308 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janvier 1791.] L’homme le plus sage tombe souvent dans le torrent de l’opinion. Et où ne nous conduirait pas un pareil système avec des jurés pour qui une simple notoriété deviendrait souvent l'évidence ! Le comité ne peut atteindre le faux témoin, car il conseive aux témoins la constante libel lé des variations. Quant au procès-verbal proposé par M. Tron-chet pour contenir les aveux, la déclaration de l’accusateur et des accusés, je dis que le procès-verbal sera d’une difficulté extrême à rédiger : il s’élèvera une lutte terrible entre l’accusateur, l’accusé et ses conseils, sur ce qui doit ou qui ne doit pas être écrit dans le procès-verbal ; on usera de longs moments dans le combat, si l’on écrit tout ce qu’ils voudront conserver, voilà la procédure écrite avec plus de lenteur que jamais et le nom seul en est changé. M. Tronchet convient que la déposition est indivisible du débat, et de là il avoue que la déposition doit être écrite; comment rejeter l’écriture du débat qui ne fait qu’un avec elle? Un procès-verbal en matière criminelle, placé où il le propose, est un acte indéfinissable. Et un tel acte, dans l’affaire du 6 octobre par exemple, eût il été bien concluant, et comment eut-il été possible de le rédiger? On rédige les débats sommairement, mais intégralement; si dans ce système ce remède de la division n’était pas précisément perdu, au moins il serait très difficile à appliquer. Messieurs, tous les demi-moyens sont complètement insuffisants. Souvenez-vous, je vous en conjure, que celte ressource ne ferait pas taire le cri du sang de l’innocent que votre législation aurait fait répandre. Des systèmes, lorsqu’il s’agit de la vie des hommes ! de la métaphysique en matière criminelle, lorsqu’il s’agit de conduire un homme à la mort! 11 est un être (c’est celui de la lumière), s’il daignait paraître et dire que ce système est bon, il faudrait se soumettre avec un respect infini, parce qu’il est la lumière; mais comme le comité ne l’est, pas, je demande la question préalable sur son projet de décret. (On rit.) M. l’abbé Charrier de La I&oche. Je n’ai demandé la parole que pour vous soumettre une observation bien simple et qui m’a paru propre à concilier tous les systèmes. Le meilleur système c’est celui qui concilierait la preuve orale avec les longueurs de la preuve écrite, en appliquant à cette dernière tous les caractères de la preuve morale. Ce moyen consisterait en deux sortes de récusations. celle de l’accusé, à l’egard des témoins qui, lorsqu’elle est fondée, ne souffre aucuue difficulté, et celle du juré, après les dépositions. Je veux faire sentir l’utilité et la justice de celte dernière. Tel témoin qui n’est pas suspect à l’accusé peut le devenir au juré qui peut lui refuser sa confiance par des raisons inconnues à l’accusé. Cette récusation pourrait se faire à une pluralité égale à celle que la loi exigera pour le jugement du juré. Les témoins ayant passé par l’épreuve de cette double récusation acquerront une confiance qui fondera une conviction légale; et les jurés prononceront, d’après le résultat de de leur témoignage, le jugement le plus authentique dans l’ordre des certitudes humaines. Je demande donc que la preuve par écrit soit admise dans le sens proposé par le comité, en rectifiant son premier plan amendé parM. Tronchet, et que les jurés, avant de former leur juge-gement, soient autorisés à récuser, dans une pluralité convenue, ceux des témoins qu’une conviction intime leur indiquera comme indignes des regards de la justice. M. Goupil ( ci-devant de Préfeln). Je crois, Messieurs, que le dernier projet que le comité nous a présenté était indispensable ; que cependant l’article 3 doit être retranché. Je crois qu’on peut y ajouter des articles additionnels que je vais vous proposer. Le 3e article qui vous est présenté par le comité est conçu en ces termes : L’examen des témoins et des débats sera faits ensuite devant le juré, de vive voix et sans écrit, après la lecture publique qui en sera faite. L’article ajoute ; Et ils serviront à la conviction. Je propose qu’on retranche ces derniers termes: Voici deux articles additionnels : « 1° Néanmoins si l'accusé ou ses conseils remarquent dans les déclarations faites par les témoins devant les jurés quelque chose qui puisse servir soit à infirmer le témoignage, soit à l’éclaircissement des faits ou à la justification de l’accusé, ils auront droit de requérir que ces déclarations soient rédigées par écrit, et cela ne pourra leur être refusé ; « 2° Si les témoins entendus, soit par le juré de police, soit devant le juré ou devant un des juges du tribunal du procès, ne comparaissent pas devant le juré d’accusation, les dépositions ne seront lues qu’au cas qu’elles aillent à la décharge de l’accusé. » M. Tronchet. La crainte que j’avais hier d’abuser de vos moments m’a fait omettre une observation importante; elle doit répondre à uue objection faite par M. Thouret. Vous vous rappelez que dans la troisième partie de mon discours je m’étais proposé de vous établir la nécessité d’écrire les dépositions toutes les fois que les jurés le croiraient nécessaire et le requerraient. Je me suis fondé sur ce qu’il est moralement et physiquement impossible que les jurés [missent, sans ce secours, parvenir à juger une procédure compliquée. Voici l’objection principale et la réponse : Le comité dit et suppose qu’il ne peut y avoir de procès compliqué, si on établit séparément le débat pour chaque accusé. Je réponds qu’il est impossible à un législateur raisonnable de faire une pareille loi. Prenons pour exemple le procès contre milord Riston. Ii y avait plusieurs coaccusés. LevieuxRislon,en comparaissant devant le juré, demanda que son procès fût jugé séparément. Voici la réponse du juge : * Monsieur, si vous insistez sur votre demande, je ne puis vous la refuser, parce que la loi le permet; mais je dois vous avertir que vous allez contre votre propre intérêt, et qu’il vous est plus avantageux de vous défendre conjointement et en présence de vos coaccusés. » Vous voyez que ia loi anglaise permet à l’accusé de demander la séparation de son affaire; mais vous voyez aussi qu’elle ne l’exige pas, et 1a réponse pleine de sens et de justesse du directeur du juré vous eu donne la raison; c’est qu’il est plus avantageux aux coaccusés d’être jugés en commun; c’est que la loi naturelle ne permet pas aux législateurs de priver l’accusé de tous les moyens que le droit naturel lui donne pour se défendre. S’il est impossible que vous fassiez une pareille loi, il est impossible que vous évitiez la complication de la procédure, parce que les accusés, connaissant la permission que leur donne