[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |27 août 1T91.] 761 Contrat social et des autres ouvrages qui ont mérité l'immortalité, s’il était dans cette Assemblée, serait flatté lui-méme de la noble et généreuse résistance que M. Girardin, que ses amis fout, au nom de l’amitié, à l’enlèvement que l’on propose. ( Applaudissements .) Je connais comme un autre tout le prix de la gloire; mais je désire, pour la moralité même de la Révolution, de la Constitution, que nous récompensions avant tout les vertus domestiques et l’amitié. Rousseau, disputé à une nation, disputé à toutes les nations par son ami, par celui qui l’a accueilli lorsqu’il était repoussé par tous les autres, par celui qui lui a ouvert son cœur lorsqu’il ne trouvait chez les autres que rigueur, que haine, qu’envie; Rousseau a voulu fixer sa dernière demeure chez celui qui lui a fait éprouver les dernières consolations. Le triomphe de sa gloire est indépendant du transport physique et matériel du petit monceau de cendres qui restent de ce grand homme. Ne pouvez-vous pas, sans l’exhumer, sans arracher à son ami ce qui reste de lui, placer son monument dans le lieu que vous avez destiné à immortaliser ceux qui ont bien mérité de la patrie? (Murmures.) Il n’y a pas un de vous qui ne puisse perdre un frère, un père, un fils qui méritent de la patrie les plus grands honneurs, et quel est celui de vous qui consentît à se laisser arracher les restes précieux... Plusieurs membres : Tous ! tous ! M. Briois-Beaumetz. Qu’est-ce qui appartient à la patrie dans un grand homme? Qu’est-ce qui est la propriété de son siècle et de sa nation? C’est son génie, ce sont ses ouvrages, ce sont les services qu’il a rendus à la nation et à l’humanité. La dépouille, elle appartient à ses amis. On peut bien la leur demander : (Murmures). on peut bien demander les cendres de J. -J. Rousseau à son ami, qui s’intéressera certainement assez à sa gloire pour ne pas attendre la demande que vous lui en ferez: mais ordonner qu’elles lui soient ravies, c’est à quoi je m’oppose. (Applaudissements.) Plusieurs membres : Vous avez raison. M. Briois-Beanmetz. Que l’on ne vienne pas m�opposercequi s’est passé à. l’égard des deux premiers grands hommes; ni l’un ni l’autre n’avait pu dire par son testament qu’il serait porté dans le Panthéon français ; ils avaient ordonné leur sépulture dans les lieux publics, dans ces lieux qui n’appartenaient à personne; mais celui-ci n’est fias dans un lieu public; il n’y a pas un ouvrier qui ait le droit de porter la bêche et l’instrument destructeur dans le monument qui le ren ferme. (Applaudissements.) Persuadé, comme je le suis, que l’amitié de M. Girardin sera généreuse jusqu’au bout, et qu’il ne refusera pas le comble des honneurs à celui dont il a consolé la vieillesse, je demande ue la partie du décret qui regarde l’exhumation e son corps soit renvoyée au comité de Constitution, puur se concerter sur cet objet avecM. Girardin. Quant à la seconde partie de décret, elle me paraît ne pas devoir souffrir de difficulté. Vous avi z décrété une statue à J.-J. Rousseau ; ce décret n’a plus besoin que d’exécution. Il faut renvoyer au ministère, en exigeant qu’il vous rende compte des mesures qu’il aura prises. C’est à quoi je conclus. M. Letellier. Les restes d’un grand homme sont une propriété nationale, et je crois que c'est injurier M. Girardin, que de croire un seul moment qu’il s’opposera à la translation de son ami dans le temple des grands hommes. M. Mathieu de Montmorency. Les faits dont viennent de s’occuper les préopinants devaient être éloignés d’une question qui appartient tout entière à l’admiration et à la reconnaissance nationale. Je crois impossible que M. Girardin veuille se refuser aux honneurs que l’on veut rendre à Rousseau, et qu’il veuille disputer à la nation les cendres d’un homme qui lui appartient à tant de litres; mais quelles que soient ses intentions, ce combat, très honorable pour Rousseau, qui vient de s’élever entre l’amitié d’une part et la reconnaissance de la nation de l’autre, il me semble ne devoir pas arrêter plus longtemps l’Assemblée, qui est impatiente de céder au sentiment qui l’anime. Il me semble qu’elle rendrait ce qu’elle doit, et au droit sacré de la propriété, et au vœu national, et à l’intérêt qu’inspire l’amitié — car pourquoi arracherait-on à l’amitié ce qu’on peut lui lai ser, le mérite de donner — elle voulait décréter en ce moment que les honneurs décernés aux grands hommes seront rendus à Rousseau, et renvoyer au comité de Constitution pour le mode d’exécution. (Applaudissements.) M. Chabroud. Je crois que le renvoi au comité ne fera que donner au décret de l’Assemblée une solennité honorable à la mémoire de J.-J. Rousseau. Il est extrêmement dangereux que, sur la chaleur d’une motion, l’Assemblée nationale rende sur-le-champ un décret de ce genre. (Murmures.) Certainement l’Assemblée ne ferait rien que de juste à l’égard de Rousseau; mais il résulterait de cet exemple que les législatures qui vous suivront aussi légères ou plus légères que vous, les accorderaient à deshummes qui ne les auraient pas mérités. Je demande le renvoi au comité. (L’Assemblée ferme la discussion.) Un membre : Si on renvoie au comité, je demande que la pétition y soit aussi renvoyée, car parmi les signatures des pétitionnaires on y distingue deux fois celle de M. Girardin. M. Barrère-Vîenzac. Pourquoi renvoyer alors? (L’Assemblée, consultée, accorde la priorité à la proposition de M. de Montmorency.) En conséquence, cette proposition est mise aux voix dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète que J.-J. Rousseau est digne des honneurs décernés aux grands hommes pur la patrie reconnaissante, et que les moyens d’exécution sont renvoyés au comité de Constitution. » (Ce décret est adopté.) M. Iieleudelja'WilIe-aux-Bois, au nom du comité des rapports et des recherches, fait un rapport sur une procédure commencée devant le tribunal du district de Paimbœuf contre le sieur Ga-mache, pour crime de lèse-nation. » / Messieurs, Le comité des rapports, instruit, par des avis de différentes parties du royaume, que la tranquillité générale était menacée, a dû spécialement s'occuper de cet objet, et il a eu la satisfaction de voir que les mesures qu’il avait 702 [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. (27 août 1791.] concertées avec vos comités diplomatique et militaire, les ministres, le maire de Paris et le com-mandani générai de (a garde nationale parisienne, avaient déjoué les projets dés ennemis de la Révolution, qui avaient été dénoncés devoir éclater cette semaine, Ces dernières inquiétudes calmées, votre comité s’est occupé de Paffaire.de M. Gamache. Laps ces moments d’alarmes que le départ dp roi a occasionnées dans toute la France, la présence de M. Gamache dans la ville de Paimbœuf fit éclater des soupçons contre lui. La part qu’on prétendait cpj’il avait eue au soulèvement des grenadiers du régiment de Normandie dans une yille voisine, et à l’établissement d’un clqh monarchique, dirigèrent sur Ipi les regards des corps administratifs et des citoyens. Arrivé à Paimbœuf, trois jours après le départ du roi, c’est-à-dire le 26 juin, on remarqua qu’il avait mis à la poste plusieurs lettres que Ron soupçonnait devoir contenir des principes Ou des projets contraires au salut de la patrie, qui occupait tops les esprits, Les différents corps administratifs s’étaient réunis en ce moment critique dans la ville de Paimbœuf; le fait leur fut dénoncé par un dgs membres. Ils crurent qu’il était de nature à les dispenser des règles ordinaires. ( Rires à droite.) Ils nommèrent à l’instant des commissaires pour Ja recherche des lettres du sieur Ga mâche, en faire l’ouverture en présence dp commissaire du roi et les saisir si elles renfermaient des choses contraires au bien public. Cette mission fut à l'instant exécutée. 4 lettres de la même écriture, l’uue desquelles était signée du sieur Qama,che, leur furent remises. Une d’elles leur ayant paru Spécialement contenir des principes antirévolutionnaires, les corps administratifs ont fait arrêter |e sieur Gamache et son domestique, l’ont dénoncé ap tribunal, et ont déposé aü grefte les lettres saisies entre les maips de la direction de la poste aux lettres. Sur cette dénonciation, et après différents interrogatoires, je tribunal a ordonné l’élargissement dd domestique, çt a décrété de prise de corps |é sjeür Gamache. Le tribunal g ordonné, en même temps, qu’attendti Je titré de l’accuse-tion, les pièces seraient envoyées à l’Assemblée nationale popr statuer sqp la compétence de cette affaire. Pour mettre l’Assemblée à portée de connaître les motifs dq jugement, je ypiq faire ldcipre de la lettre qui y a donné lieu. E(|e est adressée-à M. Bergevin, rue de ja Qpfiiéd|ê? à Brest. « Ppltnbœufj le 27 juin 1791. « Monsieur, « D'après le très grand événement qui vient d’arriver, on juge bien où mon agio doit prendre son élan, et où elle doit me porter. Je brûle d’aller où l’honneur m’appelle; c’est à vous à me donner la facilité, à 1P0 fournir les moyens de prendre la route de mon deyqjp ; 3,500 livres que votre amitié petit me procurer mé suffisent. J’attends de yotre attachement poqr moi cet important service. Je connais votre eœqr, l’élévation de vos sentiments; c’est d’eux que j’attends que vous donnerez à un gentilhomme la facilité de l’être dans toute l’étendue. Vous ferez cet effort. Sans vous, mon nom peut recevoir une 4che. Ce (je circonstance est pressante et glorieuse, sj j y cours; mai? êq qgejs J jeux me cacher, sj je reste ? Qn attribuerait pioq ippc|,ion au défaut de courage et non au défaut d’argent. J’ai un ami qui ne voudra pas que, pour 145 louis, Gamache soit déshonoré, ne vole pas en chevalier français au secours de son roi. « Si voqs ne les avez pas� vous avez le Crédit d’emprunter 3,500 livres. L’intérêt ne fera rien. J’ai l’honneur de vous envoyer mon billet; pli n’est pas bien fait, je vous prie de m’en envoyer le mode à Bordeaux, où je compte arriver lundi. « Je suis ppr: i le plus tôt que je l’ai pu de Lorient; je suis Venu ici; je pars demain main; l’pq me renverra mes lettres à Bordeaux. 'aurai sûrement des millions de remerciements à faire à monsieur votre fjj§; je eeraj. très empressé de les lui faire. « Jamais la France n’a eu un moment pareil à celui-ci. Le roi fuit : voilà où les Français doivent se réunir. Adieu, vous pardonnerez le désordre de mes pensées, jes mqiifs qui m’animent vous feront plaisir. J’attends yotre réponse avec une très vive impatience. « Je ne signe pas ; vous reconnaîtrez à la première ligne que c’est un de vos plus sincères amis qui voua écrit. Je vous prié d’assurer vos dames de tous nqes sentiments. Je me flatte qu’upe victoire me ramènera avec sûreté. » Voici maintenant, Messieurs, le jugement qui est intervenu. Le tribunal, après avoir délibéré ên présence de l’accusateur public et du commissaire du roi, vu ce qu’il résulte de la lettre sans signature datée de Paimbœuf, le 27 juin dernier, adressée au sieur Bergevin à Brest, reconnue par l’accusé dans ses interrogatoires pour être de sa main ; considérant qu’il se fait gloire du. départ du roi comme d’un événement fameux qui doit illustrer son nom, auquel il adapte avec emphase les qualités de gentilhomme et de chevalier français, au mépris de la loi qui les supprime; que dans uu moment où les bons citoyens se bornaient à prendre une mesure dedéfense contre les ennemis de l’Etat, lui se regardait comme entaché s’il était empêché de voler sur. les pas du roi partout ou il pourrait se porter : qu’il avait conçu furtivement ce dessein et se disposait à l’exécuter de la manière la plus secrèfe; qu’il s’écrie avec enthousiasme que la France n’a jamais eu un moment pareil à celui qù elle se trouvait m départ du rpi ; que c'esi vér'A je roi seul que tous Jps vrais Français dojvpnt sè rèpnir; qu’il fixe tellement ses regards lui-même veps je roi que ces trois derniers rpot§ sont les seuls soulignés de sa lettre; qu’obligé de sortir dé Brest, epvëloppé de soupçons u'inçivjsme et de factions, ainsi qu’il l’a avoué et qu’il est prouvé au proÇès, il compte sur qne victoire pour y rentrer avec sûreté; qu’il sent si bien lui-même l’incivisme de ses sentiments et le danger de paraître Capteur de la lettre qui les exprime, qu’eiicoré Jùéq qu’il l’pdresge à ün hpmme de sa plus grande intimité, il n’qœ la revêtir de sa signature. Considérant en ün mot que les expressions de cette lettre n’offrent dans leur sens "naturel que le projet d’qn citoyen français qui court aqx armes contre sapatriê; le tribunal * ordonne que Denis-Eléonore-Michel Gamache, détenu en état d’arrestatioq à Paimbœuf, sera pris ef appréhendé aq corps : et, attend!] la nature de l’accusation, ordonne que, par le greffier, il sera fait des expéditions dé la présente procédure, pour être envoyées à (Assemblée nationale et réglée par elle la compétence. Voilà, Messieurs, les motifs du décret de prise de corps. Votre comité auquel vous avez “renvoyé Çefte affaire, Qpn|i(jérant que . la violation des lettres est contraire a vos principes ; que si 1 Assemblée nationale, j AfttiftiVËâ ML&IÏElffTAiKëS. [il âoüÜlfSi.f •Vft unq fclrçodstxpbé aii?si qpitiqqë que aellq egqpi d’Assemblée-, . (Une vjye agitatiQp règpe daPà J’A�êmblég,) M. le Président. rendu-, . Quoi» Iprgqy’pn décret est Plusieurs memhrqs ,* Vous ne deviçg pas le rendre ; vous paye* énleyé-M, le président, Gomme U est temps dé faire cesser le seapdgle de l’Assemblée,.. Plusieurs membres ; G’ést vous qui lq causes* M* 1? I*résl4ei»t, A l’ordru ! 1 ‘ordre I M. aombert, jç demande la quation préalable i 4 gauche : Qpi ! oui I la question préalable ! M. le Présïdënt. Je mets aux voix le projet de décret proposé par M, Uélen do ï»à YUle-ranx-Bois. (L’Asëëmblée, consultée, adopte Cé projft de îlécréu) {Wprrmfes « gaumè') M. te Voici, Messieurs, Je résultat qu scrutin pour la mwmtm d'un président it 4# 3 kpvèlmres-. Sur 30? Voix, M. Vernier qn a réuni 259. Il est» ën conséquence, nommé président. (Appimdme* ments.) Les nouveaux secrétaires sont MM. Chaillou, Aubry et JDarcbe; ils remplacent MM-Barbey, Benoît Lësterpt et Guÿ-Blàncard. M. Gombert. Mais, Monsieur le Président, le décret est-il rendu? Plusieurs membres : Oui ! oui ! M. Gombert. J’avais demandé la question préa* lable sur le décret, et je demande qu’elle soit mise aux voix. M. Prieur. Je n’entends rien à ce décret-là, Plusieurs membres : Il est mal rendu. On n’a rien entendu. (Bruit.) M. Gombert. Le tribunal était saisi, et c’est au tribunal à décharger de t'acCusation ei non point à l’Assemblée nationale. ( Applaudissements .) J’ai demandé la question préalable, et je demande que M. le Président soit rappelé à l’ordre pour ne pas l’avoir mise aux voix. ( Applaudissements et murmures.) L’autre jour, le même fait s’est passé en ce qui concerne cette dame qui était à la barre ; si quelqu’un ne s’était pas soulevé... ( Vive agitation dans l'Assemblée)... On veut dépouiller les juridictions et l’on ne peut pas les dépouiller. M. Leleu de La Yille-aux-Bois, rapporteur. On cherche à inculper tous les comités sur tous les objets de ce genre-là. Le comité s’est borné à un récit très succinct des faits; et il a cru devoir le faire, parce qu’il n’y a pas d’autre base de la dénonciation, qu’une lettre décachetée. Un mêffîbw.; Monsieur je, Président on ne parle pas avec un ton de mépris m 1 Assemblée; et je vous en fais le reproche. (Applmdisaements à Vmtr$me gauche et dans les tribunes,) M. 1$ Président, Gomme on n’a dit qu’un n’p pas entendu, je remets aux voix le décret, (Ah! ah!) M. Muguet de Nanthpu. L’intention de l’Assemblée sera bientôt manifestée. L!dn a de« mandé la question préalable et je vais la moti* ver. En supposant que PaGcusation et la procès instruits contre M. Gamache ne soient pas fondés, ce n’est pas à l’Assemblée nationale à le déclarer; c’est devant ün tribunal d’appel que M. Gamache doit se pourvoir pour faire déclarer qu’il n’y avait pas lieu à décret. La seule question qui 60ità juger par TAssern* hlée nationale, c’est la compétence !, de déolarer s’il y a ou non lieu à accusation contre M. Ga-maene, pour crime de lèse-nation. Je demande donc, sans entrer dans la discussion du lond, que l’Assemblée nationale prononce qu’il n’y a pas lieu à accusation devant la haute cour nationale d’Orléans, et qu’elle renvoie au surplus devant les tribunaux ordinaires. M. Leleu de La Yille-aux-Bois, rapporteur. Le premier avis du comité avait été celui que vient de proposer M. Muguet; mais il a cru devoir se conformer à un décret rendu, le 21 mars dernier, dans une affaire instruite à Aix, Toulon et Marseille. Dans cette affaire, vous avez déclaré ue les procédures instruites à Mar.-eile, Aix et oulon seraient regardées comme nulles, et qu’il n’y avait pas lieu à accusation contre les sieurs Lambarine, Lieutaud et autres; que ceux qui étaient en prison seraient relaxés. Plusieurs membres : Il n’y avait ni instruction, ni décret de prise de corps. M. Leleu de LaVille-aux-Bois, rapporteur. On prétend qu’il n’y avait point eu de décret de prise de corps, ni d’instruction; mais, voici le décret. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport, eic..., en exécution du décret du 15 janvier dernier, et des procédures instruites à Aix, Toulon et Marseille, pour crime de lèse-nation, déclare qu’il n’y à pas lieu à accusation contre les sieurs, etc. . . »