[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.] 507 nances, et qu’il est nécessaire de renvoyer la rédaction aux comités militaire et de la marine. (Cette proposition est adoptée.) M. de Moailles. Vous avez rendu un décret concernant les dragons du régiment de Lorraine, qui avaient cassé plusieurs de leurs officiers. Ils vous avaient adressé une lettre conçue en ces termes : « Si les dragons du régiment de Lorraine ont commis une erreur dans leur conduite, ils osent vous faire observer que vous voudrez bien n’y trouver qu’un excès de zèle. Pénétrés des sentiments que l’honneur leur a toujours inspirés, ils sont tous résignés à suivre vos intentions, et ils attendent avec patience les ordres que vous voudrez bien leur prescrire pour l’avantage de la nation, de la loi et du roi; leur dévouement est sans bornes. » Aussitôt que votre décret est parvenu aux dragons de Lorraine, ils ont rappelé et reçu leurs officiers de la manière la plus satisfaisante. J’ai l’honneur de présenter le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que M. le président écrira au régiment de Lorraine, que l’Assemblée nationale voit avec plaisir qu’il a reconnu son erreur; qu’elle rappelle ce régiment à la subordination qu’il doit à ses chefs ; que son zèle pour le service lui assurera la bienveillance de la nation, comme il en a toujours mérité l’estime. » (Ce projet de décret est adopté.) M. d’Estourmel. Je dois vous apprendre que j’ai reçu de M. de La Force une lettre datée de Bagnères, le 13 juin : elle constate que M. de La Force était à Bordeaux lors des troubles de Montauban. Des certificats authentiques constatent également que Mmes de La Force n’ont point assisté, comme on l’a dit, à une messe du Saint-Esprit le jour où ces troubles ont éclaté. M. Bouche expose que, depuis le mois de janvier, cinquante-six décrets importants ne sont pas encore sanctionnés ; il se plaint avec chaleur de cette lenteur et de cette inexactitude. Plusieurs membres demandent que M. Bouche soit adjoint aux commissaires chargés de suivre l’acceptation et la sanction des décrets. Cette proposition est sur-le-champ décrétée. M. de Delley. Messieurs, la perception du droit de contrôle, du droit d’insinuation, formant un revenu de près de 14 millions, se percevait pour la moitié à peu près, d’après les qualités. Vous avez anéanti toutes celles de la ci-devant noblesse. Il est donc impossible aux percepteurs de retenir tous les droits imposés sur les actes, à raison de ces qualités. Le Trésor public va subir une perte proportionnée aux délais que vous apporterez à fixer un mode de remplacement. Je fais donc la motion que le comité des domaines soit chargé de faire, sous huit jours, un rapport des moyens à employer pour prévenir ce nouveau déficit dans les revenus nationaux. M. de La Rochefoucauld, député de Paris. Je crois que cet objet n’est pas du ressort du comité des domaines, mais bien de celui d’impositions. M. 'Vieillard (de Reims) pense que la création d’un nouveau comité serait convenable. 1 M. de Lia Rochefoucauld. Le travail du comité dont on demande la formation entrerait dans le système de la contribution publique que le comité d’impositions soumettra incessamment au jugement de l’Assemblée. Il me semble que, provisoirement du moins, la motion de M. de Delley doit être renvoyée au comité d’impositions seul, ou aux comités réunis d’impositions et des finances. M. Lucas. Il me semble que le comité des domaines ne doit pas rester étranger à cette affaire. (L’Assemblée ordonne le renvoi de la motion aux trois comités des domaines, finances et impositions.) M. l’abbé Dubois, député de Troyes, demande un congé. M. François d’Fscars, député de Chatelle - rault , réitère sa précédente demande de congé. M. Lucas. Je renouvelle l’observation que j’ai déjà faite, qu’il est impossible d’accorder des congés sans en connaître les motifs. M. Ricard (de Toulon). Je supplie M. Dubois et M. François d’Escars de ne pas prendre pour leur compte ce que j’ai à dire sur ces congés un peu trop multipliés, et qui jettent l’épouvante dans mon âme... Je n’ai pas l’honneur de connaître ces honorables membres; je crois qu’ils sont incapables d’abuser de leurs congés, et j’en fais la profession avec la plus grande sincérité... mais je crois qu’il doit m’être permis, à moi, à qui on a interdit la parole lorsque j’ai voulu parler hier contre l’inviolabilité des membres de cette Assemblée hors le département de Paris, de vous présenter, en peu de mots, les considérations qui me déterminent à m’opposer aujourd’hui aux congés. Je vous demande si un représentant de la nation peut quitter son poste, s’enfoncer dans les provinces, y jeter la division et le trouble, se mettre à la tête d’un parti, y commettre des délits tant privés que publics, rester inviolable et fouler aux pieds toutes les lois, sur l’absurde fondement qu’il est député à l’Assemblée nationale? C’est cependant ce que vous avez décrété hier en termes formels, et c’est ce qui est cause que je demande qu’il ne soit accordé de congé, sous aucun prétexte, d’ici au 14 juillet; et je le demande pour l’intérêt de ceux qui pourraient être soupçonnés, comme pour l’intérêt de ceux qui pourraient devenir coupables. Je le demande, en rappelant votre situation actuelle, en vous disant de faire le recensement des ennemis que vous avez rendus inviolables, et qui peuvent être répandus dans les diverses provinces de l’Empire, en vous observant que la journée du 14 vous amènera quatre cent mille étrangers dans les murs de Paris... que plus d’un million d’hommes seront rassemblés pour cette cérémonie, que vous avez de quoi trembler des suites que pourraient produire les seules idées, vraies ou fausses, que nos ennemis enrôlent de mauvais citoyens. Ne calculons pas notre situation personnelle ; dans la position où nous sommes, tous les bons citoyens savent que la Constitution se terminera, ou que nous y périrons; mais songeons que les habitants de Paris sont nos coopérateurs et nos frères, et que par notre imprudence nous ne devons pas compromettre le sort d’une ville immense, qui nous apporte tant de secours et nous donne tant de consolations. Je persiste à demander qu’on mette 508 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.] aux voix qu’il ne sera accordé aucun congé d’ici au 14 juillet, et que le décret rendu hier, abstraction faite de l’affaire de M. de Lautrec, pour laquelle il a été rendu, ne sera exécutoire que dans l’étendue du département où l’Assemblée nationale tiendra ses séances... M. d’Ambly. Je juge de la façon de penser des autres par la mienne ; et cependant je pense bien autrement que le préopinant. Je ne crois pas qu’il y ait parmi nous des hommes capables de s’en aller chez eux pour y causer du désordre. Nous avons tous fait un serment, et il n’est pas un de nous qui soit capable de ne le pas tenir. Qu'est-ce que ces craintes pusillanimes qu’on présente sans cesse? Quels sont nos ennemis? Où sont-ils? Je ne les crains point... Ceux qui demandent des congés ne les demandent que pour pouvoir se trouver ici au 14. J’aurais toutes les affaires du monde, que, d’après ce qui vient d’être dit, je ne partirais pas, parce qu’il n’y a point de péril. Le sentiment de la frayeur ne me convient pas... {Il s'élève un peu de murmures ). Je vois que vous ayez la même tranquillité que moi : en conséquence, je demande la question préalable. M. François d’Fscars. Je ne croyais pas que ma demandé pourrait former la matière d’une délibération; je ne m’éloigne que parce que d’Escars, grosse de sept mois et indisposée, m’appelle auprès d’elle. Je ne vais d’ailleurs qu’à vingt-cinq lieues d’ici, et ce n’est que par égard pour l’Assemblée que j’ai demandé un congé dont je savais bien pouvoir me passer. Si l’on imprimait sur le caractère de représentant de la nation le caractère de l’esclavage, je déclare que je supplierais l’Assemblée d’accepter dans l’instant ma démission. (L’Assemblée décide de passera l’ordre du jour.) M. Goupil de Préfeln, rapporteur du comité des pensions , présente un projet de décret en le faisant précéder des considérations suivantes (1) : Il est nécessaire de définir le sort des pensionnaires dont les émoluments, dons ou gratifications ont été provisoirement réduits à 3,000 livres pour tous les citoyens et à 12,000 livres pour les vieillards, jusqu’au 1er janvier 1790 et à partir de cette époque ont tous été suspendus. Une bonne constitution et une bonne administration des finances doivent être inséparables, parce qu’elles se soutiennent l’une l’autre; il faut donc veiller sur nos finances aussi attentivement que sur la Constitution. Le décret du 4 janvier dernier a deux parties: la réduction d’abord; la suspension ensuite. Il faut statuer définitivement aujourd’hui sur l’un et l’autre objet. Les lois ne peuvent avoir d’effet rétroactif; et par conséquent, en réduisant, on n’a pas pu vouloir réduire irrévocablement. Toutes les rentes, dons, gratifications annuelles, échues avant le 1er janvier 1790, seront payées en leur entier ; mais à compter de cette époque, toutes seront suspendues, même pour l’échéance, jusqu’à ce qu’il ait été fait à l’Assemblée un rapport général. Le comité sollicite quelques exceptions au nom de l’humanité et de la piété : (1) Le Moniteur n’a pas donné cette partie de la séanc©. Pour les pensions accordées aux jésuites qui se montaient à 206,000 livres ; Pour les pensions sur les économats, attribuées aux nouveaux convertis, montantîà la somme de 104,350 livres distribuées en 907 parties ; Pour celles aussi sur les économats, attribuées aux employés de la Régie, au nombre de onze, en réduisant la quote-part à 1,000 livres ; Pour celles attribuées en aumônes aux pauvres. Des familles ruinées par le système de Law ont demandé l’assistance du gouvernement et ont obtenu ces pensions ; Enfin pour celles provenant d’un don patriotique du clergé, de la somme de un million que le le roi a pris sur sa tête et qu’il distribue en une rente viagère de 120,000 livres aux 240 plus malheureux, choisis entre les veuves et enfants des matelots. M. d’Fstourmel. Je demande que l’exception soit étendue aux septuagénaires qui eux n’ont pas le temps d’attendre. (Cette motion est ajournée.) M. Camus. On pourrait, dès à présent, décréter l’exception pour les octogénaires ou bien, si l’Assemblée l’aime mieux, renvoyer la discussion sur cet objet à vendredi prochain. (L’ajournement à vendredi est prononcé.) Le projet de décret du comité des pensions est ensuite mis aux voix et adopté ainsi qu’il suit : L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des pensions, décrète ce qui suit : « Art. 1er. Tous les pensionnaires, sans exception, sur quelque caisse que leur payement ait été originairement assigné, toucheront les arrérages de leurs pensions, échus, soit pour année entière, soit pour portion d’année, jusqu’au 31 décembre 1789, et le payement leur en sera fait sans retard ni discontinuation, sous les retenues établies par les règlements. « Art. 2. La suspension ordonnée par l’article 2 du décret des 4 et 5 janvier dernier, sanctionné par le roi le 14 du même mois, du payement de toutes pensions, traitements conservés, dons et gratifications annuelles, est prorogée jusqu’à ce que par l’Assemblée nationale, en statuant sur le rapport qui lui sera fait incessamment par son comité des pensions, il en ait été autrement ordonné. « Art. 3. Les pensions accordées aux familles d’Assas, de Chambors, et au sieur colonel Lukner ainsi que les pensions de 600 liv. et au-dessous, sont exceptées de cette prorogation, et seront payées à leur échéance pour les six premiers mois de l’année 1790. « Art. 4. Sont pareillement exceptées les pensions assignées sur les économats aux ci-devant jésuites, aux nouveaux convertis, et aux anciens employés à la régie des économats, au nombre de onze; lesquelles seront payées, savoir : celles des ci-devant jésuites et celles des nouveaux convertis, en leur entier; et celles des anciens employés, pour les six premiers mois de l’année 1790, et jusqu’à la concurrence seulement de 1,000 livres ; pour l’année entière, à l’égard de celles qui excèdent ladite somme de 1 ,000 liv. «Art. 5. Continueront aussi d’être acquittées les aumônes ordinaires distribuées sur les fonds des économats, ainsi que les pensions alimentaires qui se payent à des religieuses dont les maisons ont été supprimées, sur les fonds destinés au soulagement des communautés religieuses.