[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 juin 1791.] 322 cet Empire, ont montré combien ils sont capables d’exercer ce culte que vous entendez maintenir. Ce n’est pas les protéger, sans doute, que de vouloir abandonner aux hasards du temps le repentir de ceux qui les tourmentent, qui les menacent, qui provoquent sourdement contre eux tous ceux qu’ils ont eu l’art d’égarer. Vous avez jusqu'ici espéré que l’indulgence ramènerait à la soumission de la loi tous ceux qui s’en seraient écartés, et vous avez droit d'y compter; mais l’expérience vous prouve que l’indulgence n’arrête pas ceux à qui d’anciens préjugés ont fait croire qu’ils étaient étrangers aux lois comme aux intérêts de leur patrie. Il est bien pénible de provoquer votre sévérité ; mais je remplis en ce moment le premier devoir dont m’a chargé votre comité, qui est de vous rappeler les articles 5 et 6 de votre décret du 27 novembre dernier. S’il est quelque chose de concluant pour moi, après cette tâche pénible, c’est d’avoir à vous annoncer que vous devez suspendre votre jugement. Votre comité, Messieurs, n’a pas voulu croire encore que ces lettres, qui ont fait la matière de l’instruction criminelle dont je viens de vous entretenir, fussent l’ouvrage du ci-devant archevêque de Rouen. Si ces lettres portent sa signature, si elles portent l’empreinte du cachet national, des ennemis n’ont-ils pas pu se couvrir de semblables apparences, pour donner plus de poids à leurs desseins? (Murmures.) Enfin, Messieurs, si votre comité a été unanimement d’avis de vous proposer de déclarer qu’il y a lieu à accusation, c’est dans le cas seulement où M. l’archevêque de Rouen, interpi lié en votre nom, déclarera par son silence que ces lettres sont véritablement son ouvrage. Cette marche est celle que sollicite la justice et la loi. Voici Je projet de décret : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, charge son président de sommer M. de La Rochefoucauld, ci-devant archevêque de Rouen, d’avouer ou de contester si les 6 lettres en date des 31 mars et 6 avril 1791, adressées aux marguilliers et aux confrères de la Charité de la paroisse de Triel, ont été écrites par ses ordres, et si la signature qui est au bas desdites lettres est la sienne, se réservant, l’Assemblée, de prononcer définitivement selon ce qui lui avisera bon être. » Plusieurs membres : Gela est très juste ; c’est un préalable nécessaire. M. I’al>bé Maury. Messieurs. . . (Aux voix ! aux voix!) M. le cardinal de La Rochefoucauld. Je demande la parole. M. le Président. M. le cardinal de La Rochefoucauld a la parole. M. le cardinal de ILa Rochefoucauld. J’ai l’honneur de déclarer que j’ai écrit les lettres qui viennent de vous être lues et je suis persuadé qu’elles sont conformes à l’original. M. Varin, rapporteur. Messieurs, en conséquence de la déclaration que vous venez d’entendre, voici le projet de décret que votre comi té me charge de vous proposer : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le compte que son comité des rapports lui a rendu de l’état de la procédure criminelle instruite devant les juges du tribunal du district de Saint-Germain-en-Laye, et d’après la déclaration formelle de M. le cardinal de La Rochefoucauld, que les six lettres qui font la matière de cette procédure sont de lui; « Décrète qu’il y a lieu à accusation contre M. le cardinal de La Rochefoucauld, ci-devant archevêque de Rouen, député à l’Assemblée nationale ; « Ordonne que la procédure sera continuée ; que, pour cet effet, les originaux des quatre lettres adressées aux curés et vicaires de la paroisse de Triel, qui sont déposées au comité des recherches de l’Assemblée, seront renvoyées audit tribunal. » M. de La Rochefoucauld - Liancourt. L’hommage que vient de rendre à la vérité M. le cardinal de La Rochefoucauld, en reconnaissant les lettres qui viennent d’être lues, est le devoir de tout galant homme et ne peut pas étonner de la part de celui qui, — permettez-moi de le dire, quoique je sois son parent, — a consacré toute sa vie à la vertu. Mais il est un fait qu’il aurait dû dire et qui peut changer entièrement l’affaire de face. La constitution civile du clergé continue les fonctions des anciens évêques jusqu’à la nomination et l’installation des nouveaux. L’archevêché de Rouen a été démembré pour composer plusieurs autres diocèses, mais le véritable noyau de l’archevêché reste toujours à Rouen. M. l’évêque de Rouen a été sacré le 10 avril, et les lettres sont du 31 mars et du 6 avril. M. l’évêque de Versailles, qui a eu dans sors dénombrement partie du diocèse de Rouen, avait été sacré, je crois, le 4 ou le 5, et ii est parfaitement simple que M. le cardinal de La Rochefoucauld ait ignoré, le 6, ce qui s’était passé à Versailles le 4 ou le 5, et qu’ainsi il n’ait pas manqué aux décrets de l’Assemblée. Il pouvait l’ignorer et agir en conséquence, et l’ignorait effectivement; car la signification ne lui en a pas été faite légalement. Je crois, d’ailleurs, qu’il est permis, quand on a entendu M. le cardinal de La Rochefoucauld, de penser qu’il ne soit jamais entré dans ses idées d’exciter des troubles. (Murmures.) J’ai dans l’opinion que c’est être agréable à l’Assemblée que de lui démontrer qu’elle peut regarder sous un jour favorable une affaire qui, encore une fois, porte sur la conduite d’un homme que 80 ans de vertus font respecter, dont la vie a été longuement et constamment consacrée à l’exercice du bien, et qui, ayant été l’un de ceux qui ont le plus souffert dans la Révolution, n’a jamais cessé de garder sa séréniié ordinaire. Je crois, après cela, qu’en rendant justice au zèle avec lequel le tribunal de Saint-Germain-en-Laye poursuit l’exécution de vos décrets, vous devez prononcer qu’il n’y a pas lieu à accusation. (Murmures.) M. Muguet de Manthou. J’avais pensé. Messieurs, que, dans cette cause, la lecture seule des pièces devait déterminer voire décision; que la loi sur le serai* nt des fonctionnaires publics, étant précise et formelle, ne pouvait souffrir aucune interprétation, et que le décret du comité, étant fondé sur cette loi, ne pouvait éprouver ni discussion, ni opposition dans cette Assemblée. Le préopinant vous a cependant proposé la question préalable sur ce décret , c’est-à-dire qu’il a proposé à l’Assemblée de décréter implicitement une [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1101. 323 approbation à tous les réfractaires à la loi. J’essayerai de répondre aux objections qu’il a présentées, et de justfier l’avis du comité dont j’ai l’iionneur d'être membre. La question sur laquelle vous avez à prononcer est simple. Les lettres de M. le cardinal sont-elles une infraction à la loi, et cette infraction doit-elle être poursuivie par les tribunaux? Le préopinant a bien senti qu’en réduisant la question à ces simples termes, il n’avait aucun moyen à y oppo-nun Aussi a-t-il embrassé un système de défense qui lui présentait une apparence de succès plus certain; il s’est rejeté sur les considérations personnelles; il a cherché à exciter votre intérêt en faveur d’un ancien prélat aussi respectable par son âge que par ses vertus. Je n’affaiblirai point les justes éloges qu’il a donnés à la vie privée et publique de M. le cardinal, et je suis Soin de vouloir atténuer le respect et la considération qui lui sont dus; mais, vous le savez, Messieurs, et deux ans d’expérience ont dû vous l’apprendre. Dans les circonstances où nous sommes, la vie passée d’un homme n’est point un garant de ses actions présentes. Telle est la fatalité des révolutions que l’esprit de parti peut entraîner et égarer jusqu’à la vertu même, et que, dans l’exagération que cet esprit de parli inspire, l’homme le plus modère peut devenir un factieux, et le citoyen jusqu'alors le plus soumis aux lois sc faire un mérite de la résistance coupable à la volonté générale de la nation. Le préopinant a bien senti que, [tour surprendre votre justice, il fallait émouvoir votre sensibilité, et que le seul moyen de faire illusion à vos esprits était d’intéresser vos cœurs. Je ne dissimule point que le premier sentiment qu’on éprouve nous entraîne à excuser une erreur qui semble devoir être effacée par 80 ans de vertus, et qu’on est porté à éloigner jusqu’au soupçon de dessus la tête de l’homme qui a été si longtemps irréprochable; mais le ministère des juges n’est jamais rigoureux lorsqu’il s’exerce contre ces hommes flétris par l’opinion et qui ont excisé contre eux l’indignation publique; ce ministère sacré ne devient pénible que lorsqu’il frappe des hommes qu’une vin. entière de. vertu semble défendre, et lorsqu’il faut chercher un délit au. milieu d’une multitude de bonnes actions qui le rendent invraisemblable. D’ailleurs, Messieurs, ce n’est pas l’individu que nous avons à juger, mais le délit. S’il s’agissait de l’individu, il ne s’élèverait pas dans cette Assemblée une seule personne qui osât l’accuser. Je ne ferai pas l’injure à l’Assemblée nationale de croire que, dans un moment où la France a les yeux fixés sur elle, elle donnera l’exemple scandaleux dans cette affaire, où il ne s’agit que de justice distributive, de céder à des considérations personnelles. J’écarte donc tout ce que présente d’intéressant la personne de M. de La Rochefoucauld., pour ne m’occuper uniquement que du fait qui seul est soumis à votre examen; mais auparavant je vais répondre à ce qui vient d’être dit auprès de moi, que l’Assemblée nationale n’avait pas eu le droit d’établir des lois et une Constitution pour le clergé. J’écarterai avec soin la discussion théologique dans laquelle ou voudrait renfermer une question simple en elle-même. Les droits de la nation ont été assez souvent et assez solennellement discutés dans cette Assemblée; ils ont été reconnus par tous ceux qui n’avaient pas un intérêt personnel à les contester, ou qui ne se sont pas laissé égarer par des préjugés et séduire par d’absurdes sophismes. Ces droits ont été convertis par vous en décrets. Ces décrets, sanctionnés ou acceptés par le roi, sont devenus des lois auxquelles tous les citoyens ont dû se soumettre; et toutes infractions à ces lois sont des délits. Après cette courte réponse, qui m’a paru nécessaire pour écarter une discussion étrangère dans laquelle on voudrait nous entraîner, je reviens à la question qui seule doit fixer votre attention. Les lettres de M. le cardinal sont-elles une infraction à la loi? Je ne parle ici que des lettres adressées aux marguilliers et aux syndics de la confrérie ; car, dans mon opinion, celles adressées aux vicaires et au curé de Triel, n’étant que des lettres d’un particulier à d’autres, ne me paraîtraient pas susceptibles d’accusation. M. le cardinal de La Rochefoucauld, membre de cette Assemblée, connaissait la constitution civile du clergé; il connaissait la loi du serment à laquelle il a refusé d’obéir dans le sein même de cette Assemblée. 11 ne peut donc prétexter cause d’ignorance, et sa loyauté ne lui permettrait pas d’user d’un pareil subterfuge. L’évêque du département de Seine-et-Oise, nommé le 27 mars, a été installé le 3 avril à Versailles. M. le cardinal écrit le 6 avril, et ses lettres, datées de Paris, n’arrivent à Saint-Germain-en-Laye que le 15. Tels sont les faits exacts qui résultent de cette procédure, et de l’aveu même de M. le cardinal. Que contiennent ces lettres? Une invitation aux marguilliers et aux syndics d’en faire part aux habitants de la paroisse et aux confrères, pour les détourner de la confiance et du respect qu’ils devaient aux ministres des autels qui, animés du véritable esprit de l’évangile, étaient soumis à l’autorité légitime et avaient prêté le serment exigé par la loi. Quels effets pouvaient produire ces lettres? Ceux de jeter des alarmes dans des âmes faibles et timorées, de semer un germe de division parmi des hommes simples et crédules, et de les engager dans des discussions qui finissent presque toujours par des scènes sanglantes. Que défendait la loi que vous aviez portée? Elle défendait aux ecclésiastiques réfractaires de continuer aucune fonction lorsqu’ils auraient été remplacés, et elle ordonnait de les poursuivre comme1 perturbateurs du repos public, si, après avoir refusé de prêter le serment, ils exerçaient quelque acte de juridiction ou quelqu’une des fonctions dont le refus seul de prêter ce serment les dépouillait. Or, il est de fait que M. de La Rochefoucauld n’a pu exercer aucune fonction sur le territoire du département de Seine-et-Oise Je 6 mai, puisque le 3 mai l’évêque de Versailles a été installé. Lors même qu’il n’aurait pas été remplacé dans ce département, il aurait été coupable de jeter des doutes sur la validité des pouvoirs exercés par des prêtres eu vertu de vos décrets. Je n’insisterai pas davantage sur ces faits qui sont d’une évidence incontestable; je craindrais d’ailleurs de paraître accuser celui que ses seuls écrits doivent accuser ; mais je ne puis me dispenser de vous soumettre des considérations puissantes qui viennent à l’appui des principes qui ont décidé votre comité. Je n’interpréterai point les intentions de M. de La Rochefoucauld ; je le croirai, si vous voulez, égaré par de longs préjugés, par de longues habitudes ; s’il était question de juger l’homme, je demanderais moi-même qui ose être l’accusateur. Mais il s’agit de juger un délit, que vous ne pouvez laisser impuni sans porter le plus grand préjudice à la constitution civile du clergé. 324 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1191.] Dans quelles circonstances vous propose-t-on une indulgence coupable, et vous invite-t-on à tolérer une infraction manifeste à la loi? Dans un moment où un système combiné d’attaquer votre Constitution se manifeste dans toutes les parties de l’Empire ( Rires ironiques à droite. A gauche : C'est vrai ! c’est vrai!) ; eau s un moment où les prêtres réfractaires usent de tous les moyens pour armer Jes peuples contre vous. (. Murmures à droite.) Du décret que vous allez rendre dépend le salut de la chose publique. Si vous adoptez la question préalable quia été proposée, vous ranimez les espérances des mécontents, vous augmentez l’audace des prêtres réfractaires et vous sacrifiez ceux qui, dévoués à la Constitution et à la liberté, se sont exposés à toutes les persécutions, à tous les outrages pour obéir à vos lois. Allez-vous flétrir tous vos nouveaux tribunaux sur lesquels, au contraire, vous devez attacher la confiance et l’opinion publique? D’après un ordre ils ont poursuivi ceux qui ont résisté à vos lois ; et voire indulgence ne Jes accusera-t-elle pas d’avoir usé d’une rigueur excessive, et d’avoir persécuté ceux que vous auriez soustraits à la joi? Vous laisseriez-vous accuser d’avoir voulu convertir le décret sur l’inviolabilité des députés en un brevet d’impunité qui leur permet de tout oser? Vous avez chargé votre comité de faire poursuivre par les tribunaux les prêtres réfractaires ; ne frapperez-vous donc que ceux dont les noms sont obscurs; et ménagerez-vous ceux qui ont acquis quelque célébrité ? Après avoir décrété l’égalité, allez-vous consacrer des distinctions injustes? La question préalable sur le décret du comité est la destruction de la Constitution et le signal de la guerre civile. Je dois vous le dire, les Révolutions ne s’achèvent que par la manière dont on les a commencées. G’est par votre courage que vous avez commencé la Révolution; c’est par votre courage que vous avez établi votre Constitution ; ce n’est que par votre fermeté que vous la conserverez. C’est à la fin de votre carrière que tous les efforts vont redoubler; et c’est ce moment que l’on choisit pour vous proposer un acte de faiblesse. Un défaut de force ferait écrouler votre ouvrage; la sensibilité peut être une vertu pour des particuliers; mais, pour des législateurs, elle n’est qu’une pusillanimité dangereuse. J’insiste donc à regret pour que vous adoptiez l’avis du comité. ( Murmures à droite.) Je dis à regret malgré les murmures qui s’élèvent, et je demande à ceux qui veulent pénétrer mes intentions, s’ils n’auraient pas beaucoup à craindre et à rougir, si je voulais pénétrer et démasquer les leurs ( Murmures à droite.) ; mais sans craindre qu’on devine mes intentions, je ne chercherai point à pénétrer celles des autres. Oui, je le déclare; je ne me dissimule pas quelle défaveur doit éprouver tout homme qui provoque un acte de sévérité contre un de ses collègues et contre un vieillard respectable; mais je réponds que ce n’est pas l’homme que nous jugeons; votre comité, en ouvrant la procédure, a gémi d’y trouver le nom de M. de La Rochefoucauld; il a gémi de la nécessité où il était de vous présenter ce décret sévère; il a rempli son devoir, quoique rigoureux ; j’ai cru remplir le mien en défendant son opinion. Je désire, Messieurs, qu’il se soit trompé ainsi que moi. Qu’on justifie M. le cardinal ; et je compterai comme un des jours heureux de la Révolution, celui où je pourrai, sur cet objet, lui rendre la même justice que sur tous les autres. M. l’abbé de Pradt. Messieurs, lorsque le tribunal de Samt-Germain-en-Laye est venu dénoncer à la sévérité des législateurs un de leurs collègues, au nom de la tranquillité des peuples abusés sous prétexte de religion, au nom de la sûreté publique et du maintien de la Conslitu-tion, vous avez cru sans doute que la vigilance des magistrats était excitée par l’un de ces délits qui, en bravant la sévérité de vos lois, menacent la tranquillité publique et la sûreté de votre ouvrage. A mesure que votre comité des rapports a levé le voile qui couvrait l’attentat, objet d’une dénonciation solennelle, vos inquiétudes sur le sort de la chose publique se sont calmées. . . Un membre à gauche : Voilà du galimatias ! Un autre membre : Ecoutons avec patience ! M. l’abbé de Pradt ..... et j’ai tout lieu de croire qu’en rapprochant ce délit du caractère connu de l’accusé, vos alarmes se sont entièrement dissipées. En effet, si la Constitution doit périr, ce sera par d’autres attaques et de plus grands dangers. A gauche : Ah! ah! du moins nous sommes avertis ! M. l’abbé de Pradt. Il est certain que les deux lettres dont on forme le corps du délit sont du 5 ou du 6 avril, et que ce n’est que le lü seulement que M. le cardinal a été dépossédé à Rouen, chef-lieu du diocèse, par l’installation de M. Charrier. Il écrivait le mardi les lettres qui sont dénoncées, et ce n’est que le dimanche que M. Avoine, installé à Versailles, occupait la partie du diocèse sur laquelle était la paroisse desservie par les deux prêtres qui ont prêté le serment. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que M. le cardinal ait ignoré à Paris une prise de possession qui n’avait eu lieu à Versailles que 24 heures auparavant (Murmures.), surtout lorsqu’à cette époque aucun acte de juridiction, d’administration, de signification ne l’avertissait encore qu’il avait un successeur. Devait-il, sous peine de crime à vos yeux, connaître, à heures fixées, les différents démembrements des diocèses qui s’opéraient ensemble, et se trouver présent au partage qui se faisait en même temps à Beauvais, à Versailles, à Evreux ? Ce fait, qui devrait seul éteindre l’accusation, ne suffit pas à la délicatesse de M. le cardinal. Les lettres sur lesquelles on fonde la dénonciation sont reconnues et avouées par lui ; elles ne renferment rien qu’il puisse désavouer, rien qui soit contraire aux principes et aux devoirs de la religion. ( Murmures à gauche.) Sa situation est donc la meilleure dans laquelle un accusé puisse se trouver, puisque, tranquille sur l’essence d’une accusation, et exempt de reproches, il n’a à se défendre que d’une opposition à une loi de police, car ce n’est pas autre chose. 11 faut donc établir que cette opposition n’existe pas, et c’est dans vos propres décrets que je vais chercher la preuve. Daignez suivre mon raisonnement, Messieurs, et vous verrez si, dans la connaissance de vos principes et de vos décrets, je ne remonte pas plus haut que le tribunal de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [18 juin 1791.] 325 Saint-Germain, que votre comité des rapports et que le préopinant, dont j’ose dire que toute la dissertation n’a été autre chose qu’à enfoncer avec respect le poignard dans le cœur du vieillard vénérable que l’on ose accuser. Lorsqu’un peuple a un cuite qu’il a choisi, il y joint l’exclusion de tous les autres. Lorsque ce culte est national et dominant, dès lors tous les membres de l’association civile, liés par les mêmes lois, sont aussi obligés de l’être par l’association religieuse, parce qu’elle fait partie des lois mêmes; dès lors, toute attaque dirigée contre ce cuite, tout ce qui peut en affaiblir le respect, en combattre les dogmes, en menacer l'existence, est aussi une atteinte aux lois, puisque c’est sur elles qu’il repose. Ainsi, au temps où la religion catholique reconnaissait un empire dominant en France... Un membre à gauche : Légalement, elle l’est encore. M. l’abbé de Pradt. Aujourd’hui tout est changé; nous ne vivons plus sous les mêmes principes, vous avez déclaré qu’il n’y avait plus de culte exclusif, dominant. Vous avez déclaré, séance du 16 avril 1790, que la seule manière convenable de prouver votre profond respect pour la religion était de s’abstenir d’en délibérer. On vous a proposé de proscrire jusqu’au nom de la tolérance comme une expression voisine de la domination, trop contraire à la liberté et à l’égalité qui appartiennent également à tous. Dès lors, échappant à l’influence des lois, tous les cultes, je ne parle qu’à des législateurs, tous les cultes ont dû vous devenir étrangers, tous les dogmes purement spirituels égalementqndifférents. (Murmures à gauche .) L’essor le plus libre a été rendu à tous ; il n’y a eu de légal que la communion universelle, j ai presque dit tous les cultes. Dès lors, dans un ministre de la religion, vous devez cesser de voir le prêtre, pour ne vous occuper que de l’homme et du citoyen. Vos principes vous en font la loi; le juif, le Turc, le disciple de Confucius et de Calvin avaient un droit égal à professer leur doctrine, à répandre leur doctrine, à se faire des associés; chaque association religieuse a pu se subdiviser, a pu se séparer en autant de fractions que l’a exigé la diversité d’opinions qui régnaient entre elles ; elle pouvait se diviser tous les jours, se subdiviser à l’infini; et si la différence des opinions fait naître entre eux des troubles et des querelles, vous ne pouvez pas y intervenir; car, qu’y jugeriez-vous? Serait-ce les personnes? Mais, dans mon opinion, il n’est question que d’opinions religieuses : serait-ce la doctrine ? Mais votre autorité ne s'étend pas sur elle, mais vous vous l’êtes interdit à vous-mêmes; mais si vous en jugez une, il faut les juger toutes, et vous préparer de grands travaux à vous et à vos successeurs. (Murmures.) En attachant des salaires à un culte, vous avez bien pu faire une loi de contribution pour les dépenses qu’il exige, vous avez bien pu transmettre ces salaires des mains de quelques ministres dans celles de quelques autres; mais vous n’avez pu également transmettre la confiance, et chacun est resté maître de la refuser au même homme à qui, en vertu de vos lois, il ne peut refuser son tribut. Lorsque vous avez donné des successeurs aune partie des ecclésiastiques du royaume, sur quelle portion de leur état et de leurs fonctions avi-z-vgus fait tomber la protection des lois? N'est-ce pas seulement sur le temporel? Vous leur avez assigné des salaires, vous les avez introduits dans l’habitation d’où leurs prédécesseurs venaient de sortir; vous leur avez marqué les temples dans lesquels ils devaient hautement exercer leurs fonctions ; vous leur avez promis de faire régner autour d’eux le calme et la paix, et de leur garantir la jouissance de leurs droits; mais vous n’avez pu aller au delà, vous n’avez pu dépouiller de l’autorité spirituelle celui qui ne tenait pas de vous cette autorité. Dès lors, il a été loisible à tout chef, à tout membre d’une autre association religieuse d’examiner, de blâmer leur doctrine en respectant leurs personnes, de préférer la sienne propre, de publier, d’écrire, d’imprimer que ce n’était que dans elle que se trouvait la portion d’autorité qui est nécessaire pour les actes antérieurs ; vous avez dû, sur ce point, les abandonner à leur propre défense. Quant à ce qui vous garantit au dehors de toute atteinte sur l’invasion de tous les avantages temporels qu’ils tenaient de vous, réprimez, punissez ceux qui chercheraient à les en priver, à la bonne heure; que toute violence, que toute provocation qui pourrait les menacer soient écartées par la sévérité des lois, rien de plus juste; mais qu’il soit permis de discuter paisiblement sur la nature et la validité de leurs fonctions comme on discute sur celle des lois ; comme on balance leurs avantages et leurs inconvénients, mais avec cette différence bien essentielle que l’examen des lois doit être précédé et suivi d’obéissance, au lieu que, pour l’examen des doctrines et des pouvoirs dans l’état actuel, il suffit de respecter la personne. Appliquons maintenant ces principes aux faits postérieurs dont M. le cardinal est accusé devant vous. Un décret l’a fait descendre du siège de Rouen, qu’il occupait depuis 32 ans. Il a cédé sans bruit, sans murmures à son successeur tout ce qu’une longue possession et les lois avaient attaché de temporel au siège et à ses fonctions ; mais, n’ayant pas reçu de la puissance temporelle qu’il avait exercée jusqu’à ce jour la puissance spirituelle qu’il exerçait, il dira avec une très grande partie du diocèse de Rouen, que cette autorité spirituelle lui restait toujours, qu’elle survivait au décret qui lui enlevait la jouissance des avantages temporels, et qu’il n’en serait dépouillé que par la même autorité qui lui en avait confié le dépôt. ( Murmures à gauche. — Applaudissements à droite.) Sur ces entrefaites, un pasteur qui devait toujours reconnaître en lui cette autorité spirituelle, qui avait même reçu de lui celle qu’il exerçait, se choisit deux coopérateurs sans sa participation. Par les lettres qui vous sont présentées comme un corps de délit, que fait M. le cardinal? Il énonce d’abord un fait qui seul pourrait le justifier s’il en avait besoin, c’est que les vicaires dont il est question, ayant été admis dans le diocèse pendant le temps où il exerçait encore, en vertu de vos décrets, l’avaient été dans ce temps contre les lois subsistant encore, puisqu’ils n’avaient pas reçu son approbation, et qu’il appartenait à lui seul de la donner. Si on joint à cela que la lettre au curé et au vicaire est du mardi, et que l’installation du nouvel évêque n’est que du mardi, on trouvera que M. le cardinal, relatant un fait antérieur à la cessation de ses fonctions publiques était autorisé à annoncer alors que les vicaires établis sans pouvoirs de lui n’en avaient aucun. Mais il y a plus : que disent donc ces lettres ? 326 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1791.] S’agit-il de l’honneur, de la sûreté de ces ecclésiastiques? Est-ce leur existence civile? Sont-ce leurs émoluments temporels qui sont attaqués? Non, il ne s’agit que de pouvoirs spirituels, que de la validité intérieure de la confession, chose qui ne peut être soumise à votre juridiction. Supposons un instant que les lettres écrites par M. le cardinal l’eussent été à lui par ceux-mêmes à qui elles sont adressées, que répondrait un juge tant soit peu imbu de vos principes, à qui M. le cardinal viendrait les déférer? 11 lui dirait sans doute : L’objet de vos réclamations est d’un tel ordre que je ne puis l’atteindre; je ne vois ni vos biens, ni votre honneur, ni votre sûreté compromis; ce sont les seuls objets de ma vigilance, établissez avec vos adversaires une controverse publique, prouvez à tous ceux ..... A gauche ; Ali! ah! Allons donc! M. l’abbé de Pradt. Quoi ! vous avez couvert d’applaudissements celui qui, naguère, dans cette tribune, vous disait : Il faut que' Ton' puisse dire que nous sommes schismatiques , et vous méconnaîtriez aujourd’hui ce principe; et M. le cardinal ne pourrait pas dire que deux vicaires sont sans pouvoirs ! On peut imprimer à la face de l’Europe que le Corps législatif est hors du sein de l’Eglise, et on ne peut pas dire que les lois de l’Eglise sont violées par 2 ecclésiastiques ! qui s’introduisent dans l’administration spirituelle d’une paroisse sans l’approbation de l’évêque. La première allégation ne troublera pas l’ordre public, et la seconde fera traîner devant les tribunaux ! Messieurs, vous étiez conséquents le jour où vous applaudissiez à la liberté de l’orateur, qui vous disait jusqu’où pouvait aller le droit de juger votre doctrine, et vous allez vous déclarer intolérants, vous mettre à la tête de la persécution qui s’est déjà signalée par tant de larmes et de scandales, si vous adoptez les conclusions de M. le rapporteur. Avec quels poids ne va-t-elle pas descendre sur les victimes, lorsqu’on en verra le premier anneau attaché an législateur lui-même ! Dans quel temps vous propose-t-on de vous armer de rigueur? C’est lorsque le contraste le plus frappant de liberté et de tyrannie triomphe dans l’enceinte de cette ville ; c’est lorsque d’une part la paix la plus profonde environne ie temple où paraît un culte inconnu jusqu’alors en cette capitale depuis plus d’un siècle; et que, d’autre part, des cris séditieux arrachent à leurs autels les prêtres réunis sous l’autorité de vos décrets et l’invitation des corps administratifs. Un membre : Ce n’est pas là la question. M. Coroller du Moustoir. Laissez-le divaguer. M. l’abbé de Pradt. Croyez-vous que dn s mesures de rigueur soient bien propres à ramener le calme? Est-ce ainsique vous croyez établir l’égalité? Craignez, au contraire, que l’esprit de parti n’entreprenne ce qu’il a fait jusqu’à ce jour, ce qui peut convenir à ses vues. Sévissez, et vous ne ferez qu’augmenter la fermentation des querelles religieuses. Vous aurez beau entasser décret sur décret, vous ne pourrez empêcher qu’on ne commente, 'qu’on ne discute, qu’on n’explique la validité des pouvoirs spirituels et qu’on ne s’écrive des lettres particulières. Après vous être créés à vous-mêmes de nouveaux embarras, vous ne serez pas, pour en sortir, plus puissant que Louis XIV qui, après avoir été J’arbitre de l’Europe, mourut dans la douleur de ne pouvoir être celui de quelques jansénistes. (Hires à gauche.) Enfin, Messieurs, ne craindrez-vous pas que l’on se demande avec étonnement comment il peut se faire qu’au •milieu de la plus libre circulation des écrits où l’hoimcur et la réputation des citoyens reçoivent les plus criminelles attaques : lorsque des publications sanguinaires sèment partout des maximes de carnage et de mort; lorsque tant d’objets offerts à notre vénération, se présentent à tous h s renards sous des formes les plus hideuses, comment les magistrats ne redoublent-ils de zèle et de force, que pour sévir contre des écrits qui n’ont de danger politique nue ceux qu’on veut bien leur donner? Ce silence des lois sera-t-il interrompu lorsqu’il s’agit de lettres particulières, et d'une simple controverse sur la légitimité des pouvoirs spirituels d’un vicaire? Je demande qu’il soit décrété qu’il n’y a pas lieu à accusation. M. Coroller dsi Mosastoir. Contre vous. M. «te MosstSosâer. Je demande l’impression du discours. M. de ILa Roclicfon.eai£!!d-fJaneonrt. Moins théologien que le préopinant,... Un membre : Vous faites bien. M. de l�a Rochefoucauld-Liancourt. . . je n’admets point sa controverse. Il me semble que ce n’est pas de tout cela qu’il est question ici; je crois même que je ne serai pas démenti par M. le cardinal, en disant que le préopinant s’est égaré, lorsqu’il a dit que l’autre préopinanl avait cherché à enfoncer le poignard dans le cœur de M. Se cardinal. ( Murmures à droite.) On vous a dit, Messieurs, que vous aviez à juger une accusation de fait, et non une accusation de personnes. Encore une fois je crois que l’accusation de fait est avantageuse en faveur de M. ie cardinal et contre l’opinion du comité, lorsqu’il est certain que l’évêque de Versailles n’a été installé que 2 jours auparavant, et que l’évêque de Rouen ne l’était pas. (Murmures.) J’ajouterai une autre considération : l’Assemblée fait ici l’office de juré d’accusation, et dans la décision du juré, l’intention du fait entre autant que le fait même. Vous jugez s’il y a ou non lieu à accusation, et c’est là, je crois, que Ja vie entière d’un homme vertueux entre avec avantage dans la balance d’un pareil jugement. C’est cette raison qui est la dernière que j’emploie et pour laquelle je conclus à ce que l’Assemblée, en applaudissant au zèle du tribunal de Saint-Germain pour le maintien des décrets, déclare qu’il n’y a pas lieu à accusation pour l’affaire de M. le” cardinal. Plusieurs membres : Aux voix ie décret ! M. Chahroud. Je crois que ce qui a été dit à la tribune contre le projet du comité n’a eu pour objet que de vous faire perdre de vue le véritable point de la question. Ce n’est pas dans les faits qu’a attaqués l’avant-dernier préopinant, ce n’< st pas dans les faits sur lesquels il a établi sa glose, que 1(3 délit consiste. Il consiste dans les lettres écrites aux marguiliiers et aux confrères de la Charité; dans l'insurrection qui est conseillée 327 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1791. aux hommes : dans l’espèce de commandement qui est fait à ces marguilliers de communiquer au peuple l’avis qui leur est donné. Il est évident que le but de celte recommandation est de soulever le peuple contre le pasteur légitime. (Applaudissements.) C’est là, Messieurs, qu’est le fait que les juges de Saint-Germain ont considéré comme un délit, comme pouvant être attribué à M. le cardinal de La Rochefoucauld , et il est évident que si celui-ci s’est permis un procédé propre à soulever le peuple contre la Constitution, conlre le pasteur légitime que la Constitution lui a donné (Murmures.), il est évident que M. de La Rochefoucauld a commis un délit. Après cela, il ne sert de rien de remarquer les époques auxquelles les lettres ont été écrites. Même dans le cas où M. de La Rochefoucauld aurait ignoré l’installation de M. l’évêque de Versailles, il aurait enfreint les lois en prononçant une interdiction sans l’avis de son conseil. 11 est un raisonnement très simple à faire qui va vous convaincre que le délit est le même, quelle que soit l’époque à laquelle elles ont été écrites. Il faut seulement se rappeler les expressions qui y sont contenues et sur les droits prétendus de l’épiscopat dont M. le cardinal de La Rochefoucauld se regarde encore comme revêtu, et sur les prétendues nouveautés auxquelles il prétend ne pas devoir se prêter. Il ne faut que saisir les expressions relatives à ces deux points pour se convaincre que M. de La Rochefoucauld n’a pas seulement prétendu exercer des restes de juridiction dans un diocèse dont il est déchu, mais qu’il a entendu faire un acte d’insurrection contre la constitution nouvelle du clergé. M. Millet de Mureau. Je demande à faire une motion d’ordre. Plusieurs membres : A l’ordre ! à l’ordre ! M. Chabroud. Il y a quelque chose de plus. M. de La Rochefoucauld, selon que l’a prétendu le préopinant, était encore en fonction, parce que les évêques constitutionnels qui lui ont succédé n’étaient pas encore installés. Je dis que même dans ce sens, comme M. de La Rochefoucauld était en place en vertu des décrets de l’Assemblée nationale (Rires ironiques à droite.), il devait alors se conformer au décret. Il ne pouvait pas de son chef interdire ni les curés ni les vicaires. C’était par les décrets de l’Assemblée nationale; et les décrets de l’Assemblée nationale avaient interdit ces actes de despotisme. (Applaudissements à gauche. — Murmures à droite.) Je crois que ces considérations ne peuvent laisser aucun doute sur la nécessité qu’il y a d’adopter le projet de décret présenté par le comité. Messieurs, s’il arrivait que ce décret ne fût point adopté, je crois que le résultat simple, naturel, inévitable du rejet que vous auriez prononcé serait la guerre civile dans le royaume. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Les tentatives dont M. de La Rochefoucauld vient de vous donner le spectacle se reproduisent dans toutes les anciennes circonscriptions de diocèse. Partout les prêtres révoltés contre la loi et la Constitution s’occupent, par tous les moyens détournés que leur suggère leur animosité, du soin de séduire le peuple, de le tromper, de l’égarer, de le conduire à l’insurrection. Voilà ce que produisent les mandements, les lettres des prêtres réfractaires; et vous ne pouvez vous dissimuler que malheureusement elles font encore quelque impression sur un peuple aveugle. Je demande l’admission du projet de décret du comité. Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. M. de Cazalès. Messieurs, j’ai des grâces à rendre au préopinant ..... M. dombert. Monsieur le Président, fermez la discussion. M. de Cazalès... de ce qu’il a essayé d’inculper les intentions de M. le cardinal sie’La Rochefoucauld. De tous ceux qui connaissent M. le cardinal, et qui ont entendu les lettres qui vous ont été lues, il n’y en a pas un seul qui croie à la méchanceté des intentions de M. le cardinal, et le préopinant lui-même a jeté une grande défaveur sur la cause qu’il défendait en cherchant à les inculper. Je n’entrerai dans aucune discussion polémique sur les pouvoirs de l’Assemblée en matière religieuse. Le dissentiment de mon opinion particulière avec celle de la majorité ne ferait que l’aigrir, et certes ce n’est point mon projet. Je demande simplement à l’Assemble nationale de vouloir bien considérer que la question qu’on lui présente est de la plus haute importance; c'est le premier pas qu’elle fait dans la carrière de la persécution. (Rires ironiques à gauche.) Il faut qu’elle ait la plus sérieuse attention à marquer les limites jusqu’où elle veut aller, et qu ls sont les cas qui tomberont sous la juridiction civile. Il me semble que, dans le délit qui est imputé à M. le cardinal, il n’y a aucun acle de juridiction, et quand vous n’auriez pas établi des principes de tolérance universelle, dans le pays même où il existe une religion nationale, les actes de juridiction sont les seuls qui tombent sous la puissance de la loi, et il en résulterait toujours qu’une discussion polémique, que de simples opinions manifestées sur la validité des pouvoirs spirituels du ministre d’un culte doivent être différenciés des actes de juridiction. Or, M. le cardinal, dans ses lettres, n’a fait qu’un acte de doctrine. (Murmures.) Il a professé une doctrine; il a déclaré un fait. Il a dit : « Tel et tel curé n'ont pas reçu le droit de moi. » Je ne vois là-dedans que la déclaration simple d’un fait. A cette déclaration suit une profession de doctrine par laquelle il dit que ceux qui n’ont pas reçu de pouvoirs de lui ne peuvent pas exercer le ministère. Il m’est impossible de voir !à ni un acte de juridiction, ni un acte tendant à troubler le repos public. 11 m’est encore bien plus difficile d’y apercevoir l’intention d’un complot formé contre la Constitution. Jusques à quand, en créant des fantômes autour de nous, voudra-t-on nous empêcher d’être justes et humains? Les principes de la tolérance ont été établis par vous, et vous voulez punir l’homme le plus respectable de cette Assemblée. (Rires ironiques à gauche. — Applaudissements à droite. — Murmures.) Malgré les interruptions que j’éprouve, celte idée surnagera aux murmures de l’Assemblée nationale. . . Plusieurs membres à droite : Oui I ouil M. de Cazalès. Vous voulez le punir, parce qu’il a déclaré la doctrine, surtout lorsqu’il est 328 l Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. US juin 1791.] évident qu’aucune espèce de mauvaise intention ne pouvait lui être imputée, lorsqu’il est évident qu’il n’a fait aucun acte de juridiction, lorsqu’il est évident que cette déclaration ne pourrait jamais porter à aucune espèce d’insurrection ni causer le moindre danger. ( Rires ironiques à gauche.) Certes, ceux-là qui conseillent à l’Assemblée nationale de pareils actes de rigueur sont ou bien perfides, ou bien maladroits. Ceux-là sont bien maladroits qui lui conseillent de s’adresser à M. le cardinal de La Rochefoucauld, pour la prier de déployer contre lui le premier acte de la persécution religieuse. Je ne pense pas que l’Assemblée nationale puisse sérieusement donner suite à une pareille accusation; je ne pense pas qu’elle puisse permettre d’inculper un vieillard aussi respectable, pour un délit aussi léger, pour un délit qui n’a été suivi d'aucune action. ( Rires ironiques à gauche.) Un membre à gauche : Vous convenez donc! M. de Cazalès. Je me trompe, pour un acte qui ne peut être qualifié de délit, un acte qui ne peut jamais être dans le cas d’être regardé comme de juridiction civile, puisqu’il est de simple profession de foi, puisqu’il est pour ainsi dire une simple déclaration de la doctrine, qu’il est spécialement chargé de maintenir. Je conseille donc à l’Assemblée nationale, et pour les intérêts de la justice et pour les intérêts de son humanité et pour tous les motifs de prudence, d’ensevelir dans un profond oubli cette affaire qui n’eût jamais dû être portée au tribunal. Je lui conseille surtout de ne pas appesantir son pouvoir sur de pareilles questions, et de laisser tous les Français disputer librement de dogmes et de doctrines, tant qu’ils ne troubleront pas l’ordre public. Ce sont les propres principes que j’établis ici. Je ne doute pas, en conséquence, qu’elle ne prenne le seul parti que lui dictent la prudence, la raison et l’humanité, et qu’elle ne décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le décret. Plusieurs membres à gauche : Aux voix ! aux voix ! la discussion fermée ! M. Gonpil-Préfeln. L’affaire paraît assez importante ..... ( Murmures prolongés.) Un grand nombre de membres : Fermez la discussion ! (L’Assemblée ferme la discussion.) M. de Caslellane. La priorité pour l’avis du comité. M. Foucault-I�ardimalic ( montrant le côté gauche). J’observe à l’Assemblée qu’il y a beaucoup d’étrangers dans la salle. Un membre à gauche : Monsieur le Président, il y en a aussi à droite. (On fait sortir les personnes étrangères à l’Assemblée. — L’Assemblée reste longtemps bruyante et inactive.) M. le cardinal de E�a Eftociicfoucauld se retire. M. le Président. J’ai entre les mains deux propositions d’abord le projet du comité portant qu’il y a lieu à accusation ; ensuite une autre proposition disant qu'il n'y a pas lieu à accusation. M. Goupil-Préfeln. Je propose l’amendement suivant : « Attendu qu’il n’est prouvé, ni même justifié que M. de La Rochefoucauld eut connaissance, lors des lettres des 5 et 6 avril, de l’installation de l’évêque du département de Seine-et-Oise, faite seulement le 3, il n’y a pas lieu à accusation. » M. d lreraberg de La Marck. Aux voix la proposition de M. Goupil ; c’est la plus sage. M. Goupil-Préfeln. Je demande à appuyer mon amendement. ( Murmures prolo?igês à gauche.) A gauche : La discussion est fermée. M. Gou pil-Préfeln {parlant au milieu du bruit et des interruptions). Dans l’amendement que je propose, M. le cardinal de La Rochefoucauld, aux termes des décrets, n’a pas été privé de ses fonctions par le seul fait de la non-prestation de serment; il ne l’a été, il n’a pu l’être que par l’installation de son successeur; jusque-là il a du remplir ses fonctions. La vérité, et en cela il a eu tort, c’est qu’il ne pouvait pas interdire (Murmures.) sans l’avis d’un conseil; mais ce tort était la matière d’un appel comme d’abus. Ce n’était et ne pouvait pas être la matière d’une accusation criminelle, et s’il y avait lieu de faire déclarer son ordonnance abusive, il n’y avait pas lieu de constituer accusation. (Murmures.) M. Prieur. On vous a dit, Messieurs, il n’y a qu’un instant que si l’Assemblée faiblit dans ce moment, si par des préjugés favorables à l’homme que les juges doivent toujours oublier... M. de Cazalès. CVst le fond. M. Prieur... Quand il s’agit de la chose publique, si l’Assemblée faiblit dans une circonstance où des lettres positives ont appelé les citoyens à l’insurrection contre vos décrets... Un membre : Renfermez-vous dans l’amendement. M. Prieur... Alors je vous dis que d’un bout du royaume à l’autre, votre constitution civile du clergé est délabrée, que les ennemis de la chose publique vont se servir de votre décret pour faire sentir aux curés assermentés qu’ils ne seront pas soutenus par l’Assemblée; et puisqu’on me force à me renfermer dans l’amendement, je déclare qu’il y a absolument du danger pour la chose publique d’adopter l’amendement proposé. Je demande donc la question préalable sur l’amendement. (Applaudissements à gauche.) ' M. IBouttcvilîe-IEamctz. Je demande la priorité pour le projet du comité. M. le Président. Je vais d’abord mettre aux voix la priorité pour le projet du comité. (L’épreuve a lieu au milieu du bruit.) M. le Président. Le bureau et moi pensons que la priorité est accordée au projet du comité. Je prononce : La priorité est accordée au projet du comité. 329 lAssemliiéd nationale,! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1791.1 M. Malonet. Je demande la question préalable sur le projet du comité. M. Rœderer. Je prie M. Malouet d’observer qu’ici la question préalable ne peut pas être proposée. Elle suppose, en effet, que la proposition portée à cette Assemblée n’a pas dû être portée, tandis que nous sommes au contraire dans un cas tout différent. En effet, de quoi s’agit-il? De statuer sur un projet de jugement rendu par un tribunal. Le tribunal n’a pas pu encore exécuter son jugement sans avoir demandé le consentement du Gorps législatif; c’est conforme à vos décrets. H a donc pu vous interroger, vous devez lui répondre; par conséquent, il y a bien lieu à délibérer. Ainsi, Messieurs, il n’y a qu’une manière de décider... A droite : M. Rœderer a raison. M. Rœderer... C’est de décider par l’affirmative ou par la négative. M. de Cabales. M. Rœderer a parfaitement raison. Il est parfaitement simple de décider par oui ou par non : « Y a-t-il lieu à accusation, ou non? » M. Malouet. Je demande que l’on mette aux voix la proposition de M. Goupil. M. Merlin. Je demande la parole pour un sous-amendement, puisque l'amendement de M. Goupil est appuyé... Un membre : Non, non, il ne l’est pas, au contraire 1 M. Merlin. Je demande la parole pour un sous-amendement. M. Chabroud. Il n’y a pas d’amendement. Un membre : La question de priorité a été réglée entre la rédaction du comité et la rédaction de M. Goupil; vous ne pouvez pas sous-amemier la proposition de M. Goupil avant d’avoir rejeté le projet du comité. M. Thévenot de Maroise parle dans le tumulte. M. le Président sonne continuellement pendant qu’il parle, pour rétablir le silence. M. i