SÉANCE DU 5e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (DIMANCHE 21 SEPTEMBRE 1794) - N° 3 333 sur nos arrêtés. Elle parut mécontente de ce que nous ne regardions pas nos arrêtés comme des jeux d’enfant. En notre présence un secrétaire demanda la parole; elle lui fut refusée, mais ce ne fut sans doute que dans la certitude qu’il n’auroit pas parlé dans le sens des meneurs. La Convention a reçu plusieurs adresses de ce département, calquées à peu-près sur celle de Cujés [Cuges]. Eh bien ! collègues, nous ne pouvons douter malheureusement qu’elles ne soient toutes parties de ce centre d’influence. Nous vous dirons une triste vérité, citoyens collègues, c’est que la République court les plus grands dangers dans tout le Midi, si la Convention ne se prononce pas avec énergie contre ces adresses coupables, et n’attère ces contrerévolutionnaires qui, à les entendre, sont les seuls patriotes de la République. Aux mesures que nous avons solbcitées dans nos précédentes pour parer à de si grands malheurs, nous en ajouterons une qui est instante et d’une nécessité absolüe, c’est de nous envoyer un bon républicain, étranger dans le paÿs, qui, en qualité de commandant temporaire de Marseille, ait la volonté et les talens nécessaires pour concourir efficacement avec nous, à sauver le Midi d’une contrerévo-lution qu’on trame ouvertement sous le masque du républicanisme le plus brûlant. Nous vous le répétons avec toute la franchise qui nous caractérise, nous avons besoin, pour réussir dans la mission dont nous sommes chargés, de tous les encouragemens que la Convention doit à tous ceux de ses membres qu’elle a honorés de sa confiance jusqu’à l’instant qu’ils s’en sont montrés indignes. Salut et fraternité. Signé, Auguis et Serres. k La onzième et dernière pièce est un procès-verbal, rédigé le 28 fructidor, par les citoyens Josset et Bouttet, officiers du premier bataillon des Gravilliers, par lequel il conste (sic) qu’ils se sont transportés à la maison de justice de Marseille, accompagnés de quatre hussards du premier régiment, en vertu d’un ordre du 27, pour en extraire le nommé Reynier; que le nommé Mangenot, concierge, s’y est refusé par deux fois différentes, sous prétexte que l’ordre n’étoit pas approuvé ni sur papier imprimé avec la formule des représentons du peuple ; mais que s’étant présentés une troisième fois avec un nouvel ordre, à trois heures du matin, ledit Reynier leur a été remis; qu’ensuite ils sont sortis de Marseille; qu’étant arrivés au lieu appelé la petite Grotte, des hommes cachés dans des fossés, au nombre de cent cinquante ou deux cents, se sont tout-à-coup montrés armés de fusils, de sabres et de pistolets, tous déguisés et sans uniforme en chapeaux rabattus, et se sont portés à la voiture, en disant : arrête, coquin, nous le voulons; que là, ils ont fait des menaces et proféré des horreurs; et après que le citoyen Josset, eut sommé, au nom de la loi, les rebelles de se retirer, en leur disant qu’il avoit une mission importante à remplir, et que ceux qui y mettoient obstacle commettoient les plus grands crimes; alors ils se sont portés, les uns à la tête des chevaux qu’ils ont détélés, et ont fait descendre le postillon, les autres aux portières de la voiture, ils se sont emparés par une force à laquelle on ne pouvoit opposer aucune résistance, du nommé Reynier, et ont suivi, avec le détenu, la route qui conduit à Aix (37). [Récit des officier et sous-officier du premier bataillon des Gravilliers, Josset et Bouttet ] (38) Le vingt-sept fructidor, an deuxième de la République française une et indivisible. Nous Jean-François Josset, lieutenant au premier bataillon des Gravilliers, et Jean Bouttet, sous-officier audit bataillon, ayant reçu l’ordre du commandant de la force armée de Marseille, de nous transporter à la maison d’arrêt de cette commune, appellée Justice, pour en extraire le nommé Reynier qui y était détenu : nous nous y sommes rendus le vingt-huit vers minuit et demi, accompagnés de quatre hussards du premier régiment ; savoir, Michel Ca-telin, compagnie Motet ; François-Nicolas Lefevre, même compagnie ; Jean-François Gauthier, compagnie Valther, et Jean Pousson, compagnie d’Alfele, qui avoient reçu l’ordre de nous escorter; où étant, nous avons présenté au concierge de ladite maison d’arrêt, l’ordre du commandant de la force armée, qui lui en-joignoit de nous délivrer ledit Reynier, moyennant la décharge qui y étoit contenue : à quoi le concierge, nommé Mangenot, s’est refusé disant qu’il ne voyait pas au bas de cet ordre l’approbation des représentans du peuple qui avaient décerné le mandat d’arrêt, en vertu duquel ledit Reynier était détenu. Les citoyens Josset et Bouttet se sont aussitôt transportés chez les susdits représentans, à qui ils ont fait part de cette difficulté, et qui ont approuvé et signé au bas ledit ordre, qui a été aussitôt reporté audit Mangenot qui l’a également méconnu, en objectant qu’il n’étoit pas écrit sur une feuille imprimée en tête avec la formule des Représentans du Peuple. Lesdits citoyens Josset et Bouttet se sont transportés une seconde fois chez les susdits Représentans qui leur ont donné un nouvel ordre signé d’eux et contre-signé par le secrétaire, qui a été de suitte signifé audit Mangenot. Il étoit alors trois heures du matin, (37) P.-V., XLV, 365. (38) C 318, pl. 1290, p. 29. Débats, n° 730 bis, 592-594; Moniteur, XXII, 32 ; Ann. Patr., n° 630 ; J. Fr., n° 727 ; J. Mont., n° 146 ; C. Eg., n° 765 ; J. Fr., n° 727 ; M. U., XLIV, 8 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 764 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 729. 334 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE les oppositions du citoyen Mangenot, d’obéir aux deux premiers ordres, ayant entraîné un retard de trois heures : alors comme dit est, à trois heures du matin seulement, ledit Mangenot nous a remis le nommé Reynier détenu, à qui il a dit au moment où il sortait de la maison d’arrest, et monté dans la voiture qui devoit le conduire : sois tranquile tu es un bon patriote, il n’ y a pas de danger. Alors il a embrassé ledit Reynier, qui l’a été aussi par un citoyen de grande taille, qui était dans la maison d’arrest, et qui parraissoit y être attaché. De la nous nous sommes mis en route et nous sommes sortis de la commune de Marseille : étant arrivés au lieu appellé la petite Grotte, des hommes cachés dans des fossés, au nombre de cent cinquante ou de deux cents, se sont tout-à-coup montrés armés de fusils, de sabres et de pistolets, tous déguisés et sans uniformes, en chapeaux rabatus ; et se sont portés à la voiture en disant : Arrête, coquin, nous le voulons. Dans ce moment Jean Bouttet a tiré de sa poche deux pistolets qu’il a armés, et a voulu faire feu ; le citoyen Josset a dit : il faut de la prudence. Le citoyen Catelin, hussard, s’est porté à une des portières de la voiture et a mis en joue ceux qui vouloient y entrer de force. Le citoyen Lefevre, aussi hussard s’est porté à l’autre portière, où avec son sabre, il a employé des moyens de défense. Tous les citoyens escortant ledit Reynier, ont sommé cette troupe rebelle, au nom de la loi de se retirer. Le citoyen Josset est descendu de la voiture et a représenté qu’il avoit une mission importante à remplir, et que ceux qui y mettaient entrave commettaient les plus grands crimes. Les rebelles lui ont dit qu’il était un aristocrate, un gueux : enfin, il n’y a pas d’horreurs qu’ils n’ayent proférées. Le citoyen Bouttet ayant dit qu’il obéissait à la loy, ils lui ont dit que ceux qui les commandaient, étaient des gueux, qu’il était mort assez de patriotes, qu’ils ne vouloient pas que celui-là montât sur l’échaffaud; et pendant que le citoyen Josset persistait et refusait de leur lâcher le détenu, un homme, ayant à peine la taille de cinq pieds, vêtu en gris-brun, avec un chapeau ra-batu, l’a mis en joue, en disant : Tron de diou, laisse moi faire, je vais le foutre à bas. Le citoyen Bouttet ayant dit à un hussard d’aller en ordonnance au plus vite avertir de ce qui se passait, et l’hussard partant de suite pour obéir, les rebelles ont crié : Tire, il faut faire feu dessus. Quelques-uns ont dit ensuite : Laisse-le aller, que fera-t-il? Alors ils se sont portés les uns à la tête des chevaux qu’ils ont dételés, et ont fait descendre le postillon; les autres, aux portières de la voiture se sont emparés, par une force à laquelle on ne pouvoit opposer aucune résistance, du nommé Reynier; et le citoyen Catelin, et son camarade Gauthier, hussards, ont entendu qu’ils se disaient que la contre-révolution était ouverte, qu’ils voulaient la finir; ils ont entendu que plusieurs qui les avaient couchés en joue leur ont demandé si c’était un de leurs officiers qui était dans la voiture : ils leur ont répondu également que non; ils ont ensuite mis en joue le citoyen Bouttet qui tenait ses deux pistolets armés contre eux, et ont demandé si c’étoit un gendarme qui les tenait ainsi en joue ; Catelin a également dit que non. Alors toute résistance paroissait vaine, il a fallu céder; les rebelles ont dit aux citoyens Josset et Bouttet, aux hussards et au postillon : Nous le tenons, allez actuellement verbaliser ; à l’instant ils ont suivi avec le détenu la route qui conduit à Aix. Etant arrivés à une maison qui n’était pas éloignée du lieu où était arrivé le délit, ils sont descendus dans le vallon ou on les a perdu de vue. Fait lesdits jour, mois et an que dessus, et ont signé les ci-dessous dénommés, les autres ne sachant pas signer. Signé, Catelin, hussard, Langlade, chargé de la conduite de la voiture jusqu’à la première poste, Josset, lieutenant. Pour copie conforme, signé Magnin, secrétaire. I Le rapporteur continue ainsi : les deux comités m’avoient chargé de vous lire ces pièces, pour vous convaincre de l’existence de la conspiration. Il résulte de la lettre de Reynier, de celle des représentans du peuple, de la facilité avec laquelle on a ramassé 150 hommes pendant la nuit, pour arrêter l’exécution d’un arrêté ; il résulte, dis-je, de toutes ces choses, que la conspiration est réelle. La correspondance de nos collègues, les vociférations qui se sont élevées à Marseille lorsqu’on par-loit de la Convention, ne laissent aucun doute sur son existence. Nous devons vous annoncer que la majorité du peuple de Marseille est pure et excellente, et il n’y a que quelques coupables à punir. Représentans, vous êtes comptables à la nation de sa tranquillité et de son bonheur ; vous avez pris hier l’engagement solennel de tenir fermement les rênes du gouvernement; sans doute vous tiendrez votre serment, (oui, oui, s’écrie toute la Convention.) Vous avez juré de vous élever à la hauteur de votre caractère et d’écraser tous les crimes et toutes les factions. C’est ce qui a engagé vos comités à vous proposer le projet de décret suivant (39) : A la suite du rapport, le décret suivant est rendu. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Treilhard, au nom de] ses comités, réunis, de Sûreté générale et de Salut public, décrète : Article premier. - Reynier, qui étoit détenu dans la maison d’arrêt de Marseille, et devoit être transféré à Paris par ordre des représentans du peuple en mission dans le département des Bouches-du-Rhône, est mis hors de la loi. (39) Ann. Pa.tr, n° 630. J. Fr, n° 727 ; J. Mont., n° 146 ; C. Eg., n° 765 ; J. Fr, n° 727 ; M.U., XLIV, 8-9 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 764 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 729.