SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 79 Que le travail et l’industrie se raniment, que le commerce se vivifie, que les arts soient encouragés ; que nos lois, et les mœurs qui en sont les plus sûres gardiennes, constituent notre force intérieure, et nous fassent respecter plus encore que nos victoires ; que les jours de sang et de carnage qui ont obscurci notre glorieuse révolution soient retranchés des faits de la République ; effaçons-les, ces jours, effaçons-les par des siècles de vertu. C’est le vœu des citoyens composant la section de la Maison commune de Dijon. Vive la République ! Vive la Convention nationale! Suivent 105 signatures. 19 LE PRÉSIDENT: L’huissier qui vient de se transporter chez Carrier me rapporte qu’il s’habille, et qu’il va se rendre ici. Je renouvelle l’invitation que j’ai faite au peuple de garder le plus grand calme à l’entrée de l’accusé et pendant les débats; j’invite les citoyens à ne manifester aucun signe d’approbation ou d’improbation. Carrier entre: le plus grand silence règne parmi les membres et les citoyens des tribunes (61). Carrier entre dans l’Assemblée, il continue de donner ses défenses (62). Septième liasse. (Lettre de Carrier à la Convention, le 30 frimaire, et qui fut imprimée dans les journaux.) « Il annonce à la Convention nationale qu’on amène les brigands à Nantes et à Angers par centaines; la guillotine ne pouvant y suffire, il les fait fusiller ; il invite son collègue Francastel à en faire autant à Angers. » CARRIER : La lettre que j’écrivis alors à la Convention nationale fut insérée au Bulletin; en décrétant cette insertion, la Convention lui a donc donné une approbation formelle ; s’il en eût été autrement, la Convention ne m’eût-elle pas rappelé dans son sein ? Quatrième liasse. Première pièce. (Lettre aux représentants du peuple de Nantes, 25 germinal, signée Gauthier, notable.) «C’est par ordre de Carrier que les femmes enceintes ont été noyées avec une foule de bons patriotes ; il a fait noyer un homme qui nuisait au commerce qu’il avait avec sa femme. » CARRIER: Ces horreurs sont avancées par Gauthier, dans une lettre dont je tiens ici copie, et dans laquelle se trouve un faux matériel. Il y est dit que dans le département de la Loire-Inférieure se trouvait un nommé Grammont qui s’en-(61) Moniteur, XXII, 577. Pour l’ensemble de la discussion voir note 30. (62) P.-V., L, 31. tendait avec Carrier pour opprimer les Nantais. Jamais de ma vie je n’ai parlé à Grammont à Nantes, je ne l’ai même vu à Paris que sur les théâtres. Il y a mieux, c’est que ce Grammont avait quitté l’armée avant mon arrivée, et qu’avant son départ il était attaché à la colonne de Saumur, et moi à celle de Mayence. Je demande à mes collègues qui étaient attachés à la colonne de Saumur de déclarer si ce Grammont n’avait pas quitté l’armée avant mon arrivée à Nantes. Citoyens, si je vous ai prouvé qu’il existait dans cette lettre un faux, quelle confiance pouvez-vous ajouter aux autres allégations qu’elle renferme ? BOURBOTTE : Je suis le représentant du peuple qui ait suivi le plus longtemps la guerre de la Vendée. J’y suis resté quinze mois. Je connais le Grammont dont il s’agit : il n’a jamais été attaché à la colonne de l’armée de l’Ouest stationnée à Nantes, et il a quitté l’armée avant l’arrivée de Carrier. J’ajoute que j’ignore d’ailleurs si Grammont a vu et a parlé à Carrier. CARRIER : Vous voyez donc, citoyens, qu’il est impossible d’ajouter fois au contenu de cette lettre, puisqu’il est démontré qu’elle contient un faux matériel. Cet homme horrible, oui, horrible, ose avancer que j’ai eu la barbarie de faire noyer des femmes enceintes. Mais où sont les preuves qu’il donne à l’appui de cette assertion? Il n’en existe aucune. Je sais que le comité révolutionnaire qui a donné ces ordres atroces a prétendu qu’il ne faisait qu’obéir aux ordres verbaux que je lui avais transmis. Je vous le demande, citoyens, ce fait est-il croyable ? En supposant même que j’eusse donné ces ordres au comité, n’aurait-il pas exigé que je les lui donnasse par écrit ? Or je défie mes nombreux ennemis, je défie les ennemis de la Révolution qui sont en grand nombre à Nantes, de montrer cet ordre signé de moi: s’ils le représentent, à l’instant, oui, à l’instant, je monte à l’échafaud. On me reproche d’avoir persécuté une foule de patriotes. Pendant dix mois que je suis resté à Nantes, aucun patriote n’a eu à se plaindre de moi. Si le fait qu’on avance est vrai, les parents ou les amis de ces patriotes persécutés n’auraient-ils pas fait entendre leurs réclamations? On a bien dit au Tribunal révolutionnaire que le comité avait fait périr une foule de brigands, mais on n’a pas dit qu’un seul patriote eût été enveloppé dans ces mesures désastreuses. On m’accuse d’avoir fait noyer un homme qui, dit-on, nuisait au commerce que j’avais avec sa femme. Mais, grand Dieu ! qu’on nomme donc seulement l’homme ou la femme, et à l’instant je subis la peine capitale. Quoi, citoyens, ce serait sur des dénonciations aussi vagues que vous pourriez prononcer contre moi? Je ne le crois pas. Cette lettre, vous le voyez, ne porte aucun caractère d’authenticité ; elle est signée Gauthier ; je ne sais si c’est le même qui vient d’être mis en jugement avec le comité révolutionnaire de Nantes. Cette lettre, je le répète, contient un faux matériel; on ne peut donc y ajouter foi. 80 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE LOFFICIAL: Il ne suffit pas, citoyens, que Carrier nie avoir donné l’ordre de faire noyer des femmes enceintes; je demande qu’il dise pourquoi il n’a pas empêché les noyades, et qu’en ayant eu connaissance, il n’en ait pas fait punir les auteurs. CARRIER: On me demande pourquoi, étant sur les lieux, je n’ai pas pris des mesures pour empêcher des femmes enceintes d’être noyées ? Je réponds que je n’ai pas toujours resté à Nantes, que j’allais souvent à l’armée et aux différents postes. Ce n’est pas tout, citoyens, à Laval, à Angers, à Saumur, à Château-Gonthier, partout on a fait les mêmes choses qu’à Nantes. Je veux bien croire que mes collègues qui étaient à Saumur ignoraient ce qui s’y passait, comme j’ignorais moi-même les crimes qui se commettaient à Nantes; mais il n’est pas moins vrai qu’il y a eu des noyades à Saumur. Il y a plus ; c’est qu’à Château-d’Aux, où était en garnison la légion de Nantes, des brigands ont été précipités dans la Loire, et que le comité révolutionnaire de Paimbœuf est accusé d’avoir ordonné de pareilles exécutions. Je ne l’ai su que par les pièces qui sont actuellement sous les yeux de la Convention. Quant à ce qui s’est passé à Laval, c’est un général qui l’a écrit, il y a quelques temps, à l’Assemblée, et depuis un volontaire me l’a confirmé. Mais, citoyens, dans toutes les dépositions qui ont été faites au Tribunal révolutionnaire, y a-t-il un seul homme qui dise m’avoir prévenu de ce qui se passait ? Non, citoyens, pas un seul Nantais ne m’a prévenu de ce qui se passait. Eh bien, citoyens, puisqu’aucun d’eux n’a porté la scélératesse jusqu’à déclarer qu’il m’avait averti, vous devez donc croire que je l’ignorais ; les brigands étaient livrés à la commission qui les jugeait, et je ne m’en mêlais pas. *** : Carrier vient de dire qu’à Saumur on avait fusillé et noyé des femmes enceintes, je déclare pour l’honneur de mes collègues qui étaient dans cette commune que le fait est faux. *** : Carrier vient d’inculper la légion de Nantes ; je déclare qu’elle n’a pas voulu exécuter des ordres sanguinaires qui lui ont été donnés. CARRIER: Il existe une lettre de Romanié, qui prétend qu’à Château-d’Aux des brigands ont été précipités dans la Loire. THURIOT : Carrier doit se justifier et non accuser. CARRIER: Je n’accuse personne; je veux prouver seulement que je me suis trouvé dans la même position que mes autres collègues. THURIOT : Quand cela serait, cela ne te justifierait pas. *** : Un témoin a déclaré avoir reproché à Carrier, en soupant un soir avec lui, de faire toujours noyer ; celui-ci répondit : « Tu en verras bien d’autres; nous avons donc des femmes à sansculottiser, c’est-à-dire à noyer.» Donc Carrier était instruit des noyades. BOURDON (de l’Oise) : Jamais on n’a reproché à aucun de nos collègues envoyés dans la Vendée les atrocités qu’on impute à Carrier ; ils se sont tous conduits avec humanité. LE TOURNEUR : Que Carrier se défende, et n’accuse personne. CARRIER: J’ai eu le malheur d’être mal entendu de la Convention. À Dieu ne plaise que j’accuse personne ! Ce que j’ai dit, c’est que ces scènes malheureuses s’étaient passées à Saumur et à Angers ; et dernièrement encore un gendarme me l’attesta. Je suis loin d’accuser mes collègues; mais je voulais démontrer que, puisque ces mêmes excès avaient eu lieu dans ces commîmes, où étaient des représentants du peuple qui sans doute l’ignoraient, je pouvais bien n’avoir aucune connaissance de ce qui se passait à Nantes. Quant à Château-d’Aux, il y a une lettre qui constate que ces faits s’y sont passés, et il n’y avait d’autre garnison que la légion nantaise. Huitième liasse. (Lettre du représentant du peuple Bo à l’accusateur public près le Tribunal révolutionnaire de Paris, Paris, le 18 fructidor, l’an 2, signé Bo.) «Le comité révolutionnaire de Nantes, interrogé s’il avait reçu des ordres du représentant du peuple pour les mesures atroces qu’il avait prises, envoya aux représentants du peuple Bo et Bourbotte un arrêté écrit et signé de la main de Carrier, portant que les détenus seraient transportés à Belle-Île, à raison de l’épidémie qui régnait dans les prisons et dans la commune de Nantes. » ***: Je parle au nom de mes collègues du département de la Mayenne; jamais nous n’avons eu connaissance qu’il y ait eu des noyades à Laval. LE PRÉSIDENT: J’observe à la Convention que l’on s’écarte de la véritable question. DUBOIS-CRANCÉ : Je vois entrer Prieur (de la Marne) ; je le prie de déclarer s’il n’est pas vrai qu’il ait envoyé un exprès à Carrier pour le sommer de finir ses noyades. PRIEUR (de la Marne) : Je ne me rappelle pas d’avoir envoyé un courrier à Carrier, mais je me souviens qu’après la bataille de Savenay je me rendis à Nantes, où je restai vingt-quatre heures malade ; pendant cet intervalle, mon secrétaire m’avertit que, Carrier ayant quelque inquiétude sur les prisonniers qui étaient à Nantes, il se disposait à prendre contre eux des mesures extraordinaires. Je priai Carrier de passer chez moi, il y vint ; je lui fis part de ce qu’on m’avait rapporté, et je lui dis : « Sur le champ de bataille il est permis d’exterminer les brigands de quelques manière que ce soit; mais, lorsqu’ils sont faits prisonniers, c’est à la commission militaire à pro- SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 81 noncer, et sous peu elle doit arriver à Nantes. » On applaudit. En arrivant à l’année, nos braves défenseurs me dirent: «Représentant, il y a six mois que nous combattons sans faire de mal aux prisonniers ; quand les brigands prennent de nos frères, ils les massacrent impitoyablement. » Je leur répondis : « Eh bien, je marcherai à votre tête, et nous ne ferons point de prisonniers. » Je dis à mon collègue Bourbotte : « Si jamais je me trouvais cerné par les brigands, et si j’étais dans l’impossibilité de pouvoir leur échapper, je te prierais de me passer ton sabre au travers du corps ; je te rendrais le même service si tu te trouvais dans la même position. » (On applaudit.) J’invitai donc Carrier à attendre l’arrivée de la commission militaire, qui était à Savenay, et qui avait seule le droit de prononcer sur les prisonniers. Carrier me le promit. Je ne me contentai pas de cette première invitation ; le lendemain je lui envoyai mon secrétaire la lui réitérer, et je partis ensuite avec mes collègues Bourbotte et Turreau. Carrier resta seul à Nantes. CARRIER: J’interpelle Prieur de déclarer quel était le nombre des brigands qui étaient dans les prisons de Nantes. PRIEUR (de la Marne) : La commune le portait à trois mille. CARRIER: Eh bien, citoyens, la commission militaire en a jugé quatre mille. PRIEUR (de la Marne): On m’interpelle de déclarer si j’ai dit à Carrier de faire cesser les noyades. Je déclare lui avoir dit de faire cesser toutes mesures extraordinaires, et d’attendre l’arrivée de la commission militaire. Mon secrétaire lui fit, en mon nom, la même recommandation. THURIOT : Carrier soutient qu’il n’a point eu connaissance des noyades, et qu’il n’a donné aucun ordre pour les expéditions. Je lui demande d’expliquer l’arrêté du 28 frimaire, par lequel il ordonne à la garde de Nantes de laisser sortir de jour et de nuit Lamberty et son escorte. C’est principalement dans cet arrêté qu’existe le corps du défit ; je l’invite donc à se justifier. REUBELL: Il y a à la neuvième fiasse une lettre de Jullien fils à Robespierre, dans laquelle se trouve ce passage : « On assure qu’il a fait prendre indistinctement, puis conduire dans des bateaux et submerger dans la Loire tous ceux qui remplissaient les prisons de Nantes. Il m’a dit à moi-même qu’on ne révolutionnait que par de semblables mesures, et il a traité d’imbécile Prieur (de la Marne), qui ne savait qu’enfermer les suspects. » DUBOIS-CRANCÉ : J’interpelle mon collègue Laignelot de déclarer si Carrier ne lui a pas dit, à son passage à Nantes pour aller à Brest : « Tu es bien plus heureux que moi ; tu as un plus grand bassin, et des bâtiments à ton service. » LAIGNELOT : Lorsque je passai à Nantes pour me rendre à Brest, je fus chez Carrier ; il me parla de ses noyades, et me dit en présence de Beaudit : « Tu es plus heureux que moi ; tu as un plus grand bassin, et des bâtiments à ton service. » CARRIER: Quand Prieur vint à Nantes, il régnait dans cette commune une maladie pestilentielle parmi les brigands prisonniers, et qui faisait les plus grands ravages; Prieur lui-même en était atteint. Le tribunal vint se plaindre à moi et me proposa des mesures ; je lui répondis : « Je ne sais que faire ; la commission militaire va arriver et jugera les prisonniers. » Il me dit : « Mais il faudrait les transporter hors de la ville. » Je lui indiquai moi-même un local où ils furent déposés. C’est dans ces entrefaites que Prieur (de la Marne) arriva à Nantes; il me recommanda de ne prendre aucune mesure extraordinaire contre les prisonniers, et je le prie de déclarer si on m’accusait d’en avoir fait précipiter dans la Loire. PRIEUR (de la Marne) : Quand j’arrivai à Nantes, où je restai seulement vingt-quatre heures, je ne vis qu’une députation de la Société populaire, qui ne me parla nullement de noyades ; mais il était question alors de prêtres qu’on disait avoir été précipités dans la Loire, mais on n’en accusait pas Carrier. J’allai ensuite à Lorient ; et quand je revins à Nantes, j’entendis parler de noyades. Aucune déclaration ne fut faite contre Carrier; la seule accusation qui ait été portée contre lui est qu’on lui reprochait d’avoir dit à la Convention nationale qu’il n’y avait à Nantes que des aristocrates. CARRIER: Vous voyez, citoyens, que Prieur n’a parlé que des prêtres qui ont péri dans la Loire ; je l’avais appris moi-même, et j’en avais fait part à la Convention dans une lettre que je lui écrivis alors, et qui fut insérée au Bulletin. On a aussi parlé de brigands noyés à Ancenis, quand ils voulurent passer la Loire. Je le savais aussi, et je l’écrivis dans le temps à l’Assemblée, j’avais fait établir des chaloupes canonnières sur les bords de la Loire, et, au moment où ils en tentèrent le passage, la mitraille les précipita dans ce fleuve. Vous voyez que Prieur a déclaré m’avoir dit de ne pas prendre de mesures extraordinaires contre les prisonniers, et non de les faire cesser : je n’en avais pris aucune. Il déclare aussi qu’il existait dans les prisons de Nantes trois mille brigands. La commission en a jugé quatre mille ; je n’en ai donc distrait aucun. Je réponds actuellement à Thuriot. Plusieurs membres : Réponds d’abord à Laignelot. CARRIER : Thuriot me parle de l’arrêté du 16 frimaire ; cet arrêté, plusieurs de mes collègues savent qu’il n’avait pas d’autre objet que de donner à Lamberty une commission d’espion. Je prie Bourbotte de déclarer si le fait n’est pas vrai. 82 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE BOURBOTTE : Je n’en sais rien. THURIOT : Il ne fallait pas, pour exercer l’espionnage, autoriser Lamberty à sortir de Nantes avec une escorte de cinquante hommes, ni lui donner l’ordre d’extraire des prisons des hommes et des femmes, et de les noyer. CARRIER : Lisez l’ordre, il n’y a pas un mot de cela. THURIOT : C’est une double perfidie ; puisque tu avais la scélératesse de commander ces cruautés, il fallait au moins avoir la franchise de le déclarer dans tes arrêtés. CARRIER : S’il le fallait, je prouverais que ce Lamberty n’était chargé par moi que d’espionner les brigands de la Vendée ; je sais qu’un particulier a déclaré qu’il avait vu un ordre signé de moi, dans lequel je disais de laisser passer Lamberty avec un gabarreau chargé de brigands ; si on me représente cet ordre, je passe condamnation. BOURDON (de l’Oise): La preuve que ce Lamberty n’était pas un espion se tire de l’ordre lui-même. Au nom de la République une et indivisible. A Nantes, le 17 frimaire, Van 2 de la République une et indivisible. « Carrier représentant du peuple près de l’armée de l’Ouest, invite et requiert le nombre des citoyens que Guillaume Lamberty voudra choisir à obéir à tous les ordres qu’il leur donnera pour une expédition que nous lui avons confiée: requiert le commandant des postes de Nantes de laisser sortir, soit de nuit, soit de jour, le dit Lamberty et les citoyens qu’il conduira avec lui; défend à qui que ce soit de porter la moindre entrave aux opérations que pourront nécessiter leurs expéditions. » *** : Carrier a dit à la commission, lorsqu’on lui présenta cet ordre donné à Lamberty, que c’était pour prendre Charette ; il n’était pas question d’espion alors. CARRIER : J’ai dit à la commission que j’avais donné à Lamberty le pouvoir de me servir d’espion dans la Vendée et d’arrêter Charette ; car il avait dit qu’il connaissait très bien ce brigand et qu’il pouvait s’en emparer ; mais la preuve que ce n’est point par cet ordre qu’il a fait noyer, c’est que les prêtres avaient péri le 25 brumaire, et mon arrêté n’est que du 16 frimaire. BOURDON (de l’Oise) : Quelle était l’expédition dont Lamberty était chargé ? CARRIER: De s’assurer de la personne de Charette. BONNET (de l’Aude) : Si Prieur, qui n’a passé que vingt-quatre heures à Nantes, a eu connaissance des horreurs qui s’y sont commises, Carrier a dû en avoir connaissance aussi et les poursuivre, ou il n’a pas fait son devoir. DARTIGOEYTE : Si Lamberty avait été espion, il n’aurait eu besoin d’hommes de confiance, au heu que l’ordre porte des réquisitions contraires. Je demande quelles pouvaient être les opérations d’un espion. BOURDON (de l’Oise) : Le mot expédition explique tout. DARTIGOEYTE : L’ordre porte opérations et expéditions ; ce qui explique assez qu’il s’agit des noyades. Si c’eût été un espionnage, il aurait dû faire des dépenses; il faudrait que Carrier eût ordonnancé le compte de Lamberty. CARRIER : Mes collègues et moi nous avons eu des espions dans la Vendée ; je ne crois pas qu’ils aient écrit les comptes. Quant à moi, je déclare que Lamberty m’a rendu ses comptes verbalement, et que je l’ai payé de même verbalement. BRÉARD : Je demande que Carrier réponde à Laignelot. CARRIER : Je proteste à la Convention que je ne me rappelle pas avoir tenu jamais les propos qu’il me prête. LAIGNELOT : Avant que Carrier fût dénoncé, j’avais dit ce fait à plusieurs de mes collègues. J’allai voir Robespierre, qui était incommodé ; je lui peignis toutes les horreurs qui s’étaient commises à Nantes ; il me répondit : « Carrier est un patriote ; il fallait cela dans Nantes. » Lorsque Lamberty et Fouquet furent guillotinés, Carrier dit : « On a guillotiné les deux meilleurs patriotes de Nantes, j’en aurai vengeance, ou je me la ferai moi-même. » Plusieurs de mes collègues ont, comme moi, entendu ce propos. JARD-PANVILLIER : Il ne s’agit ici que de constater que Carrier a eu connaissance des noyades. Eh bien, il écrivait le 25 brumaire que quatre-vingt-dix prêtres avaient été noyés ; il peignait cet événement comme un accident. Quelque temps après il écrivit que les prêtres avaient péri dans les flots, et il ajoutait: «Cet événement n’est pas nouveau. » CLAUZEL : Il faut que vous sachiez que ces quatre-vingt-dix prêtres n’étaient point sujets à la déportation. Ils étaient septuagénaires, et la loi les exceptent ; il y en avait un de quatre-vingt-cinq ans. COREN-FUSTIER : Lorsque Carrier écrivait sa lettre, nous crûmes que tous les prêtres avaient été noyés par un accident. SEVESTRE : Je déclare à la Convention qu’à mon retour de mission mon premier soin fut de dire à Carrier: «Tu as commis des horreurs à Nantes; tu as traduit des Nantais au Tribunal révolutionnaire ; je les connais, il y en a qui ont SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 83 secondé la Révolution, qui sont d’excellents patriotes; ils ne seront pas condamnés par le tribunal. » « Eh bien, me répondit-il, je les ferai tous guillotiner. » ( Mouvement d’horreur.) DUMONT (du Calvados) : Je dois rappeler à la Convention un mot que j’ai entendu de la bouche de Carrier. Robespierre régnait encore ; la proposition fut faite à l’Assemblée de déporter tous les prisonniers alors détenus; Carrier dit: «Oui, déportés à ma manière. » Je l’ai entendu. MERLIN (de Douai) : Cette discussion se prolonge beaucoup plus que l’intérêt public ne l’exige ; mais je demande, pour les principes, que la parole reste à Carrier tant qu’il voudra, et qu’on aille ensuite aux voix. CARRIER: Je réponds à mon collègue Dumont que, la proposition n’ayant jamais été faite de déporter tous les prisonniers, je n’ai pu tenir le propos qu’il me prête. Quant à Sevestre, il m’a dit : « Tu as traduit des Nantais - Oui, lui répondis-je, parce qu’il y avait des notes graves contre eux.» Il me dit encore : « Tu as agi avec rigueur. » Je lui répondis : «Je sais très bien que les Nantais te diront que je me suis comporté avec rigueur. » Je l’interpelle de déclarer si je ne lui ai pas dit que j’avais tout fait pour empêcher les Nantais d’être jugés par le tribunal de Robespierre. SEVESTRE : Je maintiens ma déposition. Première liasse. Dixième pièce. (Lettre aux comités de Salut public et de Sûreté générale. Tours, 28 fructidor, l’an 2, sans signature.) « Il a fait fusiller tout un bataillon de cavalerie ennemie, qui est venue se rendre à Nantes, avec chevaux, armes et bagages, à la suite d’une amnistie. » CARRIER: Je suis en état de prouver que ce bataillon de cavaliers, qui n’était pas un bataillon, puisqu’il n’y en avait que trente, fut pris les armes à la main, et que je les fis conduire en prison. Tous demandaient à servir la République ; jamais je n’ai donné ordre de les fusiller. Vingtième liasse. Neuvième pièce. (Lettre de l’accusateur public, le 9 brumaire, l’an 3. Septième témoin.) « Nombre des révoltés qui venaient de déposer leurs armes ont été sabrés sur la place du Département. Il a fait noyer indistinctement des femmes, filles et enfants venus de la Vendée, et qui étaient dans une prison. Il autorisa une commission militaire à faire fusiller tous les gens de la campagne, dont une partie n’avait jamais pris les armes. Il a fait investir dans la nuit différentes communes de la campagne. On a ramassé tous les habitants qui, depuis plus de deux mois, restaient tranquilles, cultivant leurs champs; ils ont été tous fusillés indistinctement, sans être interrogés. Il a fait incarcérer toutes les femmes ou filles soi-disant suspectées d’inconduite; il les a fait ensuite noyer. Par ordre de Carrier et du comité révolutionnaire, toutes les filles suspectées d’avoir été, il y a un an ou deux, à la messe d’un prêtre réfractaire, ont été incarcérées. » CARRIER: Tous ces faits-là sont dans une lettre sans signature, elle ne mérite aucune confiance. Jamais je n’ai donné d’ordre pour juger les habitants des campagnes ; jamais je n’ai fait investir aucune espèce de campagne; jamais je n’ai attaqué les brigands qu’en corps d’armée. Quant aux femmes et aux filles suspectes d’inconduite, je les ai occupées à travailler au linge des soldats. Carrier lit un arrêté qu’il prit à ce sujet. Vingtième liasse. Septième pièce. (Ces faits sont attestés par Giraud, ex-Constituant, Forget et un autre témoin. Leur déclaration est consignée dans une lettre de l’accusateur public au comité de Sûreté générale.) «Trois témoins déclarèrent que, le 29 frimaire, an 2, quatre vingt et quelques brigands, armés et équipés, se sont rendus sur la place du Département; ils exprimèrent leurs regrets d’avoir servi contre la République, déclarèrent venir, au nom de toute l’armée, pour se rendre et livrer leurs chefs, pieds et mains liés ; que trois d’entre eux se détacheraient pour porter l’acceptation, et que les autres resteraient en otages. Les corps constitués s’assemblèrent, firent prévenir le représentant du peuple, qui fit conduire les brigands à l’Entrepôt: ils ont subi le même sort que d’autres détenus. » CARRIER : Ils ont été jugés par la commission militaire. Jamais je n’en ai rien su du tout. Dans le temps où Nantes était désolée par la peste, je chargeai la commission de s’occuper du sort des brigands. Elle les jugea : je ne m’en suis pas occupé depuis cette époque. Première liasse. Septième liasse. (Déclaration de J. -B. Giraud, directeur de la poste à Nantes, le 14 vendémiaire, l’an 3.) « Un soir, vers les huit heures, deux militaires se présentèrent à la portière de la voiture de place dans laquelle était Carrier, à la porte de la Société populaire; ils lui annoncèrent qu’ils arrivaient d’Ancenis avec trois cents prisonniers dans un bateau, et qu’ils ne savaient où les conduire. Carrier leur répondit: «Comment f ... imbéciles que vous êtes, f.-moi tous ces b... -là dans l’eau, et que demain il n’en soit plus question ! » Le lendemain, le bruit général était que dans la nuit on avait noyé un très grand nombre de prisonniers arrivés d’Ancenis. » CARRIER: Jamais je n’ai eu connaissance qu’il soit arrivé aucun prisonnier d’Ancenis à Nantes ; jamais je n’ai tenu le propos qu’on me prête. Eh ! comment Giraud eût-il entendu seul ce propos à la Société populaire, d’où je ne sortais 84 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qu’accompagné de plusieurs personnes qui l’auraient entendu de même ? Ce Giraud est un aristocrate très prononcé, qui a adhéré aux actes liberticides de Nantes, et qu’on a accusé d’être attaché aux prêtres fanatiques. Il ne mérite donc aucune confiance. Troisième liasse. Première pièce. (Lettre de la Société populaire de Tours à celle de Nantes, du 16 vendémiaire an 3. Pour copie conforme : signé Leroux, président, Goubeau, Ceroust, Crouzet, secrétaires.) « La Société populaire de Tours, instruite par l’indignation publique des actes de férocité commis sur des femmes enceintes, des enfants, des magistrats du peuple, invite la Société de Nantes à lui faire connaître la vérité ; elle lui demande des éclaircissements prompts et fidèles sur la conduite de Carrier, Hentz et Francastel, enfin de tous les représentants du peuple qui ont exercé dans la commune de Nantes le droit sacré de la Convention nationale. » CARRIER: Vous voyez par cette déclaration qu’une conjuration est formée contre tous les représentants qui ont été envoyés dans la Vendée. Vous voyez qu’on demande déjà des renseignements sur Hentz et Francastel; on a déjà cherché à les impliquer dans une procédure du Tribunal révolutionnaire ; bientôt on rappellera tous ceux qui ont fait la guerre de la Vendée ; on attaquera successivement tous les représentants du peuple. Vous verrez un jour si ma prédiction est vraie. Remarquez que c’est à Tours, dans la Société populaire, que s’ourdit cette conspiration. Un jour vous saurez la vérité sur la guerre de la Vendée. On a eu l’impudeur d’écrire à la Convention qu’à l’affaire de Villiers nous n’avions perdu que six cents hommes, et trente mille républicains ont été massacrés sur le champ de bataille. MENUAU : C’est faux. (On murmure.) CLAUZEL : Il ne convient pas que la Convention reste sous l’opprobre dont l’accusé veut la couvrir. CARRIER : Je ne la calomnie pas, je cite les faits. À l’affaire de Coron, trois mille brigands ont mis en déroute cent mille soldats qui portaient les armes pour la République. (Il s’élève de violents murmures.) Laissez-moi venir à ma conclusion. C’est parce que j’ai contribué le plus à éteindre la guerre de la Vendée, qu’on veut me perdre. Première liasse. Douzième pièce. (Douze personnes étaient au souper, au nombre desquel\le]s étaient Guesdon, directeur de l’hôpital, Har-douin, Jeannet, Lucas, Ducos, tous officiers de santé du même hôpital, leurs épouses; Hector, général de brigade. C’est ce qu’apprend une dénonciation signée Chéreau, chirurgien aide-major et chirurgien en chef de l’armée des Côtes-de-La-Rochelle, et envoyée au comité de Sûreté générale de la Convention nationale. Copie conforme, signée Merlin (de Thionville), Legendre, Reverchon, et renvoyée à Laignelot, représentant du peuple, le 20 vendémiaire, l’an 3.) « En soupant chez Guesdon, directeur de l’hôpital militaire d’Ancenis, Carrier dit qu’il y avait à Nantes un grand nombre d’aristocrates. «Vous avez vu comme je les ai menés ; j’en ai fait fusiller et noyer une grande partie, mais pas tous ; il en reste encore beaucoup. J’en aurais fait autant à Rennes si j’y étais demeuré plus longtemps. Vous avez vu passer, ajouta t-il, les cent trente [deux] Nantais que j’envoyais à Paris; ils n’étaient pas destinés à y arriver ; j’avais écrit à Francastel, qui était à Angers, de les faire noyer là ou aux Ponts-de-Cé; mais ce foutu coïon n’a pas osé. » CARRIER: Un seul particulier a fait cette déclaration. Il cite plusieurs personnes comme présentes au souper ; je ne les ai pas vues. Y a-t-il un seul Nantais, oui, un seul, qui ait été victime ? Ce témoin dit que j’en aurais fait autant à Rennes ; mais il y avait dans cette ville assez de conspirateurs pour les traduire au Tribunal révolutionnaire. Eh bien, je n’y ai traduit personne ; j’ai seulement fait arrêter quelques individus. LE PRÉSIDENT : Carrier demande à se reposer un instant. DUBOIS-CRANCÉ : Je demande que la séance soit suspendue jusqu’à six heures, qu’en-suite la Convention termine cette affaire sans désemparer (63). Cette proposition est décrétée. La séance est suspendue. Il est quatre heures (64). À quatre heures, il [Carrier] demande de se reposer, et un membre demande que la Convention décrète qu’elle suspend la séance jusqu’à six [heures], et qu’elle décidera sans désemparer. Adopté (65). La séance reprend à six heures et un quart (66). Deuxième liasse. Deuxième pièce. (Dénonciation de Perotte Brevete, qui ne sait signer, renvoyée par le comité de surveillance de la Société populaire au comité de surveillance du district, le 21 vendémiaire, an 3. Signée Quentin, vice-président, Jacques-Gabriel Mercier, secrétaire par intérim. Pour copie conforme, au comité de surveillance révolutionnaire à Nantes, ce 12 vendémiaire, l’an 3. Signé, Durance, Lenoir, Jacques-Martin Carrail, président, Vaumon, Paillon, Pelet et Subtil.) « Michel Brevete, natif de Saint-Julien, était détenu à l’Entrepôt; sa sœur Perotte Brevete, tailleuse, demeurant à Nantes, aussi native de (63) Moniteur, XXII, 577-581. (64) Moniteur, XXII, 581. (65) P.-V., L, 32. (66) Moniteur, XXII, 581.