124 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il juin 1791.] M. d’André. 3e répète, Messieurs, que je ne veux point enlever une délibération ; mais je désire, moi, que les personnes qui oseront encore demander le licenciement des officiers... A l’extrême gauche : A l’ordre ! à l’ordre ! MM. Gaultier-Biauzat et Anthoine se lèvent et parlent dans le bruit. A l'extrême gauche : Monsieur le Président, rappelez M. d’André à l’ordre. M. d’André. Tant que je n’attaque personne nominativement, j’ai le droit ici, moi qui crois que la proposition de M. Robespierre renverserait tous les principes du gouvernement et de la Constitution et nous livrerait à tous les désordres de l’anarchie, j’ai le droit, en parlant de cette proposition, de dire : « Ceux qui oseront la soutenir. » ( Applaudissements à droite.) Je n’ignore pas qu’il y a des personnes qui regardent cette motion comme très patriotique et ceux-là peuvent la soutenir dans cette Assemblée, mais je désire, moi qui démontrerai quand mon tour de parole sera venu que c’est là le comble de l’anarchie, le moyen de la destruction du royaume, la destruction de nos moyens de défense contre l’ennemi, je désire, dis-je, de prouver qu’il est impossible, absolument impossible de licencier les officiers : Un seul raisonnement en convaincra l’Assemblée. Si aujourd’hui vous licenciez les officiers, parce qu’il y a des pétitions qui le demandent, parce qu’il y a des régiments en insurrection, eh bien, Messieurs, je vous dis que dans trois semaines les soldats voudront encore chasser les nouveaux officiers qu’ils auront eus, et que vous aurez, sans vous en apercevoir, la contre-révolution. {Applaudissements à droite et au centre .) Quoi qu’il en soit, Monsieur le Président, comme je ne fais qu’une motion d’ordre, je me réserve, lorsque mon tour de parole sera venu, de répondre en détail à tous les arguments que l’on a exposés, et de ne pas en laisser pierre sur pierre. J’espère cependant que l’Assemblée, usant de sa perspicacité et de sa sagesse ordinaires, ne laissera pas prolonger trop longtemps cette discussion. Ma motion d’ordre consiste donc : 1° à ce qu’on se renferme d’abord dans la discussion du licenciement des officiers ; 2° à ce que cette question soit décidée sans désemparer, parce qu’il est temps de faire cesser l’inquiétude qui résulte, dans tous les corps d’armée, de cet espoir de licenciement. Il est temps de la faire cesser, surtout dans un moment où l’Assemblée va vaquer demain ou peut-être lundi ; la séance ne serait pas assez longue pour finir cette discussion. Je crois donc que, puisqu’on a entendu hier M. Robespierre, qui a dit à peu près toutes les raisons qu’on pouvait donner sur cet objet, je crois d’autre part que, puisque nous avons tout le discours prononcé dans une certaine société par un honorable membre de cette Assemblée (1), discours qu’il a fait imprimer, et que nous avons lu avec le plus grand plaisir, je crois, dis-je, Monsieur le Président, qu’il y a lieu de mettre aux voix mes deux motions d’ordre : la première, que l’on se borne à discuter le licenciement des officiers ; et la seconde, que cela soit décidé sans désemparer. A droite et au centre : Aux voix la question préalable sur le licenciement 1 M. de Cazalès. Je demande la parole ; il importe essentiellement à la chose publique qu’on fasse voir les dangers... (Aux voix! aux voix !) M. Rewbell. Je demande la question préala ble sur la motion du licenciement des officiers ; mettez-la aux voix, Monsieur le Président. Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix ! M. de Cazalès persiste à demander la parole. (Non! non!) M. le Président. On demande avec instance que la discussion soit fermée sur le projet de licenciement des officiers de l’armée. Je mets aux voix cette proposition. M. l’abbé Manry. Un moment, Monsieur le Président, un moment. Je demande la parole. (L’Assemblée consultée décrète à la presque unanimité que la discussion est fermée. ) M. Robespierre. Je demande à faire une motion d’ordre. (Bruit prolongé.) M. le Président. M. Robespierre me demande la parole pour une motion 'd’ordre (Non! non! Aux voix!)... Je no puis la lui refuser sans les ordres de l’Assemblée. Que ceux qui veulent que M. Robespierre soit entendu se lèvent. (L’Assemblée décide qu’elle n’entendra pas M. Robespierre.) M. le Président. La proposition est faite du licenciement de tous les officiers de l’armée. Sur cette question bien claire et bien entendue, on demande la question préalable. Je vais la mettre aux voix. (L’Assemblée consultée décrète à la presque unanimité qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la motion de licencier tous les officiers de l’armée.) M. de Cazalès. Je demande qu’il soit inséré dans le procès-verbal que le décret a été rendu à l’unanimité. Plusieurs membres observent qu’il n’y a pas eu unanimité parfaite. M. Bureaux de Pusy, l'un des rapporteurs , reprend le projet de décret présenté par lui à la séance d’hier à la suite de son rapport (1) ; il donne lecture de l’article premier ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités de Constitution, militaire, diplomatique, des rapports et des recherches ; après s’être fait rendre compte des différentes pétitions qui lui ont été adressées, tendant à demander le licenciement de l'armée, ou seulement celui des officiers, et déclarant qu’il n’y a lieu à délibérer sur lesdites pétitions, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Le roi sera prié de faire remplir dans toutes (1) M. Rœderer. (1) Voy. ci-dessus, séance du 10 juin 1791, page 107. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il juin 1791.| les divisions et corps de l’armée; et sous le plus ’ court délai, par les officiers de tout grade en activité, en leur qualité de fonctionnaires publics, la formalité qui sera ci-après expliquée. » M. de Cazalès. Après avoir rendu hommage à la sagesse et à la justice avec laquelle l’Assemblée nationale vient de rejeter la motion qui lui avait été présentée, je ne puis vous dissimuler ma façon de penser sur le serment qu’on vous propose d’enjoindre aux officiers de l’armée de prêter. Je vais chercher les raisons qui peuvent avoir déterminé vos comités à vous faire cette proposition; et j’espère prouver que ce serment est inutile en lui-même, et que, dans les circonstances actuelles, il peut être dangereux. A gauche : Aux voix! aux voix ! le décret. M. de Cazalès. Je demande qu’on entende les considérations très justes que j’ai à présenter ; ce que je dirai est une conséquence du décret que vous venez de rendre. ( Murmures prolongés.) Je demande que l’Assemblée nationale veuille bien m’entendre. ( Non ! non ! Aux voix ! aux voix !) Plusieurs membres : Monsieur le Président, consultez l’Assemblée pour savoir si M. de Cazalès sera entendu. (L’Assemblée consultée décide queM. de Cazalès ne sera pas entendu.) M. de Cazalès reste à la tribune et continue de parler au milieu de l’agitation qui règne dans toutes les parties de la salie. A gauche : A l’ordre, Monsieur de Cazalès ; obéissez aux décrets de l’Assemblée 1 M. de Cazalès (se tournant vers la gauche). Je suis très disposé à recevoir les ordres de M. le Président, mais à me révolter contre les vôtres. M. de Bouthillier. Je ne dirai qu’un mot : je suis membre du comité militaire, mais je dois déclarer hautement que je désavoue la mesure du serment présentée à l’Assemblé. ( Murmures à gauche.) Je désapprouve ce serment et j’ai d’ailleurs fait imprimer mon opinion pour la faire connaître de l’armée. A gauche : Aux voix 1 aux voix ! M. Rœderer. Tous les fonctionnaires publics, tous les citoyens français ont prêté serment. . . (Interruptions.) M. Foncault-Lardimalie. Mais comment Monsieur parle-t-il quand on n’a pas voulu entendre M. de Cazalès? Avez-vous le privilège exclusif de la parole ? A gauche : C’est pour un amendement. M. Rœderer. 11 faut mettre dans la formule du serment : « Je m’engage au nom delà loi... » M. Foucault-Lardïmalie. Je ne demande pas mieux que M. Rœderer parle, mais je demande aussi à parler. (Bruit.) Monsieur (Il s’adresse à M. Rœderer.), vous ne parierez pas si l’Assemblée me refuse la parole. Yous m’avez appris, Messieurs, que la résistance à l’oppression est le plus sain des devoirs (Rires ironiques.). . . C’est vous qui l’avez dit. M. Rœderer ne jouira pas du privilège exclusif de la parole, ou Je resterai sur place. (Rires ironiques.) M. Ganltler-Blauzat . L’amendement de M. Rœderer tend à retrancher du serment des officiers de l’armée toute disposition particulière, afin que tous les Français ne fassent qu’un seul et même serment. M. Foncault-Lardimalie. Je vous préviens, Messieurs, que c'est pour présenter un projet différent de celui du comité que je prends la parole. L’Etat est en danger. . . A gauche : Qui est-ce qui l’y a mis? M. Foucault-Lardimalie. Je préviens l’Assemblée que je serai très calme et que je répéterai toutes les fois que je serai interrompu. ( Rires à gauche.) L’Etat est en danger; les troupes ennemies sont prêtes à assaillir vos frontières... A gauche: Allons donc! où sont-elles? M. Foucault-Lardimalie. Telle est l’alarme, tel est le cri général que vos comités viennent de vous faire entendre... A gauche: Non! non! c’est faux! M. Fréteau-Saint-J ust (Vun des rapporteurs). Comme il s’agit d’un fait et que vos comités m’ont chargé d’être leur organe, je suis obligé, par exactitude et par respect pour la vérité, de vous arrêter là. Je n’ai dit nulle part, les comités n’ont pas dit, personne n’a avancé que les troupes étrangères fussent prêtes à assaillir la frontière. Au contraire, j’ai dit que les troupes des Pays-Bas n’avaient pas augmenté depuis 6 mois, et même que la désertion les avait diminuées: j’ai dit qu’il y avait sur la rive du Rhin plus de troupes qu’il y a 2 mois; mais assurément je ne les ai pas présentées comme étant sur le point d’entrer dans le royaume; puisqu’au contraire, j’ai eu besoin d’expliquer que sur les bruits qui ont été répandus partout qu’il y avait des lettres réquisitoriales adressées par le conseil de Vienne à la Bavière pour laisser passer 12 mille Autrichiens, j’ai eu soin d’expliquer, dis-je, que nous n’en avions pas la moindre connaissance, et qu’au contraire, il paraissait que la nouvelle était absolument fausse. J’ai dit que l’Espagne avait établi un cordon impénétrable sur les frontières : mais je n’ai pas dit qu’il y eût un seul corps en avant: j’ai dit qu’il était passé quelque régiment du Piémont dans la Savoie, et qu’il paraissait y avoir sur cette frontière quelque légère inquiétude; mais je n’ai pas dit qu’il y ait eu un corps relevé. Ainsi, vous voyez qu’il s’en faut de beaucoup que le récit de M. Foucault soit exact. M. Foucanlt-Lardimalie. D’après ce que vient de dire M. le rapporteur... M. Le Chapelier. C’est une injustice d’entendre M. Foucault, lorsque l’on a refusé la parole à M. de Cazalès. Je ne sais pas comment on peut faire aux officiers français cette injure de soupçonner qu’ils refuseront de prêter le serment de ne pas porter les armes contre leur patrie.