[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1791. J seront appelés à faire le service sur les vaisseaux de l’Etat, paraîtront toujours avilis sous ce titre d’auxiliaires ; qu’on les regardera toujours comme on les regardait sous l’ancien régime, des hommes venus pour le besoin du moment, des hommes n’étant pas faits pour partager les honneurs. Et ne vous a-t-on pas dit qu’il serait humiliant pour des marins de la marine de l’Etat de voir partager leurs grades avec des hommes qui ne sont pas militaires. Pour moi, je ne vois aucun inconvénient dans le système contraire ; j’y vois le résultat nécessaire de la conscription militaire, car tout homme qui est forcé de venir servir sur les vaisseaux de l’Etat doit participer aux grades et aux honneurs qui sont attachés à ce service. Quel inconvénient aperçoit-OD dans Je grade d’enseigne donné à tous les capitaines de commerce, en raison de leurs services, de leur navigation ? il n’y en a aucun; au contraire, ils seront plus attachés à leur état par le grade qu’ils auront reçu, et plus pénétrés de l’obligation d’être utiles à la patrie en servant sur des vaisseaux de commerce, et ne voyant plus à côté d’eux de simples protecteurs dans la marine militaire, mais en y voyant des frères qui les défendent. Ces mots de protecteurs, de protégés, cette différence éternelle entre des hommes qui montent des vaisseaux armés de canons et des hommes qui montent des vaisseaux chargés de marchandises, me paraissent tout à fait contraires aux idées que nous devons avoir maintenant, d’après notre Constitution. Si vous établissiez encore cette ligne de démarcation, vous. verriez des protecteurs ; et à côté des protecteurs il y a toujours des protégés. Eh bien! moi je veux voir des frères d’armes qui servent utilement la patrie. On ne voit dans le projet de votre comité que l’esprit de votre Constitution, que la stricte justice. En adoptant les vues qui lui sont contraires, vous altéreriez la stabilité de vos travaux, par cela seul que les hommes qui composent la marine militaire pourront calculer que vous avez encore un peu ménagé, un peu favorisé les préjugés auxquels ils sont attachés. Et vous aurez, d’un autre côté, découragé cette marine marchande, à commencer depuis le dernier matelot jusqu’au capitaine le plus expérimenté; ils seront obligés de se regarder par votre décret comme les inférieurs de cette marine militaire, tandis qu’ils doivent être leurs égaux, quoiqu’ils servent l’Etat dans diverses fonctions. Je n’allonge pas davantage ma discussion qui ne peut tenir qu’à un ou deux principes, comme l’a dit M. de Ghampagny ; mais à un ou deux principes plus agrandis, plus appopriés au système de notre Constitution, plus conformes à nos principes. C’est à cela d’abord qu'il faut nous attacher, c’est ce qu’il faut décréter. La marine sera composée de tous les marins conscrits dans la marine française, c’est là le principe qu’il faut décréter. Il ne faut pas s’embarrasser dans des questions de détail, puisque la question qu’on vous propose tient à des principes que vous avez cent fois décrétés, et qu’il ne faut pas laisser fléchir. Décrétons ce premier point ; et péuétrons-nous de l’idée qu’il faut détruire les préjugés, les attaquer partout où nous les trouvons pour nous rallier a ces principes, pour établir notre constitution sur les mêmes bases, surtout pour suivre les règles de la justice. Je demande donc la priorité pour le projet du comité et je propose à l’Assemblée de commencer par établir comme principe fondamental que les 115 citoyens soumis à la conscription maritime seront compris dans la marine française. Cette maxime une fois fixée, on en pourra tirer toutes les conséquences. M. Malouet. Si l’on met aux voix la priorité et qu’elle soit accordée au projet du comité, la discussion sera nécessairement ouverte de nouveau. (Murmures.) M. le Président. Je mets aux voix l’article 1er ( Murmures ) ..... Je mets aux voix cet article parce que M. de Ghampagny lui-même l’a adopté. M. de Champagny. Je ne m’oppose point à ce que l’article 1er soit mis aux voix, quelles que soient les conséquences qu’on en puisse déduire ensuite. Si j’ai dit qu’il était insignifiant, c’est que j’ai trouvé cejugement conforme à la vérité; mais je l’expliquerai dans un second article que je me propose de présenter quand le premier sera adopté. M. Coynes de Ca Condray. A présent! à présent! M. le Président. Je mets aux voix l’article 1er. II est ainsi conçu : « Art. 1er. La marine française sera composée de tous les citoyens soumis à la conscription maritime. » (Adopté.) M. de Champagny. Je prends la liberté d’observer à l’Assemblée nationale que l’organisation de la marine qu’elle va décréter doit embrasser l’avenir comme le présent, et qu’il faut qu’elle craigne de s’y déterminer par des préventions que le moment aurait fait naître. M.Le Chapelier m’a paru aussi croire que j’avais mis des préventions à la place des principes. De ceux que j’ai établis résulte seulement la nécessité d’avoir un corps d’officiers de tout grade; car il n’y a pas de grade pour lequel on puisse faire une .exception ; aucun n’est indifférent à la chose publique. C’est en conséquence que je propose de faire suivre l’article que vous venez de décréter de la disposition suivante. Remarquez que je ne me sers pas du mot militaire parce que je ne veux pas de prétentions abusives. Voici cette disposition : « L’Etat entretiendra un corps d’officiers de mer de tous les grades spécialement destinés à son service. » Cet article est absolument nécessaire pour conserver une marine à la France et je crains que l’on ne puisse conclure du projet de décret du comité que tous les marins seront appelés indistinctement à tous les grades. M. Le Chapelier. Je demande qu’on ne délibère pas sur la disposition qui vous est soumise, et voici ma raison. Ou elle préjuge le système de M. de Champagny, qu’il ne faut pas préjuger; ou elle est parfaitement inutile ; car si M. de Ghampagny veut dire qu’on n’admettra aux grades que ceux qui sont entretenus, il préjuge son système et détruit celui du comité. Il y aura, dit M. de Champagny, un corps d’officiers de mer de tous les grades. Il faut tirer de là la conclusion qu’un officier de navire marchand ne pourra point avoir de grade ou de qualité, sans être entretenu par l’Etat, et alors il [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1791.] m faut éloigner, par ce seul décret, le projet du comité pour lequel je réclame la priorité. Je demande donc l’ordre du jour sur la proposition qui vient de vous être faite. M. de Crillon, le jeune. La proposition de M. de Champagny contient un fait incontestable et, tant que la France aura un commerce et des colonies, il faudra qu’elle entretienne une marine. M. de Broglie. L’incertitude dans laquelle on paraît demeurer résulte uniquement de ce que la question n’est pas bien posée. S’il était question de savoir s’il y aura indéfiniment une classe de citoyens destinée au commerce et une autre destinée à la marine militaire, sans doute tout le monde devrait être d’avis du rejet de l’article, mais il ne s’agit pas de cela ici. Dès l’instant que vous êtes tous convenus qu’il faut une marine militaire, qu’il faïut un corps pour bien servir l’Etat, il ne s'agit que d’éviter qu’on établisse une proscription pour les uns ou pour les autres. Or je ne vois aucune trace de proscription dans l’article de M. de Champagny. Je demande donc qu’il soit mis aux voix. M. d’André. L’article proposé par M. de Champagny limite le nombre des aspirants et exclut du service un grand nombre de sujets; et en cela il diffère avec le plan du comité. Or je crois que cette question est prématurée et que ce n’est ni le moment de la discuter, ni celui de la résoudre. Cette question devra être traitée quand vous examinerez le mode d’admission; mais, comme la discussion ne porte pas actuellement sur ce point, et que l’article de M. de Champagny semble le préjuger, je demande non pas la question préalable, car je pourrais bien être de son avis, mais que l’on passe à l’ordre du jour, sauf à le discuter ultérieurement à sa place. M. de Champagny . Il y a beaucoup d’erreurs de fait dans ce que vient de dire le préopinant; il n’a pas saisi mon système. L’article que je propose ne préjuge rien ; il ne s’agit pas de limiter le nombre des aspirants parce que les aspirants ne sont pas officiers. Vous venez de décréter que tous les citoyens soumis à la conscription maritime sont compris dans la marine française. Cette expression est vague, les emploierez-vous tous? Non sans doute. Il faut donc exprimer, comme je le dis dans mon article, qu’il sera choisi dans la masse totale de la marine française un corps d’officiers de mer de tous les grades, spécialement voués au service de l'Etat. Il me paraît important de déterminer d'abord cette conséquence, qui peut d’ailleurs s’attacher à tous les projets. M. De fer mon. Outre que l’article proposé préjuge la question de savoir s’il n’y aura à avoir des grades que les officiers entretenus, je vous observe, Messieurs, qu’en disant que l’Etat entretiendra des officiers de tout grade, on vous ferait revenir indirectement contre un de vos décrets. Car vous avez dit, dans le décret de la conscription, que les marins seraient appelés au service ublic, chacun dans le grade qu'il aurait acquis. ous avez donc reconnu que chaque marin, appelé au service public, pouvait dire : « J’ai tel grade, et l’on doit m’appeler à tel service. » Vous ne pouvez revenir sur ce décret et je demande à passer aux .articles du comité. M. de IVoailles. Je sais très bien que la marine militaire, comme une foule de corporations, s’est rendue souvent désagréable aux personnes de l’Etat; mais je vous prie d’observer que ces torts de quelques individus n’empêchent pas d’apercevoir l’utilité entière dont est et dont sera la marine militaire. Voyez tous les Etats maritimes de l’Europe; voyez s’il y en a un seul qui ose prononcer dans ce moment la destruction de ses forces navales. (Murmures.) Il est impossible de ne pas admettre la proposition de M. de Champagny, à moins que vous ne vouliez vous exposer à perdre vos possessions lointaines. Je demande donc que son article soit décrété. M. lie Chapelier. Il faudrait nous supposer bien peu de raison pour croire que nous proposons que tous les officiers de la marine française feront tour à tour le service militaire et le service du commerce. Il est clair par les articles 36 et 37 qui portent, l’un, que les places d’enseignes entretenus seront données aux maîtres entretenus ; l’autre, que les lieutenants seront entretenus et particulièrement voués au service de l’Etat ; il est clair, dis-je, que nous voulons une marine entretenue. L’article de M. de Champagny est dangereux s’il tend à conserver l’ancienne ligne de démarcation entre la marine marchande et la marine militaire. On dit que c’est ici la place de cet article ; mais à quelque époque que vous le décrétiez, vous le placerez où il doit être, quand vous connaîtrez bien de quels mots il faut se servir pour déterminer le système que vous aurez adopté. Il est nécessaire de renvoyer cet article, pour qu’après vous avoir fait décréter qu’il y aura un corps de marine entretenu, on ne . vous dise pas que la ligne de démarcation est préjugée. M. Loynes de La Condray. II y a là une subtilité dont il faut prévenir l’Assemblée. Le comité veut bien des officiers entretenus, mais il faudra qu’ils soient lieutenants, et qu’ils aient au moins 30 ans. Le plan du comité est donc de n’entretenir que très tard, et cependant il est important d’entretenir de très bonne heure. Il est indispensable de placer l’article proposé par M. de Champagny immédiatement après l’article 1er que vous avez déjà décrété. M. Le Chapelier. Si l’article que propose M. de Champagny ne veut rien dire, il est inutile de s’en occuper ; s’il veut dire quelque chose, il sera toujours temps de le placer. Cet article sera renvoyé au moment opportun en passant à l’ordre du jour. (L’Assemblée décrète l’ordre du jour sur la proposition de M. de Champagny.) Plusieurs membres demandent la priorité pour le plan du comité. M. Halouet. En décrétant de passer à l’ordre du jour, vous n’avez pas déterminé votre ordre de travail. On demande la priorité pour le plan du comité qui est attaqué depuis trois jours sans qu’on l’ait défendu : 40 des articles qu’il contient portent sur des détails qui sont admissibles dans tous les projets ; mais il en renferme 9 qui en forment les bases principales et qui ne pourront jamais être admis. Comment demande-t-on la priorité pour un pareil plan ! Nous nous retrouvons à la difficulté dont l’article de M. de Champagny donne la solution. Si vous ne prononcez