[Assemblée nationale.] « Messieurs, j’avais demandé à l’Assemblée nationale un congé conditionnel le 18 octobre dernier, dans l’espérance que j’avais de n’être point dans la dure nécessité de m’en servir; mais j’ai élé trompé dans mon attente : ce congé était pour quelques jours seulement. La maladie de mon frère, curé de Briare, m’a obligé de rester plus longtemps. Je déclare donc à l’Assemblée que je suis parii le 21 octobre, et que je ne suis revenu que Je 22 novembre. Je n’ai point annoncé mon retour, comme le décret du 21 octobre m’y oblige, parce que j’ignorais ce décret, qui a éié rendu pendant mop absence, et que je ne l’ai su que hier eu lisant la suite des procès-verbaux; ce quj fait que je me présente aujourd’hui pour y satisfaire, et pour déclarer qu’au lieu de quelques jours seulement, j’ai été absent pendant uu mots entier. » (L’Assemblée nationale reçoit la déclaration de M. Vallet, curé de Saint-Louis de Gien, pour une absence d’un mois entier.) M. Sallé de Choux, député du département du Çher, déclare également son retour depuis le 18 dp courant. M. le Président. L’ordre du jour est la discussion du projet de décret sur V organisation du Trésor public (1). M. Rœderer. Avant l'ouverture de toute discussion, je suis chargé par votre comité de l’impo-siüon de vous faire uri rapport concernant les lois constitutionnelles des finances. Ce rapppori est nécessaire pour vous faire connaître le désaccord qui existe entre votre comité d’imposition et vos comités de Constitution et des finances sur l'organisation du Trésor public. M-le Président, après avoir consulté l’Assemblée, donne la parole à M. Rœderer. M. Rœderer, rapporteur , Messieurs, le moment est venu de départir les divers pouvoirs politiques qu’un système régulier des finances rend nécessaires. Vous avez; décidé que le droit de voter l’impôt appartiendrait aux représentants de la nation ; mais vous n’avez pas déclaré à qui en appartiendraient ta suprême administration et la trésorerie générale. Le projet de trésorerie qui vous est présenté par vos comités de Constitution et des finances, l'établissement des diverses contributions indirectes que vous avez votées et de celles que vous voterez encore, vous obligent à prendre incessamment une résolution générale sur ce sujet. Plusieurs membres de celte Assemblée ont paru s’élever contre l’idée d’ôter au gouvernement, et la nomination des régisseurs des contributions indirectes, et l’administration générale des finances. Plusieurs ont prétendu aussi que la trésorerie ne pouvait être remise en d’autres mains que celles d’un délégué du roi; et suivant cette opinion, vos comités de Constitution et de finances, vous proposent de décréter qu'il continuera d’y avoir un ordonnateur général dn Trésop public , nommé par le roi ; (1) Voyez les rapports de M. Lebrun: 1° du 21 juillet 1190; 2» du 11 décembre 1190. Archives parlementaires , tome XVII, page 221 et tome XXI, page 370. (2) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du rapport de M. Rœderer. [20 décembre 1790.] 579 Que ses fonctions seront, sous les ordres du roi , de diriger le versement dans le Trésor public des contributions directes ou indirectes , et des revenus qui lui seront assignés; de diriger l'administration du Trésor public, etc. (Articles 1 et 2 du projet de décret sur l’organisation du Trésor public). Votre comité de l’imposition qui, dans le cours de ses travaux, a dû donner une attention particulière aux rapports de la finance avec la Constitution, et qui a été conduit nar des discussions fréquentes, à des opinions différentes de celles qu’il vient de rappeler, regarde comme un devoir de vous exposer ses principes. Ceux qui veulent donner au roi la suprême administration des finances, pensent qu’elle est une partie essentielle et indivisible du gouvernement, ou qu’il convient à i’intérêt public de la lut attribuer. Nous, au contraire, nous pensons que les pou-voirsde finances sont essentiellement distincts et séparés des autres pouvoirs politiques, et qu’il ne convient pas, qu’il n'est pas possible de joindre la suprême administration de3 finances avec le suprême exercice du pouvoir exécutif. Il y a donc deux questions à examiner. La première est de savoir si les pouvoirs de la finance sont par leur nature inhérents aux divers pouvoirs politiques de la Constitution. La seconde est de savoir si l’intérêt de la Constitution demande que les diverses fonctions, les divers pouvoirs nécessaires au régime des finances soient unis suivant leur analogie, soit avec le pouvoir législatif, soit avec les différentes parties du pouvoir exécutif. première question. Les pouvoirs de la finance sont-ils essentiellement unis aux pouvoirs politiques établis par la Constitution? Pour résoudre clairement cette question, il faut d’abord distinguer les pouvoirs établis par la Constitution ; Et ensuite distinguer les pouvoirs dont un système régulier et complet de finances publiques reud l’exercice nécessaire. Pour discerner exactement les pouvoirs établis par la Constitution, il faut déterminer ce que c’est que la Constitution, et quel est son objet. La Constitution est l’ensemble des pouvoirs publics nécessaires à l’existence de la société, c’est-à-dire à la garantie des droits naturels de l’homme en société. Pour le maintien de ces droits, la Constitution à dû instituer et a réellement établi trois pouvoirs : Le pouvoir législatif, qui déclare les droits civils par les lois; Le pouvoir judiciaire, qui déclare le sens de® lois, et les applique aux cas particuliers quant* il est contesté, ou quand il s’agit d’affaires criminelles; Enfin, le pouvoir exécutif, qui fait exécuter les lois par son action immédiate, quand il n’y a pas de résistance, ou par l’emploi de la force quand l’intervention de la force est nécessaire. Le pouvoir judiciaire est évidemment séparé, par sa nature, des deux pouvoirs entre lesquels il est placé; Montesquieu l’en avait dès longtemps distingué ; l’ancien droit public de la France Peu avait aussi distingué. Yos discussions sur l’ordre ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ggo [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAMES. [20 décembre 179b.) judiciaire, Messieurs, ont marqué d’une profonde empreinte les caractères qui lui sont propres , et vos décrets, en privant le prince du droit de juger, en soustrayant même la justice à son influence par l’élection des juges, ont séparé, par d’insurmontables limites, le pouvoir judiciaire des autres pouvoirs. Il y a donc trois pouvoirs dans la Constitution française. Voyons maintenant si les fonctions publiques, qui concernent la finance, se rapportent nécessairement à ces pouvoirs. Ici une première observation se présente : c’est que la finance n’est pas d'une nécessité absolue à la garantie des droits, et qu’ainsi les pouvoirs de la tinauce ne sont pas parlre necessaire de l’établissement public. En effet, il est tort possible de concevoir un établissement publie sans finances. Un peuple chez lequel la propriété foncière ne serait pas établie, chez lequel la terre ne serait à personne, et où les fruits seraient à tous les citoyens, n’aurait point de finances; un peuple qui imposerait toutes les fonctions publiques à titre de prestations civiques et gratuites, n’aurait point de finances ; un peuple qui affecterait un territoire à chaque fonctionnaire public, n’aurait point de finances ; un peuple enfin qui mettrait chaque corps chargé d’une fonction publique à la solde immédiate de celui qui a recours à lui, le tribunal (nous ne disons pas le juge) à ia charge du plaideur, l’ad-minisiratiou à la charge immédiate de l’administré, renseignement à la charge de l’enseigné, n’aurait point de finances. Mais quand on admettrait l’absolue nécessité de la finance dans un Etat civilisé, il ne s’en suivrait pas qu’elle dût faire partie de rétablissement public proprement dit, mais seulement qu’elle doit en être le soutien et l’appui. Il s’en suivra qu’elle doit conserver, non des droits, mais seulement le grand instrument construit pour les conserver, c’est-à-dire ia Constitution . Or, si son objet est d’entretenir la machine du gouvernement, elle n’en est donc pas une pièce constituante. Si elle doit fournir l’aliment des pouvoirs publics, elle est donc essentiellement hors des pouvoirs publics. L’analyse des diverses fonctions relatives aux finances va achever la démonstration de cette vérité. Voici le tableau de ces differentes fonctions dans l’ordre où elles naissent les unes des autres : La première est de voter des dépenses publiques; La seconde est de voter des contributions pour l’acquittement de ces dépenses; La troisième est de régler le mode de ces contributions; La quatrième est de répartir les contributions directes ; La cinquième est de régir les contributrons indirectes; La sixième est de percevoir et recevoir les deniers piovenantdes unes et des autres ; La septième est de les tenir en garde jusqu’au besoin, et d’en faire la distribution ; Lu huitième est d’en faire rendre compte à tous ceux qui en ont eu le maniement en recette ou en dépense , La neuvième est de poursuivie la responsabilité des ordonnateurs; La dix ième de la juge ; ; La onzième de juger les redamaiious qui peuvent s’élever contre de prétendues surtaxes ou exactions. Certainement, dans ces diverses fonctions, il en est qu’on peut appeler législatives , d’antres qu’on peu t appeler exécutives, d’autres enfin qu’on peut appeler judiciaires. Mais aucune ne fait partie des pouvoirs appelés de ces différentes dénominations. Régler un mode de perception, c’est faire une loi. Percevoir suivant ce mode, c’est exécuter la loi. Prononcer entre un percepteur et un redevable, entre une municipalité et une autre, statuer sur les réclamations d’un département qui se prétend surtaxé, c’est exercer les fonctions judiciaires; et même répartir la contribution directe entre les départements, c’est prononcer par un jugement que celle somme est proportionnelle aux facultés au département; ce n’est pas à la vérité rendre un jugement définitif et contradictoire, mais c’est rendre un jugement d’office, sauf la vérification. Mais cette ressemblance extérieure de plusieurs des fonctions relatives aux finances avec les autres fonctions politiques de la Constitution, n’autorise pas à les classer suivant leur analogie avec ces divers pouvoirs, comme s’ils en formaient une dépendance. Elles eu sont séparées par leur objet et par leur nature. Instituer des dépenses publiques, c’est régler la condition des pouvoirs publics; c’est stipuler nu nom de la pleine puissance nationale, au nom de la propriété, avec ceux qui en seront dépositaires; c’est exercer ce pouvoir qui est antérieur à tous tes pouvoirs politiques, qui eu est le principe, qui est, et ne peut être que l’exercice immédiat de la souveraineté du peuple, c’est taire une loi constitutionnelle, c’est exercer le pouvoir constituant. Voter une contribution d’un an pour acquitter cens dépenses, ce n’est pas faire une loi; car une loi ne se borne ni à un temps, ni à un acte particulier; c’est décréter un fait, c’est décréter le payement d’urm dette, l’acquit d’un engagement national; c’> st faire pour la libération de la souveraineté, de la propriété engagées, un acte de la souveraineté et de la propriété même. Si l’institution des dépenses publiques (nous ne disons par leur mesure) appartient au système de la Constitution, si ia votation d’une contribution d’une année n’est qu’un fait accessoire de la loi constitutionnelle qui ordonne une dépense publique, il est évident que toutes les fonctions de finances, la répartition, la collecte, ia trésorerie, l’administration, la comptabilité, la responsabilité des finances, toutes ces fonctions qui ne sont que des circonstances du même fait, qui y sont liées comme les moyens le sont à la fin, sont sépares comme ce fait même, comme la loi constitutionnelle qui en est le principe, des pou-» voirs politiques établis parla Constitution. Vous avez eu le sentiment de ces vérités, Messieurs, lorsque vous avez rédigé, et la Déclaration des Droits, et les diverses parties de la Constitution qui sont décrétées. Vous avez déjà jugé que le pouvoir de voter l’impôt et de faire les règlements qui s y rapportent n’appartiennent pas, par fi-ur nature, au pouvoir législatif; vous avez jugé que le pouvoir judiciaire, en matière de contribution, n’appanieut pas essentiellement aux tribunaux; vous avez jugé enfin que le pouvoir administratif des finances et la trésorerie ne font pas partie nécessaire du pouvoir exécutif. En un mot, vous avez jugé que les diverses fonctions fiscales De tombaient pas dans le par- (20 décembre 1790.) [Assemblée nationale.] tage des autres pouvoirs publics, et r;u’elles devaient être l’objet de délégations particulières et spéciales. Reprenons et prouvons ces propositions. Un decret solennel nous autorise à dire que vous n’avez pas cru le pouvoir de voler les contributions inhérent au pouvoir législatif. C’est celui où vous dites : « Aucun dépôt ne « sera accordé que pour le temps qui s’écoulera « jusqu’au dernier jour de la session suivante. « Toute contribution cessera de droit à cette épo-« que, si elle n’est pas renouvelée. Mais chaque « législature votera.de la manière qui lui paraîtra « la plus convenable, les sommes destinées, soit à « l’acquittement de la dette publique, soit au « payement de la liste civile. » La première disposition de ce décret rend impossible l’exercice du vélo qui appartiendrait au roi, relativement à la votation de l’impôt, si cette votation était un acte législatif. Qu’est-ce, en effet, que le veto? C’est la faculté qu’a le rot d’àppeler à une subséquente législature, ou plutôt au peuple représenté par une subséquente législature, d’un decret rendu par une législature actuelle, et ainsi de suspendre pendant deux ans au moins l’exécution de ce décret. Si donc ta Constitution défend aux législatures de voter l’impôt pour plus de temps que l'espace qui s'écoulera jusqu'au dernier jour de la session suivante , si toute contribution doit cesser de droit, à cette époque à moins quelle ne soit renouvelée , il est évident que le veto, c’est-à-dire la faculté de suspendre une loi pendant deux ans, De peut s’appliquer aux lois de l’impôt, à moins de mettre en principe que le roi peut arrêter par sa seule volonté toute action de la machine politique, et la désorganiser. Donc le décret que nous venons de rapporter suppose que les décrets qui votent l’impôt ne sont pas législatifs. Vous avez consacré cette vérité en décrétant que les divers décrets déjà rendus pour l’établissement des nouvelles contributions seraient présentés, non à la sanction qui suppose au roi la faculté d’exercer le veto, mais à l’ acceptation pure et simple qui ne peut être différée. La seconde disposition du décret dont il s’agit ôte aux législatures la faculté de voter moins de contributions qu’il n’en faudra pour assurer le payement des dettes publiques, et la liste civile. Si la Constituiioo limite le droit de voter l’impôt qu’elle attribue aux législatures, elle pourrait donc ne pas le leur attribuer du tout. Ce droit ne leur est donc pas essentiel. Nous avons dit que vos décrets avaient séparé plusieurs fonctions judiciaires relatives aux contributions publiques, du pouvoir judiciaire proprement dit. Et en effet, Messieurs, vous avez décrété que le Corps legislatif répartirait l’impôt direct entre les départements, les départements entre les districts, les districts entre les municipalités, les municipalités entre les individus. Vous avez décrété, de plus, que les réclamations, en cas de surtaxes, seraient portées des municipalités aux districts, des districts aux départements, des départements aux législatures. Or, qu’est-ce que répartir l’impôt? C’est préjuger les facultés, et par conséquent les obligations de ceux entre qui l’on répartit; c’ st rendre un jugement d’office. QuVsî-ce que statuer sur les réclam. Rions nés contriouables? C’est statuer définitivement, et après avoir entendu les parties intéressées. Nous avons avancé enfin que déjà vous aviez 58i séparé du pouvoir exécutif plusieurs narties administratives du régimedes finances; et, en effet, vous n’avez pas douié qu’il ne fût île votre devoir devousen attribuerplusienrs.Recevoir [escomptes .les deniers publics, les examiner, les contrôler, les apurer, sont des actes purement administratifs, et cependant vous les avez exercés, et vous avez été envoyés pour les exercer. Ce sont des actes administratifs sans doute., mais qui sont tous dépendants de l’acte immédiat de souveraineté, de propriété qu’exerce le peuple, en faisant les fonds nécessaires pourpayer l’établissement public qu'il a créé par la souveraineté, qu’il a doté de sa propriété. En séparant ces actes administratifs detousles autres, vous n’avez fait que vous conformer à un article de la Déclaration des Droits, oùle principe est expressément reconnu. Les citoyens , porte l’article 14 (remarquez ce mot les citoyens), ont le droit de constaterUAR EUX-MÊMES ou par leurs représentants , la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement , d’en suivre l’emploi, et d'en déterminer la quotité , l'assiette , LE RECOUVREMENT et la durée.. Au reste, Messieurs, les principes que nous professons ici, et que nous trouvons consacrés dans votre code constitutionnel, lie sont pas nouveaux, au moins quant à la partie administrative des finances. Dans l’origine, et jusqu’à François Ier, elles étaient entièrement séparées du gouvernement. Les tributs étaient votés par les Etats, perçus par des élus du peuple, gardés dans un trésor séparé de celui du prince, et à la disposition, non du prince seul, mais du prince et des cours des comptes, chargées de veiller sur l’emploi des deniers. L’ancien corps du clergé n’exerçait-il pas, il y a un an encore, tous les pouvoirs financiers? Il votait, répart jssait, percevait, gardait ses contributions et jugeait les appels de taxe par ses propres agents. Les, pays d’Etat se sont constamment maintenus jusqu’à présent dans le même usage; ils ont établi leurs impôts comme ils Tout voulu: ils en ont créé de directs, d’indirects; ils ont administré les uns, fait régir on affermé les autres, comme et par qui ils l’ont jugé convenable, etc. Il paraît doue bien prouvé que les divers pouvoirs nécessaires aux finances publiques ne sont pas essentiellement attachés aux divers pouvoirs qui composent l’etablissement public. Au reste,, Messieurs, en soutenant que les pouvoirs de finances sont essentiellement distincts des autres pouvoirs, nous n’avons pas dessein d’en conclure qu’il faille placer à côté de l’établissement public proprement dit, un autre établissement public, pour ainsi dire, parallèle pour la finance; qu’il doive y avoir un corps constituant particulier pour voter l’impôt; une législature particulière pour en régler le mode; un pouvoir judiciaire particulier pour statuer sur les difficultés auxquelles la répartition, la perception peuvent donner naissance; un pouvoir exécutif particulier pour administrer les différentes parties purement administratives. Nous pensons, au contraire, que les différents pouvoirs que notre système de finances rend nécessaires, doivent être unis presque en totalité aux diffère rus pouvoirs que la Gonuitution a établis; nous pen-ons même qu’il est très possibled’affer-mir la liberté par un entrelacement sagement combiné des uns avec les autres. Mais c’est pour remplir cette vue-là même, ARCHIVES PARLEMENTA 582 [Assemblée nationale.) c’est pour avoir la faculté d’unir ces pouvoirs de la manière la plus utile, la plus conforme aux droits du peuple, que nous avons cru nécessaire de montrer à quel point la finance est indépendante du principe, qu’il faut les séparer avec soin, èt que toute fonction publique doit, suivant sa nature, se rapporter à l’un ou à l’autre. Après avoir examiné les caractères des pouvoirs de la finance, et prouvé que, par leur nature, ils ne sont pas liés aux autres pouvoirs politiques établis par la Constitution, il nous reste à voir comment il convient de les y unir. DEUXIEME QUESTION. Comment faut-il départir les pouvoirs de la finance ? Une partie de là question est déjà résolue par plusieurs de vos décrets constitutionnels que noüs avons rappelés plus haut. 1° Les législatures seront obligées de voter les sommes nécessaires [mur acquitter tes engagements de la nation envers ses créanciers. 2° Elles seront obligées de voter de même les fonds de la liste civile. 3° Elles sefont obligées de voler les salaires des juges, puisque vous avez décrété qu’ils seraient salariés par l’Etat. Ainsi, voilà trois parties de dépense que le pouvoir constituant a votées lui-même, soit comme l’aliment nécessàire des parties essentielles de la Constitution, soit comme lé moyen d’acquitter un engagement national ; et les législatures n’auront d’autres droits à cèt égard, que de constater les sommes nécessaires pour remplir le vœu de la Constitution et de régler le mode de leur perception. Sans doute, Messieurs, il serait conséquent aux principes des décrets que je viens de vous retracer, qu’une simple législature ne pût refuser ou réduire, sans mesure, les sommes nécessaires aux autres parties de l’établissement public : il conviendrait fc[u’uhe Assemblée purement législative, c’est-à-dire, à qui lé peuple n’aurait pas confié, par un mandat spécial, le. pouvoir positif de changer la Constitution, ne pût donner aucune atteinte indirecte à l’ouvrage d’une convention nationale, ç’est-à-dife, du peuple lüi-même; qu’une législature qui ne pourra ébranler les bases constitutionnelles du pouvoir militaire, du pouvoir administratif, ne pût pas leur refuser la subsistance, èic. Mais* Messiëürs, de grandes raisons vous obligent à déléguer aux législatures ces portions du pouvoir national. Les dépenses auxquelles engagent les diverses parties de l’établissement public sont variables ; la richesse nationale qui doit y subvenir, l’est elle-même; enfin, certaines dépenses nécessaires ën général, peuvent, dans certaines circonstances, devenir inutiles et même funestes ; celle de l’année est de ce genre; il faut pouvoir en arrêter la solde, si la corruption menaçait la liberté publique. Il faut donc laisser aux législatures le droit d’établir ou de faire cesser au moins une partie de l’impôt, outre la faculté d'en régler le mode. Mais tomme elles n’exerceront, à cet égmd, qu’une délégation du pouvoir constituant, leurs décrets né doivent être présentés qu’à l’ acceptation du roi. Viennent maintenant les pouvoirs administra-[20 décembre 1790.] tifs et judiciaires. Parlons d’abord de ces derniers. Nous avons dit que répartir l’impôt direct, c’est préjuger les facultés des particuliers, ou des séchons du peuple entre lesquelles on répartit; et qu’entendre leurs réclamations en cas de surtaxe, et statuer sur ces réclamations, c’est rendre un jugement définitif. Vous avez décrété, dans la loi qui concerne les corps administratifs, que les contributions seraient réparties sur les individus par les municipalités, sur les municipalités par les districts, sur les districts par les départements. Il vous reste à dire précisément qu’elles le seront entre les départements par le corps législatif. Mais vous avez déjà dit que les administrations des département seraient chargées, sous l'inspection du Corps législatif, et en vertu de ses décrets , de répartir les contributions directes imposées à chaque département; et ces paroles renferment implicitement ou supposent la disposition que nous vous proposo >s ici. En tout cas, il est évident que, comme chaque administration de département est le seul tribunal impartial qui puisse prom ncer entre les districts, de même l’Assemblée législative peut seule prononcer avec impartialité entre les départements. Quant aux réclamations en cas de surtaxe, il est aussi décrété que, des municipalités, elles seront portées aux districts, des districts aux départements, des départements à la législature. Il est nécessaire, en effet, que les réclamations remontent toujours à la source d’où part la décision qu’elles attaquent, et que le jugement définitif procède de la même autorité qui a rendu un premier jugement d’office, et saüf la vérification par un examen ultérieur. Les contributions indirectes ne peuvent être réparties, puisqu’elles su lèvent eu général sur les consommations, ou sur les actes. Aiusi, il est possible de ne pas procéder de ta mémo manière à leur égard, que pour les autres; et vous avez décrété que les difficultés auxquelles la perception donnerait lieu, seraient portées aux tribunaux ordinaires. Celte disposition est très sage. Les contributions indirectes exigent des formalités particulières, dout l’étude est nécessairement de quelque difficulté; d’ailleurs, elles exposent souvent les redevables à des condamnations pénales; et par cette raison, elles détruiraient toute sûreté individuelle, si les jugements auxquels elles donnent lieu n étaient soumis aux formes observées dans les tribuuaux. Il nous reste donc à voir comment doivent être distribués les pouvoirs administratifs. Vous avez déjà distribué les pouvoirs administratifs inférieurs et lés trésoreries particulières; vous avez décrété que les receveurs des municipalités et les trésoriers de districts seraient nommés par le peuple. — Vous avez décrété aussi que les administrateurs immédiats de l’impôt direct seraient nommés par le peuple. Vous avez ensuite séparé du pouvoir exécutif proprement dit, toutes les administrations locales, ch décrétant que les fonctions administratives concernant l’impôt direct, confiées aux administrations de départements, seront exercées sous l'inspection du Corps législatif , et en vertu deces décrets. Par là, vous les avez nettement distinguées des fonctions administratives, pio-prément düës, dout uù article subséquent charge ARCHIVES PARLEMENTAIRES JAssemblée nationale.] ARGH1VES PARLEMENTAIRES (20 décembre I790.J ces mêmes administrations de départements sous V autorité, et l'inspection du roi. La seule question qui reste donc à examiner, est de savoir si l’on confiera au chef suprême du pouvoir exécutif, la suprême administration de l’impôt indirect et de la trésorerie publique. Personne ne méconnaît plus ce principe, que le gouvernement doit toujours être subordonné à la souveraineté nationale; et l’on sait aussi que, par sa nature, il tend toujours à l’usurper. Il faut donc, non seulement que la mesure de son pouvoir soit fixée avec précision, mais encore qu’elle ne puisse jamais être excédée. Ainsi, le nombre des fonctionnaires publics qui lui sont subordonnés, la division de l’autorité entre eux, la nature de leur dépendance doivent être exactement déterminées sur le besoin public. Ce n’est pas tout; l’argent est un principe de pouvoir; avec l’argent on l’étend; avec l’argent on en perpétue l’abus. La mesure d’argent que la nation départit au chef du gohvernement, doit donc être exactement calculée sur la mesure du pouvoir politique que la Constitution lui départit. Ainsi, les fonds dont il aura personnellement la disposition, doivent être déterminés, et ceux qui sont destinés à diverses dépenses publiques doivent ne pas pouvoir en être détournés un seul instant. Ces principes posés, voyons s’ils ne seraient pas blessés par le système qui laisserait au gouvernement l’administration entière de la finance. C’est un des inconvénients attachés aux contributions indirectes, qu’elles n’offrent qu’un produit incertain et dépendant d’une foule de circonstances. Donc si vous laissez au gouvernement la nomination des régisseurs de cette espèce de contribution, la suprême direciionde leurs opérations, et la recette générale de leurs perceptions, vous placez la nation entre plusieurs dangers. 1° Vous lui faites courir le risque d'ètre trompée sur les produits ; 2° Vous ne le garantissez pas d’un forcement de perception qui mettrait aux mains du gouvernement un excédant de recette imprévu, dont l’empioi n’aurait pas été décrété, et dont, par celte raison, il serait possible de faire un usage funeste ; 3°Vous ne la garantissez pas de l’excès contraire, c’est-à-dire d’un relâchement prémédité dans la perception, d’un amoindrissement de produit sourdement préparé, à dessein de rendre l’usage du crédit nécessaire, de légitimer des emprunts aux moins passagers, de créer ainsi des ressources illimitées au pouvoir exécutif, et de mettre à sa disposition, de lier à ses vues cette foule de gens de finance qui, vivant de là substance dd peuple sous les gouvernements déprédateurs, sontautànt d’apôtres du pouvoir arbitraire; , 4° Enfin, vous laissez le gouvernement maître de détourner, pour des vues particulières, des sommes destinées aux dépenses publiques et à l'acquittement des engagements nationaux. Ainsi, dans ce système, la nation, après avoir sagement limité les dépenses du gouvernement, lui laisserait la faculté d’augmenter sa recette ; après avoir sagement départi le pouvoir exécutif, elle laisserait le gouvernement, chef suprême de ce pouvoir, réunir en ses mains les salaires de tous ceux qui les partagent, et par là étendre son pouvoir sur tous. Vous n’avez pas voulu laisser au pouvoir lé-5t>3 gislaîif la faculté de paralyser diverses parties de la Constitution en refusant l’impôt nécessaire à leur soutien; le gouvernement aura-t-il ce privilège, et par le fait du moins, pourra-t-il tout arrêter et tout suspendre en détournant des fonds , en suspendant des payements, en retenant des salaires ? Un autre inconvénient des contributions indirectes est d’exiger pour leur perception un nombre infini d’employés, chèrement soldés, liés les uns avec les autres par une mutuelle correspou-dauce, subordonnés à des chefs de qui ils reçoivent toutes leurs directions, en un mot, formant une corporation considérable, el intéressée à la cohésion qui fait la force. Cet inconvénient ajoute à l’antre. Car, Messieurs, si toutes les places supérieures de ces régies sont à la nomination du gouvernement, et sous son inspection, le gouvernement aura évidemmment à sa disposition une armée très nombreuse, très redoutable ; il aura de plus la foule des gens qui aspireront à en faire partie; car on enchaîne bien plus encore les hommes par l’espérance dont on les flatte, que par les biens qu’on leur assure ; et avec trente mille emplois à donner, le gouvernement pourra captiver cent mille individus. Il résultera donc de ce système que la finance, qüi ne doit êtrë que l’aliment du pouvoir exécutif sagement circonscrit, sera elle-même un grand accroissementde pouvoir politique, et qd’ainsi le moyen tournera contre la lia que la nation a dû se proposer. Qui peut calculer les effets d’un semblable ordre de chose ? Si le gouvernement veut employer la force ouverte pour l’exécution dé desseins pervers, ne tfouverâ-t-il pas de terribles ressources dans le pouvoir fiscal qtîé vous lui aurez donné? Vous avez voulu, Me-sieurs, que les troupes françaises, dont Vous avez déclaré le roi chéf suprême, ne pussent jamais, et sous aucun prétexte, même dans Jes cas provisoires et urgents où l’ordre public l’exigerait, être employées contre les citoyens, à moins qu’elles ne fussent requises par les municipalités qui deviendraient ainsi garantes de chaque action où la force des armes serait mise en usage. D’après ce principe, comment concevoir un ordre de choses, où une milice armée, disciplinée, considérablement soldée, destinée par la nature de ses fonctions à agir sans cesse sur les citoyens, serait formée uniquement de créatures du gouvernement, serait entièrement dépendante de chefs nommés par le gouvernement? Vous bornez-vous à supposer que le gouvernement veuille faire ce à quoi le gouvernement d’Angleterre réussit toujours si bien, je veux dire, corrompre la législature et même les électeurs? Considérez, dans cette hypothèse, très admissible, combien la multiplicité des places de finances, en France, pourra lui gagner de suffrages 1 Et ensuite, Messieurs, étendez vos regards sur les conséquences de la corruption elle-même. Il en est une bien effrayante! c’est que la corfüp-* tion des législatures, opérée par un système de finances vicieux, rendrait toute réforme de la finance désormais impossible, protégerait même lefe abus d’où elle procéderait, se perpétuerait et se propagerait ainsi dans ie plus long avenir, Mais ce n’est pas assez, Messieurs, que le pouvoir exécutif ne puisse s’étendre par l'administration des finances au delà des limites qui lui sont assignées; il faut que la nation puisse 584 (As? :r ! lco nation:: ARCriVÏ.:- PARLE?, !'.? TA 1RES. [20 décembre 1790.] arrêter et peut-être réduire ce pouvoir, dès rju’it tendra à abuser des moyens d’action et d’influence qui lui sont propres; il faut, par exemple, qu’elle puisse sans effort, sans bruit, sans combat, anéantir une armée qui menacerait la liberté publique. Or, cette faculté dépend du pouvoir de faire cesser à l’instant la solde de cette armée. Elle tient donc à l’administration des finances. La finance doit donc être considérée comme le régulateur du pouvoir exécutif. Ce régulateur donc ne doit pas être à la disposition du pouvoir exécutif. On nous parle toujours de la responsabilité des ministres ! Elle est nécessaire, sans doute, comme une loi pénale pour tout crime public ; mais elle n’est pas suftisante. Il est difficile de convaincre d’exaction, de concussion ; il est rare que des crimes de cette nature soient punis ; c’est aussi une triste et impuissante ressource que celle de punir. Ce n’est pas par leurs lois pénales que les nations se préservent des grands crimes, c’est par leurs lois de prévoyance. Ce n’est pas par leurs bourreaux que les nations contiennent les scélérats, c’est par la sollicitude paternelle d’un gouvernement éclairé qui s’assure des actions, soit en dirigeant lesvolontéspar l’éducation, les mœurs et l’aisance du peuple, soit en les contenant par une police à la fois vigilante et réservée, active et circonspecte. C’est à prévenir, non à punir les attentats politiques, qu’une nation doit s’attacher. Eh ! quand le crime d’un ministre est d’avoir corrompu les juges devant lesquels il est soumis à la responsabilité, à quoi peut servir sa responsabilité? Quand le crime d’un gouvernement est d’avoir arrêté l’exercice de la souveraineté nationale, qu’est-ce que sa responsabilité devant la nation f Qu’est-ce que la responsabilité du despotisme et de la tyrannie devant la servitude et la corruption. Au reste, Messieurs, l’autorité de plusieurs exemples, celle de quelques opinions particulières, celle de l’opinion publique, celle de vos propres principes, se joignent aux observations que je vous ai présentées pour vous conduire au même résultat. Au mois de décembre de l’année dernière, le premier ministre des finances vous a proposé une Trésorerie nationale, et il vous a dit que le crédit public dépendait de cet établissement. Si vous-mêmes, Messieurs, vous avez décrété que les receveurs de l’impôt direct, ainsi que les trésoriers de district, seraient Dornmés par le peuple; si vous avez cru sage de mettre à la garde des préposés du peuple les premiers réservoirs des contributions directes, dont il est impossible de faire un usage contraire à la liberté publique, vous devez trouver nécessaire aussi de placer des préposés du peuple autour du réservoir commun dans lequel entrent les produits des receties particulières, et où s’accumulent ainsi de redoutables moyens de puissance ; et si cette précaution est nécessaire pour la Trésorerie générale des contributions directes, elle doit l’être pour celle des contributions indirectes . Quant à l’administration des finances, ce qui vous reste à faire est aussi tracé par ce que vous avez fait. Puisque vous avez décrété que les administrateurs immédiats de l’impôt direct seraient nommés par le peuple, les chefs au moins des régies nationales doivent tenir leurs pouvoirs du peuple. Si les fonctions administratives suprêmes, qui concernent les contributions directes, sont entièrement séparées dn gouvernement par vos décrets, les fonctions administratives suprêmes, qui concerneront les contributions indirectes, ne doivent pas lui être unies. Eh ! sur quel prétexte les unirait-on? Les contributions indirectes ne sont-elles pas de la même nature politique que les autres? Les différences qui les distinguent ne sont-elles pas purement économiques? Ces différences , si elles devaient changer quelque chose à leurs rapports avec le gouvernement, conduiraient à tenir l’administration des contributions indirectes, encore plus séparée du gouvernement que celle des contributions directes. En effet, comme nous l’avons déjà remarqué, les contributions indirectes ne peuvent être levées que par des régies nationales; autrement il n’y aurait point d’uniformité, point d’accorddans la perception. Ces régies ne peuvent opérer que par des agents de leur choix, par des agents étrangers aux lieux où ils exercent leurs fonctions, par des agents armés de lois pénales qui menacent le citoyen, et de la force qui le contraint. Au lieu que les contributions directes sont réparties, reçues, gardées par des citoyens choisis dans la section même où leurs fonctions doivent s’exercer, et toujours exempts delà nécessité d’attenter à la liberté individuelle pour assurer la perception. N’est-il donc pas évident que ce serait la première et la plus redoutable de ces administrations qu’il faudrait davantage se garder d’unir au plus redoutable des pouvoirs ? Messieurs, le régime qui était utile au clergé et aux pays d’Etats, ne peut pas être inutile à la nation. Ce qui a été longtemps le palladium de leur liberté, ne peut pas être indifférent à la nôtre. Enfin, le vœu unanime de la France vous indique assez ce que vous avez à faire. Ouvrez vos cahiers, partout vous verrez que la finance doit être mise hors de l’atteinte du gouvernement. N’bésitez donc pas à repousser loin de vous tout projet qui tendrait à faire passer dans ses mains et l’administration des contributions indirectes et la trésorerie générale de toutes les contributions. Moins de danger, sans doute, et moins de disconvenances s’opposeraient à ce que la Constitution remît ces fonctions au Corps législatif ; mais il y en aurait encore. Le pouvoir législatif est dans le corps politique ce que les facultés intellectuelles sont dans l’homme : il représente la raison publique; il est l’organe de la volonté générale. L’autorité du pouvoir législatif est incompatible avec toute responsabilité, car l’autorité de la raison publique qu’il représente ne doit point reconnaître de supérieure ni d’égale. Toute fonction exécutive, au contraire, tpute action, tout exercice des bras du corps politique est essentiellement soumis à la responsabilité. Le Corps législatif se dégrade donc quand il agit; il perd donc son autorité quand il exerce une puissance active. Le pouvoir législatif doit aussi s’exercer sans distractions, planer sur les temps, sur les lieux, les embrassant tous, ne se fixant sur aucun : le pouvoir administratif, au contraire, se traîne dans une route marquée, et s’arrête devant chaque [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [-20 décembre 1790.] objet déterminé. Ce sont deux marches trop différentes pour convenir en même temps aux mêmes esprits. 11 faut donc n’associer aux fonctions législatives que celles qui, dans l’administration lies finances, ne pourraient être remises à d’autres mains; il faut la borner à une surveillance continuelle et à l’examen de la comptabilité. Ces réflexions nous ont conduits à penser qu’il convenait : 1° de décréter que les régisseurs des contributions indirectes recevraient leur pouvoir du peuple; 2° d’instituer et de placer à la cime des corps administratifs un directoire d’administration suprême des finances, dont les membres seraient élus par chaque législature, après sa dernière session, et hors de son sein. Ce directoire aurait sous sa direction immédiate, et sous une étroite responsabilité: 1° La trésorerie nationale dont le trésorier serait élu par la législature, et présenté par les administrât! urs; 2° Les administrations de département en ce qui concerne les contributions directes; 3° Les régies générales des contributions indirectes. Il est évident qu’en établissant une pareille administration, vous préservez la nation des dangers qu’elle court, si vous laissez au gouvernement le soin de la suppléer, et vous ne l’exposez à aucun autre. Des administrateurs particuliers ne peuvent abuser de l’argent ni des subordonnés, pour attenter à la liberté publique. Entre leurs mains, l’argent ne sera pas joint à un grand pouvoir politique, à un grand ascendant d’autorité morale ; entre leurs mains, les subordonnés ne seront pas le renfort d’une grande armée, l’auxiliaire d’une grande masse u’hommes achetés, ou toujours prêts à se vendre. La responsabilité des administrateurs nous garantira d’ailleurs des déprédations privées. D’un autre côté, en ordonnant que les élections ne se feront qu’à la fin de chaque législature, vous éviterez que le Corps législatif n’exerce en même temps, et le pouvoir de faire des lois, et une grande influence sur l'administration : ce qui arriverait, si les administrateurs devaient remplir leurs fonctions sous l’inspection de leurs propres électeurs. Vous éviterez aussi par le même moyen de réunir dans les mêmes personnes, le caractère de législateurs et les fonctions électorales ; car lorsque celles-ci commenceront, l’autre n'existera plus. En décrétant, comme nous le proposons, que les membres de la législature ne seront point éligibles, vous préviendrez les intrigues qui pourraient agiter sa session, et dégrader sa dignité. Nous ne nous sommes pas dissimulé que, si la partie de ce système qui concerne l’administration était réalisée sans modification, elle pourrait compliquer, à un certain point, le jeu de la machine politique, et nuire à cet accord de mouvements qui doit se rencontrer dans toutes les parties de rétablissement public; mais nous avons trouvé sans peine un moyen de prévenir cet inconvénient. Nous avons pensé qu’il était possible de séparer dans l’administration des finances La délibération de l'action. Le directoire d’administration nationale aurait la délibération des affaires, et un commissaire du roi près de ce directoire serait chargé d’en faire exécuter les décisions; il entretiendrait à cet effet la correspondance avec les administrations de département, et disposerait des moyens coactifs 585 que les circonstances pourraient rendre nécessaires. Ce commissaire du roi remplirait encore un autre objet. Il surveillerait l’administration nationale et la trésorerie; et s’il pouvait s’y introduire des abus, s’y commettre des prévarications, il en serait le dénonciateur près de la législature. Suivant ce plan, il en serait de la finance à peu prè-comme de la justice : des dépositaires particuliers de la confiance du peuple, composant le tribunal, ont seuls le droit d’v délibérer; et des agents du pouvoir exécutif, sous le titre de commissaires du roi, ont seuls le droit d’agir pour l’exécution des jugements. A l’égard du roi, il n’y aurait de différence entre l’ancien état des choses et celui que nous proposons, qu’en ce qu’au lieu d’un conseil royal des finances par qui le ministre était censé dirigé, il y aura un conseil national, par qui il le sera réellement selon les décrets du Corps législatif. Les ordres de ce ministre n’auront que plus de poids dans les départements, l’obéissance ne sera que plus prompte et plus entière, le nom du roi ne sera que plus respecté. Le gouvernement n’aura perdu que le pouvoir d’abuser. Voilà, Messieurs, les motifs du plan que nous avons adopté. En dernier résultat, il consiste : 1° à séparer, et du pouvoir législatif et du gouvernement, la suprême direction des finances, et la trésorerie nationale, parce qu’elles ne pourraient être unies à l’une des deux, sans danger pour la Constitution ; 2° A confier cette administration à uu corps électif et populaire, incapable de s’en servir contre la nation, et en tout cas responsable; 3° A laisser au roi seul le pouvoir d’agir pour l’exécution des délibérations qui seront prises par les administrateurs; 4° A placer le corps administratif sous la double surveillance du roi et du Corps législatif. Ainsi en détruisant presque la possibilité des abus, néanmoins nous multiplions encore les moyens de les découvrir s’il s’en introduit, et de les réformer aussitôt. Non seulement ce système offrirait à la liberté publique une puissante garantie, mais encore il servirait à dissiper les inquiétudes du peuple sur l’emploi des deniers publics, inquiétudes qui augmentent pour lui la peine de payer des contributions; il servirait à assurer la sécurité du grand nombre de citoyens qui vivent de salaires ou de rentes payées par le Trésor de l’Etat. Il n’existerait plus une dette nationale, dont le payement pût être désormais différé; pas un service public dont le salaire pût être suspendu. Le crédit, dont tout favorise d’ailleurs la renaissance, serait affermi pour jamais, et nous offrirait les plus importantes ressources, soit pour augmenter notre prospérité , soit pour repousser des malheurs inattendus. Nous finissons par une observation propre peut-être à concilier à notre plan, les esprits mêmes qui ne voient jamais dans ce qu’on fait pour la liberté, qu’une atteinte portée au gouvernement monarchique. C’est que si PAssemblée nationale sénare des fonctions royales, la suprême administration des finances et la trésorerie nationale, si elle place entièrement dans les mains des représentants du peuple, le véritable, le seul régulateur du pouvoir exécutif suprême, alors elle pourra donner d’ailleurs à ce pouvoir une très grande énergie; alors elle pourra et devra, sans délai, en étendre la mesure ; alors il n’y aura ni raison ni prétexte [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 décembre i790.j 586 de la laisser faible ou incertaine de sa force : sa force ne pourra jamais être que celle de la loi et de la volonté publique, lorsque, les dépositaires particuliers de la volonté publique et de la loi auront la faculté et l’obligation de la tempérer dans ses excès, ou de l’arrêter dans ses écarts. Voici notre projet de décret; il renferme non seulement les dispositions nouvelles que nous croyons devoir vous proposer, mais encore quelques autres dispositions déjà décrétées, et qu’il nous a paru nécessaire de joindre ici, sou à raison de leur connexité avec ces première?, soit parce qu’elles n’ont pas encore été décrétées constitutionnellement. PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. Les législatures pourront seules régler le mode des contributions, en tixer la somme ou le taux, et répartir entre les déparlements celles dont le montant sera déterminé. Leurs décrets seront présentés à l’acceptation du roi. Art. 2. Les corps administratifs et les municipalités pourront seuls répartir et percevoir les contributions directes; la collecte Immédiate et les recettes particulières ans deniers qui en proviendront seront confiées à des receveurs ou trésoriers élus. Unè ou plusieurs régies seront chargées de la perception des contributions indirectes. Les régisseurs seront nommés par la législature à la lin de chaque session, sur la présentation des administrateurs de la Trésorerie, et ils nommeront leurs préposés. Art. 3. DeS administrateurs généraux, élus par chaque législature après sa dernière session et hors de son sein; un trésorier élu de même et sur la présentation des administrateurs, auront Seuls la garde des deniers provenant des recettes de l’Etat et en seront responsables. Art. 4. Les deniers publics ne sortiront de la trésorerie nationale, que pour être employés immédiatement et à mesure du besoin, aux diverses dépenses qui auront été décrétées par la législature. Art. 5. Un commissaire du roi assisfera aux assemblées des administrateurs de la trésorerie. Il proposera chaque semaine la distribution des fonds votés par l’Assemblée nationale, pour les dépen-es générales. 11 sera entendu dans toutes les délibérations, mais n’y aura que voix consultative; et conformément à ce qui aüra été déterminé dans ces délibérations, il correspondra avec les corps administratifs et régies, et surveillera la rentrée des deniers publics. Fait au comité de l’imposition, le 10 décembre 1790. Signé : Rœderer, la Rochefoucauld, Dauchy, Defermon, d’Allarde, Jarry. M. d’André. Voilà un troisième pouvoir qu’on vous présente, celui des finances. On l’a appuyé sur des motifs très séduisants, et que je ne puis eu ce moment ni adopter ni combattre, parce-qu’it faut le temps de la réflexion. Je demande l’impression du rapport de M. Rœderer, et l'ajournement de la discussion à vendredi prochain. (Celte motion est immédiatement adoptée.) M. Camus. Le comité de l’imposiûon vient de vous proposer une question importante, qui tient à l’organisation du ministère. Je désirerais que ce plan fût communiqué au comité de Constitution, en le chargeant de vous présenter en dix jours un plan sur cette organisation. M. Briois-Beanmetz. J’appuie cette motion d’autant plus fortement qu’il n’y a point d’organisation qui demande plus d’ensemble que celle du ministère. Je demande en outre que le rapport de M. Rœderer soit communiqué dans le jour au comité des finances. (Ces deux motions sont adoptées.) M. Dupont (de Nemours). Quoique je sois du comilé de l’imposition, je ne partage point l’opinion qu’il vient de manifester et j’espère que l’Assemblée ne l’adoptera point. M. Démeunier. Il est impossible au comité du Constitution de faire ce qu’on lui demande d’ici à vendredi, ainsi que cela résulterait de la motion de M. d’André. Je ne crois pas du reste que la partie des finances soit liée à l’organisation du ministère, de façon à ne pouvoir en être distraite. (L’Assemblée ajourne à dix jours le rapport du comité de Constitution sur l’organisation du ministère.) L'ordre du jour est ensuite un second rapport des comités réunis des finances , d'imposition et des domaines sur les apanages. M. Enjubault de La Roche, membre du comité des domaines et rapporteur, dit (1) : Messieurs, vous avez décrété, dans la séance du 13 août dernier, la suppression des apanages réels, mais la loi importante, dont vous avez posé les premières bases, n’a point encore reçu son dernier complément. Vous avez ajourné plusieurs articles essentiels du projet de décret qui vous a été présenté. Vos comités réunis vont les soumettre de nouveau à votre délibération, avec les modifications que des circonstances et des réflexions nouvelles leur ont suggérées; ils vous rappelleront aussi les divers amendements qui en ont été l’occasion; et ils classeront, dans utl ordre convenable, les dispositions additionnelles que vous avez voulu qui vous fassent présentées. La fixation de la rente apanagère, l’entretien de la maison des deux frères du roi, les secours que sollicitent les trois apanagistes, sont les premiers objets sur lesquels nous allons tixer conjointement vos regards. Ils ont entre eux une telle connexité, qu’il nous est impossible de les considérer séparément. Les apanages réels, que vous avez abolis, doivent être remplacés par une rente annuelle. Pour en déterminer la quolité, vos commissaires ont consulté les usages anciens et les titres modernes. Ils vous ont présenté un tableau comparatif de la valeur nominale des espèces avec leur valeur effective aux différentes époques où ils ont cru devoir s’arrêter; ils ont opposé nos mœurs actuelles avec les mœurs anciennes ; ils ont balancé le faste important des derniers siècles, avec le luxe plus délicat de nos temps modernes. C’est, d’après ces différents termes de comparaison que nous vous avons proposé d’élever, à un million de notre monnaie, la rente annuelle qui doit être substituée au produit réellement progressif des domaines concèdes. Des eousidé-(lj Le rapport de M. Enjubault de La Roche est incomplet au Moniteur.