123 [Àssembléé nationàle.[ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 novembre 1789.] disposer des propriétés et qu’ils n’avaient déclaré les mandats nuis que pour cet objet, puisque ces mandats portaient injonction de soutenir leurs droits. L’Europe est garante du traité de Nimègue et cette province prétend que les biens ecclésiastiques sont garantis par ce traité ; je demande que l’Assemblée se fasse représenter les capitulations et le traité de Nimègue. M. de Robespierre. Le préopinant a perdu de vue le principal objet de la discussion, puisqu’il ne s’agit pas de la province de Cambrésis, mais de son bureau renforcé et vraiment aristocratique. (A ces mots des murmures et des applaudissements ironiques interrompent l’orateur.) M. le Président. J’invite l’Assemblé au silence et au calme qui doivent présider à toutes ses délibérations. M. de Robespierre poursuit : Au premier coup d’œil on ne peut se défendre d’un mouvement d’indignation contre ces hommes qui, sans qualité légale, ont osé attaquer vos décrets. Le comble du délire de leur part, est d’avoir tenté de révoquer les pouvoirs des députés qu’ils n’ont pas nommés et clc les révoquer sans l’aveu des peuples qui ont chargé ces mêmes députés de détruire le régime actuel des Etats; mais tant d’absurdité fait changer l’indignation en pitié. Les manderez-vous à la barre? mais ils sont moins coupables qu’ignorants ; ils tiennent encore à ces préjugés gothiques dont ils n’ont pu secouer le joug. Les lumières répandues dans le royaume ne sont pasjusqu’ici parvenues jusqu’au bureau renforcé du Cambrésis I Ce sont des orgueilleux qu’il faut humilier et des ignorants qu’il faut instruire. Je propose de charger les députés du Cambrésis, ses véritables défenseurs, d’écrire une adresse pour leur insinuer des sentiments patriotiques et des idées raisonnables. M. Gaultier de Riauzat. L’arrêté du bureau renforcé des Etats du Cambrésis est attentatoire aux droits de la nation ; la réclamation qu’il contient est fondée sur des titres qui doivent disparaître devant l’intérêt général; et si cet exemple dangereux était suivi, bientôt la plupart des provinces , armées de semblables titres, viendraient s’opposer à une constitution qui doit améliorer leur sort, en accordant à toutes les parties de cet empire des droits bien plus utiles que les privilèges des provinces les plus favorisées. Je ne vous proposerai point de mander à la barre les auteurs d’un arrêté absurde et bizarre ; ils ne mérient pas cet honneur : mais comme , pour l’intérêt de la nation, leur attentat doit être sévèrement puni, je pense qu’il faut renvoyer cette affaire au Châtelet. M. I�e Chapelier. Si quelques provinces pouvaient réclamer des capitulations, des privilèges, ce serait surtout la province de Bretagne ; mais cette province s’est fait un devoir d’en faire le sacrifice sur l’autel de la patrie. î)e quel droit les Etats prétendus du Cambrésis viennent-ils réclamer leurs privilèges? Sont-ils Français ou non ? S’ils sont Français , doivent-ils réclamer d’autres titres que le reste des Français ?... Nous avons poussé l’indulgence, dans deux de nos décrets, assez loin pour ne point poursuivre rigoureusemeut les rebelles aux décrets de l’Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le Roi ; mais une j)areille indulgence peut avoir des suites funestes. Les prétendus Etats du Gam-brésis ont frondé, l’esprit de nos décrets, et notamment celui relatif au biens du clergé. M. d’Estouruiel, député du Cambrésis. Je ne crois pas qu’on puisse empêcher le bureau du Cambrésis de s’assembler comme bureau renforcé, attendu qu’il n’existe aucune défense ad hoc. Aucun des députés de la province n’a eu connaissance des opérations du bureau et ils ont écrit aux membres des Etats. Je propose donc en mon nom et au leur : 1° de renvoyer l’affaire au pouvoir exécutif; 2° de faire défense au bureau intermédiaire de faire aucune convocation. M. Alexandre de Lameih. Si un particulier s’était rendu coupable d’un délit pareil, et qu’il fût cité au comité des recherches, on ne balancerait pas à le traduire au Châtelet; et lorsqu’un corps, dont les actes sont d’une bien plus grande influence, a commis ce crime, il est incroyable qu’on propose d’user d’indulgence. M. Rrostaret. On a proposé de renvoyer l’affaire au Châtelet; renvoyer au Châtelet, c’est renvoyer à l’oubli. Le mandement de M. l’évêque de Tréguier a été dénoncé à ce tribunal et on n’en parle plus. L’occasion serait propice pour que le comité de constitution donnât un travail sur l’organisation du tribunal qui doit juger les crimes de lèse-nation. M. Rarnave. Je pense que l’Assemblée nationale doit déclarer les Etats de Cambrai et du Cambrésis et le bureau renforcé desdits Etats incapables de représenter les habitants de cette province et d’exprimer leur vœu; qu’elle doit déclarer la convocation dudit bureau renforcé et la délibération qu’il a prise le 9 de ce mois, nulles, attentatoires à la souveraineté nationale et aux droits des citoyens; qu’elle doit charger son président de se retirer devers le Roi, pour le prier de faire rentrer dans l’ordre les membres de ce bureau, et de faire exécuter les décrets de l’Assemblée dans la province du Cambrésis; enfin, recommander aux citoyens de la province du Cambrésis de persister dans le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. M. le Président. Trois motions principales ont été faites et plusieurs projets d’arrêtés présentés. Les trois principaux sont ceux de MM. Treii-hard, le Chapelier et Barnave. Je vais les soumettre à l’Assemblée. 1er PROJET, PAR M. TREILHARD. «L’Assemblée nationale, considérant que la convocation des prétendus Etats du Cambrésis, en bureau renforcé, et la délibération prise par ce bureau le neuvième du présent mois, sont attentatoires à ses décrets : « A décrété que le président se retirerait par devers le Roi pour supplier Sa Majesté de déployer dans cette occasion le pouvoir exécutif dont elle est revêtue; en conséquence de déclarer la convocation desdits prétendus Etats en bureau renforcé et la délibération qui a suivi, nulles et de nul effet; faire défense à toutes personnes de faire de pareilles convocations et de prendre à l’avenir des délibérations semblables, sous peine 124 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 novembre l*789.[ d’être poursuivis comme perturbateurs du repos public. » 2e PROJET, PAR M. LE CHAPBLIER. « L’Assemblée nationale considérant que l’arrêté des soi-disant Etats du Gambrésis est attentatoire à la souveraineté delà nation, et contraire à la tranquillité publique : « Décrète que ledit arrêté sera remis au tribunal provisoirement établi pour connaître des crimes de lèse-nation, afin que l’officier chargé des fonctions de ministère public, fasse toutes poursuites contre ceux qui seront prévenus d’avoir été les auteurs et moteurs de l’assemblée et de l’arrêté des soi-disant Etats du Cambrésis, et que le Roi sera supplié d’employer son autorité pour dissiper cette assemblée illégale, et en empêcher toute autre de même nature. « Enfin, l’Assemblée nationale invite le peuple du Cambrésis à garder la plus grande modération, à laquelle le peuple doit d’autant plus se porter, que l’Assemblée nationale se charge de poursuivre au nom de la nation l’attentat commis contre elle. » 3e PROJET, PAR M. BARNAVE. « L’Assemblée nationale déclare que les prétendus Etats du Cambrésis, et le bureau renforcé desdits Etals, sont incapables de représenter les habitants de cette province, et d’exprimer leur vœu; déclare la convocation dudit bureau renforcé, et la délibération qu’il a prise le 9 du courant, nulle, attentatoire à la souveraineté nationale et aux droits des citoyens; arrête que le Roi sera supplié de donner les ordres nécessaires our faire rentrer dans l’ordre les membres dudit ureau, et faire exécuter les décrets de l’Assemblée nationale dans la province du Cambrésis, recommander aux habitants de cette province de persister dans le maintien de l’ordre et de la tranquillité.publique, et dans la confiance qui est due aux décrets de l’Assemblée nationale. » La priorité est demandée pour ce dernier projet : Elle est demandée par d’aütres membres pour le second projet. M. le Président prend les voix pour savoir si le troisième aura la priorité; et soit que plusieurs membres aient déclaré qu’ils n’avaient pas entendu, soit que la première épreuve ait paru douteuse, M. le président en fait une seconde, sur laquelle il prononce le décret portant que la priorité est accordée au troisième décret. Mais dans l’instant des réclamations s’élèvent. Elles ont pour fondement que sur la seconde épreuve la majorité est encore douteuse; l’appel nominal est demandé, et cette demande combattue. M. le Président propose de mettre aux voix, par appel nominal, les deux motions, ou projets d’arrêté, en concurrence l’une avec l’autre. On fait remarquer qu’on ne peut mettre deux motions aux voix, en même temps. M. Gaultier de Biauzat réclame la priorité pour le premier projet en supprimant la phrase portant : * que Sa Majesté serait suppliée de déployer dans cette occasion le pouvoir exécutif dont elle est revêtue. » Divers membres réclament l’appel nominal sur la question de priorité. D’autres membres demandent l’ajournement à samedi séance du soir. L’Assemblée consultée prononce l’ajournement. M. le Président. Je viens de recevoir une note de M. le garde des sceaux par laquelle ce ministre m’apprend que le Roi a accepté les deux articles de constitution que l’Assemblée a chargé ce matin son président de présenter à Sa Majesté. M. Ilébrard, membre du comité des rapports , veut parler de l’affaire du district des Cordeliers ; mais d’après ses observations et celle de M. Duport, qui espérait voir renaître le calme entre les districts et l’assemblée de la commune de Paris, l’affaire a été ajournée à demain 2 heures. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour 9 heures et demie. ANNEXES à la séance de l'Assemblée nationale du 19 novembre 1789. PREMIÈRE ANNEXE Motion sur la situation de la province du Bugey , par M. le marquis de Clermont-Montrai nt-Jean (1). Messieurs, l’impossibilité d’obtenir la parole, et l’importance que peut avoir dans ce moment le mécontentement général d’une province, et surtout d’une province frontière, me force à user de la voie de l’impression pour vous faire connaître promptement ce qui se passe dans celle du Bugey, que j’ai l’honneur de représenter. Cette province, ainsi que la Bresse, furent échangées en 1601 contre le marquisat de Saluce; par ce traité et celui de limite, faits en 1760, les souverains de France et de Savoie contractants ont respectivement garanti les droits, privilèges et immunités des habitants de ces pays échangés. Dès cette époque, ceux du Bugey, glorieux d’être Français, en ont donné des preuves par leur soumission aux lois du royaume , leur respect et leur attachement sans borne pour les volontés et la personne du Roi. Ils en ont consigné la preuve la plus éclatante dans les cahiers donnés par les trois ordres de la province, à leurs représentants aux Etats généraux. Chacun s’est empressé d’y renoncer aux privilèges particuliers ou pécuniaires, chacun a désiré, demandé et consenti une égalité nécessaire au bonheur public. La province entière, pour concourir à atteindre ce but, a déclaré qu’elle renoncerait à la forme de son administration, si une nouvelle était généralement adoptée pour le royaume. Mais en faisant ces sacrifices, et en renonçant à ces formes anciennes, elle s’est réservé le droit de s’administrer elle-même séparément, et sans division ni réunion. (1) La motion de M. le marquis de Clermont-Mont-Saint-Jean n’a pas été insérée au Moniteur.