[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790.] 368 extrait qu’ils dénonceront à celui sur lequel elles seront faites, sans pouvoir faire aucune autre procédure, ni se faire autoriser à consigner que dans trois mois après la dénonciation, dont ils pourront répéter les frais, ainsi que ceux de l’extrait des opposants. « Art. 53. Les offres tendant au rachat des droits seigneuriaux, fixes ou casuels, seront faites au chef-lieu du iief dont dépendront les droits rachetables ; pourront néanmoins les parties liquider les rachats, et en opérer le payement, en tel lieu qu’elles jugeront à propos. Dans ce dernier cas, les payements qui seront faits en conséquence d’un certificat délivré par le greffier des hypothèques ou par celui du siège royal, qu’il n’existait point d’oppositions, seront valables nonobstant les oppositions qui seraient survenues depuis, pourvu que la quittance ait été contrôlée dans le mois de la date dudit certificat. « Art. 54. Toutes quittances de rachat des droits seigneuriaux, même celles reçues par les notaires, dont les actes sont exempts du contrôle, seront assujetties au contrôle; il en sera tenu un registre particulier, sur lequel le commis enregistrera par extrait la quittance, en énonçant le nom du propriétaire du fief qui aura reçu le rachat, celui du fief dont dépendaient les droits rachetés, le nom de celui qui aura fait le rachat, et la somme payée. 11 ne sera payé que quinze sols pour le droit de contrôle et d’enregistrement. Les frais en seront à la charge de celui qui fera le rachat, lequel sera tenu de l’obligation de faire contrôler la quittance, sous les peines prescrites par les règlements existants. « Art. 55. Dans les pays où le contrôle n’a pas lieu, il sera établi dans , chaque siège royal un registre particulier pour le contrôlent enregistrement des quittances de rachat, et il sera payé au greffier quinze sols pour tout droit. « Art. 56. Il ne sera perçu aucun droit de centième denier sur les rachats et remboursements des droits ci-devant seigneuriaux, soit fixes, soit casuels. « Art. 57. Il sera libre aux fermiers qui ont ci-devant pris à bail les droits casuels d’un ou plusieurs fiefs, sans mélange d’autres biens, ou dont les baux ne comprendraient avec lesdits droits casuels que des droits supprimés sans indemnité par le décret du 15 mars, de remettre leurs baux, sans pouvoir prétendre, à l’égard des droits casuels, d’autre indemnité que la restitution des pots-de-vin et fermages payés d’avance au prorata de la jouissance. « A l’égard des fermiers qui ont pris à bail les droits casuels avec d’autres biens, ils percevront tous les droits casuels qui écherront pendant le cours de leur bail sur les fonds qui n’auront point été rachetés, ou sur lesquels ils seraient dus nonobstant le rachat; et s’il survient sur des fonds rachetés des mutations qui eussent donné lieu à un droit casuel, le propriétaire du fief auquel le droit aurait appartenu en tiendra compte au fermier, à la déduction néanmoins d’un quart sur le montant dudit droit. « A l’égard des redevances fixes et annuelles qui seraient rachetées pendant le cours du bail, le propriétaire desdits droits en tiendra compte annuellement au fermier par diminution sur le fermage. « Art. 58. Les droits d’échange établis au profit du roi par les édits de 1645 et 1647, et autres règlements subséquents, soit qu’ils soient perçus au profit du roi, soit qu’ils soient perçus par des concessionnaires, engagistes ou apanagistes, sont et demeurent supprimés, à compter de la publication des lettres-patentes du 3 novembre 1789, sans néanmoins aucune restitution des droits qui auraient été perçus depuis ladite époque. Quant à ceux desdits droits qui étaient perçus au profit du roi, toutes poursuites intentées ou à intenter pour raison des mutations arrivées avant ladite époque, sont et demeureront éteintes. Les acquéreurs desdits droits présenteront, dans le délai de six mois, à compter du jour de la publication du présent décret, leur titre au comité de liquidation, établi par le décret du 23 janvier de la présente année, et il sera pourvu à leur remboursement ainsi qu’il appartiendra. > M. Le Chapelier, membre du comité de constitution. On fait des difficultés aux municipalités auxquelles vous avez provisoirement conservé la police : autrefois elles prêtaient serment au parlement, c’est cet ancien usage, qu’on voudrait faire renaître, qui a donné lieu aux difficultés dont il s’agit. Le comité de constitution m’a chargé de vous présenter le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que les officiers municipaux n’ont pour l’exercice de la police d’autre serment à prêter que celui qu’ils ont fait, lors de leur installation, d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi , et de remplir exactement les fonctions civiles et municipales qui leur sont confiées. » M. le Président fait observer à l’Assemblée que l’édition qu’elle avait ordonnée de son Adresse aux Français sur la circulation des assignats, n’est revêtue d’aucune signature, et il consulte l’Assemblée pour savoir s’il en sera fait une nouvelle édition revêtue de la signature du président et des secrétaires, afin de donner à cette adresse un caractère d’authenticité qui en rend l’effet plus assuré. M. Duquesnoy obtient la parole pour rappeler que, lors de la première Adresse aux Français, il a été décrété que Sa Majesté serait suppliée de donner les ordres nécessaires pour la faire promptement répandre dans tous les départements; il demande qu’on agisse de la même manière à l’égard de celle-ci, et il présente un projet de décret qui est adopté par l’Assemblée dans les termes suivants : « L’Assemblée décrète que l’Adresse aux Français, au sujet des assignats, sera présentée au roi, revêtue de la signature des président et secrétaires de l’Assemblée, et que Sa Majesté sera suppliée de donner des ordres pour qu’elfe soit promptement envoyée dans les départements. » M. le Président fait part à l’Assemblée d’une lettre du premier ministre des finances, dont la teneur suit : « Monsieur le Président, « En vous informant que le roi a sanctionné le décret de l’Assemblée nationale, relatif aux représentations de la ville de Dieppe, je dois vous rendre compte qu’avant ce décret le roi avait donné des ordres au Havre pour faire passer à Dieppe, et dans tout le pays de Gaux, environ six mille setiers de froment et de seigle à prendre sur l’approvisionnement que la prévoyance du roi avait heureusement réuni au Havre par des achats faits dans le Nord et ailleurs, et qui [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ont été destinés au secours général de la Normandie, dont la récolte a été insuffisante. Plusieurs expéditions sont encore en mer, en sorte que Sa Majesté espère pouvoir continuer à procurer aux divers cantons de cette province l’assistance dont ils ont besoin. « Le roi, dès le 10 du mois dernier, et en apprenant les insurrections du pays de Gaux, avait donné des ordres pour y faire passer un détachement de dragons et d’infanterie; et, dans ce moment, il est sûrement à portée d’arrêter un désordre dont Sa Majesté est profondément affectée. « J’ai l’honneur d’être avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur, « Necker. « Paris , le 8 mai 1790. » L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur l'ordre judiciaire . M. le Président rappelle que le point actuellement en délibération est la question suivante : Les juges d'appel seront-ils sédentaires ou ambulants ? M. Goupil de Préfeln préfère le plan de M. Thouret, et s’attache à combattre les objections de M. Tronehet. — M. Tronchet a dit que la justice devait être : 1° d’un abord facile; 2° expéditive ; 3° peu dispendieuse; 4° éclairée. 11 a dit que l’abord serait facile en adoptant le plan du comité, parce que les citoyens aisés ont seuls des procès de nature à être jugés en dernier ressort. Si les citoyens peu aisés avaient des procès de cette nature, ils seraient obligés de renoncer au bénéfice de l’appel, et assurément les citoyens les moins aisés peuvent avoir des procès importants : leur légimité ne peut-elle pas être attaquée ? le contrat de mariage de leur père ne peut-il pas donner lieu à des discussions? ces citoyens ne peuvent-ils pas avoir des droits successibles considérables, etc. ? Ainsi donc toutes les classes des citoyens sont intéressées à être rapprochées des juges d’appel; ainsi donc, dans le plan de M. Thouret, la justice est, en général, d’un abord plus facile; elle sera d’ailleurs plus expéditive, surtout si M. Thouret restreint à deux départements l’ambulance de ses juges. La dépense sera moins considérable : en effet, il suffira de deux eent-cio-quante-deux juges pour tout le royaume ; quant aux parties co-litigeantes, il est certain que la justice la plus rapprochée est la moins dispendieuse pour les justiciables. Mais, dit-on, ce n’est pas assez, il faut que la justice soit éclairée, et le grand inconvénient qu’on présente, un inconvénient immense, c’est que l’instruction de l’appel se fera dans le lieu où la première instance se sera instruite. Il en sera toujours de même, quel que soit l’ordre de choses que vous aurez établi. On dit encore que pour que la justice soit éclairée, il faut un grand nombre de juges. Je réponds que ce n’est pas dans les tribunaux nombreux que les. décisions sont plus réfléchies; au contraire, moins ils sont nombreux, et plus les discussions sont raisonnablement approfondies ; d’ailleurs des juges nombreux seront moins soumis au tribunal respectable et redoutable de l’opinion publique. Or, en envisageant la question sous les rapports lre Série. T. XV. [3 mai 1790.] 359 politiques, on a calculé quatre causes qui ont rendu les parlements dangereux, et qui ne se retrouveront pas, dit-on, dans des cours de vingt juges; cependant vous donnerez nécessairement à ces cours un ressort de plusieurs départements. Ainsi, ces corps seront nombreux; ainsi, leur puissance sera étendue; ainsi, l’esprit de corps se perpétuera et pourra faire de grands progrès. Nous avons dans notre histoire un exemple très fameux de la rapidité de ces progrès. Les parlements ont d’abord très heureusement servi, dans les mains de nos rois, pour réprimer la puissance féodale. Vous savez ce que les parlements sont devenus. Ne pourra-t-on pas employer les nouveaux corps pour attaquer la Constitution nationale?... Mais, dit-on, il faudra un dépôt de lois. N’aurez-vous pas les législatures, etc...? Ainsi, le plan de M. Thouret n’a pas les inconvénients qu’on lui reprochait et réunir beaucoup d’avantages. Je conclus en proposant le projet de décret suivant: « L’Assemblée nationale décrète que, dans chaquedépartement, il y aura une cour supérieure d’appel composée de six juges, et divisée en deux sections égales, dont l’une sera sédentaire, et l’autre ambulante. Les juges ambulants siégeront successivement dans deux départements. » M. MHscent. Deux opinions divisent l’Assemblée : une partie pense qu’on doit admettre des juges ambulants; l’autre, que les juges doivent être sédentaires. Les premiers adoptent le plan de M. Thouret, les seconds celui du comité. Celui de M. Thouret ne présente que des institutions nouvelles ; sous ce rapport, il a de grands partisans, et vous concevez aisément qu’on jette des préventions défavorables sur ceux qui veulent le combattre. J’examiuerai deux questions : le plan de M. Thouret est-il plus favorable à la liberté politique? est-il plus favorable à la bonne administration de la justice? M. Thouret donne à son tribunal d’appel plusieurs attributions: 1° de juger les matières provisoires ; 2° de juger l’appel des sentences interlocutoires; 3° d’examiner les affaires susceptibles d’être jugées en dernier ressort, et d’en faire le rapport aux juges ambulants. Dans la première ferveur de la Révolution, les inconvénients que je vais exposer se-Iront moins graves; mais nous ne faisons pas une constitution pour un jour; bientôt l’ardeur du zèle des juges ambulants se refroidirait. Autrefois les tribunaux d’élection étaient ambulants : peu à peu cet usage est tombé en désuétude. Il en serait bientôt de même des juges qu’on vous propose de créer. Le juge ambulant se reposerait aveuglément sur le juge sédentaire qui ferait le rapport, Jet vous n’auriez des juges ambulants que pour la forme, car ils se borneraient à donner leur sanction aux jugements des juges de la portion sédentaire. Si vous craignez l’abus de la puissance de quelques citoyens sur les autres citoyens, pouvez-vous adopter cette portion sédentaire composée de trois juges, qui, jugeant en dernier ressort, auraient une immense autorité? Mais ce n’est pas là le plus grand inconvénient : les juges sédentaires prononceront sur les sentences interlocutoires, et, dans un très grand nombre de cas, ces sentences attaquent le fond. Ou n’interjette appel sur l’interlocutoire qu’à cause de son influence sur le fond. J’adopte les réflexions par lesquelles M. Tronchet a montré que la justice serait moins bien rendue, et j’ajouterai seulement que les plaideurs ne manqueront pas de multiplier les incidents. 24