456 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mars 1791.] pierre angulaire delà Constitution. C’est, en conséquence, qu’il m’a chargé, mais avec regret, de vous prof ocer de décréter qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Au suri lus, il vous propose subsidiairement d’ordonner son élargissement provisoire. Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! M. Robespierre. Puisqu’il s’agit d’un citoyen emprisonné depuis sept mois sur une accusation de lèse-nation, certainement vous m’accorderez la permission de dire quelque chose en sa faveur; et, sans réclamer les sentiments de l’humanité, je me contenterai de vous observer que les conclusions de M. îe rapporteur me paraissent contraires à vos décrets. Le curé d’issy a été décrété par le Châtelet, comme criminel de lèse-nation ; or, vous avez décrété que nulle accusation de crime de lèse-nation ne pourrait être portée aux tribunaux sans un décret du Corps législatif. Un des premiers devoirs de l’Assemblée est donc de délibérer. 11 y a sous Je rapport de l’ordre public une différence essentielle entre les délits privés, et le crime de lèse-nation. Ce crime ne peut être déféré arbitrairement aux tribunaux, parce que, de pareilles accusations malignement prodiguées, on pourrait porter atteinte à la liberté publique. C’est par ce puissant motif q> e vous avez voulu qu’aucun tribunal ne pût s’occuper d’une accusation de crime de lèse-nation, qu’après un dicret du Corps législatif. D’après ce principe, il faut ou que le curé d’issy soit accusé par vous de crime de lèse-nation, ou qu’il soit mis en liberté. Vous savez quels sont les prétendus délits dont il est accusé. Vous voyez que c’est pour des faits qui ne lui étaient pas personnels, pour une prétendue infraction faite aux lois administratives dans un moment où aucune de ces lois n’existait, qu’il aété opprimé par le bailliage d’Autun; vous voyez que ce tribunal n’osa pas même le juger, qu’il le renvoya au Châtelet, qui n’osa pas le juger non plus, et qui aima mieux le retenir pendant sept mois en prison... Ce que vous devez faire dans cette circonstance, c’est d’annuler cette accusation absurde de crime de lèse-nation. (Murmures.) Combien d’accusés ont été élargis sur des considérations de liberté et d’humanité, quoique chargés de soupçons bien autrement graves! Je ne m’y suis jamais opposé, parce que le sentiment d’huma-n s té balançait en moi la crainte de voir la liberté compromiso ; mais ici on ne m’objectera pas sans doute l’intérêt de la liberté et le salut de la société. (Murmures.) Est-ce donc parce que celui que je défends est malheureux et sans appui, que l’on murmu'e? Je citerai M. l’abbé Barmonci, le client de M. Malouet, et tant d’autres clients qui, se trouvant dans l’ordre anciennement puissant, ont été élargis par le Châtelet. (Applaudissements.) Uq sentiment de justice, l’humanité, la raison, dont vous devez établir l'empire, ne vous dictent-ils pas ce que je vous propose? L 'Assemblée se montrera-t-elle inexorable envers un malheureux de cette espèce, tandis que tant de scélérats jadis illustres ont été élargis? Je demande rélargissement pur et simple du curé d’issy. (Applaudissements.) M. de Mirabeau. Celte affaire qui, je l’avoue, a quelques difficultés dans la forme, me, paraît extrêmement favorable au fond. Il n est point de régime qui ne lut sévèrement inculpé par une détention de huil mois, à plus forte raison le régime de la liberté. Il est un décret du Châtelet, qui a quali fié de crime de lèse-nation le délit imputé au curé d’issy. Nous savons aujourd’hui, qu’aux termes île la Constitution, et par une disposition infiniment sage, infiniment nécessaire au maintien de la liberté, l’Assemblée nationale peut seule qualifier un crime de lèse-nation, peut seule le dénoncer. Je sais aussi qu’il y a quelques embarras dans la forme. Je sais que nous ne pouvons pas juger; je sais que, par cela même que le curé Carion ne serait pas criminel de lèse-nation, il doit être renvoyé aux tribunaux ; mais il me semble que l’Assemblée peutdu moins, et si elle le peut certes elle le doit, donner son élargisse ment provisoire à nu malheureux. (Applaudissements.) Mon avis serait que l’Assemblée nationale ordonnât rélargissement et le renvoi aux tribunaux. Si cela n’est pas contredit, je demande qu’on le mette aux voix. M. de Folfeville. Je le contredis, Monsieur. M. Barnave. Je crois que, non seulement l’Assemblée peut prononcer ce que vient de proposer le préopinant, mais je crois qu’elle le doit absolument, si elle ne veut pas s’écarter elle-même des principes qu’elle a établis. L’As-em-blée a établi en primipequ’il n’appartient qu’au Corps législatif d’accuser du crime de lèse-nation... Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! la motion de M. de Mirabeau ! (La discussion est fermée et la priorité est accordée à la motion de M. de Mirabeau.) M. le Président. Je mets aux voix la motion de M. ,!e Mirabeau; elle est ainsi conçue : « L’Assemblée nationale, ouï son comité des rapport*, décrète que le sieur Cirion, curé et maire d’Issy-l’Evêque, sera élargi des prisons où il est détenu, et renvoyé aux tribunaux ordinaires pour y être jugé." » (Cette motion est décrétée.) — (Applaudissements.) M. de Mirabeau, au nom du comité diplomatique. Messieurs, votre comité ayant trouvé ce malin dans une feuille intitulée Gazette universelle ou Papier-nouvelles de tous les pays, n° 57, du jtudi 17 mars, un prétendu avis réquisitorial de la diète de Ratisbonne à l’empereur, suivi d’une prétendue réponse de l’empereur, faite par son commissaire, M. Latour-Taxis, a cru de son devoir de demander an ministre des affaires étrangères son avis sur la créance due à ces pièces, auxquelles on attache beaucoup d’importance, puisqu’elles ont été in primées sous différents formats, et distribuées a\ec assez de profusion. Le ministre nous a dit, dans une explication verbale, que ces pièces ne lui paraissaient avoir aucun caractère d’authenticité, attendu qu’elles n’avaient pas la conu xture ordinaire de ces sortes d’actes. Ce soir il nous a écrit une Jet re qui confirme ce qu’il nous avait annoncé, et dont nous croyons devoir vous donner communication : « Paris, le 17 mars 1791. « En rentrant chez moi, Messieurs, j’ai relu attentivement les pièces relatives à la Diète de Ratisbonne, insérées dans la Gazette universelle d’aujourd’hui, et imprimées séparément dans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mars 1791.] une brochure répandue avec beaucoup de profusion; j’ai comparé ces pièces avec celles de ce genre qui émanent de celte As-emblée, et je me suis convaincu qu’elles étaient dans une forme entièrement étrangère à celles qui s’emploient ordinairement. Leur date, le silence du ministre de France à Rutisbonne, les nouvelles que je reçois journellement de Vienne, et plus que tout cela encore, le contenu du prétendu décret commis-sorial de l’empereur, ne me laissent aucun doute que ces pièces ne soient l’ouvrage de t’intrigue et de la malveillance. Sur la demande qui a été faite à l’auteur de la Gazette universelle., de quelle source il tenait ces pièces, il a répondu qu’elles lui étaient parvenues de Strasbourg. Je ne peux trop vous répéter, Messieurs, que nous ne saurions être dans une trop grande défiance des nouvelles qui tend nt à répandre des alarmes. Trop d’intérêts divers et même opposés tendent à exciter des troubles, pour que les bruits qui peuvent en causer ne se multiplient pas journellement. « Je ne peux, Messieurs, que vous renouveler les assurances que je vous ai données encore récemment : c’est que toute ma correspondance avec les principales cours de l'Europe ne m’annonce rien qui puisse nous donner aucun sujet d’inquiétude. J’y veille avec la plus grande attention, et, s’il en existait quelque motif réel, je ne le laisserais pas apprendre à l’Assemblée nationale par les gazettes, quelque accréditées et quelque diligentes qu’elles puissent être. Au surplus, il est certain qu’il existe de la fermentation à la diète de Ratisbonne. On y est impatient de recevoir le décret de commission de l’Empereur, d’après lequel seul on peut mettre en délibération l’objet qui nous intéresse en ce moment. L’envoi de ce décret est un devoir de forme indispensable pour le chef de l’Empire. Il est donc vraisemblable qu’il arrivera sous peu de temps à la diète, mais il lie sera certainement, ni pour la forme, ni pour le fond, tel que celui qu’on a répandu avec tant de profusion dans le public. « J’ai l’honneur d’être, avec un très sincère attachement, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur. « Signé: MONTMORIN. » (L’Assemblée ordonne l’impression de cette lettre et son insertion dans le procès-verbal.) L’ordre du jour est un rapport du comité militaire sur le remboursement des charges, offices et emplois militaires. M. de Winipfen, au nom du comité militaire. Messieurs, en décrétant, le 25 du mois de novembre dernier, le remboursement des brevets de retenue, vous avez ordonné à votre comité militaire de vous faire un rapport sur les charges et emplois remboursables, et dont les propriétaires sont, 1 s uns réformés, les autres conservés dans l’activité de leur grade. Nous ne parlerons point des gouvernements ni des lieutenances générales des provinces, parce que vous avez prononcé sur les brevets de retenue de ces charges, qui, ne se retrouvant plus dans la nouvelle Constitution, sont réformées de fait; et que, à l’égard du dédommagement que vous croirez devoir accorder aux ci-devant gouverneurs, il formera l’objet d’un autre rapport, déjà convenu entre le comité des pensions et le comité militaire. Il ne sera question ici que : 157 1° Des charges de maréchaux généraux des logis ; 2° Des régiments d’état-major de la cavalerie et des dragons; 3° De la finance et des compagnies des troupes à ch" val et des régiments d’inf.mterie; 4° De la finance des charges et emp ois du ci-devant régiment des gardes françaises; de celui de :a ci-devant gendarmerie, des offices du point d’honneur, des compagnies des cent suisses; de la couné ablie ; de la prévôté de l’hôtel, et auties ressortissant du département de la guerre; 5° Des places d’ecuyers des équitaiLms royales ; 6° Des charges de commissaires des guerre-; 7° De la propriété des régiments. Nous traiterons chacun de ces objets, dans l’ordre numérique établi ci-dessus; et, quoique la matière soit tellement abondante, qu’il nous eût été facile de composer plusieurs in-folio, si nous avions voulu rapporter les ordonnances, les édits, nos doutes, nos conjectures et nos réflexions, qui n’eussent prouvé que ce que personne n’ignore: je veux dire que le gouvernement faisait argent de tout; nous avons cru que l’économie d’uu temps dont nous sommes comptables, nous imposait la loi de nous borner à une exposition fidèle et succincte de l’état actuef des choses, et de ce qu’il est indispensable que vous sachiez pour prononcer des décrets dignes de vous. Cependant, malgré cette multitude d’ordonnances et de parchemins que nous avons compulsés, il est des charges dont nous n’avons pu retrouver lus titres de création et qui ne prouvent leur vénalité que par la notoriété publique et par leurs contrats d’acquisition. Les premières dont nous allons parler sont de ce nombre. Des charges de maréchaux généraux des logis des camps et armées. Ces charges, dont nous n’avons pu découvrir l’origine, sont au nombre de cinq, en y comprenant celle de maréchal général des logis de la cavalerie. La première de ces places donnait le grade de colonel à celui qui en était pourvu ; et leur finance n’a [tas été soumise à la réduction du quart, par les ordonnances de 1776. Sans doute, parce que le ministre d’alors regardait, comme indifférentes au service de l’armée, des charges qui ne donnaient aucune activité de droit, et dont les titulaires avaient besoin d’une nouvelle faveur pour en exercer les fonctions. Ce qui prouve encore davantage que c’est l'esprit Fiscal qui a imaginé ces charges, c’est que les appointements qui y sont attachés ne sont autre chose que l’intérêt de la finance, et que les titulaires n’ont que le brevet qui les installe, et le contrat d’acquisition passé avec leur prédécesseur. Ce n’est qu’en 1788, qu’il fut convenu au conseil de la guerre: l°qu’el(es seraient évaluées sur le pied des derniers contrats d’acquisition : 2° qu’il serait expédié, à ceux qui en seraient dorénavant pourvus, des brevets de retenue, à la déduction d’un sixième, pour que la finance et les charges se trouvassent éteintes et supprimées au bout de six mutations. Mais, à l’époque où le conseil de la guerre fit ces dispositions, il ne se trouva qu’une de ces places vacantes; de sorte que c’est la seule sur laquelle la réduction ordonnée a été exercée en