SÉANCE DU 7 PRAIRIAL AN II (26 MAI 1794) - N° 44 43 vigilance des représentants du peuple est plus que jamais nécessaire. Ce qui constitue la République, ce n’est ni la victoire ni la richesse, ni les dénominations, ni l’enthousiasme passager; c’est la sagesse des lois et surtout la vertu publique; c’est la pureté et la stabilité des maximes du gouvernement; les lois sont à faire, les maximes du gouvernement à assurer, les mœurs à régénérer. Si l’ime de ces choses manque, il n’y a qu’erreurs, orgueil, passions, factions, ambition, cupidité; la République, loin de réprimer les vices, ne fait que leur donner un plus libre essor, et les vices ramènent nécessairement à la tyrannie; quiconque n’est pas maître de soi, est fait pour être esclave des autres, c’est une vérité pour les peuples comme pour les individus. Voulez-vous savoir quels sont les ambitieux ? Examinez quels sont ceux qui protègent les fripons, qui encouragent les contre-révolutionnaires, qui excusent tous les attentats, qui méprisent la vertu, qui corrompent la morale publique. C’était la marche des conspirateurs qui ont tombé sous le glaive de la loi. Faire la guerre au crime, c’est le chemin du tombeau et de l’immortalité. Favoriser le crime, c’est le chemin du trône et de l’échafaud. (On applaudit). Les êtres pervers étaient parvenus à jeter la République et la raison humaine dans le chaos : il s’agit de les en retirer et de créer l’harmonie du monde moral et politique. Le peuple français a deux garants de la possibilité d’exécuter cette héroïque entreprise : les principes de la représentation actuelle et ses propres vertus. Le moment où nous sommes est favorable; mais, il est peut-être unique; dans l’état d’équilibre où sont les choses, il est facile de consolider la liberté; il est facile de la perdre. Si la France était gouvernée pendant quelques mois par une législature corrompue ou égarée, la liberté serait perdue, la victoire resterait aux factions et à l’immoralité. Votre concert et votre énergie ont étonné l’Europe et l’ont vaincue. Si vous savez cela aussi bien que vos ennemis, vous en triompherez facilement. J’ai parlé de la vertu du peuple, et cette vertu attestée par toute la révolution ne suffirait pas seule pour nous rassurer contre les factions qui tendent sans cesse à corrompre et à déchirer la République. Pourquoi cela ? c’est qu’il y a deux peuples en France; l’un est la masse des citoyens, pure, simple, altérée de la justice et amie de la liberté. C’est ce peuple vertueux qui verse son sang pour fonder la liberté, qui impose aux ennemis du dedans et ébranle les trônes des tyrans. L’autre est ce ramas de factieux et d’intrigants; c’est le peuple babillard, charlatan, artificieux, qui se montre partout, qui abuse de tout, qui s’empare des tribunes, et souvent des fonctions publiques, qui se sert de l’instruction que les avantages de l’ancien régime lui ont donnée pour tromper l’opinion publique. C’est ce peuple de fripons, d’étrangers, de contre-révolutionnaires hypocrites qui se placent entre le peuple français et ses représentants pour tromper l’un et calomnier les autres, pour entraver leurs opérations, tourner contre le bien public les lois les plus utiles et les vérités les plus salutaires. (On applaudit). Tant que cette race impure existera, la République sera malheureuse et précaire; c’est à vous de l’en délivrer par une énergie imposante et par un concert inaltérable. Ceux qui cherchent à nous diviser, ceux qui arrêtent la marche du gouvernement, ceux qui le calomnient tous les jours par des discours, par des insinuations perfides; ceux qui cherchent à former contre lui une coalition dangereuse de toutes les passions funestes, de tous les amours propres irascibles, de tous les intérêts opposés à l’intérêt public, sont vos ennemis et ceux de la patrie; ce sont les agents de l’étranger, ce sont les successeurs des Brissot, des Hébert, des Dantons. Qu’ils régnent un seul jour, et la patrie est perdue. En disant ces choses, j’aiguise peut-être contre moi des poignards, et c’est pour cela même que je les dis. Vous persévérerez dans vos principes et dans votre marche triomphante; vous étoufferez les crimes, et vous sauverez la patrie. J’ai assez vécu; j’ai vu le peuple français s’élancer du sein de l’avilissement et de la servitude au faite de la gloire et de la vertu républicaine; j’ai vu ses fers brisés et les trônes coupables qui pèsent sur la terre près d’être renversés sous ses mains triomphantes; j’ai vu un prodige plus étonnant encore, un prodige que la corruption monarchique et l’inexpérience des premiers temps de notre révolution permettent à peine de regarder comme possible : une assemblée investie de la puissance de la nation française marchant d’un pas rapide et ferme vers le bonheur public, dévouée à la cause du peuple et au triomphe de l’égalité, digne de donner au monde le signal de la liberté et l’exemple de toutes les vertus. Achevez, citoyens, achevez vos sublimes destinées; vous nous avez placés à l’avant-garde pour soutenir le premier effort des ennemis de l’humanité; nous mériterons cet honneur, et nous vous tracerons de notre sang la route de l’immortalité. Puissiez-vous déployer constamment cette énergie inaltérable dont vous avez besoin pour étouffer tous les monstres de l’univers conjurés contre vous, et jouir ensuite en paix des bénédictions du peuple et du fruit de vos vertus. L’orateur descend de la tribune au milieu des applaudissements unanimes et prolongés de l’assemblée et des citoyens présents à la séance (1) . Sur la proposition d’un membre [ROBESPIERRE], la Convention rend le décret suivant. « La Convention nationale décrète que le discours du citoyen Robespierre sera inséré dans le bulletin; il sera imprimé aussi en la forme ordinaire, et traduit dans toutes les langues, il en sera donné 6 exemplaires à chaque membre de la Convention (2). La séance est levée à trois heures et demie (3). Signé: PRIEUR (de la Côte-d’Or), président; CARRIER, PAGANEL, ISORE, BERNARD (de Saintes), FRANCASTEL, LESAGE-SENAULT, secrétaires. (1) Mon., XX, 587; Débats, noa 614, p. 91 et 615, p. 112; Audit, nat., n° 612; M.U., XL, 135; C. Eg., nos 647, 648 et 649. Imprimée par ordre de la Conv. (ADVXIIP 244, n° 24). (2) P.V., XXXVIII, 133. Minute de la main de Robespierre (C304, pl. 1122, p. 26). Décret n° 9288. (3) P.V., XXXVm, 134. SÉANCE DU 7 PRAIRIAL AN II (26 MAI 1794) - N° 44 43 vigilance des représentants du peuple est plus que jamais nécessaire. Ce qui constitue la République, ce n’est ni la victoire ni la richesse, ni les dénominations, ni l’enthousiasme passager; c’est la sagesse des lois et surtout la vertu publique; c’est la pureté et la stabilité des maximes du gouvernement; les lois sont à faire, les maximes du gouvernement à assurer, les mœurs à régénérer. Si l’ime de ces choses manque, il n’y a qu’erreurs, orgueil, passions, factions, ambition, cupidité; la République, loin de réprimer les vices, ne fait que leur donner un plus libre essor, et les vices ramènent nécessairement à la tyrannie; quiconque n’est pas maître de soi, est fait pour être esclave des autres, c’est une vérité pour les peuples comme pour les individus. Voulez-vous savoir quels sont les ambitieux ? Examinez quels sont ceux qui protègent les fripons, qui encouragent les contre-révolutionnaires, qui excusent tous les attentats, qui méprisent la vertu, qui corrompent la morale publique. C’était la marche des conspirateurs qui ont tombé sous le glaive de la loi. Faire la guerre au crime, c’est le chemin du tombeau et de l’immortalité. Favoriser le crime, c’est le chemin du trône et de l’échafaud. (On applaudit). Les êtres pervers étaient parvenus à jeter la République et la raison humaine dans le chaos : il s’agit de les en retirer et de créer l’harmonie du monde moral et politique. Le peuple français a deux garants de la possibilité d’exécuter cette héroïque entreprise : les principes de la représentation actuelle et ses propres vertus. Le moment où nous sommes est favorable; mais, il est peut-être unique; dans l’état d’équilibre où sont les choses, il est facile de consolider la liberté; il est facile de la perdre. Si la France était gouvernée pendant quelques mois par une législature corrompue ou égarée, la liberté serait perdue, la victoire resterait aux factions et à l’immoralité. Votre concert et votre énergie ont étonné l’Europe et l’ont vaincue. Si vous savez cela aussi bien que vos ennemis, vous en triompherez facilement. J’ai parlé de la vertu du peuple, et cette vertu attestée par toute la révolution ne suffirait pas seule pour nous rassurer contre les factions qui tendent sans cesse à corrompre et à déchirer la République. Pourquoi cela ? c’est qu’il y a deux peuples en France; l’un est la masse des citoyens, pure, simple, altérée de la justice et amie de la liberté. C’est ce peuple vertueux qui verse son sang pour fonder la liberté, qui impose aux ennemis du dedans et ébranle les trônes des tyrans. L’autre est ce ramas de factieux et d’intrigants; c’est le peuple babillard, charlatan, artificieux, qui se montre partout, qui abuse de tout, qui s’empare des tribunes, et souvent des fonctions publiques, qui se sert de l’instruction que les avantages de l’ancien régime lui ont donnée pour tromper l’opinion publique. C’est ce peuple de fripons, d’étrangers, de contre-révolutionnaires hypocrites qui se placent entre le peuple français et ses représentants pour tromper l’un et calomnier les autres, pour entraver leurs opérations, tourner contre le bien public les lois les plus utiles et les vérités les plus salutaires. (On applaudit). Tant que cette race impure existera, la République sera malheureuse et précaire; c’est à vous de l’en délivrer par une énergie imposante et par un concert inaltérable. Ceux qui cherchent à nous diviser, ceux qui arrêtent la marche du gouvernement, ceux qui le calomnient tous les jours par des discours, par des insinuations perfides; ceux qui cherchent à former contre lui une coalition dangereuse de toutes les passions funestes, de tous les amours propres irascibles, de tous les intérêts opposés à l’intérêt public, sont vos ennemis et ceux de la patrie; ce sont les agents de l’étranger, ce sont les successeurs des Brissot, des Hébert, des Dantons. Qu’ils régnent un seul jour, et la patrie est perdue. En disant ces choses, j’aiguise peut-être contre moi des poignards, et c’est pour cela même que je les dis. Vous persévérerez dans vos principes et dans votre marche triomphante; vous étoufferez les crimes, et vous sauverez la patrie. J’ai assez vécu; j’ai vu le peuple français s’élancer du sein de l’avilissement et de la servitude au faite de la gloire et de la vertu républicaine; j’ai vu ses fers brisés et les trônes coupables qui pèsent sur la terre près d’être renversés sous ses mains triomphantes; j’ai vu un prodige plus étonnant encore, un prodige que la corruption monarchique et l’inexpérience des premiers temps de notre révolution permettent à peine de regarder comme possible : une assemblée investie de la puissance de la nation française marchant d’un pas rapide et ferme vers le bonheur public, dévouée à la cause du peuple et au triomphe de l’égalité, digne de donner au monde le signal de la liberté et l’exemple de toutes les vertus. Achevez, citoyens, achevez vos sublimes destinées; vous nous avez placés à l’avant-garde pour soutenir le premier effort des ennemis de l’humanité; nous mériterons cet honneur, et nous vous tracerons de notre sang la route de l’immortalité. Puissiez-vous déployer constamment cette énergie inaltérable dont vous avez besoin pour étouffer tous les monstres de l’univers conjurés contre vous, et jouir ensuite en paix des bénédictions du peuple et du fruit de vos vertus. L’orateur descend de la tribune au milieu des applaudissements unanimes et prolongés de l’assemblée et des citoyens présents à la séance (1) . Sur la proposition d’un membre [ROBESPIERRE], la Convention rend le décret suivant. « La Convention nationale décrète que le discours du citoyen Robespierre sera inséré dans le bulletin; il sera imprimé aussi en la forme ordinaire, et traduit dans toutes les langues, il en sera donné 6 exemplaires à chaque membre de la Convention (2). La séance est levée à trois heures et demie (3). Signé: PRIEUR (de la Côte-d’Or), président; CARRIER, PAGANEL, ISORE, BERNARD (de Saintes), FRANCASTEL, LESAGE-SENAULT, secrétaires. (1) Mon., XX, 587; Débats, noa 614, p. 91 et 615, p. 112; Audit, nat., n° 612; M.U., XL, 135; C. Eg., nos 647, 648 et 649. Imprimée par ordre de la Conv. (ADVXIIP 244, n° 24). (2) P.V., XXXVIII, 133. Minute de la main de Robespierre (C304, pl. 1122, p. 26). Décret n° 9288. (3) P.V., XXXVm, 134.