364 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE au paiement des troupes, n’en prétende cause d’ignorance : toutes lois ou décrets contraires aux dispositions qu’elle renferme, sont et demeurent annullés. « V. - La commission de l’organisation et du mouvement des armées de terre présentera, dans le plus court délai, à la Convention le règlement et les modèles qui doivent être adressés au corps pour l’exécution du présent décret. « VI. - Les représentans du peuple, les corps administratifs et les généraux, ne pourront prendre aucun arrêté ni faire aucune proclamation tendant à étendre, modifier ou interpréter les dispositions de la présente loi » (1). 51 Un membre annonce que les habitans du district de Domfront, département de l’Orne, voulant donner aux citoyens de Paris un témoignage de leur attachement fraternel, ont fait expédier 15.000 livres de beurre à l’adresse de la commune de Paris. Mention honorable, insertion au bulletin (2). [Applaudi]. 52 Un membre [MERLIN (de Douai)], au nom du comité de législation, fait un rapport sur les contumaces (3). MERLIN (de Douai) : Citoyens, votre comité de législation est depuis longtemps pénétré de l’indispensable nécessité de résoudre les dispositions de la loi du 16 septembre 1791, sur les jurés, qui sont relatives aux contumaces; depuis longtemps ce tra-]i) P. V., XLII, 40-69. Minute de la main de Cochon. Décret n° 10012. C.£g.,n° 701 \Ann.R.F„ n° 231 -J.univ., n° 1704 ;J. Perlet, n° 666 ; Rép., n° 213 ; J. Paris, n° 567 ; J. S. Culottes, n°521; J. Fr., n°664; Ann. patr., n°DLXVI; Audit, nat., n° 665 ;Mess.Soir, n° 701 ;F.S.P., n° 381 \ J. Mont., n° 385 ;C. Univ., n° 932; Débats, n° 668; J. Sablier, n° 1450; J . Lois, nos 661,664. (2) P.V., XLII, 69. C. Eg., n° 701 ; Rép., n° 213 ; F.S.P., n°381; M.U., XLII, 44; -J. Fr., n°664; Ann; patr., n° DLXVI; Audit Nat., n° 665; J. Lois, n° 660. (3) Mon., XXI, 262-263; 272-273. Le Moniteur reproduit comme suit les Art. XXIV et XXV qui ne figurent pas sur le p.v. ci-dessous : « XXIV. Il n’est pareillement rien innové à la disposition du décret du 23 ventôse, par laquelle les prévenus de conspiration contre la République, qui se sont soustraits à l’examen de la justice sont mis hors la loi. « Cette disposition est déclarée commune aux prévenus de fabrication, distribution ou introduction de faux assignats, et à ceux qui, ayant été mis en état d’arrestation par un décret du corps législatif, ou par un arrêté des représentants du peuple à qui le droit d’arrestation est délégué, ne vail fait l’objet de la plus sérieuse méditation, et il vient aujourd’hui, par mon organe, vous en présenter le résultat. Son extrême urgence, et la multitude des inconvénients qu’a entraînés le retard qu’il a essuyé jusqu’à ce jour, ont empêché votre comité de le renvoyer au recensement général des lois ; mais il s’y placera naturellement et de lui-même, lorsque vous l’aurez décrété; ainsi, votre comité ne fait que vous proposer aujourd’hui ce que votre commission du recensement général des lois serait forcée de vous proposer dans le code criminel qu’elle rédige, et qui ne pourra vous être sousmis qu’à la suite du code révolutionnaire et du code civil. Le projet que nous vous présentons en ce moment offre à votre examen des changements très notables dans la loi du 16 septembre 1791. Ces changements portent principalement : 1° sur les formes de l’instruction qui doit précéder les jugements par contumace; 2° sur ces jugements même; 3° sur les effets du séquestre des biens du contumace; 4° sur les effets de la contumace des prévenus de haute trahison. Je reprends ces différents points. 1° La loi du 16 septembre 1791 et l’instruction du 29 du même mois voulaient que les jugements par contumace fussent précédés de quatre proclamations faites aux portes de l’église et les jours de dimanche. Sans doute de pareilles dispositions ne pouvaient pas plus survivre à l’abolition de l’ancienne ère qu’au triomphe remporté par la philosophie sur la superstition et les préjugés. Aussi votre comité n’a-t-il pas hésité de vous inviter à leur substituer des articles plus simples, d’une exécution plus prompte et dégagés de tout ce qui pourrait rappeler l’antique domination du clergé sur le temps et sur les consciences. 2° La loi du 16 septembre 1791 voulait qu’après les quatre proclamations dont je viens de parler le procès fût continué dans la même forme que s’il se fût agi d’un accusé présent, à l’exception toutefois que les dépositions des témoins devaient être reçues par écrit et lues aux jurés. se présenteraient pas pour y déférer ou qui, après s’être présentés, viendraient à s’évader. « XXV. La mise hors la loi sera encourue de plein droit par les prévenus mentionnés dans l’article précédent, après les dix jours qui suivront celui où le mandat d’arrêt, ordonnance de prise de corps, arrêté ou décret d’arrestation rendu contre eux aura été proclamé à son de trompe ou de caisse, et affiché à la porte de leur dernière résidence. « Ce délai écoulé, le procès-verbal de la proclamation et de l’affiche du mandat d’arrêt, ordonnance de prise de corps, arrêté ou décret d’arrestation, sera adressé à l’administration du district, qui sera tenue d’en envoyer de suite une expédition à l’agence des domaines nationaux, et d’agir au surplus ainsi qu’il est prescrit par la loi du 26 frimaire, relative aux biens confisqués ». (id. in Débats, n° 668 ; Audit. nat., n°665); Débats (n° 668) ajouté au rapport et au décret : « Ramel demande, par amendement, sur l’article premier que les mots dix jours soient substitués à ceux de dans une décade; et sur l’art. IX, qu’avant que le président prenne les avis des juges sur la régularité ou l’irrégularité de l’instruction faite contre l’accusé, l’accusateur public soit entendu. Le projet de décret est adopté avec les amendements de Ramel ». 364 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE au paiement des troupes, n’en prétende cause d’ignorance : toutes lois ou décrets contraires aux dispositions qu’elle renferme, sont et demeurent annullés. « V. - La commission de l’organisation et du mouvement des armées de terre présentera, dans le plus court délai, à la Convention le règlement et les modèles qui doivent être adressés au corps pour l’exécution du présent décret. « VI. - Les représentans du peuple, les corps administratifs et les généraux, ne pourront prendre aucun arrêté ni faire aucune proclamation tendant à étendre, modifier ou interpréter les dispositions de la présente loi » (1). 51 Un membre annonce que les habitans du district de Domfront, département de l’Orne, voulant donner aux citoyens de Paris un témoignage de leur attachement fraternel, ont fait expédier 15.000 livres de beurre à l’adresse de la commune de Paris. Mention honorable, insertion au bulletin (2). [Applaudi]. 52 Un membre [MERLIN (de Douai)], au nom du comité de législation, fait un rapport sur les contumaces (3). MERLIN (de Douai) : Citoyens, votre comité de législation est depuis longtemps pénétré de l’indispensable nécessité de résoudre les dispositions de la loi du 16 septembre 1791, sur les jurés, qui sont relatives aux contumaces; depuis longtemps ce tra-]i) P. V., XLII, 40-69. Minute de la main de Cochon. Décret n° 10012. C.£g.,n° 701 \Ann.R.F„ n° 231 -J.univ., n° 1704 ;J. Perlet, n° 666 ; Rép., n° 213 ; J. Paris, n° 567 ; J. S. Culottes, n°521; J. Fr., n°664; Ann. patr., n°DLXVI; Audit, nat., n° 665 ;Mess.Soir, n° 701 ;F.S.P., n° 381 \ J. Mont., n° 385 ;C. Univ., n° 932; Débats, n° 668; J. Sablier, n° 1450; J . Lois, nos 661,664. (2) P.V., XLII, 69. C. Eg., n° 701 ; Rép., n° 213 ; F.S.P., n°381; M.U., XLII, 44; -J. Fr., n°664; Ann; patr., n° DLXVI; Audit Nat., n° 665; J. Lois, n° 660. (3) Mon., XXI, 262-263; 272-273. Le Moniteur reproduit comme suit les Art. XXIV et XXV qui ne figurent pas sur le p.v. ci-dessous : « XXIV. Il n’est pareillement rien innové à la disposition du décret du 23 ventôse, par laquelle les prévenus de conspiration contre la République, qui se sont soustraits à l’examen de la justice sont mis hors la loi. « Cette disposition est déclarée commune aux prévenus de fabrication, distribution ou introduction de faux assignats, et à ceux qui, ayant été mis en état d’arrestation par un décret du corps législatif, ou par un arrêté des représentants du peuple à qui le droit d’arrestation est délégué, ne vail fait l’objet de la plus sérieuse méditation, et il vient aujourd’hui, par mon organe, vous en présenter le résultat. Son extrême urgence, et la multitude des inconvénients qu’a entraînés le retard qu’il a essuyé jusqu’à ce jour, ont empêché votre comité de le renvoyer au recensement général des lois ; mais il s’y placera naturellement et de lui-même, lorsque vous l’aurez décrété; ainsi, votre comité ne fait que vous proposer aujourd’hui ce que votre commission du recensement général des lois serait forcée de vous proposer dans le code criminel qu’elle rédige, et qui ne pourra vous être sousmis qu’à la suite du code révolutionnaire et du code civil. Le projet que nous vous présentons en ce moment offre à votre examen des changements très notables dans la loi du 16 septembre 1791. Ces changements portent principalement : 1° sur les formes de l’instruction qui doit précéder les jugements par contumace; 2° sur ces jugements même; 3° sur les effets du séquestre des biens du contumace; 4° sur les effets de la contumace des prévenus de haute trahison. Je reprends ces différents points. 1° La loi du 16 septembre 1791 et l’instruction du 29 du même mois voulaient que les jugements par contumace fussent précédés de quatre proclamations faites aux portes de l’église et les jours de dimanche. Sans doute de pareilles dispositions ne pouvaient pas plus survivre à l’abolition de l’ancienne ère qu’au triomphe remporté par la philosophie sur la superstition et les préjugés. Aussi votre comité n’a-t-il pas hésité de vous inviter à leur substituer des articles plus simples, d’une exécution plus prompte et dégagés de tout ce qui pourrait rappeler l’antique domination du clergé sur le temps et sur les consciences. 2° La loi du 16 septembre 1791 voulait qu’après les quatre proclamations dont je viens de parler le procès fût continué dans la même forme que s’il se fût agi d’un accusé présent, à l’exception toutefois que les dépositions des témoins devaient être reçues par écrit et lues aux jurés. se présenteraient pas pour y déférer ou qui, après s’être présentés, viendraient à s’évader. « XXV. La mise hors la loi sera encourue de plein droit par les prévenus mentionnés dans l’article précédent, après les dix jours qui suivront celui où le mandat d’arrêt, ordonnance de prise de corps, arrêté ou décret d’arrestation rendu contre eux aura été proclamé à son de trompe ou de caisse, et affiché à la porte de leur dernière résidence. « Ce délai écoulé, le procès-verbal de la proclamation et de l’affiche du mandat d’arrêt, ordonnance de prise de corps, arrêté ou décret d’arrestation, sera adressé à l’administration du district, qui sera tenue d’en envoyer de suite une expédition à l’agence des domaines nationaux, et d’agir au surplus ainsi qu’il est prescrit par la loi du 26 frimaire, relative aux biens confisqués ». (id. in Débats, n° 668 ; Audit. nat., n°665); Débats (n° 668) ajouté au rapport et au décret : « Ramel demande, par amendement, sur l’article premier que les mots dix jours soient substitués à ceux de dans une décade; et sur l’art. IX, qu’avant que le président prenne les avis des juges sur la régularité ou l’irrégularité de l’instruction faite contre l’accusé, l’accusateur public soit entendu. Le projet de décret est adopté avec les amendements de Ramel ». SÉANCE DU 2 THERMIDOR AN II (20 JUILLET 1794) - N° 52 365 L’expérience a jugé cette disposition; les inconvénients auxquels elle donne lieu sont effrayants, et d’ailleurs je ne crains pas de dire qu’elle n’est ni politique, ni conséquente aux principes de l’institution des jurés. Dans un gouvernement libre, le premier devoir de tout citoyen qui se trouve inculpé est de se présenter devant les ministres de la loi pour rendre compte de sa conduite. Autant sa fuite serait juste si sa destinée dépendait de la volonté arbitraire d’un despote dominé par toutes les passions ennemies de l’humanité, autant elle est coupable et déshonorante lorsqu’il sait qu’il ne doit avoir pour juges que ses propres concitoyens, et que les tribunaux sont les protecteurs nés de la faiblesse contre la force, de la vertu contre le crime, de l’innocence contre la calomnie. La loi ne saurait donc être trop sévère à l’égard de ceux qui se dérobent aux recherches de la justice, et assurément ce n’est pas les traiter avec une rigueur excessive que de les présumer coupables par cela seul qu’ils fuient, lorsqu’en se présentant ils ont tant de facilité pour se défendre, et tant de moyens pour mettre leur innocence au plus grand jour. Cependant, par la manière dont on procède contre eux, d’après la loi du 16 septembre 1791, ils se trouvent traités infiniment mieux que le citoyen qui, soumis à la loi, a comparu sur le mandat d’amener décerné contre lui, et a été ensuite constitué prisonnier. En effet, l’accusé présent ne peut connaître les dépositions écrites des témoins que dans le court intervalle qui sépare l’ordonnance de prise de corps d’avec le débat de l’examen du procès. Il n’a ni le temps, ni les moyens, soit de pratiquer les auteurs de ces dépositions pour les engager à affaiblir ou à modifier devant les jurés de jugement ce qu’ils ont dit devant l’officier de police de sûreté et devant les jurés d’accusation ; soit de se procurer, par des voies plus criminelles encore, quelques témoignages pour combattre ou expliquer en sa faveur ce que la vérité a fait déposer à sa charge. L’accusé fugitif, au contraire, a tous ces avantages; la publicité de l’examen du procès qu’on instruit contre lui par contumace lui fait bientôt connaître, par ses affidés, toutes les preuves qui ont été produites; et il ne manque pas de préparer toutes ses batteries de manière à obscurcir les faits les plus clairs, et à faire douter de l’évidence même. C’est donc une chose véritablement funeste que la méthode adoptée par l’Assemblée constituante de faire juger les contumaces dans la même forme que les accusés présents. Ajoutons que c’est une incohérence dans le système de la procédure par jurés; et la preuve en est facile. Ce qui distingue essentiellement les jurés d’avec les juges de l’ancien régime, c’est qu’en prononçant sur un fait les premiers ne doivent se déterminer que par leur conviction personnelle, au lieu que les seconds ne pouvaient écouter que les preuves légales. Or comment se forme la conviction personnelle des premiers ? Ce n’est pas en feuilletant une procédure, c’est en consultant leur conscience; c’est par le ton, l’accent, l’embarras ou la confusion qui aura accompagné la déposition de chaque témoin et les réponses de l’accusé, que la vérité se fait jour, et parvient jusqu’à eux. Il faut donc qu’ils voient, il faut qu’ils entendent et l’accusé et les témoins; il faut que leurs propres sens leur transmettent simultanément ses regards, ses gestes, ses paroles, enfin tout ce langage animé de la nature et du sentiment, que produisent toujours les discussions personnelles entre les témoins et l’accusé ; et c’est parce que la conviction des jurés est formée de tous ces éléments fugitifs, que leurs décisions sont inattaquables. Mais si vous ne pouvez pas, devant eux, mettre l’accusé aux prises avec les témoins; si vous ne produisez pas sous leurs yeux les preuves réelles et vivantes de la vérité qu’ils cherchent; si vous les réduisez à interroger froidement une procédure écrite et muette ; en un mot, si vous maintenez l’instruction par contumace telle qu’elle existe actuellement, vous n’avez plus de jurés, et les citoyens à qui vous donnez alors ce nom ne sont plus que des juges de l’ancien régime, dont la conscience n’a aucune part au jugement qu’ils portent. Aussi n’a-t-on pas osé donner à ce jugement la même autorité qu’aux décisions ordinaires des jurés. Celles-ci, comme nous l’avons déjà observé, sont inattaquables, et la loi y a une confiance sans bornes, parce qu’elles sont à ses yeux le résultat de la conviction intime du souverain lui-même. Mais la déclaration que donnent les jurés sur les faits imputés à un contumace tombe et s’évanouit quand ce contumace est arrêté ou se représente; preuve certaine que les rédacteurs de la loi du 16 septembre 1791 regardaient eux-mêmes cette déclaration comme dénuée de ce grand caractère qui s’imprime aux opérations des jurés, et qu’ayant commis la faute de faire juger les contumaces comme les accusés présents, ils ont été forcés d’en commettre une autre, qui ne blesse pas moins essentiellement l’institution des jurés que la première. Mais, va-t-on nous dire, comment donc ferez-vous juger les contumaces ? Rappelerez-vous à leur égard l’ancien régime, et donnerez-vous aux juges du tribunal criminel le pouvoir de prononcer à la fois et sur les faits dont ils sont accusés, et sur les peines infligées par la loi à ces faits ? Notre réponse sera simple. Le contumace s’est jugé lui-même en fuyant les regards de la justice; lui-même il s’est déclaré coupable en renonçant aux moyens de tout genre que la loi lui offrait pour manifester son innocence; il n’y a donc rien à juger à son égard, et il ne peut-être question que d’appliquer la loi au délit dont il est accusé. C’est ce que nous proposons; et si l’on veut y réfléchir, on sentira que, de tous les modes possibles de procéder à l’égard des contumaces, c’est le plus simple, le plus naturel, et le moins sujet à inconvénients : c’est aussi celui qui se rapproche le plus de la manière dont l’Angleterre, lorsqu’elle jouissait d’une sorte de liberté, avait organisé l’instruction contre les accusés fugitifs. Cette méthode pourra paraître bien rigoureuse à ceux qui ont encore l’âme imprégnée des formes introduites en Italie par les décrétables des papes, amenées d’Italie en France par les bavards qu’on appelait docteurs, et rappelées à nos pères par les ordonnances de 1539 et de 1679; mais, encore une fois, si le contumace méritait des ménagements sous l’ancien régimen il n’en mérite certainement point sous le nouveau; non-seulement il est rebelle à la loi, mais il outrage ses concitoyens en doutant de leur justice et de leur loyauté. Eh ! pourrions-nous SÉANCE DU 2 THERMIDOR AN II (20 JUILLET 1794) - N° 52 365 L’expérience a jugé cette disposition; les inconvénients auxquels elle donne lieu sont effrayants, et d’ailleurs je ne crains pas de dire qu’elle n’est ni politique, ni conséquente aux principes de l’institution des jurés. Dans un gouvernement libre, le premier devoir de tout citoyen qui se trouve inculpé est de se présenter devant les ministres de la loi pour rendre compte de sa conduite. Autant sa fuite serait juste si sa destinée dépendait de la volonté arbitraire d’un despote dominé par toutes les passions ennemies de l’humanité, autant elle est coupable et déshonorante lorsqu’il sait qu’il ne doit avoir pour juges que ses propres concitoyens, et que les tribunaux sont les protecteurs nés de la faiblesse contre la force, de la vertu contre le crime, de l’innocence contre la calomnie. La loi ne saurait donc être trop sévère à l’égard de ceux qui se dérobent aux recherches de la justice, et assurément ce n’est pas les traiter avec une rigueur excessive que de les présumer coupables par cela seul qu’ils fuient, lorsqu’en se présentant ils ont tant de facilité pour se défendre, et tant de moyens pour mettre leur innocence au plus grand jour. Cependant, par la manière dont on procède contre eux, d’après la loi du 16 septembre 1791, ils se trouvent traités infiniment mieux que le citoyen qui, soumis à la loi, a comparu sur le mandat d’amener décerné contre lui, et a été ensuite constitué prisonnier. En effet, l’accusé présent ne peut connaître les dépositions écrites des témoins que dans le court intervalle qui sépare l’ordonnance de prise de corps d’avec le débat de l’examen du procès. Il n’a ni le temps, ni les moyens, soit de pratiquer les auteurs de ces dépositions pour les engager à affaiblir ou à modifier devant les jurés de jugement ce qu’ils ont dit devant l’officier de police de sûreté et devant les jurés d’accusation ; soit de se procurer, par des voies plus criminelles encore, quelques témoignages pour combattre ou expliquer en sa faveur ce que la vérité a fait déposer à sa charge. L’accusé fugitif, au contraire, a tous ces avantages; la publicité de l’examen du procès qu’on instruit contre lui par contumace lui fait bientôt connaître, par ses affidés, toutes les preuves qui ont été produites; et il ne manque pas de préparer toutes ses batteries de manière à obscurcir les faits les plus clairs, et à faire douter de l’évidence même. C’est donc une chose véritablement funeste que la méthode adoptée par l’Assemblée constituante de faire juger les contumaces dans la même forme que les accusés présents. Ajoutons que c’est une incohérence dans le système de la procédure par jurés; et la preuve en est facile. Ce qui distingue essentiellement les jurés d’avec les juges de l’ancien régime, c’est qu’en prononçant sur un fait les premiers ne doivent se déterminer que par leur conviction personnelle, au lieu que les seconds ne pouvaient écouter que les preuves légales. Or comment se forme la conviction personnelle des premiers ? Ce n’est pas en feuilletant une procédure, c’est en consultant leur conscience; c’est par le ton, l’accent, l’embarras ou la confusion qui aura accompagné la déposition de chaque témoin et les réponses de l’accusé, que la vérité se fait jour, et parvient jusqu’à eux. Il faut donc qu’ils voient, il faut qu’ils entendent et l’accusé et les témoins; il faut que leurs propres sens leur transmettent simultanément ses regards, ses gestes, ses paroles, enfin tout ce langage animé de la nature et du sentiment, que produisent toujours les discussions personnelles entre les témoins et l’accusé ; et c’est parce que la conviction des jurés est formée de tous ces éléments fugitifs, que leurs décisions sont inattaquables. Mais si vous ne pouvez pas, devant eux, mettre l’accusé aux prises avec les témoins; si vous ne produisez pas sous leurs yeux les preuves réelles et vivantes de la vérité qu’ils cherchent; si vous les réduisez à interroger froidement une procédure écrite et muette ; en un mot, si vous maintenez l’instruction par contumace telle qu’elle existe actuellement, vous n’avez plus de jurés, et les citoyens à qui vous donnez alors ce nom ne sont plus que des juges de l’ancien régime, dont la conscience n’a aucune part au jugement qu’ils portent. Aussi n’a-t-on pas osé donner à ce jugement la même autorité qu’aux décisions ordinaires des jurés. Celles-ci, comme nous l’avons déjà observé, sont inattaquables, et la loi y a une confiance sans bornes, parce qu’elles sont à ses yeux le résultat de la conviction intime du souverain lui-même. Mais la déclaration que donnent les jurés sur les faits imputés à un contumace tombe et s’évanouit quand ce contumace est arrêté ou se représente; preuve certaine que les rédacteurs de la loi du 16 septembre 1791 regardaient eux-mêmes cette déclaration comme dénuée de ce grand caractère qui s’imprime aux opérations des jurés, et qu’ayant commis la faute de faire juger les contumaces comme les accusés présents, ils ont été forcés d’en commettre une autre, qui ne blesse pas moins essentiellement l’institution des jurés que la première. Mais, va-t-on nous dire, comment donc ferez-vous juger les contumaces ? Rappelerez-vous à leur égard l’ancien régime, et donnerez-vous aux juges du tribunal criminel le pouvoir de prononcer à la fois et sur les faits dont ils sont accusés, et sur les peines infligées par la loi à ces faits ? Notre réponse sera simple. Le contumace s’est jugé lui-même en fuyant les regards de la justice; lui-même il s’est déclaré coupable en renonçant aux moyens de tout genre que la loi lui offrait pour manifester son innocence; il n’y a donc rien à juger à son égard, et il ne peut-être question que d’appliquer la loi au délit dont il est accusé. C’est ce que nous proposons; et si l’on veut y réfléchir, on sentira que, de tous les modes possibles de procéder à l’égard des contumaces, c’est le plus simple, le plus naturel, et le moins sujet à inconvénients : c’est aussi celui qui se rapproche le plus de la manière dont l’Angleterre, lorsqu’elle jouissait d’une sorte de liberté, avait organisé l’instruction contre les accusés fugitifs. Cette méthode pourra paraître bien rigoureuse à ceux qui ont encore l’âme imprégnée des formes introduites en Italie par les décrétables des papes, amenées d’Italie en France par les bavards qu’on appelait docteurs, et rappelées à nos pères par les ordonnances de 1539 et de 1679; mais, encore une fois, si le contumace méritait des ménagements sous l’ancien régimen il n’en mérite certainement point sous le nouveau; non-seulement il est rebelle à la loi, mais il outrage ses concitoyens en doutant de leur justice et de leur loyauté. Eh ! pourrions-nous 366 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE hésiter dans l’alternative où nous sommes de traiter provisoirement comme coupable celui qui rejette les moyens de justification qu’il a en son pouvoir, ou d’établir à son égard un mode d’instruction qui blesserait les principes et compromettrait la sûreté du corps social ? 3° La loi du 16 septembre 1791 voulait que, le contumace venant à se présenter ou à être arrêté, on lui rendit les fruits de ses biens échus pendant son absence. Nous avons pensé que, si ce n’était pas encourager, c’était du moins tolérer singulièrement la fuite d’un accusé, que de lui laisser la perspective de ne rien perdre et de recouvrer jusqu’aux arrérages de son revenu, lorsqu’il trouverait bon de se représenter. Il nous a paru plus sage, plus juste d’attribuer irrévocablement à la république les fruits échus pendant la contumace, et nous nous sommes d’autant plus facilement déterminés à ce parti qu’il ne nous a pas été possible de concevoir pourquoi les rédacteurs de la loi du 16 septembre 1791 avaient traité aussi favorablement l’accusé fugitif, tandis qu’à l’égard de ses héritiers, qui n’ont partagé ni sa désobéissance à la loi, ni les autres délits dont il peut s’être rendu coupable, ils avaient rendu le séquestre irrévocable, quant aux frais. 4° La loi du 16 septembre 1791 ne mettait dans l’instruction et dans le jugement des contumaces aucune différence entre les prévenus de crime attentatoire à la liberté et à la souveraineté du peuple et les prévenus de délits ordinaires. C’était un vice que vous avez corrigé par 'votre décret du 23 ventôse, en mettant hors de la loi tout prévenu de conspiration qui se soustrairait à l’examen de la justice; et comme par là vous avez tout fait à cet égard, nous ne vous proposerons que de déterminer par deux articles additionnels la juste étendue que doit avoir votre décret dans son application, et les mesures à prendre pour que l’innocence, si elle a le malheur d’être accqsée, puisse, en se présentant dans un certain délai, confondre la calomnie et épargner un crime à la justice. [MERLIN (de Douai)] propose un projet de décret qui est adopté dans les termes suivans : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, décrète que les dispositions du titre IX de la seconde partie de la loi du 16 septembre 1791, concernant la procédure criminelle, sont rapportées, et seront remplacées par les suivantes : « Art. I. - Lorsque, sur une ordonnance de prise de corps ou de se représenter en justice, l’accusé n’aura pas pu être saisi et ne se présentera pas dans les dix jours de la notification qui en aura été faite à son domicile; » Lorsqu’ après s’être présenté ou avoir été saisi, il viendra à s’évader; » Ou enfin, lorsqu’après avoir été admis à caution, il ne se représentera pas au jour fixé pour l’examen du procès, » Le président du tribunal criminel rendra une ordonnance portant qu’il sera fait perquisition de sa personne, et que tout citoyen est tenu d’indiquer le lieu où il se trouve. « II. - Cette ordonnance, et celle de prise de corps, ou de se représenter en justice, seront publiées, le décadi suivant, à son de trompe ou de caisse, et affichées à la porte du domicile de l’accusé, ainsi qu’à celle de son domicile élu, et, s’il n’est pas domicilié, à celle de l’auditoire du tribunal criminel; » Elles seront également notifiées à ses cautions, s’il en a fourni, le tout à la diligence de l’accusateur public. « III. - Le dixième jour après cette publication, le président du tribunal rendra une seconde ordonnance portant qu’un tel est rebelle à la loi; qu’en conséquence il est déchu du titre et des droits de citoyen français; que ses biens vont être et demeureront séquestrés au profit de la République, pendant tout le temps de sa contumace; que toute action en justice lui est interdite pendant le même temps, et qu’il va être procédé contre lui malgré son absence. « IV. - Dans le jour suivant, cette ordonnance sera adressée, par l’accusateur public, à l’agence des domaines nationaux et à son préposé dans le lieu du domicile du contumax. « Elle sera en outre publiée, affichée et notifiée sans aucun délai, aux lieux indiqués par l’article IL « V. - Après un nouveau délai de dix jours, le procès sera porté à l’audience du tribunal criminel. « VI. . - Aucun conseil ou fondé de pouvoirs ne pourra se présenter pour défendre l’accusé contumax, soit sur les faits, soit sur l’application de la loi, soit sur la forme de la procédure. » Seulement, s’il est admis dans l’impossibilité absolue de se rendre, il pourra envoyer son excuse et en faire plaider la légitimité par un fondé de pouvoirs. » Ses parens et ses amis auront la même faculté, en justifiant de son absence hors du territoire continental de la République, en vertu de passe-port régulier avant les premières poursuites faites contre lui. « VII. - Si le tribunal trouve l’excuse légitime, il ordonnera qu’il sera sursis au jugement de l’accusé et au séquestre de ses biens, pendant un temps qu’il fixera, eu égard à la nature de l’excuse et à la distance des lieux. « VIII. - Il n’interviendra point de jurés dans le jugement des accusés contumaces. « IX. - Après la lecture de l’acte d’accusation des ordonnances mentionnées dans les articles I et III et des procès-verbaux dressés pour en constater la proclamation et l’affiche, le président, après avoir entendu l’accusateur public, prendra l’avis des juges sur la régularité ou irrégularité de l’instruction faite contre l’accusé. « X. - Si l’instruction n’est pas conforme à la loi, le tribunal la déclarera nulle, et ordonnera qu’elle sera recommencée, à partir du plus ancien acte qui sera jugé légal (l). « XI. - Si l’instruction est régulière, le tribunal déclarera que l’accusé est réputé par la loi coupable du délit énoncé, caractérisé (l) Et non « illégal », comme il est imprimé. 366 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE hésiter dans l’alternative où nous sommes de traiter provisoirement comme coupable celui qui rejette les moyens de justification qu’il a en son pouvoir, ou d’établir à son égard un mode d’instruction qui blesserait les principes et compromettrait la sûreté du corps social ? 3° La loi du 16 septembre 1791 voulait que, le contumace venant à se présenter ou à être arrêté, on lui rendit les fruits de ses biens échus pendant son absence. Nous avons pensé que, si ce n’était pas encourager, c’était du moins tolérer singulièrement la fuite d’un accusé, que de lui laisser la perspective de ne rien perdre et de recouvrer jusqu’aux arrérages de son revenu, lorsqu’il trouverait bon de se représenter. Il nous a paru plus sage, plus juste d’attribuer irrévocablement à la république les fruits échus pendant la contumace, et nous nous sommes d’autant plus facilement déterminés à ce parti qu’il ne nous a pas été possible de concevoir pourquoi les rédacteurs de la loi du 16 septembre 1791 avaient traité aussi favorablement l’accusé fugitif, tandis qu’à l’égard de ses héritiers, qui n’ont partagé ni sa désobéissance à la loi, ni les autres délits dont il peut s’être rendu coupable, ils avaient rendu le séquestre irrévocable, quant aux frais. 4° La loi du 16 septembre 1791 ne mettait dans l’instruction et dans le jugement des contumaces aucune différence entre les prévenus de crime attentatoire à la liberté et à la souveraineté du peuple et les prévenus de délits ordinaires. C’était un vice que vous avez corrigé par 'votre décret du 23 ventôse, en mettant hors de la loi tout prévenu de conspiration qui se soustrairait à l’examen de la justice; et comme par là vous avez tout fait à cet égard, nous ne vous proposerons que de déterminer par deux articles additionnels la juste étendue que doit avoir votre décret dans son application, et les mesures à prendre pour que l’innocence, si elle a le malheur d’être accqsée, puisse, en se présentant dans un certain délai, confondre la calomnie et épargner un crime à la justice. [MERLIN (de Douai)] propose un projet de décret qui est adopté dans les termes suivans : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, décrète que les dispositions du titre IX de la seconde partie de la loi du 16 septembre 1791, concernant la procédure criminelle, sont rapportées, et seront remplacées par les suivantes : « Art. I. - Lorsque, sur une ordonnance de prise de corps ou de se représenter en justice, l’accusé n’aura pas pu être saisi et ne se présentera pas dans les dix jours de la notification qui en aura été faite à son domicile; » Lorsqu’ après s’être présenté ou avoir été saisi, il viendra à s’évader; » Ou enfin, lorsqu’après avoir été admis à caution, il ne se représentera pas au jour fixé pour l’examen du procès, » Le président du tribunal criminel rendra une ordonnance portant qu’il sera fait perquisition de sa personne, et que tout citoyen est tenu d’indiquer le lieu où il se trouve. « II. - Cette ordonnance, et celle de prise de corps, ou de se représenter en justice, seront publiées, le décadi suivant, à son de trompe ou de caisse, et affichées à la porte du domicile de l’accusé, ainsi qu’à celle de son domicile élu, et, s’il n’est pas domicilié, à celle de l’auditoire du tribunal criminel; » Elles seront également notifiées à ses cautions, s’il en a fourni, le tout à la diligence de l’accusateur public. « III. - Le dixième jour après cette publication, le président du tribunal rendra une seconde ordonnance portant qu’un tel est rebelle à la loi; qu’en conséquence il est déchu du titre et des droits de citoyen français; que ses biens vont être et demeureront séquestrés au profit de la République, pendant tout le temps de sa contumace; que toute action en justice lui est interdite pendant le même temps, et qu’il va être procédé contre lui malgré son absence. « IV. - Dans le jour suivant, cette ordonnance sera adressée, par l’accusateur public, à l’agence des domaines nationaux et à son préposé dans le lieu du domicile du contumax. « Elle sera en outre publiée, affichée et notifiée sans aucun délai, aux lieux indiqués par l’article IL « V. - Après un nouveau délai de dix jours, le procès sera porté à l’audience du tribunal criminel. « VI. . - Aucun conseil ou fondé de pouvoirs ne pourra se présenter pour défendre l’accusé contumax, soit sur les faits, soit sur l’application de la loi, soit sur la forme de la procédure. » Seulement, s’il est admis dans l’impossibilité absolue de se rendre, il pourra envoyer son excuse et en faire plaider la légitimité par un fondé de pouvoirs. » Ses parens et ses amis auront la même faculté, en justifiant de son absence hors du territoire continental de la République, en vertu de passe-port régulier avant les premières poursuites faites contre lui. « VII. - Si le tribunal trouve l’excuse légitime, il ordonnera qu’il sera sursis au jugement de l’accusé et au séquestre de ses biens, pendant un temps qu’il fixera, eu égard à la nature de l’excuse et à la distance des lieux. « VIII. - Il n’interviendra point de jurés dans le jugement des accusés contumaces. « IX. - Après la lecture de l’acte d’accusation des ordonnances mentionnées dans les articles I et III et des procès-verbaux dressés pour en constater la proclamation et l’affiche, le président, après avoir entendu l’accusateur public, prendra l’avis des juges sur la régularité ou irrégularité de l’instruction faite contre l’accusé. « X. - Si l’instruction n’est pas conforme à la loi, le tribunal la déclarera nulle, et ordonnera qu’elle sera recommencée, à partir du plus ancien acte qui sera jugé légal (l). « XI. - Si l’instruction est régulière, le tribunal déclarera que l’accusé est réputé par la loi coupable du délit énoncé, caractérisé (l) Et non « illégal », comme il est imprimé.