[2 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’Assemblée nationale de France . Or quelles sont, je vous prie, quelles peuvent être les suites d’un faux principe, si ce ne sont de fausses conséquences? Dans l’affaire qui nous occupe, les fausses conséquences sont beaucoup plus formidables, qu’on ne le croirait peut-être. Le tableau des malheurs qu’elles entraîneraient est effrayant ; et nous sommes appelés pour ramener l’ordre et la paix dans ce royaume dont nous sommes les représentants. Je n’exagère rien, Messieurs, vous ne tarderiez pas à reconnaître la vérité que je voudrais vous faire sentir maintenant. Bientôt on soumettrait à votre décision des questions qui vous feraient apercevoir, mais trop tard, que quand une fois on a pris une mauvaise route, on finit par s’égarer de plus en plus, et courir vers le précipice que l’on voulait éviter. Je vous conjure donc, pour l’intérêt de nos colonies, pour l’intérêt de la France, qui est intimement lié au leur, de ne pas calculer dans ce moment ce que vous allez décider sur ce que vous avez déjà fait, mais sur ce que vous deviez faire. Déclarez qu’il n’y a lieu à délibérer sur la proposition de M. de Gurte ; déclarez en outre, et cest du plus grand , du plus pressant intérêt, déclarez que l’Assemblée nationale ne doit s’occuper d’aucune matière relative à la constitution et au régime intérieur des colonies. Je crois avoir prouvé que l’Assemblée nationale ne peut, d’après les vrais principes , s’arroger un pareil droit ; j’ajouterai qu’elle ne le saurait faire sans renouveler l’exemple d’une prétention qui a en partie causé à l’Angleterre la perte de ses colonies ; et comme j’ai eu l’honneur de vous le dire dans une autre occasion, l’affaire des colonies anglo-américaines est une source féconde d’utiles leçons que nous ne devons jamais perdre de vue. Je sais que l’on m’objectera que les Anglais ont proposé d’admettre les colons dans leur parlement ; mais cette objection n’est d’aucun poids contre moi : car quelle était la raison principale, la raison avouée par ceux qui soutenaient ce système en Angleterre? l’espoir avide d’opprimer les colons par des taxes directes, tandis que l’on savait très-bien que les colonies, par la nature de leur institution, et pour l’intérêt même de la métropole, ne lui doivent aucune taxe. Au reste, si MM. les députés des colonies craignaient que le ministère se refusât à convoquer les planteurs dans la forme la plus propre à faire connaître leur vœu libre et complet, alors, Messieurs, l’Assemblée nationale s’empresserait de les seconder dans une demande dont elle aurait reconnu la justice et l’utilité. Elle décréterait que la colonie serait convoquée. Quant aux affaires qui concernent les approvisionnements de nos colonies, vous avez votre comité de commerce et d’agriculture dont un rapport, récemment publié dans une affaire de ce genre, vous prouve tout à la fois l’activité, le zèle, les lumières, l’intégrité de ceux qui le composent et le danger du nouveau comité que l’on vous demande. Il vous offre aussi un exemple remarquable de la manière dont les objets qui intéressent les colonies et le commerce, dans leurs rapports respectifs, doivent être toujours présentés au Corps législatif de la métropole. J’opine pour que l’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la proposition d’un comité colonial et pour qu’elle déclare qu’elle n’entend s’occuper d’aucune matière relative à la constitution et au régime intérieur des colonies. M. le marquis de Clouy d’Avsy, député de lre Série, T. X. 353 Saint-Domingue, détend, la formation d’un comité colonial et, pour en faire sentir la nécessité, il fait le tableau des malheurs de la colonie. Il soutient qu’il serait impolitique de renvoyer la décision de tant d’intérêts précieux au pouvoir exécutif, dans le moment où le département de la marine est dirigé par un ministre exécré qui a fait le malheur de la colonie et qui cherche à consommer sa ruine . Plusieurs membres interrompent l’orateur et lui crient de fournir des preuves. M. de Cfouy d’Arsy. Je suis formellement chargé par mes commettants de dénoncer le ministre de la marine. M. de Curt, député de la Guadeloupe. Je suis convaincu que chaque représentant a le droit de dénoncer un ministre coupable et que c'est un devoir quand les preuves sont acquise; pour moi, je déclare que la Guadeloupe n’a eu, jusqu’à ce moment qu’à se louer du ministre de la marine actuel, M. de la Luzerne. J’ajoute que la plainte de M. de Gouy d’Arsy est tout à fait étrangère à la formation d’un comité colonial, seule question qui soit à l’ordre du jour. M. le baron de Jessé. Je propose, attendu l’heure avancée, d’ajourner à un outre jour la suite de cette discussion. Cette motion est adoptée, M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE d’aix. Séance du mercredi 2 décembre 1789 (1). M. de Aolney, l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal des deux séances de la veille et rend compte des adresses suivantes : Adresse des religieux bénédictins de l’abbaye de Saint-Pé de Generets, diocèse de Tarbes, qui consentent à l’abandon des biens de la congrégation de Saint-Maur, fait entre les mains de l’Assemblée nationale, sous les conditions d’une pension viagère de 1 , 800 livres , de l’habileté à posséder les bénéfices-cures et à remplir les chaires de l’enseignement public avec fa moitié des honoraires attachés auxdites charges. Adresse du même genre des religieux de l’abbaye de Saint-Sever-de-Rustau ; ils recommandent à l’Assemblée un vieillard accablé d’infirmités, qui est lié à la congrégation par un contrat civil, et qu’elle s’est engagée à entretenir pendant sa vie. Adresse de la ville d’Espalion en Auvergne , contenant félicitations , remerciements et l’adhésion la plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale ; elle attend, avec la plus vive impa-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 23 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 décembre 1789.] 354 tience, l’organisation des municipalités, et supplie l’Assemblée de conserver en exercice les officiers municipaux actuels, qu’elle a substitués aux anciens qui n’étaient pas élus librement. Adresse des habitants de la ville de Saint-Jean-d’Angely, dans laquelle ils réitèrent l’adhésion qu’ils ont déjà donnée à tous les décrets de l’Assemblée; ils demandent que l’abbaye royale établie dans leur ville , soit remplacée par un collège. Adresse du même genre de la ville de Vienne en Dauphiné : elle demande qu’il soit formé dans son sein un chef-lieu de département ; que les municipalités et les tribunaux soient promptement organisés ; enfin, qu’il soit pris incessamment , par la sagesse de l’Assemblée, les mesures les plus efficaces pour faire rentrer dans le royaume les différents émigrants. Adresse des officiers municipaux et des commandants de la milice nationale du bourg de Youziers en Champagne , dans laquelle ils expriment l’adhésion la plus formelle à tous les décrets de l’Assemblée nationale, et la plus ferme résolution d’en maintenir et assurer la plus parfaite exécution; ils exposent les difficultés sans nombre qu’éprouve la libre circulation des grains, les abus que les gens malintentionnés font de cette liberté ; ils supplient l’Assemblée de les préserver du malheur affreux de tourner leurs armes contre leurs concitoyens. Adresse du conseil permanent de la ville de Nîmes , contenant un arrêté fait pour exciter l’attention des citoyens et leur patriotisme , relativement à la contribution du quart du revenu. Adresse du lieutenant général de la ville de Civray, dans laquelle il exprime, au nom de sa compagnie, la soumission respectueuse de tous les membres de la sénéchaussée aux décrets de l’Assemblée, et notamment à celui concernant la contribution patriotique. Adresse de M. Martinet de Montferrat, avocat du Roi honoraire au présidial de Soissons, qui offre de rendre la justice gratuite dans la ville où il a fixé son domicile. Adresse de félicitations, remercîments et adhésion de la communauté de Saint-Clar en Lo-magne; elle déclare infâmes et traîtres à la patrie tous ceux qui chercheraient à troubler l’union intime qui règne entre le Roi et ses sujets. Adresse du même genre de la ville de Saint-Haon-le-Châtel en Forez ; elle offre à la nation l’argenterie de son église, le prix qui proviendra de la vente de ses communaux, et le montant de l'imposition qui doit être supportée pour les six derniers mois de cette année par les ci-devant privilégiés. Adresse du même genre de la ville de Saint-Chamond en Lyonnais, elle demande d’être auto-torisée à former une nouvelle municipalité. Adresse du même genre de la ville de Ghâlus en Limousin ; elle adhère notamment au décret concernant la contribution patriotique, et fait plusieurs demandes relatives aux impositions et droits féodaux. Adresse du même genre de la ville de Gailus en Quercy; elle adhère notamment au décret de la loi martiale. Adresse du même genre delà ville deMirabel en Quercy. Adresse du même genre de la ville de Châtillon-sur-Marne en Champagne; elle réclame avec instance la conservation de son bailliage. Adresse du même genre de la commune d’Argil-lières en Bourgogne; elle demande d’être autorisée à former une milice nationale pour se défendre contre les ennemis de la patrie. Adresse des officiers municipaux de la ville de Cherbourg, contenant le procès-verbal de la proclamation de la loi martiale faite dans l’appareil le plus imposant. ■ Adresse des religieuses Bénédictines du monastère de Rabervillers en Lorraine, qui supplient l’Assemblée de leur conserver un état qui leur est plus cher que la vie, et la permission d’admettre à la profession deux novices qui sont dans l’attente, offrant de fournir, tant pour les besoins de l’Etat que pour l’assistance des pauvres, tout ce qui ne sera pas de leur strict nécessaire : cette demande est appuyée par le curé, les officiers municipaux et les notables de la ville, qui attestent que ces religieuses sont chéries et révérées par leur vie exemplaire, les charités abondantes qu’elles répandentmalgré leur peu de fortune, et par l’excellente éducation qu’elles donnent à la jeunesse. Adresse des habitants de la ville de Sainte-Suzanne, contenant félicitations, remercîments et adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale; ils demandent la conservation de leur bailliage et un district d’administration. Adresse des religieux de l’Ecole royale militaire de Rebais en Brie, qui supplient l’Assemblée nationale de recevoir leupparfaite soumission et adhésion à ses décrets; quoiqu’ils ne doutent pas qu’aucun des membres de leur congrégation n’y souscrive comme eux, ils croient que l’éducation de la doctrine qu’ils doivent aux enfants qui leur sont confiés exige qu’ils y adhèrent d’une manière plus expresse. M. Lucas, député suppléant de la sénéchaussée de Moulins, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis à prendre séance, en remplacement de M. le baron de Breuil de Goiffier, qui a donné sa démission dans la précédente séance. M. Salomon de La Sauterie, Vun de MM. les secrétaires, donne lecture d’une lettre des habitants de la ville de Saint-Quentin, portant que le temps des élections des officiers municipaux étant arrivé et ceux qui étaient en exercice à Saint-Quentin ne voulant pas continuer leurs fonctions, le Roi avait accepté leur démission. La ville demande que, pour éviter l’anarchie, le comité militaire chargé de l’organisation de la milice soldée soit chargé provisoirement de remplacer les officiers municipaux. Après cet exposé, le décret suivant est rendu : DÉCRET. « L’Assemblé nationale décrète que, vu la démission des officiers municipaux de la ville de Saint-Quentin, elle autorise le comité qui a été établi pour l’organisation de la garde soldée de cette ville à exercer provisoirement toutes les fonctions dont ladite municipalité était chargée. » M. Target expose la situation dans laquelle se trouvent plusieurs autres villes du royaume, particulièrement la ville de Lyon, qui veulent ce mois-ci nommer, par corporations, les officiers municipaux ; ils demandent qu’il soit rendu un décret général à tout le royaume et il en présente le projet.