[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mars 1790.] 224 M. le Président répond à ce citoyen en ces termes : « La liberté ne peut se maintenir parmi les hommes qu’autant qu’ils savent l’apprécier et l’aimer. Pour en étendre et en assurer l’empire, pour en faire goûter les fruits et en faire respecter les lois, une éducation publique, dirigée par les vues et inspirée par les sentiments du patriotisme, est le plus puissant des ressorts, et celui qui inspire aux représentants de la nation la plus juste confiance. L’Assemblée nationale reçoit donc avec satisfaction le fruit des veilles de votre ami ; elle applaudit aussi à la générosité et au dévouement qui vous ont dicté l’offre patriotique que vous venez de présenter ». M. Ladureau. fils aîné, marchand de vin à Orléans, se présente à l’Assemblée pour faire l’hommage de la contribution du quart de ses revenus, fixée à 1.200 livres ; il expose que différentes difficultés l ont empêché de s’acquitter de ce devoir précieux à son cœur, par-devant la municipalité a’Orléans, en conformité des décrets de l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale agrée ses motifs, et ordonne que les 1,200 livres présentées seront reçues dans la caisse des dons patriotiques, et qu’il lui sera délivré extrait du registre pour lui valoir comme comptant par-devant la municipalité d’Orléans, à laquelle il a été renvoyé pour faire sa déclaration Il est présenté de la part des municipalités de Hattonville, Viéville, Woel-Doncourt, Billy en Lorraine, une adresse dans laquelle elles expriment, au nom de leur commune, les sentiments de leur gratitude et de leur reconnaissance pour le courage avec lequel les représentants de la nation ont soutenu la cause du peuple, et pour les victoires continuelles qu’ils ont remportées sur les abus et les déprédations publiques ; elles déclarent donner l’adhésion la plus entière à tous les décrets de l’Assemblée nationale, desquels ils expriment la justice en développant la sagesse des motifs qui les ont dictés : elles assurent qu’elles seront toujours pénétrées des sentiments d’obéissance, de dévouement et de zèle envers l’Assemblée nationale et le roi, pour le maintien de la constitution, celui du bon ordre, de la paix, de la tranquillité publique, au péril de la fortune et de la vie de tous ies individus qui composent ces communautés ; elles finissent leur adresse en suppliant l’Assemblée nationale de prononcer le plus tôt possible sur l’échange'de la terre de Sancerre contre une �multitude de domaines de Sa Majesté, etelles développent les raisons sur lesquelles elles appuyent leur demande. M. Prieur. Je demande le renvoi au comité des domaines pour qu’il nous en fasse rapport à bref délai. (Cette motion est mise aux voix et adoptée.) M. Despatys de Courtellles, député de Melun, expose que le décret rendu par l'Assemblée nationale, portant qu’il sera sursis à l’exécution de tous les jugements définitifs émanés des juridictions prévôtales , pourrait présenter quelque ambiguité capable de suspendre l’exécution de ceux qui auraient prononcé l’absolution des accusés: ce qui n’a été ni dans l’esprit, ni dans l’intention de l'Assemblée: il demande en conséquence qu'elle donne une explication à c* sujet. La motion est mise au voix et décrétée de la manière suivante : « L’Assemblée nationale déclare qu’elle n’a pas entendu comprendre, dans la disposition de son décret concernant lesursisdes jugementsdé-finitifs émanés des juridictions prévôtales, les jugements d’absolution, et ceux qui prononcent un plus ample informé, avec la clause de liberté et élargissement provisoire. » M. Tronchet, membre du comité de jurisprudence criminelle, représente que le retardement apporté à prononcer sur le rapport qui lui a été fait au nom du même comité, prolonge la détention d’un nombre d’accusés qui attendent les décrets interprétatifs que M. le garde des sceaux et plusieurs tribunaux de provinces ont demandés; il réclame qu’il plaise à l’Assemblée de fixer un jour et une heure pour entendre un nouveau rapport qui lui sera fait par le même comité. L’Assemblée nationale renvoie la proposition à la séance du soir de samedi prochain 21 du courant. M. le Président. Je donne la parole au rapporteur du comité d’agriculture et de commerce. M. Ilermmx monte à la tribune et fait, au nom du comité d’agriculture et de commerce, un rapport sur le privilège de la Compagnie des Indes. Il s’exprime en ces termes : Messieurs, votre comité d’agriculture et de commerce n’a pas cru devoir passer sous silence une phrase du mémoire des actionnaires de la compagnie des Indes qui vous a été distribué, et dont je vais vous rendre compte, avant de faire mon rapport. Cette phrase qui inculpe et le rapporteur et le comité, est conçue en ces termes: « Telle est cependant la situation de la compagnie, qu’elle ignore si les députés du commerce ont rapporté une seule preuve de leurs vagues assertions. Rien ne nous est communiqué; rien n’est discuté avec nous; nos adversaires sont appelés, entendus à la section du commerce; et malgré l’empressement que notre administration a témoigné d’avoir le même ayau-tage elle n’a pu l’obtenir, etc. » Je m’abstiendrai déqualifier ces imputations. Je me contenterai de détromper ceux qu’elles auraient pu induire en erreur. Le dépôt de toutes les pièces concernant l’affaire de la compagnie, m’a été confié. Deux de Messieurs les administrateurs de la compagnie, sur mon invitation, regardèrent les pièces les unes après les autres, le 6 ou 7 janvier, en emportèrent trois ou quatre qui leur parurent intéressantes, et me les renvoyèrent quelques jours après. J'ai deux lettres des administrateurs, l’une' du 10 et l’autre du 11 janvier, qui prouvent ce que je viens d’avancer. Les actionnaires ont donc eu tort d’imprimer que rien ne leur était communiqué. Sur l’invitation de votre comité, Messieurs les députés extraordinaires du commerce envoient à chacune de ses séances deux d’entre eux; mais toutes les fois qu’il s’est agi de l’affaire de la compagnie des Indes, votre comité les regardant comme parties intéressées, les a priés de se retirer. Ils n’ont donc point été appelés ni entendus, comme l’avancent ies actionnaires. Je passe au rapport. Le commerce de l’Inde était encore dans l’enfance en 1664, lorsque M. de Colbert pensa qu’il serait utile de le confier exclusivement à une compagnie. Cette compagnie, après avoir essuyé plusieurs révolution*, remit à l’Etat en 1769 un privilège [Assemblés «atiQji$l$.] AjtGHlVjSS dont sa faiblesse ne luf permettait plus dp faire usage. , Les armateurs particuliers, appelés par ]p gouvernement à succéder à la compagnie, firent ce commerce avec différents succès, depuis 1769 jusqu’en 1785. A cette époque, le gouvernement a cru devoir accorder le privilège exclusif du commerce de l’Inde à une nouvelle compagnie. Une réclamation générale des villes de commerce et des manufactures duroyaume, auxquels se joint Pile de France, s’élève contre cette operation ministérielle. Jamais le commerce ne vous présentera une question plus intéressante ; jamais il n’eut plus grand besoin d’une sage et prompte décision. La saison des expéditions pour Flnde s’avance; l'incertitude restreint les opérations de la compagnie, suspend les spéculations du commerce particulier; tous sont dans l’inaction, tous sont dans l’attente : quelques jours encore, et la nation perdra pour cette année le fruit qu’elle a droit d'attendre de la sagesse de vos décrets. Si donc il est de Votre justice de ne vous décider, sur une question aussi intéressante, qu’après un examen approfondi; il est également de la plus baute importance que vous prononciez le plus promptement qu’il Vous sera possible. Avant d’exaqiiner de quelle manière doit être fait le commerce de l’Inde, il est à propos de savoir à quel point il est avantageux et utile. Un commerce de nation à nation est avantageux à celle qui, fournissant à l’autre plus de valeur en marchandises de son cru qu’elle n’en reçoit de cette autre, obtient d’elle un solde en numéraire D’après cette définition, le commerce de l’Inde n’esf point avantageux pour la France. Les Indiens ne consomment que peu de marchandises de notre cru; la petite quantité que nous en exportons pour l’Inde, Sert en grqnde partie à la consommation des Européens qui y sont établis ; et nous sommes obligés de solder en espèces le surplus de la valeur des marchandises qu’elle nous fournît. On pourrait toutefois se convaincre que ce genre de commerce est moins désavantageux qu’on ne le croit communément, si on faisait attention que les espèces que nous envoyons en Asie, ne sont autre chose qu'une marchandise qui nous a été donnée à nous-mêmes en échangé des fruits de notre sol et des produits de notre industrie; et que si nous parvenions à nous sevrer des marchandises de l’Inde, nous serions ohligés, pour les remplacer fort imparfaitement, d’employer telle partie de ce sol et de cette industrie qui, dans l’état actuel, nous procure peut-être au delà de la valeur des espèces que nous envoyons dans l’Inde, D’ailleurs, un commerce désavantageux sous un premier point de vue, peut être utile en dernière analyse, s’il fournit de (a première main, et au moindre prix possible, des marchandises absolument nécessaires, et s’il procure des matières premières qui alimentent l’industrie et vivifient les manufactures de la nation qui les reçoit, et qui, manufacturées, fournissent non seulement à la consommation, mais encore a une exportation lucrative. Plusieurs marchandises que nous tirons de l’Inde, telles que les drogueries, les épiceries, les thés, etc., sont devenues pour nous de première nécessité. Nous ne pouvons pas nous passer, du moins PAhÿËMEpiTAîfip, [18 mars 1T9Q.J quapt è présent, de ses toiles dé coton et de ses mousselines. Ses toiles peintes, ses guipées, ses cauris, ete., sont utiles à nos échanges avec d’autres nations. Enfiq ses gommes, ses bois de couleur, sép cotons en laine, ses toiles propres à l’impresfipn sont nécessaires à nos manufactures. be commerce de l'Inde, qui poiis procure ses marchandises de la première main, est donc utile, PUisquVn Je faisant nous gagnons nous-mêmes le fret, Ja commission et le bénéfice, qu’autrement nous serions obligés de payer aux nations Européennes qui nous les vendraient. Faisons-Ie donc, ce commercé, mais avec, économie; élevbns-leau niveau de notre consommation, dopt il est epcore bien éloigné; portons-Ie plus haut, s’il ësf possible; ouvrons de nouveau� débouchés aux marchandises qu’il nous procure; qpè le bénéfice que nous ferons sur l’excédent dé nos besoips couvre uue partie des frais de notre consommation, et préparons au commerce dp France up dédommagement de la perte au il peut faire un jour de quelques-unes de ses branches les plus productives. Yqus avez, Messieurs, çjeux moyens d’apprpcher plus ou moins d’un put si désiré; privilège exclusif, liberté indéfinie. Vous serez à même, d’après l’exposé des avantages et des inconvénients de chacun de ces systèmes que je soumettrai à votre examen, de juger lequel est le plus économique et le plus ayànlar geux au bien général, Le trajet immense qui nous sépare de l’indo, son climat, ses productions, son gouvernement, le génie et les moeurs des peuplés qui rhahlteiît, concourent également à rendre le commerce avec celte belle portion de l'Asie, différent en tout dp celui qu'on fait dans les autres parties du mondé. C’est à six mille lieues de nptre patrie gue nous allons chercher les marchandises fie l’Inde, Une saison détermine ie départ de nos vais-seaux; une autre saison fixe leur retour; et le voyage, qui dure ordinairement dix-küit mois, peut së prolonger jusqu’à deux ans, et même au delà. Courbé gous le joug du despotisme, l’Indien ambitionne peu des richesses çjü’iL n’pst pas sûr de conseryer, et qui ne serviraient peut-être qü à le désigner pour victime à l'avidité uu jgptjVpr-nement. Énervé par une chaleqr dévorante* P fait dp l’inaction sa première jouissance; ses besoins modérés se bornent à une nourriture simple que le sol qu’il habite lui prodigue presque saris culture. Il n’existe dans l’Inde ni marchés puhHcs,. ni magasins particuliers où le commerce puisse se pourvoir des marchandises qui doivent former ses retours. J1 est obligé d’employer nnp mui�- fude d’agents qui, répandus à trois ôp quatre cents lieues les uns dés autres, vont, l’afgent a là main, éveiller l’indolence du tisserand-Us poin-mabdent, un an ou dix-huit mois d’avance, les marchandises dont iis déterminant, spr des échantillons, et la valeur et la qualité. Le tjprs du prix se paie en contractant, je second {iprs lorsque l’ouvrage est à moitié fait, et le peste enfin, au moment de la livraison. Il faut que lP? marchandises soient vérifiées ayant d’être reçues ; qu’ensnite elles soient blanchies, battues, pliées et emballées : toutes ces préparations demandent beaucoup de temps et de soin. Le détail peut en paraître minutieux; mais il est nécessaire, lorsqu’on veut avoir une idée de ce commerce, et surtout pour apprécier les opérations 4® 14 [Assemblée nationale.) ARCHIVES BAÏv-EMEIffAIRES. [18 mjiri 1790.] agg pagnie el celles du commerce libre, dont je vais vous présenter un précis tracé d’après les données des défenseurs du privilège exclusif; et j’opposerai ensuite à ce tableau les moyens et les réponses du commerce libre. La compagnie n’ayant aucune concurrence à redouter en France, achète à un prix modéré les marchandises de France nécessaires à la consommation des Européens établis dans l’Inde; et ces marchandises bien assorties, et bien proportionnées aux besoins, dont elle est parfaitement instruite, offrent des bénéfices qui souvent ont surpassé ceux même des marchandises de l’Inde; le surplus de ses expéditions consiste en piastres, Ses nombreux agents dans l’Inde, surveillés par une administration sage, guidés par une correspondance exacte, munis de capitaux proportionnés à la masse de leurs opérations, contractent avec économie, et préparent d’avance des retours choisis avec soin, assortis avec intelli-? gence, et proportionnés aux besoins de l’Europe, Les vaisseaux de la compagnie trouvent, en arrivant dans l’Inde, des magasins dans lesquels ils déposent les marchandises qu’ils apportent: de riches cargaisons les attendent, et ils ne restent dans ces parages que Je temps nécessaire pour rafraîchir les équipages, et attendre ia mousson qui doit faciliter leur retour. Les ventes en France sont réglées à des époques fixes; les acheteurs s’y rendent avec confiance, parce qu’ils sont certains d’y trouver les assortiments nécessaires à leur commerce. La compagnie, qui a vendu avantageusement dans les Indes les marchandises de France, qui a formé les retours avec intelligence et économie, qui, enfin, joint à ces avantages l’exemption du droit d’induit, peut, en vendant ses marchandises de l’Inde à un prix modéré, se réserver un bénéfice honnête, détruire le commerce interlope, et associer, en quelque façon, les consommateurs à la prospérité de son commerce, et aux grâces qu’elle reçoit du gouvernement. A ce tableau des avantages de la compagnie, les partisans du privilège comparent la marche du commerce libre. Le voyage de l’inde, disent-ils, durant ordinairement dix-huit mois, et quelquefois deux ans, l’armateur qui veut suivre ce commerce, est obligé de faire une seconde et quelquefois une troisième expédition avant le retour de la première. Que le chargement de chaque vaisseau soit de deux millions, ce sera pour l’armateur une mise dehors de six ou au moins de quatre millions: et certes, il est bien peu de maisons en France qui puissent suffire à de pareilles avances. Ainsi la suppression du privilège exclusif bien loin de mettre le commerce de l’Inde à la portée de tous les citoyens, le concentrerait au contraire entre deux oo trois maisons opulentes, tandis que, sems le régime actuel, 40,000 actions livrées à la circulation, donnent à autant de Français ie droit de prendre part aux bénéfices de la compagnie, dont le commerce, sous ce point de vue, devient vraiment national. Mais on suppose cette difficulté de l’insuffisance des capitaux absolument résolue. L’armateur est obligé d’acheter les marchandises de France à un prix nécessairement élevé ar la concurrence; quelque prudence qu’il mette assortir sa cargaison, le succès ne dépend pas de lui, mais de la combinaison qui résultera des différentes spéculations de ceux qui courent la même carrière. Arrivé dans l’Inde, celte rivalité qui lui a fait payer plus chèrement les productions de l’Europe, l’oblige à les vendre â meilleur marché. Mais comment composera-t-il ses retours? jl ne trouvera pas des marchandises à charger, puisqu’il n’en a pas contracté. Son agent s’enfoncëra-t-il dans les terres pour en contracter? U faudrait attendre un an bu dix-huit mois qu’elles fussent fabriquées et prêtes à être embarquées; les frais d’un aussi long séjour, le dépérissement du vaisseau et de 1 équipage, auraient bientôt anéanti l’armement entier. Forcé de renoncer à un bénéfice dé. plus de 30 0/0 que l’on fait à contracter, pressé par la saison du retour, plus curieux de compléter que d’assortir sa cargaison, l’armateur est obligé d’acheter des compagnies étrangères OU fie leurs agents, à des prix excessifs, calculés sur ses besoins et le nombre de ses rivaux des marchant dises imparfaites, et la plupart de Febut. Cette concurrence qui l’a suivi en Asie ; raccompagne à son retour en France, et précipite sa ruine, eu le contraignant fie donner à vil prix des marchandises qu’il n’a pu ni choisir ni assortir. Telle a été la conduite, et tel est le sort dp plusieurs maisons qui ont voulu faire le commerce de l’Inde. Les armateurs, instruits par leurs pertes, las d’être avec désavantage les rivaux etles concurrents des Anglais, se sont réduits à être leurs fadeurs et leurs voituriers. Ils ont fait avec les agents de la compagnie anglaise, des traités d’affrètements par lesquels ils s’obligeaient à ramener en France, et vendre à l’Orient, sous leurs noms, des marchandises que ces agents, par un abus fréquent et faiblement contenu, font fabriquer pour leur compte, et faisaient passer en Angleterre le produit de la vente, sur lequel ils prélevaient le prix du fret et de la commission. Cet exposé de la conduite de la compagnie, et et de celle du commerce libre, est, je vous le répète, Messieurs, le résumé des pièces et des mémoires donnés par les défenseurs du privilège exclusif, dont souvent même j’ai copié les expressions. Mais il s’en faut beaucoup qu’il soit avoué par le commerce libre ; vous allez en juger par sa réponse. Trois viçes essentiels empêchent, à ce qu’on prétend , que le commerce libre puisse jamais lutter avec succès contre le commerce d’uné compagnie: 1° l’insuffisance des capitaux ; 2° le défaut d’assortiment ; 3? la concurrence. On remarquera d’aborfi que dès fieux premières inculpations, l’une ne peut exister sans exclure l’autre : car, si les capitaux sont insuffisants, et si deux ou trois maisons seulement peuvent faire le commerce de l’Inde, la concurrence sera nulle ou presque nulle; si, au contraire, la concurrence est vive et animée, les capitaux, dès lors, sont suffisants. Mais reprenons l'une après l’autre ces trois objections. 1° L’insuffisance des capitaux. Il est vrai que le négociant qui veut suivre le commerce de l’Inde, est obligé de faire une seconde, et même quelquefois une troisième expédition avant le retour de sa première. Mais pourquoi évaluer à deux millions le chargement de chaque vaisseau ? Pourquoi ne serait-il pas de cinq, six, sept ou huit cent mille livres ? Alors la mise dehors, en supposant même trois expéditions , ne sera que d’un million 500,000 livres à 2,400,000 livres ; et certainement il est un très grand nombre de mai- 224 [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mars 1790.] sons françaises qui peuvent suffire à de pareilles avances. Peut-on d’ailleurs, soutenir à des négociants ui ont fait le commerce de l’Inde, et qui deman-ent la liberté de le faire, qu’ils n’ont pas des capitaux suffisants? Peut-on mettre en question la possibilité, tandis que le fait existe ? Le commerce libre a expédié, dans une seule année, 39 vaisseaux du port de 18,485 tonneaux ; il avait donc des capitaux suffisants pour le faire. Ses retours se sont élevés jusqu’à trente-trois millions ; il avait donc des capitaux suffisants pour se les procurer. Peut-on enfin raisonnablement douter que le commerce de l’Inde puisse se faire sous le régime de la liberté, lorsqu’on voit tous les négociants du royaume se réunir pour demander la liberté de faire le commerce de l’Inde ? 2° Le défaut d’assortiment. Il est incontestable qu’une compagnie exclusivement chargée de l'approvisionnement d’un royaume, soit obligée d’assortir scrupuleusement ses expéditions et ses retours : mais il n’en est pas de même des négociants particuliers ; l’erreur de l’un est compensée par l’erreur d’un autre, ou noyée dans l’immensité de l’approvisionnement. Voit-on, en effet, que l’armateur qui commerce aux Antilles, s’astreigne à charger telle quantité de sucre, telle autre de coton, telle autre de café, d’indigo ? Non certes : il choisit les marchandises dont il espère le débit le plus facile ou le plus avantageux, sans songer à les doser ; et, en cela, le cours du prix des marchandises le sert infiniment mieux que toutes les combinaisons possibles ; celles dont le prix relatif est le moins élevé, sont celles dont on a fait le moins d’achats, et qui, toutes choses égales d’ailleurs, doivent donner à la vente moins de concurrence et plus de profits. * Mais, le reproche fût-il juste, la compagnie qui est obligée d’avouer que ses magasins sont encombrés dans l’Inde, qu’elle essuie, en France, toutes les années des pertes, qui résultent de surabondance de quelques espèces de marchandises, ne doit pas faire au commerce particulier une objection d’un inconvénient dans lequel son privilège ne l’empêche pas de tomber elle-même. 3° La concurrence. Si les Français étaient les seuls acheteurs dans l’Inde, alors il serait peut-être utile de prévenir la concurrence; mais les peuples de l’Asie, les Anglais, les Hollandais, les Suédois, les Danois, les Portugais, les sujets de l’empereur, font le commerce, et dès lors, la substitution de plusieurs négociants français, à la compagnie française, ne doit point opérer un effet sensible. On s’en convaincra si on fait réflexion que la concurrence consiste moins dans l’augmentation du nombre des demandeurs, que dans l’augmentation des demandes. 11 n’est d’ailleurs point de commerce de nation à nation, qui porte avec soi l’inconvénient de la concurrence , et si, pour l’éviter, on était obligé de former des compagnies exclusives, il s’ensuivrait que tout commerce devrait être fait par des compagnies exclusives. La crainte que manifeste la compagnie, que la révocation du privilège exclusif ne concentre dans un petit nombre de maisons opulentes le commerce de l’Inde étant fondée sur l’insuffisance des capitaux du commerce particulier, tombe d’elle-même, puisqu’il est prouvé que cette insuffisance est chimérique. Mais il n’est pas également prouvé que les 40,000 actions de la compagnie, livrées à la circulation, donnent à autant de Français le droit de prendre part à ses bénéfices. Les articles 17 et 18 de l’arrêt du conseil du 14 avril 1785, portant établissement d’une nouvelle compagnie, exigent de rigueur, que chaque administrateur soit possesseur de cinq cents actions ; l’article 17 accorde quatre voix à l’administrateur qui aura deux mille actions. D’après ces dispositions, les douze administrateurs sont obligés d’évincer six mille Français, et sont encouragés à en évincer vingt-quatre mille. L’article 3 du même arrêt permet à tout étranger de s’intéresser en commandite dana la compagnie, et d’acquérir des actions : il pourrait donc se faire que les 40,000 appartinssent à des étrangers. Il faut avouer que, sous ce point de vue, le commerce ne serait plus comme elle le prétend, un commerce national. Mais passons à ses opérations. La compagnie exporte, en marchandises de France, moins d’un onzième de la valeur de ses expéditions pour l’Inde; le commerce libre en exporte plus d’un cinquième: il a par conséquent le double avantage d’employer moins d’espèces, et d’encourager l’industrie nationale, à laquelle il procure un débouché plus considérable. Les seules manufactures du Languedoc fournissaient au commerce libre environ 8,000 pièces de drap chaque année ; et dans les trois premières années de son privilège, la compagnie n'a exporté de draps de toutes sortes qu’environ sept cents pièces. Cependant la compagnie se plaint que, malgré la modicité de ses exportations, ses magasins dans l’Inde sont encombrés de marchandises d’Europe. Il est facile de résoudre ce problème. On peut se rappelerque la compagnie avoue que les marchandises d’Europe bien proportionnées offrentdes bénéfices qui souvent ont surpassé ceux des marchandises de l’Inde. Elle n’a pu obtenir d’aussi gros bénéfices, qu’en tenan t à très haut prix les marchandises qui les lui procuraient. Les consommateurs auront restreint Leur consommation, ou se seront approvisionnés ailleurs. De là l’encombrement dont se plaint la compagnie. Le commerce libre, au contraire, prévient les besoins, les satisfait abondamment, se contente d’un léger bénéfice, multiplie ses tentatives et se procure tous les jours de nouveaux débouchés. Dans le détail que la compagnie donne de ses opérations dans l’Inde, on n’en voit aucune qui soit au-dessus desforces du commerce particulier; je dis plus, aucune qui n’ait été faite avec succès sous le régime de la liberté, et continuée avec avantage par des maisons françaises, sous pavillon étranger. Le commerce particulier pourra donc, ainsi que la compagnie, avoir dans l’Inde des établissements, une correspondance suivie, des agents qui contracteront avec intelligence, et prépareront des cargaisons bien choisies et bien conditionnées; et si jamais la compagnie anglaise venait à jeter un coup d’œil d’inquiétude sur la prospérité de notre commerce, il sera bien plus facile à des particuliers d’éviter les entraves qu’elle mettrait à notre industrie, et d’échapper à sa vigilance en partageant son attention, qu’à une compagnie, dont les opérations sont faciles à suivre. Mais s’il est vrai qu’on ne puisse contracter que pour quinze à seize millions ; s’il est vrai que la consommation du royaume s’élève à soixante millions; le commerce particulier remplira l’excédent de la consommation sur la quantité de marchandises contractées, de la même manière que le fait la compagnie : il achètera de la compagnie an- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mars 1790.] 225 glaise ou de ses agents, à des prix raisonnables, des marchandises qui ne seront pas de rebut, comme on le suppose, car il les refuserait ; et l’on sait qu’il est aussi avantageux au vendeur de contenter l’acheteur, qu’à celui-ci de trouver à se pourvoir des objets dont il a besoin. Les marchandises achetées seront aussi bien choisies, aussi bien conditionnées que celles qui auront été contractées. Mais si les vendeurs voulaient tenir les prix trop élevés, si les marchandises étaient défectueuses, alors nul doute que l’armateur ne dût charger pour le compte des étrangers, et se contenter, faute de mieux, du bénéfice du fret et de la commission qui rapporte, tant à lui qu’au fisc, vingt à vingt-cinq pour cent. Les partisans du privilège regardent, il est vrai, cette dernière ressource comme avilissante ; mais malheureusement la compagnie est convaincue de faire elle-même ce genre de commerce. Dans le moment actuel, elle a dans ses magasins, à Lorient, des marchandises appartenant à différents étrangers, qu’elle s’est obligée d’importer et de vendre à la suite des siennes propres, moyennant 32 0/0 de fret et de commission, qu’elle prélèvera sur le produit de la vente dont elle fera passer le surplus aux propriétaires. La compagnie a donc reconnu que ces opérations étaient utiles, et réellement elles sont beaucoup plus avantageuses à l’Etat que celle de s’approvisionner à Londres des marchandises ae l’Inde, et c’est un reproche dont la compagnie n’est pas exempte, du moins jusqu’en 1788. Mais passons aux ventes des retours. Que la compagnie se pourvoie des marchandises de France, à un prix modéré, qu’elle les vende avantageusement dans l’Inde, qu’elle contracte avec intelligence et économie, tout cela est possible; qu’elle joigne à ces avantages l’exemption du droit d’induit, rien n’est plus vrai; mais, qu’elle vende en France à des prix modérés, qmelle se contente d’un bénéfice raisonnable, et qu’elle détruise le commerce interlope, ce sont trois assertions dont on ne convient pas. Il est prouvé que la compagnie a refusé de vendre â 25 0/0 au-dessus du prix des autres compagnies ; on prétend qu’en retirant ses poivres, dont on lui offrait 33 sols les 12 décembre 1787 et 3 janvier 1788, elle refusait un bénéfice de 80 à 90 : elle ne vend donc pas à des prix modérés. La compagnie avoue que des maisons françaises font le commerce de l’Inde sous pavillon étranger; elle se plaint que les marchandises qui proviennent de ce commerce soient introduites frauduleusement en France, moyennant une assurance excessivement basse (elle est au moins de 6 à 7 pour 0/0) . De ce fait, que peut-on conclure? sinon que les maisons françaises font le commerce de l’Inde avec plus d’économie et d’avantages que le privilège exclusif, et alors tous les raisonnements delà compagnie contre le commerce libre sont démentis par l’expérience: ou la compagnie veut faire des bénéfices qui excèdent de huit à dix pour cent ceux que le commerce particulier trouve suffisants. Elle ne se contente donc pas d’un bénéfice raisonnable, et par cette conduite elle nécessite la contrebande loin de la détruire. Telle est, Messieurs, la réponse des défenseurs de la liberté. Il est facile à présent de reconnaître que le tableau que la compagnie a donné de ses opérations est flatté, que la description qu’elle fait de la marche, des inconvénients et des malheurs du ir« Série, T. XII. commerce particulier, est outrée, point exacte en général, quoique réalisée malheureusement par quelques exemples particuliers. Mais, si des fautes de quelques armateurs, on croyait pouvoir tirerdes inductions contre le commerce libre en général, quelle défaveur ne répandrait pas sur la cause du privilège l’exemple des désastres des compagnies exclusives? Peu ont échappé à leur ruine, et elles n’en ont été garan ties que par des circonstances particulières, telles que la vente exclusive des épices fines, qui rend à la compagnie hollandaise plus de dix millions de bénéfice net chaque année; et telles que la conquête et la possession de territoires riches et étendus pour la compagnie anglaise, possessions qui, si l’on en croit le mémoire du général Fullar-ton, offrent une population de quarante-quatre millions d’àmes, et trois cent douze millions de revenus. Après ce qui vient de vous être dit, Messieurs, rien ne peut jeter un plus grand jour sur la question que vous avez à juger, que le résultat de deux tableaux du commerce libre, pris à différentes époques, que je vais mettre sous vos yeux. Le premier est un état du nombre et du port des vaisseaux armés par le commerce particulier, depuis la suppression de l’ancienne compagnie en 1769, jusqu’à l’établissement de la nouvelle en 1785. D’après cet état, le commerce libre a expédié 340 vaisseaux du port de 148,945 tonneaux; ce qui donne, pour année moyenne, 21 vaisseaux et 9,309 tonneaux. Le second tableau est du même genre que le premier, mais il ne comprend que les armements de 1774, 1775, 1776 et 1777. Il nous offre un total de 118 vaisseaux et de 57,190 tonneaux, et donne, pour année moyenne, 29 vaisseaux et 14,297 tonneaux. Si on compare ces deux résultats à celui des expéditions de la nouvelle compagnie, en 1785, 1786, 1787 et 1788, on trouvera une grande disparité; trois vaisseaux expédiés en 1785, neuf en 1786, dix en 1787, sept en 1788, donnent Un total de 29 vaisseaux du port de 17,038 tonneaux, et pour année moyenne sept vaisseaux et 4,258 tonneaux. Quant à la valeur des retours, le commerce libre, dans les années de ses importations les plus fortes, a élevé ses ventes jusqu’à près de trente-trois millions, et la compagnie n’a jamais pu porter les siennes au-dessus de vingt-trois millions. Mais l’exactitude de ces deux tableaux sur lesquels on vient d’établir une comparaison qui n’est pas favorable à la compagnie, est contestée par ses défenseurs ; ils croient qu’il est nécessaire de leur faire des retranchements considérables.Comme leurs motifs et les défenses du commerce particulier ne peuvent qu’éclaircir la question principale, j’ai cru devoir vous les présenter dans quelque détail. Dans le nombre des vaisseaux expédiés par le commerce libre pour les Indes, on a eu tort, dit la compagnie, de compter: 1° 155 vaisseaux expédiés pour les îles de France et de Bourbon; 2° 11 vaisseaux frétés pour le compte du roi ou de la compagnie hollandaise; 3° 10 vaisseaux qui ne sont pas revenus de l’Inde, dont quelques-uns ont été vendus aux Anglais par des armateurs qui abandonnaient ensuite leur équipage. C’est ainsi qu’on a vu, en novembre 1785, trois cents matelots français, abandonnés et vouées, dans ces contrées éloignées, à la triste ressource d’être employés par des capitaines 15 ÉSSÔ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mars 1790.} de vaisseaux des puissances étrangères, pour revenir en Europe; 4* Quatre vaisseaux envoyés dans i lnde pour l’ancienne compagnie, en 1770 et 71 pour sa liquidation; Quatre vaisseaux employés en 1784, pour une association des villes maritimes, avec privilège exclusif ; 6° Cinq vaisseaux employés à une expédition 4e la Chine, pour le compte du roi ; 7* Deux vaisseaux armés en course , et deux autres destinés à la traite des noirs ; 8* Trois vaisseaux portés deux fois sur l’état : En tout 195 vaisseaux, A ces objections, le commerce libre répond article par article: 1* C’est un fait connu que les vaisseaux expédiés pour l’Isle-de-France ont passé le plus souvent dans l’Inde, sur une permission du gouvernement de i’Isle-de-FranCe, et sont allés charger au Bengale ou à Coromandel. Ceux qui n'ont pas fait cette navigation ont trouvé dans les îles des marchandises de l’Inde, et il fallait bien qu’ils en rapportassent en Europe poiir ne pas revenir sur leur lest, ou à quart de charge, les denrées décru des îles de France et de Bourbon, ne pouvant leür fournir tout au plus que le quart de leur chargement. On a donc dû les compter ; 2à Les six Yâisséàux frétés pour îé compte de la compagnie hollandaise, quoiqu’ils aient donné du bénéfice, n’Oni pas dû être comptés. Mais ceux frétés par le roi, ont fait leur retour à Lorient avec des cargaisons complétés de marchandises de l’Inde : on a donc dû les compter] 3° Les vaisseaux vendus dans llnde, ont été expédiés par le commerce libre ; le produit de leurs expéditions et même leurs propres valeurs, ont été nécessairement convertis eu marchandises de l’Inde, qui ont été rapportées par quel-qu’autre voie. La plupart de ces vaisseaux sont restés au service des Français, pour le service d’Inde en Inde ; ils ont servi à approvisionner l’Isle-de-France des marchandises de l’Inde que le commerce libre en a tirées. On a donc dû les compter. Si quelques-uns ont été vendus aux Anglais, cette vente n’a pu qu’être très utile, puisque les vaisseaux étaient de matière et fabrique françaises, à moins qu’oft ne regarde comme plus avantageux le procédé de la compagnie qui, pour son commerce, fait acheter en Angleterre des vaisseaux tout armés. La compagnie avance sans preuve que des armateurs aient abandonné leurs équipages. Les trois Cents matelots vus dans les rues de Calcuta, en 1783, étaient pour là plupart des déserteurs de la flotte de M. de Suffren ; les autres avaient déserté du Boulogne, vaisseau de la compagnie, commandé par le capitaine Adam , qui, resté avec quatre hommes seulement, fut obligé de remplacer son équipage par des Lascaris, 11 n’est pas inutile de remarquer que quarante de ces matelots déserteurs furent recueillis et ramenés en France par le capitaine Termillier, commandant tan vaisseau du commerce libre; 4e Les vaisseaux expédiés pour l'ancienne compagnie, doivent être regardés comme ceux de simples particuliers, puisque leur expédition et leur retour ont été faits en concurrence du commerce libre. On a donc dû les compter ; 5* Les fonds des expéditions de quatre vaisseaux par une association des villes maritimes, ont été fournis par le commerce. On a donc dû les compter ; 6° Le commerce a fourni de mime les capitaux des vaisseaux expédiés pour la Chiné au COujpté du roi. On a donc dû lés compter: 7° Pour les deqx vaisseaux armes en course, et les deux qui ont fait la traite des noirs, quoique très essentiels au commerce, ils n’ont pas dû être comptes; 8° Quant aux trois vaisseaux qu’oû prétebd avoir été portés deux fois sur l’état, ce peut être une erreur d'écrivain qui aura altéré des noms, ou porté l un pour l’autre ; mais cette erreur ifrt-elle réelle, elle n’est pas de grande conséquence. D’ailleurs, la compagnie qui a si scrupuleusement examiné l’état fourni par le commerce, aurait bien dû s’apercevoir que, dans cet état même, on avait oublie d’inscrire plusieurs vaisseaux armés par des particuliers. Un seul armateur en répète trois qui ont été omis. Le vaisseau la Mouché qu’il a expédié en 1779; — le Brûbani en 1780 ; — et le Chat nbir en 1782, ce que la compagnie ne pouvait ignorer, puisque les vaisseaux b’ont été expédiés que sur les permissions de l’ancienne compagnie. Les défenseurs du privilège prétendent enfin,. que la somme à laquelle le commerce libre dit avoir porté les ventes, est exagérée, èt ils tirent cette induction des registres ae perception du droit d’induit. En supposant que les registres aient été tenus avec toute l’exactitude désiraple , on ne pourrait rien encore eo conclure contre l'évaluation des ventes du commerce libre. Le droit d’induit se perçoit souvent, non sur le prix de la vente des marchandises, mais sur le prix que le négociant en a refusé. il est facile de concevoir que, pour peu qu’il y ait de connivence entre celui qui offre un prix des marchandises et celui qui le refuse, le droit d’induit n’est acquitté, par ce dernier, que sur la plus basse évaluation, et qu’ensuite il peut vendre les marchandises acquittées à un prix bien plus élevé. Vous voyez, Messieurs, que les retranchements que proposent les défenseurs du privilège sont excessifs, et qu’en les réduisant à leür juste valeur il n’en resuite qu’une différence peu intéressante entre les tableaux présentés et les mêmes tableaux réduits. Il reste à vous parler des îles de France et de Bourbon. Le cinquième article de l’arrêt du conseil du 14 avril 1785 permet à tous Français d'ap-provisionner ces îles; mais ils ne peuvent charger en retour que des productions de ces colonies. L’armateur français, sachant que ces productions ne peuvent lui donner que des retours insuffisants, néglige d’approvisionner les îles, où, s’il le fait, ce n’est qü’a un prix proportionné au risque qu il court que son vaisseau revienne sur son lest, qu à un tiers ou un quart de charge. Les cris des colons réduits à la famine, ou soumis à une cherté excessive, ont déterminé le gouvernement à venir à leur secours. Un arrêt du conseil a permis à toutes les nations étrangères de commercer avec ces deux îles, c’est-à-dire que, pour mettre à l’abri les intérêts delà compagnie, on a livré le commerce, de Ces colo-. nies aux étrangers, et J’ob en â privé les Seuls Français. Tels sont, Messieurs, les principaux moyens qui appuient les deux systèmes qui vous sont proposés. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mar? 1790.] �27 Après un examen scrupuleux de chaque fait et de la valeur de chaque raisonnement et de chaque allégation, votre comité a pensé, Messieurs, que le commerce libre est plus utile à l’Etat, parce qu’il exporte moius d’espèces et plus de marchandises de France, et qu’il encourage notre industrie; parce qu’il vivifie nos ateliers de constructions; parce qu’il détruit le commerce sous pavillon étranger, dont chaque expédition prive l’Ëtat d’environ deux cent mille livres ; parce qu’il met infiniment plus d’économie dans les opérations, parce qu’il peut suivre avec avantage des filons ae bénéfices que néglige (a compagnie;, parce qu’il emploie plus de bras; parce qu’il est obligé de vendre à un prix modéré les marchandises qui alimentent nos manufactures. Plus utile aux fiuances, parce qu il offre de payer le droit d’induit. Plus utile à la marine, parce qu’il forme une plus grande quantité de matelots sur lesquels on peut compter en temps de guerre, parce que ses vaisseaux sont infiniment plus nombreux et aussi forts que ceux de la compagnie. Plus utile aux îles de France et de Bourbon, parce qu’elles seront abondamment approvisionnées à un prix modéré, qu’elles pourront se livrer sans obstacle au commerce de l’Inde et réaliser peut-être le projet de M. La Bourdon nais, en devenant un entrepôt, où les vaisseaux qui ne voudraient pas faire le grand voyage, s’approvisionneraient des marchandises de l’Inde. Votre comité a pensé que toutes ies villes de commerce.et toutes les manufactures ne pouvaient pas errer sur un point qui les concerne aussi essentiellement* et qu’il y aurait de la présomption à prétendre juger plus sainement qu’elles-mêmes de leur propre intérêt. Votre comité a pensé que ce privilège exclusif viole le plus précieux des droits de l’homme, la liberté qui ne doit être restreinte qu’autant que son exercice est évidemment contraire au bien général. En conséquence, il a cru devoir vous proposer la révocation du privilège exclusif; mais avant de vous soumettre un projet de décret, et dans la supposition que vous jugerez convenable de rendre au commerce cette précieuse liberté qu’il réclame, je dois arrêter encore un moment votre attention sur trois objets : 1° le retour des vaisseaux au port de Lorient ; 2° le droit d’induit, 3° les droits et la propriété des actionnaires. Tous les vaisseaux venant de l’Inde doivent faire leurs retours et déchargements au port de Lorient, et y vendre leurs marchandises. Ûnport sûr, d’un accès facile en tous ies temps, un arsenal fourni de tous les objets de nécessité, des magasins superbes St .l’abri du feu, des facilités de débarquement nécessaires à la conservation des marchandises précieuses importées par le commerce, un moyen de concurrence entre les acheteurs et les vendeurs qui établit leurs avantages réciproques et cet équilibre nécessaire à la conservation du commerce, tels sont, Messieurs, les avantages que vous propose un citoyen de Lorient dans les judicieuses observations sur le commerce de l’Inde; nous y ajouterons la facilité de percevoir les droits du fisc, et l’assentiment tacite du commerce. Quand ces motifs ne paraîtraient pas à l’Assemblée nationale aussi décisifs qu’ils ont paru précédemment au gouvernement, il serait au moins utile de laisser subsister l’obligation du retour à Lorient, jusqu’à ce que le commerce des différentes villes qui ont droit de prétendre à jouir dé la liberté dp retour dans leurs ports, ait pris assez de consistance et de vigueur pour établir chez elles cette utile concurrence d’acheteurs et de vendeurs, le plus grand avantage que puisse nous procurer la ville de Lorient. Votre comité croit qu’il est avantageux que les vaisseaux du commerce de l’Inde continuent à faire provisoirement, comme par le passé, leurs retours et leurs ventes à Lorient. Venons au droit d’induit, ce drpit de 5 0/0 des marchandises de l’indeet de la Chine, et de 3 0/0 de celles du crû des îles de France et de Bourbon d’après le prix des ventes à Lorient, était payé par le commerce sous le régime de la libertéj et il offre de le payer encore si pn révoque le privilège exclusif de la compagnie qui en est exempte. Quant à ce que la compagnie appelle les droits et la propriété des actionnaires, elle paraît avoir des prétentions exorbitantes. Cependant, si les obligations de l’Etat envers les actionnaires doivent être proportionnées, comme je n’endoute pas, aux obligations des actionnaires envers l’Etat, une décision du 27 février 1785, décision qui n’a point été rappelée dans l’arrêt du conseil du 15 avril suivant, mais qui est demeurée secrète jusqu’à ce jour, doit rassurer le fisc sur les suites des demandes de la compagnie. Cette décision est conçue en ces termes : « Dans le cas où la compagnie des Indes ne pourrait réussir à prendre avec la compagnie anglaise les arrangements de commerce qu’elle a projetés, Sa Majesté consent et promet de l’indemniser de toutes pertes excédant 10 0/0, sur ses capitaux, que pourraient lui occasionner les diverses expéditions qu’elle ferait dans les deux premières années de son privilège, sur les comptes en règle que son administration en fournira au contrôleur général. Consent aussi Sa Majesté, que, d’après le résultat de sa première expédition, ladite compagnie ait l’option de suivre, pour son compte, et à ses risques, l’exploitation de son privilège, ou de le remettre et de s'en désister. » Ainsi, doncle ministre, non content de combler de privilèges une compagnie à laquelle il sacrifiait un commerce établi depuis quinze ans et déjà florissant, soumettait l’Etat à un régime exclusif, 6ans que la compagnie prîtd?autre engagement envers l’Etat que celui de conserver son privilège, s’il lui était avantageux. Ce défaut de réciprocité n’a pas besoin de commentaire; mais de ce que la compagnie a conservé son privilège, il est facile de conclure qu’elle a reconnu qu’il lui était avantageux de le conserver. Ses écrits d’ailleurs nous annoncent partout des bénéfices, et votre comité a pensé que la compagnie ne devait obtenir d’autre avantage ou indemnité qué l’exemption dti droit d’induit sur les marchandises provenant de son commerce direct de l’Inde, qu’elle importera jusqu’au lor janvier 1792. D’après ces considérations, j’ai l’honneur de soumettre à votre examen un projet de décret conçu en ces termes : L’Assemblée nationale, considérant nue la liberté des mers est le lien des nations, que les entraves mises au commerce individuel he peuvent que rétrécir le génie, gêüèr l’industrie et borner ses opérations; que le système destructeur du monopole rassemblant dans une petite partie du corps politique les principes du mouvement et delà vie. ne laisie dans tout le règle que rengôurdisgémeût, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mars 1790]. 258 [Assemblée nationale.] l’inertie et la langueur, a décrété et décrète ce qui suit : 1° Le privilège exclusif pour le commerce de l’Inde et de la Chine, concédé à une compagnie par les arrêts du conseil des 14 avril 1785 et 27 septembre 1786, est révoqué; 2° Il est libre, de ce moment, à tout citoyen français de commercer dans l’Inde, la Chine et tous autres lieux compris dans le privilège, sans qu’il soit besoin de prendre aucun passeport, ni aucune permission ; en se conformant néanmoins aux ordonnances, édits et déclarations concernant l’amirauté ; 3° Tous les vaisseaux qui feront le commerce de l’Inde, de la Chine et autre pays au delà du cap de Bonne-Espérance, feront provisoirement, comme par le passé, leur retour et désarmement au port de Lorient ; 4° Toutes les marchandises, provenant du commerce ci-dessus, paieront un droit d’induit de 5 0/0 de la valeur de celles de l’Inde et de la Chine, et de 3 0/0 de celles du crû des îles de France et de Bourbon ; 5° La compagnie des Indes sera exempte du droit d’induit sur toutes les marchandises qu’elle a actuellement pour son compte dans les magasins de Lorient, et sur celles également pour son compte, qui composeront ses retours de l’Inde jusqu’au premier janvier 1792. PIÈCES JUSTIFICATIVES. Articles sur lesquels il sera pris des décisions de Sa Majesté. Art. l*r II sera accordé à la nouvelle compagnie des Indes des commissions d’armer en guerre pour la défense de son commerce, et des lettres de marque toutes les fois que le cas le requerra. Art. 2. Pourra ladite compagnie tirer d’où bon lui semblera, même de l’étranger, en exemption de tous droits d’entrée et de sortie, et exporter toutes espèces d’armes, artillerie, ustensiles et munitions de guerre pour son commerce dans l’Inde. Art. 3. La compagnie sera tenue de remettre dans les magasins de la régie des poudres et salpêtre de Sa Majesté, à Lorient, 8Û0,000 net pesant poids de salpêtre du Bengale, chaque année de paix, à commencer dès la première année de ses retours, jusqu’à l’expiration de son privilège, au prix de 10 sols la livre, poids de marc, sous la déduction du trait et de la tare ordinaire des sacs, lesquels lui seront payés en six paiements égaux, de mois en mois, à la caisse générale de la régie à Paris, un sixième comptant, et le reste des billets de la régie, à l'ordre de ladite compagnie, à raison du cinquième par mois. Ladite compagnie ne pourra vendre aucun salpêtre, jusqu’à ce qu’elle ait fourni ladite quantité; mais Sa Majesté renonce à aucun recours contre ladite compagnie, dans le cas où, par quelques événements imprévus et justifiés, elle ne pourrait remettre ladite quantité ; et, en cas