M. le général, une députation auprès de vous par la paroisse de la Croix-des-Bouquets. L’un des députés, M. Daulnay de Chitrv, son oncle par alliance, à qui, vraisemblablement, il s’ouvrit sur les projets qu’il avait conçus pendant un voyage qu’il avait fait à Turin et à Nice, M. Daulnay lui écrivait à ce sujet, le 31 décembre 1790, la lettre dont voici la copie et dont l’original est déposé dans nos mains : t Je vous ai mandé, mon cher chevalier, que « le roi n’avait pas sanctionné le décret de l’As-« semblée nationale concernant le clergé, qu’il « avait envoyé un courrier à Rome. Depuis, il l’a « sanctionné comme je vous l’avais précédemment >< mandé. Les régiments ne sont pas encore par-« tis; ils sont nommés avec leurs chefs. Je sou-« haite que tout cela ramène le bon ordre. Je <■ compte m’embarquer dans le courant de jan-* vier avec Mme de Mauduit, qui désire beaucoup >< vous rejoindre. « Le protecteur de Camille m’a dit sa façon de ■' penser sur ce qui se passe. Il a de la peine à » croire aux fables que l’on débite pour la réu-« nion des Puissances au printemps; il prétend « qu’elles savent trop ce que coûte une guerre, « et qu'elles se contenteront de se garder chez c elles. Il trouve que les choses sont trop avancées « en France ; ainsi, mon bon ami , conduisez-vous « sagement et pour le mieux. « J’ai vu avec peine le conseil de guerre que « vous avez tenu; je crains que cela ne vous « fasse des ennemis, quoique je sois persuadé « que vous ne l’avez fait qu’après de mûres ré-<> flexions et parce que vous le croyiez néces-« saire. « Les 89 font ce qu’ils peuvent pour regagner « l’Assemblée nationale; ils offrent de prêter le >< serment civique. « Adieu, mon cher chevalier, portez-vous bien « et croyez que personne ne vous est plus atta-< ché que votre femme et moi. « Signé : Daulnay. » « P.-S. — Bien des choses à nos anciens cama « rades; on veut ici que vous rouliez avec les « régiments de France pour les garnisons. » « Est-il possible, après avoir lu ces deux lettres, de ne pas voir dans M. Mauduit l’ennemi le plus déclaré de la Révolution? Yoilà l’homme dont l’apparition dans la colonie nous a remis sous le joug du despotisme I Voilà les véritables intentions de celui qui égorgeait les citoyens, la nuit du 29 juillet, au nom de la nation, de la loi et du roi ! Voilà les sentiments de respect qu’avait intérieurement pour l’Assemblée nationale et pour ses travaux, celui dont la conduite a cependant obtenu vos éloges. « Connaissez enfin nos ennemis ! De tous ceux qui composaient le conseil tyrannique du gouvernement, il n’en était pas un qui ne pensât comme l’auteur de la lettre à l’ambassadeur d’Espagne. Telle est aujourd’hui même la façon de penser de ceux dont M. Blanchelande s’est entouré au Cap. C’est à leurs funestes conseils que nous attribuons l’apparition de 2 vaisseaux de ligne, envoyés dernièrement de la Martinique par M. de Béliague, sur la demande du général de Saint-Domingue. « 11 les a renvoyés, soit qu’éclairé par les réflexions de M. de Béhague il ait vu qu’il allait allumer la guerre civile dans la colonie, soit que le vœu unanime de 44 paroisses sur 52 lui en ait imposé, soit enfin, comme le bruit en a couru, qu’il ait désespéré de faire entrer dans ses vues les équipages de ces 2 vaisseaux et les troupes qu’ils portaient. Au lieu d’employer la force, qui n’eût peut-être pas réussi, les partisans et 686 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1791. J les conseils du gouvernement ont eu recours à la ruse. « Depuis le 4 mars, jour où le régiment du Port-au-Prince avait tranché les jours de son colonel, malgré les efforts de tous les citoyens pour le sauver, ce régiment avait été abandonné du plus grand nombre de ses officiers; quelques-uns seulement étaient restés fidèles à leurs postes, et ils avaient ramené l’ordre et la discipline par leur exemple et par leur fermeté ; leurs soldats avaient même demandé de prêter un nouveau serment, afin de tranquilliser la ville alarmée de leur insubordination passée. Les ennemis du bien public, qui avaient toujours compté sur le peu de discipline du régiment, ne ménagèrent rien pour lui faire rompre le nouveau lien qu’il venait de former avec les citoyens ; il paraît qu’ils étaient parvenus à persuader à quelques soldats, que le seul moyen de se justifier de la mort de leur colonel était de renouveler la scène d’horreur de la nuit du 29 juillet. Ce qu’il y a de certain, c’est que M. Blanchelande ayant donné dernièrement à ce régiment l’ordre de se tenir prêt à s’embarquer pour Lorient, la discipline et la subordination ont cessé tout à coup. « Depuis cet ordre du général il régnait dans la ville une fermentation sourde qui causait des alarmes. En vain a-t-on prié M. Blanchelande de le suspendre jusqu’à l’arrivée des commissaires civils: il s’y est refusé. La fermentation des esprits était entretenue par les écrits incendiaires d’un journaliste du Cap, vendu depuis longtemps au gouvernement. Il adressait lui-même ses feuilles aux différents corps de troupes pour exciter à la révolte et à la sédition. Enfin, des propos échappés à plusieurs soldats et à quelques-uns des ci-devant volontaires, faisaient redouter quelque4attentat de la part du régiment pour lanuitdu4 de ce mois. Nous craignions les plus grands malheurs et nous cherchions à les prévenir par des moyens de surveillance, lorsqu’un fait qui paraissait" ne devoir pas entraîner de pareilles conséquences a mis les troupes nationales et de ligne dans le cas de désarmer le régiment du Port-au-Prince. < saire pour réunir tous leurs camarades. Les « soldats du Port-au-Prince, qui se trouvaient « devant leur propre caserne, montrèrent moins « d’obéissance; ils ne rentrèrent qu’avec beau-« coup de peine, et en proposant aux autres « régiments de battre la générale et de sortir en « bataille. « Ceux de Normandie, d’Artois et du corps « d’artillerie étaient en marche et se retiraient « en accompagnant la municipalité lorsqu’on « entendit rappeler dans les casernes du ré-« giment du Port-au-Prince ; quelques per-« sonnes y furent et rapportèrent que les sol-« dats chargeaient leurs armes et se disposaient « à sortir. Aussitôt les soldats de Normandie, « d’Artois et du corps royal d’artillerie coururent « chacun à leurs casernes, les citoyens battirent « d’eux-mêmes la générale; on sonna le tocsin, -r et en moins d’une demi-heure, les gardes « nationales à pied et à cheval, l’artillerie natio-« nale aidée de plusieurs canonniers de la sta-« tion, les bataillons delà station, les bataillons « de Normandie et d’Artois se rangèrent en « bataille devant le corps de la garde natio-« nal et crièrent tous d’une voix qu’il fallait dé-« sarmer le régiment du Port-au-Prince. « Le conseil général delà commune qui s’était « assemblé ne pouvait se dissimuler que la « conduite du régiment du Port-au-Prince, depuis « quelques jours, était faite pour inspirer des « alarmes, et ces alarmes se fortifiaient par [Assemblée aationale.] « plusieurs propos échappés à des soldats, tant « de ce régiment qu'à quelques personnes qui « étaient du nombre des ci-devant volontaires. « Après avoir délibéré sur ce qu’il y avait de » plus utile à faire dans ce moment, la munici-« palité sortit etdéclara qu’elle allait se, transporter « aux casernes et voir si le régiment du Port-au-« Prince avait des intentions hostiles. Elle re-« commanda aux troupes nationales et de ligne « d’attendre son retour sans former aucune en-» [reprise. « La municipalité, seule et sans cortège, se mit « en marche vers les casernes. Dès qu’elle y fut « entrée, elle fut entourée d’un grand nombre « de soldats du régiment. M. le maire leur exposa « dans quelles alarmes ils jetaient la ville de-« puis plusieurs jours, et leur déclara qu’il fal-« lait qu’ils s’embarquassent dans la journée « même ou le lendemain au plus tard pour « Lorient, selon les ordres de M. le lieutenant « général. « Après beaucoup de murmures et de plaintes, « ils y consentirent. On leur dit qu’il serait fait « une proclamation pour faire défense à tous les « citoyens ou soldats de les injurier; qu’on les « engageait de leur côté à ne pas se permettre « d’insulter les soldats de Normandie et d’Artois, « comme ils l’avaient fait depuis plusieurs « jours. « La municipalité, de retour à l’hôtel de la « commune, y trouva un officier de la station « que M. Grimouard avait envoyé pour offrir « ses secours en cas de besoin ; on le remercia. « Cet officier resta et accompagna la municipa-« lité, qui passa de rang en rang pour rendre « compte de la disposition du régiment de Port-« au-Prince. Les troupes nationales et de ligne « ne répondirent que par un seul cri : Désar-« mer ! désarmer ! « Il paraissait impossible de calmer les es-« prits. La municipalité fit un dernier effort et «< déclara hautement qu’elle ne requerrait jamais « le désarmement du régiment de Port-au-« Prince. Elle ne put rien gagner sur les es-« prits. Elle rentra de nouveau dans la salle « de l’hôtel-de-ville, et tandis qu’elle était à dé-« libérer avec M. le major général et MM. les « commandants des bataillons de Normandie et « d’Artois, 2 patrouilles annoncèrent de nouveau « aux troupes que le régiment du Port-au-Prince « prenait les armes. « L’artillerie se mit aussitôt en marche ; les « gardes nationales et les troupes de ligne la « suivirent; l’artillerie royale se joignit à elle, « et à ce nombre considérable d'hommes armés « se réunit encore une très grande quantité de « marins tant de la station que de la rade des « marchands. « 11 n’était plus temps de délibérer; le seul « parti à prendre était de marcher à la tête des « troupes nationales et de ligne, pour en mo-« dérer l’ardeur s’il était possible, et tenter « d’obtenir du régiment de Port-au-Prince par la « voie de la persuasion ce que l’on était sûr d’en « arracher par la force, mais en versant peut-« être beaucoup de sang de part et d’autre. <• La municipalité entra de nouveau dans les « casernes ; elle y avait été précédée par M. le « major de la garde nationale, accompagné de « ses aides-majors, qui avaient déclaré au com-« mandant du régiment la résolution inébran-« labié des citoyens et des troupes de ligne. La « municipalité s’adressa d’abord aux soldats du « régiment ; elle leur représenta que toute ré-127 juillet 1791.] gg7 « sislance devenait inutile, et leur répéta que le « parti des citoyens paraissait définitivement « pris, les engageant à éviter l’effusion du sang. « Les soldats se retirèrent chacun dans leur « compagnie pour délibérer ; il y en eut qui pri-« rent les armes. « En attendant le résultat de leur délibéra-« tion, la municipalité passa avec MM. les offi-« ciers du régiment dans une chambre qui se « trouve à l’entrée des casernes. Un officier de « la garde nationale s’y présenta et déclara que « le parti de désarmer le régiment était irrévo-« cablement pris. « La municipalité mit alors sous les yeux de « MM. les officiers du régiment, l’impossibi-« lité de faire changer d’opinion à près de <- 4,000 hommes armés, fatigués des alarmes con-« tinuelles que causait à toute la ville la conduite « du régiment depuis quelques jours. Elle leur « représenta l’impossibilité encore plus grande « de résister aux forces développées devant eux « pour contraindre le régiment à livrer ses « armes. MM. les officiers se retirèrent pourpar-« 1er à leurs soldats. « Sur ces entrefaites, M. le commandant gé-« néral des gardes nationales arriva (1). Son « premier soin fut de réprimer l’ardeur impa-« tiente de l’artillerie nationale. 11 se jeta au-« devant du canon, et dit qu’on le percerait le i premier si l’on était assez imprudent pour tirer « sans ses ordres. Il entra alors dans les casernes « et du ton de voix le plus tranquille, mais en « même temps le plus ferme, il déclara au régi-« ment qu’il ne lui donnait qu’un 1/4 d’heure « pour remettre ses armes. « Le régiment se soumit à la nécessité; il « rendit ses armes; on les rassembla en fais-« ceaux, et on les fit transporter à l’hôtel de la « commune. « Après l’enlèvement des armes, M. le com-« mandant général voulut savoir si le régiment « n’avait pas de munitions. Le bruit s’en était « répandu depuis longtemps dans la ville, on en « était môme presque assuré, quoique le com-« mandant de la place eût affirmé plusieurs fois « à la municipalité, et notamment ce matin, qu’il « ne pensait pas qu’il y eut de poudre aux ca-« sernes. On demanda s’il y en avait. Il fut ré-« pondu que non, mais la juste défiance qu’ins-« pirait la conduite du régiment depuis quelques « jours, engagea à tout visiter. On parvint à une « chambre dont la porte était fermée. Les ci-f< toyens en demandèrent la clef ; l’officier chargé « du détail répondit qu’elle était perdue, et donna « à entendre que cette chambre était peu impor-« tante à visiter, n’y ayant, disait-il, que des ef-« fets inutiles. Cette déclaration, au lieu d’apaiser « les soupçons, les augmenta. Les sapeurs de la « garde nationale enfoncèrent les portes à coups « hache, et l’on trouva dans cette chambre, la « charge de 7 cabrouets de poudre, cartouches, « grenades et petits boulets. « Cet amas de munitions fut bientôt enlevé, et « la municipalité se retira sur les 6 heures du « soir, convaincue, par le soin que l’on avait pris « d’affirmer qu’il n’y ait ni poudre, ni cartouches « dans les casernes, que les bruits sourds répan-(l) M. Caradeuc ainé, commandant général de la garde nationale de Port-au-Prince, fait sa résidence habituelle sur son habitation à Bellevue, plaine du Cul-de-sac, distante de 2 lieues 1/2 de la ville; et il fut averti à 1 heure par M. Roberjot du Désert, l’un do ses aides de camp. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 688 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1791.] « dus depuis quelques jours dans la ville, n’é-« taient pas tout à fait sans fondement, et que « peut-être le salut de la ville était dû à laréso-« lution prise par les citoyens et les troupes de « ligne de désarmer le régiment. « Il a été laissé un détachement de 120 hom-« mes, tant de gardes nationales que de troupes « de ligne, soutenu de quelques pièces d’arlille-« rie, pour la garde des casernes, jusqu’au mo-u ment où pourrait se faire rembarquement. « Ce fait, la municipalité est rentrée en la mai-« son commune, où elle a renouvelé ses remer-« ciements à l’officier de M. Grimouard, qui « n’avait pas cessé de l’accompagner partout de-« puis le moment où il était arrivé. « Fait et arrêté au conseil général de la com-« mune, et ont tous les membres présents signé. » « La quantité de poudre trouvée aux casernes n’est pas la seule circonstance qui justifie les craintes des citoyens. Le 5 de ce mois, le même journaliste, dont" nous avons déjà parlé, imprimait au Gap une lettre qu’on lui avait écrite le 28 avril du Port-au-Prince, et où on lui avait marqué, en parlant des dispositions du régiment du Port-au-Prince : la journée du 4 sera terrible. Le même propos était échappé à quelques soldats et à quelques ci-devant volontaires. « Le mercredi 4, le régiment du Port-au-Prince a été embarqué à bord de 2 navires marchands, frétés à cet effet. Ges navires vont être expédiés pour Lorient, sous les ordres du général. « Nous espérons que le départ du régiment du Port-au-Prince ramènera la paix dans notre ville; mais celte paix ne sera solide et inébranlable que lorsque les commissaires civils l’auront confirmée par leur présence. « Tel est, Messieurs, l’état actuel des choses au Port-au-Prince; mais jugez de celui dans lequel nous avons été. Figurez-vous un régiment dont plusieurs compagnies avaient déserté au mois de février 1790, qui avait tiré sur les citoyens dans la nuit du 29 au 30 juillet suivant, qui avait tué son colonel le 4 mars, qui, à la suite de cet événement, se trouvait délaissé et abandonné par le plus grand nombre de ses officiers, enfin, qui menaçait de renouveler la scène du 29 juillet, et qui chargeait ses armes, et jugez si les troupes nationales et de ligne n’ont pas eu de justes raisons pour désarmer ce régiment, quoique cependant nous n’eussions pas cru devoir requérir son désarmement. Jugez si l’on n’a pas lieu de s’applaudir qu’il ait été exécuté sans effusion de sang, et avec tout l’ordre dont une pareille expédition peut être susceptible. « Signé : Les officiers municipaux du Port-au-Prince. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre au comité colonial.) M. Delavigne, secrétaire, donne lecture d’une lettre des membres réunis du directoire du district et du conseil général de la commune de Strasbourg , qui exprime une adhésion formelle aux décrets qui ont été rendus à l’occasion de l’événement du 21 juin. Ces corps administratifs rendent hommage à la sagesse et à la fermeté de l’Assemblée; ils la remercient d’avoir maintenu, au milieu des orages, de l’agitation des esprits et du ressentiment de tous les cœurs, IaConstitulion décrétée. Ilsestiment que, dans un bon gouvernement, la prospérité publique est indépendante des vices ou des vertus du monarque, et que rien n’est crime aux yeux de la loi, que ce qui est textuellement défendu par elle. Ils ont pensé que, ne pouvant soustraire le passé à l’influence du présent, l’homme d'Etat devait prévaloir sur le philosophe, lorsqu’il s’agit de juger son siècle, et d’apprécier la morale et les habitudes d’un peuple élevé sous le joug du despotisme. « Le système monarchique une fois préjugé, disent-ils, vous ne pouviez établir une théorie plus belle et plus praticable, et il était de votre devoir d’y persévérer, et vous ne pouviez immoler à un ressentiment d’un jour une Constitution conçue pour la durée des siècles. Cependant nous apprenons que votre décret sur les événements des 20 et 21 juin a excité des murmures et des attroupements, et cet événement nous pénètre d’une douleur profonde. « N’était-ce pas assez d’avoir à détourner nos regards des emportements d’une cour atroce et perfide? Faut-il qu’ils rencontrent les égarements d’un peuple aveugle ? Yeut-il faire oublier le crime dont il poursuit la vengeance par le crime même de sa poursuite? N’est-ce pas assez de rebelles parmi nous, et faut-il que le peuple aussi ait des reproches à se faire? Quelle est cette volonté impérieuse qui veut se mettre à la place de la volonté générale? Quelle est l’association, quel est l’attroupement qui peut se dire la nation devant ceux qui la représentent, et qui sont les forts devant la loi? Est-ce à la capitale, est-ce à la frontière, est-ce à quelque parti que ce soit à commander à l’universalité et à l’Empire? Que devient la liberté publique, que devient la fraternité de tous les Français, que devient notre Constitution représentative, si tous les citoyens ne se soumettent aux pouvoirs établis, ne se rallient au centre de l’unité législative, et si les représentants ne sont pas respectés? « Oui, Messieurs, l’inviolabilité de ceux qui font les lois est aussi précieuse, aussi essentiellement nécessaire que celle de celui qui les sanctionne; et si jamais une main sacrilège et parricide l’égarait au point de se porter sur un seul d’entre vous, soyez sûrs, que nos gardes nationales que vous avez armés pour la défense de la patrie, iront d’abord à l’ennemi le plus dangereux, et qu’ils voleront pour écraser ces hordes criminelles et mercenaires, que l’intrigue et l’aristocratie dirigent et conduisent tour à tour. « Nous avons juré la mort des traîtres et la dispersion des despotes, et si le zèle honorable et l’héroïque dévouement de la garde nationale parisienne ne suffisent pas pour écarter et détruire ceux qui vous environnent, comptez qu’il n’est pas un soldat parmi nous, qui ne se regarde comme l’auxiliaire de nos braves frères d’armes de Paris, et qui ne s’arme pour la vengeance nationale. > ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète qu’il sera fait mention honorable de cette adresse dans le procès-verbal.) M. Delavigne, secrétaire , donne lecture d’une lettre du sieur Babaud de La Chaussade , à qui son grand âge ne saurait permettre de voler à la défense de la patrie, et qui prie l’Assemblée d’agréer le don patriotique d’un assignat de 300 livres pour l’entretien d’un garde national sur les frontières. (L’Assemblée ordonne qu’il sera fait mention honorable du nom de ce citoyen dans son procès-verbal.) M. Prévôt, au nom du comité central de liquidation , présente un projet de décret concernant