682 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. r\ toujours chère et recommandable à tous les Français. Telles sont, citoyens, les mesures que j’ai cru instantes d’arrêter, et sur lesquelles je vous prie de délibérer. Signé J.-J.-L. Durand, député de Montpellier au comité central et président dudit comité. (A Montpellier, de l’imprimerie de J.-F. Tournel père et fils, imprimeurs de la Société populaire, rue de l’Aiguillerie, n° 43. 1793, l’an II de la République française.) VI. Eapport du comité central de Montpellier, aux assemblées primaires, par J.-J.-L. Durand, maire (1). Séance générale du 20 juin 1793, l’an II de la République une et indivisible. Frères et amis, Vos commissaires viennent à vous, non pour vous peindre les maux de la patrie, vous vous en êtes pénétrés; non pour vous dire quelles mesures ces maux sollicitent, votre civisme se suffit à lui-même; ils viennent vous parler des principes, des sentiments qui se manifestent partout, qui partout sont dignes des circons¬ tances puisqu’ils sont conformes aux vôtres. Le peuple tout entier est levé; la pression du crime a produit l’élasticité de la vertu. Douleur profonde sur les maux de la Répu¬ blique, indignation vertueuse contre ses auteurs ; courage inébranlable pour détruire l’effet et les causes; tels sont les mouvements qui agitent, qui remplissent toutes les âmes. L’union des sentiments doit-elle nous sur¬ prendre. Elle est fondée sur la conformité des principes; partout l’on sent et l’on pense de même. Le peuple français veut la République, le maintien de ses droits, l’affermissement de la liberté, de l’égalité; à la nature qui lui en inspi¬ rait le besoin, s’est jointe l’instruction qui lui en démontre les avantages; le despotisme était haï, il est apprécié (sic) ; la liberté était désirée, elle est sentie; et le pacte républicain, familier à tous les esprits, cher à tous les cœurs, n’a plus besoin que d’être proclamé. Mais le peuple, qui aime la République, veut des lois qui lui en garantissent la durée; mais le peuple, qui estime la République, veut des lois qui justifient son estime en élevant ses senti¬ ments, faisant germer les vertus; mais le peuple qui attend son bonheur de la République, veut des lois qui raniment l’industrie, honorent les arts, fécondent les talents, et au lieu de tarir les sources de la prospérité, les multiplient les fassent jaillir de tous les points du territoire. Eclairé par l’expérience, par le malheur, sorti de l’ivresse du triomphe et cherchant à conserver par la sagesse les droits qu’il a conquis par la force, le peuple se demande à lui-même : « Qu’ai-je fait? Que me reste-t-il à faire? et J’ai secoué le joug de la servitude; je dois conserver ma liberté. (1) Archives nationales, carton W 309, dos¬ sier 405 bis. « En quoi consistait ma servitude? « J’avais un maître qui disposait de ma per¬ sonne, de mon bien ; ses courtisans faisaient la loi ses courtisans l’exécutaient; administrations tribunaux, fortune, force publique, tout était entre leurs mains; on songeait à moi quand il fallait contribuer ou se battre pour des tracas¬ series de cour; mon champ était couvert de taxes, ma personne de mépris; les qualités de no¬ ble, de prêtre, de magistrat étaient tout; la qualité d’homme n’était rien. « Grâce à la liberté, je jouis de mes droits et suis armé pour leur défense; je délibère sur mes intérêts, tant nationaux que de commune; mes délégués font la loi; mes délégués l’exécu¬ tent; non seulement je les nomme, mais encore ils me rendent compte et je juge leur conduite. « La loi faite et exécutée par mes mandataires responsables, opérera peu à peu mon bonheur. « Mon bonheur consiste dans l’instruction, l’aisance et l’estime publiques. « L’instruction, qui élève la raison autant que la raison élève l’homme, l’instruction devien¬ dra générale; à côté de chaque famille, les enfants de la République, tous égaux à ses yeux, apprendront leurs droits et les moyens de les exercer; leurs devoirs et les vertus qui les font bien remplir ; enfin les connaissances nécessaires, soit pour prendre part aux affaires publiques soit pour gérer ses propres affaires. « L’aisance deviendra générale par l’encou¬ ragement de l’industrie, au lieu du dédain qui y était attaché; par l’augmentation des salaires et une proportion plus juste entre le travail des uns et le produit des autres ; par une répartition des charges publiques, telle qu,e le pauvre en soit exempt, que le citoyen peu aisé y con¬ tribue peu et que leur poids retombe sur les fortunes capables de le supporter; l’aisance de¬ viendra générale par l’égalité de partage entre les enfants, par des restrictions au droit de tester entre collatéraux, enfin par l’abolition des substitutions. « Quant à l’estime publique, dont le charme est si doux, que sans elle on ne peut vivre; dont le pouvoir est si grand, qu’il suffit d’en être honoré pour s’en rendre digne; elle sera le patrimoine de tous; tout citoyen qui aura bien servi ses sem¬ blables, chéri et considéré par eux, sera par eux élevé à toutes les fonctions ; l’homme reprendra sa dignité; une douce confiance brûlera sur son front, paraîtra jusque dans sa démarche; il aura ce maintien aisé et naturel qui embellit l’homme libre, au lieu de l’air contraint et gauche qu’im¬ prime la servitude. « Telle est, dit le peuple, la liberté que j’ai conquise. « Pour la conserver que dois-je faire? Je dois détruire tous les obstacles qui la combattent. « Ces obstacles sont la guerre étrangère et les révoltes intérieures. « La guerre étrangère ne pourrait devenir à craindre que par les révoltes de l’intérieur. « Celles-ci ne sont considérables que lorsque le peuple s’y laisse entraîner, et ce malheur ne lui arrive que quand il est profondément mécon¬ tent. « Ceux qui mécontentent le peuple sont donc mes plus cruels ennemis? « Or, quels sont ceux qui mécontentent le peuple? il est juste, bon, vertueux; on le mécon¬ tente par l’injustice, la cruauté, l’oubli de tout principe, de toute morale; on le mécontente en affligeant sans cesse ses regards, ses oreilles, [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j “ �ntfermî 683 par l’image, les maximes du vice et de la bar¬ barie; et si l’on abjurait à ses yeux la qualité d’homme pour revêtir le caractère des tigres ! « Le salut de la Eépublique, le triomphe de la liberté, de l’égalité, l’isolement et l’impuis¬ sance des traîtres qui égarent le peuple, sont attachés au retour de l’ordre, au règne de la loi, au respect des personnes et des propriétés. « Une constitution républicaine fondée sur ces principes, peut seule produire cet effet. « Il faut donc hâter cette constitution. « Mais le peuple, pour recevoir avec respect, avec confiance cet évangile politique, a besoin d’estimer ceux qui le lui offriront. « Et un cri unanime s’élève contre la Conven¬ tion ! et ceux qui la dominent sont odieux au peuple par leurs actions, lui sont suspects par leurs principes; le peuple craint jusqu’à leurs présents; cette même Constitution qu’ils lui offrent aujourd’hui par politique (pièce de position, dit Danton), üs la lui refusaient naguère par système. « La Convention actuelle ne peut donc faire la Constitution. « Il est donc aussi pressant de l’épurer ou de la renouveler qu’il est pressant d’avoir cette Constitution qu’elle ne peut faire. » Tels sont les principes, tel est le langage de tous les Français. Quant aux mesures qui se prennent ou se disposent partout, il en est de provisoires, il en est de définitives. Délivrance des détenus, punition des conjurés, rejet du tribunal révolutionnaire de Paris, res¬ ponsabilité de la Convention et dudit tribunal, telles sont les mesures provisoires. Vous aussi, vous les avez prisés; vos envoyés à Paris sont chargés de les notifier, et ils feront leur devoir. Formation des assemblées primaires, réunion de leurs députés dans le centre du département, et députation de tous les comités départemen¬ taux dans le centre de la Eépublique. Scrutin épuratoire des corps administratifs et judiciaires. Déclaration individuelle de ceux qui les com¬ posent. Eenouvellement ou épurement de la Conven¬ tion. Envoi d’une force départementale. Enfin, méconnaissance de tous les décrets de¬ puis le 31 mai. Telles sont les mesures définitives adoptées ou proposées par beaucoup de départements. Toutes sont légitimes, puisque l’insurrection qui les provoque est générale; puisque cette in¬ surrection a pour objet de défendre les opprimés contre les oppresseurs, et de repousser la plus dure des tyrannies; la tyrannie du crime. Quant à leur convenance nous allons la discu¬ ter. Pour agir avec force, les cantons, les départe¬ ments devaient s’assembler; pour agir avec unité, ils ont besoin d’un centre de concertation et d’action dans le sein de la Eépublique. Coali¬ tion sainte ! Coalition heureuse ! qui va réchauf¬ fer le patriotisme et rendre à la révolution cette grandeur, ces charmes que des scélérats vou¬ laient lui ôter; en vain ils s’efforcent de l’empê¬ cher, de la décrier; elle est l’ouvrage du peuple, elle est donc insurmontable, elle est donc légi¬ time. Le scrutin épuratoire des administrateurs des magistrats, est une précaution sage pour le moment, une leçon utile pour l’avenir. Si leur déclaration individuelle paraît con¬ forme à la loi de Solon qui déclarait traître à la patrie quiconque ne se prononcerait pas dans les moments de trouble, elle, paraît aussi contraire à la liberté, peut-être à la prudence, puisque c’est par leurs actions et non par leurs écrits qu’il faut juger les hommes, et qu’ici le temps passé témoigne pom' l’avenir. La force départementale doit bien être orga¬ nisée, mais non encore envoyée. La force doit appuyer la raison, jamais la pré¬ venir. Elle a toujours du danger dans les temps de troubles (sic). Notre défense extérieure pourrait en souffrir. La force du peuple n’est-elle pas dans sa volonté? Qu’il s’assemble, délibère, prenne une détermination; qui lui résistera? Paris! il brûle de se rallier à nous; il soulève vers nous ses yeux mouillés de pleurs, ses mains chargées de fers. Les conjurés qui l’oppriment? Us sont trop criminels pour n’être pas des lâches; la Conven¬ tion? Sa majorité est faible mais vertueuse; elle a consenti sa honte et une grande injustice; mais pour éviter les nouveaux massacres que les septembriseurs avaient organisés; mais sans doute aussi pour décider les départements. Pardonnons à la Convention; la voix de son avilissement, de son oppression, a été entendue; elle a été le canon d’alarme pour les républicains. Epurement ou renouvellement de la Conven¬ tion; le premier parti serait le plus juste, le second sera plus prompt ; courons à l’urgence, la justice viendra bientôt; la justice commencera avec les réélections ; et, quant à Paris, s’il renou¬ velle ses horribles députés : 1° loin de Paris et des brigands, qu’ils y payent avec notre sang, nos sueurs, ils seraient peu à craindre; 2° De deux choses l’une, ou Paris sera libre et alors il choisira bien ; ou Paris aura été forcé et alors l’opinion publique se fera entendre. Eeste la méconnaissance des décrets depuis le 31 mai; à cet égard, il faut distinguer les décrets nécessaires à la marche du gouvernement et l’acte constitutionnel. La Convention doit être maintenue provisoi¬ rement comme pouvoir législatif. Quant à l’acte constitutionnel, nous devons la déchoir du mandat, de l’honneur de la pré¬ senter au peuple. Notre liberté serait assurée par ceux qui l’oppriment ! nos droits par ceux qui les violent ! notre souveraineté par ceux qui l’usurpent ! Non, le contrat auguste qui doit nous rendre bons et heureux, sous lequel nous devons vivre en hommes libres, en hommes justes, ne sera paa l’ouvrage de ces vizirs immoraux qui ne connais¬ sent ni liberté ni vertu. Us sont avilis, ils ne peuvent nous régénérer; ils sont tyrans ou esclaves, ils ne peuvent nous affranchir; ils ont outragé le peuple, ils ne peuvent pas le sau¬ ver; souvenons-nous, citoyens, de l’aréopage d’Athènes; un homme pervers proposa une loi sage; l’aréopage, pensant qu’une bonne loi, le plus beau présent que le ciel fasse à la terre, ne devait sortir que d’une bouche pure, charge un bon citoyen de faire la proposition. Imitons cet exemple ; que le peuple renouvelle ou épure sa Convention ; qu’il la place provisoi¬ rement hors de Paris, ou l’y entoure d’une force imposante; les brigands disparaîtront et la liberté renaîtra. 684 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J iy! î“u"fep “ai En un mot, nous avons deux objets : rétablir et venger la souveraineté du peuple; nous avons deux moyens : réintégrer la Convention dans Paris, ou en former ailleurs une nouvelle. Le premier parti exige un combat. Il faut attaquer la faction dans son camp, au milieu de sa puissance, de son or, de ses brigands. La vic¬ toire n’est pas douteuse, mais elle sera ensan¬ glantée; comme au 10 août, la tyrannie expirera, mais sur le corps de nos frères; les conjurés d’ailleurs ne seraient pas punis; leurs chefs, en¬ core dans la Convention, empêcheraient tout jugement, comme au 2 septembre, comme au 10 mars, et les bons députés même s’y prête¬ raient; se croyant parties (sic), ils voudraient être généreux. Le renouvellement soudain de la Convention et son placement provisoire hors de Paris, assure sans combat la souveraineté du peuple et sa vengeance. A Montpellier, de l’Imprimerie de J.-F. Tour-nel, père et fils, 1793, l’an II de la République. Ne varietur, à Paris, 7 nivôse, l’an II de la République une et indivisible. Voullani) ; Dubarran; Durand. VII. Précis de ma défense (1). On soupçonne mes sentiments, on m’accuse de fédéralisme, on dit que j’ai fait désarmer des patriotes pour armer des aristocrates ; enfin l’on dit que j’ai tenu six mois en prison un sans-culotte pour m’avoir traité d’aristo¬ crate. Mes sentiments. Je suis patriote depuis le premier joui-de la révolution, un des fondateurs du club et la garde nationale (sic); membre de la com¬ mune insurgeante qui, en 1789, chassa les an¬ ciens consuls, maire ensuite et renouvelé trois fois depuis cette époque. Aucune loi que je n’aie développée et fait aimer au peuple, soit de vive voix soit par écrit; aucun sacrifice que je n’aie fait; toujours donner et jamais recevoir, telle a été ma vie pendant quatre ans d’une magistrature aussi chère que gratuite. J’ai offert vingt-cinq mille francs à la République, vingt mille aux femmes de nos volontaires et toutes mes récoltes ont été remises au comité des subsistances, au prix le plus modéré, pour être distribuées au peuple; enfin aucun danger que je n’aie couru pour éviter au peuple des excès, dont il devient l’instrument et souvent la victime sans en être l’auteur, surtout dans le Midi; j’ai toujours couru aux insurrections sans armes et avec la seule force de la loi, de l’humanité et des bien¬ faits de la révolution que je faisais sentir. Jamais la loi martiale ne fut proclamée, aussi ai-je été blessé trois fois. La première fois par les femmes, à coups de pierres, lorsque j’installai les nouveaux curés; la deuxième fois d’un coup de sabre à la main lorsque je me (1) Archives nationales, carton W 309, dos¬ sier 405 bis. précipitai entre deux bataillons qui en venaient aux prises, et la troisième fois d’un coup de sabre dans le bas ventre lors des derniers recrute¬ ments; ce coup qui me renversa m’a laissé une hernie avec rétention d’urine, dont je souf¬ frirai toute ma vie. Mon patriotisme, prouvé par une foule d’é¬ crits, de sacrifices et de blessures, l’est aussi par les suffrages constants et unanimes de mes concitoyens. En 1791, les aristocrates s’étaient coalisés pour nommer un maire de leur parti; les patriotes prennent les armes, ils ont l’avan¬ tage et me confirment à l’unanimité. En ce moment encore, mon malheur n’a pu altérer leur confiance, la société populaire régénérée et l’ administration nouvelle ont répondu de mes intentions; il n’est aucun commissaire de la Convention, venu à Montpellier, qui n’ait été témoin de mon zèle, de mes efforts et de la confiance générale qui en était le prix. Mais, disent mes ennemis, j’aimais la Cons¬ titution de 1790. Je la maintenais, l’exécutais, mais ne l’aimais pas. Comme citoyen, je sentais le danger, la honte pour la liberté, pour les mœurs d’une royauté usurpatrice et corruptrice par nature. Ces principes je les ai professés, propagés aussitôt que la loi et la paix l’ont per¬ mis, notamment lorsque je proposai d’abattre la statue équestre de l’un de nos tyrans pour en faire des canons, et dans l’oraison funèbre de Le Pelletier, mort pour avoir fait mourir la tyrannie. Mais mon opinion comme citoyen se doit à mes devoirs comme magistrat, je devais attendre la loi, la désirer, mais en attendant exécuter les ordres et faire respecter les agents d’une autorité constitutionnelle et encore né¬ cessaire. Accusation de fédéralisme. Voici mes torts et ce que j’ai fait pour les réparer. Mes torts ont été en vaines paroles; mes services pour les réparer ont été en actions décisives. Voici la vérité. Depuis longtemps nous ne recevions que les écrits du parti Brissot, tous les journaux (ils sont les yeux du département) (sic) exaltaient le patriotisme et professaient les principes de ce parti conspirateur. Enfin, Isnaxd, président de la Convention, venait de faire la déclaration sur les dangers que couraient la liberté et la souveraineté du peuple dans la personne de ses représentants. Le 31 mai arrive. Trompés, aveuglés par tous les récits, par tous les journaux qui nous par¬ viennent, revêtus de noms encore bien impor¬ tants; encore remplis de l’inspiration prophé¬ tique d’Isnard publiée et envoyée par la Con¬ vention elle-même; trompés enfin par le rap¬ port même de Barère qui nous fut prescrite (sic) comme implorant les démissions volon¬ taires, il faut l’avouer, nous prîmes la révo¬ lution du 31 mai pour une conspiration dont les uns étaient victimes, les autres témoins mal¬ heureux ; attendris sur les uns, alarmés pour les autres, croyant la Convention en danger, nous jetâmes les hauts cris. C’était comme des aveugles ! Mais .des patriotes du Midi, trompés à ce point, pouvaient-ils ne pas le faire? Le club s’assemble. Motion de s’armer, d’arrêter les représentants du peuplee, les parents de tous les députés, leurs biens, etc., les motions enfin les plus emportées, comme de gens qui ont perdu la tête.