488 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1Q mai 1790.] M. Pém#»®I«r? rapporteur, donne lecture de l’arùcle 28 d» projet qui deviendrait l’article 24 du décret. « Le premier des administrateurs du département de la police géra chef en cette partie; il aura seul la signature et la décision des affaires instantes; il sera chargé de donner les ordres nécessaires dans tous les cas qui demanderaient célérité et qui intéresseraient la sûreté individuelle ou publique. » M. Charles 4e ibsmetb. L’article, tel que nous le propose le comité, me paraît inadmissible et j’en demande l’ajournement. M.. PariM|v§. Non seulement j’appuie l’ajonc nement qui vient de vous être demandé, mais je propose encore de retrancher du projet tous les articles de police qui y sont insérés, atin que l’ Assemblée ne délibère pas par surprise , dans une matière si délicate, si importante et qui intéresse si essentiellement la liberté de tous les citoyens. Je pense que ces articles contiennent des dispositions vraiment constitutionnelles et générales pour tout le royaume ; il est donc de la prudence de l’Assemblée de ne pas décréter ces articles dans une séance du soir. Vous êtes tous frappés, comme moi, des inconvénients qu’il y aurait à ne pas présenter dans un ensemble les articles relatifs à la police, qui tiennent de si près à la jurisprudence criminelle, tandis qu’il n’y a aucun inconvénient à les retirer d’un projet qui concerne uniquement et spécialement la ville de Paris. M. Bémeunier, rapporteur. Le préopinant s’est servi du mot surprise en attaquant l’article 26 dp projet de décret qui vous est proposé. C’est une expression contre laquelle je proteste avec énergie. Le comité de Constitution n’a voulu et ne veut surprendre la religion d’aucun des membres de cette Assemblée. Voix nombreuses: Non! non ! Nous le savons. D'autres voix : Vous vous méprenez sur l’inten-tiqn cjé M. Barpave. M. Barnave. Je m’empresse de désavouer le sens que M. le rapporteur donne au mot surprise. J’ai voulu dire qu’une semblable discussion ne devait point se produire dans une séance du soir où l’Assemblée est souvent fort peu nombreuse ; je ne crois donc pas qu’on puisse raisonnablement pue prêter l’intention d’offenser ni le rapporteur, ni le comité. M. Fréteau. Je viens défendre l’article, car, à mon avis, il faut distinguer, entre les ordres arbitraires et ceux donnés par un homme élu par le peuple, surveillé par un homme élu par le peuple d’autant plus que le citoyen arrêté ne serait souvent détenu dans une maison d’arrêt et sans écrou que pendant six heures. p. Pnval d’Fprpmesnil. Je m’étonne qu’un magistrat, comme le préopinant, qui a été la victime des lettres de cachet ministérielles, veuille soutepir les lettres de cachet municipales et nous (pire tomber de Charvbde eu Scylla. C’est précisé meqt le défaut d’écrire qui constitue le meilleur moyen d’éviter Ja responsabilité des ordres arbitraires. J’appuie l’ajournement de tous les articles qui concernent la police. (Lgs pb&8Fy&îiPn§ spnt applaudies par l'Assemblée.)" M. le Président met aux voix l'ajournement, L’ajouroemeut est presqu’unanimement adopté. La séance est levée à 10 heures et demie. annexe à la séance de l'Assemblée natipuale du 10 mai 179,0. Considérations sur le cqrbs royal du génie (1) présentées au comité militaire par M. Bureau� de Pu§y, membre de ce comité . (Imprimées par ordre de �Assemblée pationale.) Mou objet dans ce mémoire n’est pas de démontrer l’utilité des forteresses. Quiconque a réfléchi sur la guerre, a senti la nécessité de ces points d’appui, Qù t’apt, par ses combinaisons, perfectionnant les avantages naturels d’un site, et suppléant à ses défauts, parvient à disposer un espace, de manière à ce qu’un petit nombre d’hommes puisse s’y maintenir longtemps contre des forces supérieures. G’èst à l’aide de ces établissements, qu’une aF-mée destinée à l’offensive se porte avec confiance en avant de ses frontières, parce qu’elle sait que ses communications, ses approvisionnements, ses ressources, sa retraite, sont assurés par les places fortes qu’elle laisse derrière elle. C’est par leur protection qu’une armée faible se soutienf sans être entamée; c’est derrière leurs masses redoutables qu’elle vient chercher des asiles dans ses défaites ; c’est là qu’elle se répare en gagnant du temps, qu’attentive aux mouvements du vainqueuf, elle observe ses positions, elle épie ses fautes, elle attend les circonstances; et, saisissant l’occasion, souvent elle parvient à reprendre la supériorité qu’elle avait perdue. C’est par les forteresses enfin, qu’une nation éloignant le théâtre de la guerre de ses foyers, rejette constamment chez ses ennemis les dévastations de ce fléau. Si, contre mon attente, quelques-unes de ces vérités étaient contestées, sans m’attacher dans cet instant à les prouver par le raisonnement, je citerais les faits ; et considérant les succès si différents de nos deui dernières guerres avec l’Angleterre, je prierais qu?on me dît si c’est par Je seul effet du hasard, ou par le secours des forteresses qui protégeaient nos établissements des Antilles, que nous sommes parvenus à conserver dans la guerre de 1778, ces mêmes colonies que nous avions si facilement et si rapidement perdues dans la guerre de 1757, temps auquel elles n étaient point fortifiées, ou du moins elles l’étaient très mal-Je prierais qu’on se rappelât la série des désastres qui accompagnèrent la guerre de la succession ; je demanderais par quql prodige la France, à cette époque, éyita l’invasion presque certaine dont elle était menacée? quelle� ressources garantirent ses provinces des ravages? et j’inviterais mes contradicteurs âne point oublier qu’une des places lés moins imposantes de l’Europe, la petite forteresse de Landrecies, qui déjà, en 1543, avait arrêté les succès de Charles-(1) Ce document a été imprimé par erreur à la sjiite de la séance du 26 juin 1790 (voir le tome 23e dés procès-verbaux de l’Assemblée nationale)'. — ]1 doit être annexé, ainsi que cela résulte de la date de sa reniise an Qpnjitp militaire, à la séance du 10 mai 1790. " 464 [Assemblée nationale.] Quint, fut encore, en 1712, l’écueil contre lequel yint se briser la fortune des alliés. A ces considérations générales, je ne puis m’empêcher d’en ajouter une autre qui s’adapte plus particulièrement à la position actuelle du royaume, c’est que le système des forteresses se lie intimement à de grandes vues d’économie et au maintien de la liberté. En effet, c’est la protection que les forteresses assurent à nos frontières qui seule peut justilier la faiblesse numérique de notre état militaire. Une augmentation de 80,000 hommes de troupes suppléerait à peine au défaut de nos places de guerre -, il faut donc les conserver ou nous décider à augmenter notre armée : mais ce sont les grandes armées qui compromettent la liberté des peuples ; ce sont elles qui donnent des chaînes aux nations qui les soudoient, parce que les gouvernements qui les dirigent peuvent toujours, à leur gré, les remplir d’étrangers vagabonds, et surtout de ces déserteurs sans patrie, hommes indifférents aux malheurs ou à la prospérité de la terre qu’ils habitent, et d’autant plus dociles à la main qui les guide, que leur fortune doit être le prix de leur obéissance. Loin donc que les citoyens aient rien à redouter de ces masses inertes et immobiles, elles seront, au contraire, toujours pour eux un grand et puissant moyen d’écarter l’oppression, car dans cette hypothèse où le gouvernement qui voudrait opprimer garderait toutes les places de guerre, ou il en abandonnerait une partie : dans le premier cas, le morcellement de ses forces le réduirait à l’inaction, et, dans le second, chaque forteresse dont il se dessaisirait deviendrait pour le peuple un point d’appui, un centre de réunion-, or, quand un peuple veut la liberté, pour l’obtenir il lui suffît de la faculté de rallier ses moyens et de réunir ses efforts. Je dois prévenir l’objection qu’on pourrait me faire en disant : qu’une nation voisine qui connaît la liberté, qui l’aime, qui en jouit, qui veut la conserver a démenti, par sa conduite, l’opinion que je vous soutiens : et, dans ce cas, je répondrais que l’objection porte absolument à faux, car la conservation de nos places de guerre a pour objet de mettre la France dans la même situation politique intérieure que l’Angleterre, qui n’a point ou qui n’a que très peu de forteresses. L’Angleterre, enveloppée d’une barrière naturelle, pouvait se passer des ressources dont l’art a hérissé nos frontières. Elle s’est donc bornée au petit nombre de places de guerre indispensables pour protéger les grands établissements de sa marine ; elle a évité, en même temps, la dépense de la construction et de l’entretien d’un grand nombre de forteresses, et celle d’une armée pour les défendre. Félicitons-la d’avoir atteint le plus haut degré de la sûreté politique, mais reconnaissons que le tableau de ces avantages justitie pleinement l’opinion que j’ai avancée; car si l’Angleterre, dans la crainte des orages qui euvent se former sous les pas d’une armée noin-reuse, n’en entretient habituellement qu’une très faible, elle ne doit cette précieuse faculté qu’à l’état de ses frontières, très fortitiées et très respectables, et pour lesquelles la nature a fait ce que nous n’avons pu obtenir pour les nôtres que par les travaux d’une longue industrie. Enfin j’ajouterai avec un militaire-citoyen : « Que si le temps arrivait où la nation pût renoncer à l’ambition de prendre part à toutes les guerres de l’Europe, si elle pouvait se borner à faire respecter ses frontières, ce ne serait préci-[10 mai 1790.] sèment que par le moyen des places fortes qu’elle y parviendrait; puisque c’est celui par lequel une milice, purement nationale, pourrait acquérir le plus de valeur. » Je n’insisterai pas davantage sur cette discussion; et supposant que l’utilité et même la nécessité des places de guerre sont admises comme des vérités incontestables, je tire de ce premier principe une conséquence nécessaire, c’est qu’il faut que des hommes instruits soient chargés d’édifier, de préparer et d’entretenir nos forteresses pendant la paix et pendant la guerre, de les défendre et d’attaquer celle de nos ennemis : car il est bien évident que ceux qui, par état, devront les surveiller dans tous les détails de leur construction, en saisiront mieux tous les rapports, en apprécieront mieux la force ou la faiblesse, en calculeront mieux toutes les ressources. Tels sont en France les divers objets de l’institution du corps royal du génie. Mais comme les talents, nécessaires pour exceller dans ces fonctions, dérivent d’une théorie très étendue , applicable à plusieurs branches de l’administration générale, le gouvernement dont le grand art doit être de simplifier les moyens, et de les réduire au moindre nombre possible, ferait une chose aussi sage qu’économique, si, forcé d’instituer des officiers pour une destination indispensable, il faisait servir leur instruction à tous les autres objets analogues auxquels elle les rend propres. D’après des vues si simples, de tous les corps qui forment l’armée, le corps du génie est celui qui, par les études préliminaires auxquelles il est assujetti, par l’éducation qu’il reçoit, par l’instruction qu’on en exige, semble devoir être constamment dans une plus grande activité, réunir des fonctions plus importantes, et offrir des résultats d’utilité plus considérables. Rien de tout cela n’existe cependant : la plupart des avantages qui devraient découler de cette institution militaire sont perdus pour l’Etat; et depuis environ trente ans, à mesure que les moyens d’instruction du corps du génie se sont accrus, on l’a dépouillé de ses attributions les plus naturelles, on lui a interdit les fonctions auxquelles il avait le plus d’aptitude, celles que son institution lui destinait évidemment, enfin on dirait qu’on ait affecté d’exiger des sujets qui lecomposent, d’autant plus de connaissances et de talents, qu’on voulait les condamner à une inaction plus décourageante, à une nullité plus absolue. Pour atteindre plus facilement au but de cet écrit, qui est d’indiquer le moyen de tirer du corps du génie toute l’utilité dont il est susceptible, j’exposerai d’abord son éducation, j’en conclurai les fonctions diverses auxquelles elle le rend propre, je dirai celles auxquelles il est actuellement borné ; je ferai connaître les causes principales du dépouillement successif d’attributions qu’il a éprouvé ; enfin, après avoir proposé la composition que je crois la plus convenable à sa destination, je désignerai les attributions qui me paraissent devoir lui être exclusivement dévolues pour le plus grand bien du service. C’est aprèsirois ou quatre ans au moins d’études assidues, c’est après un examen rigoureux sur l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, le calcul infinitésimal, la mécanique, l’hydraulique et le dessin, que le candidat qui a satisfait à ces différents objets d’instruction est admis à l’école de Mézières avec le rang et les appointements de . sous-lieutenant. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1790.] Ces études préliminaires ne sont pour lui que la clef de celles auxquelles il doit se livrer pendant son séjour à l’école : celles-ci ont pour objet de lui apprendre la stéréotomie, la coupe des pierres, la charpente, l’architecture civile, la théorie des ombres, la perspective, l’art de lever des plans et des cartes et de faire des reconnaissances, le nivellement, l’architecture militaire, c’est-à-dire l’art de projeter, de tracer, d’estimer, de construire et de toiser les ouvrages de fortification, enfin les procédés de l’attaque et de la défense des places. L’instruction sur ces diverses parties est poussée jusqu'à la connaissance, et même à l’application des moindres détails, et l’on observera qu’il est impossible de traiter les plus importants de ces objets sans y mêler les leçons étendues sur la théorie des mines, sur les retranchements des postes et des camps à la guerre, et sur la science des mouvements et des grandes positions des armées : des cours de chimie et de physique forment le complément de cette instruction. De nouveaux examens constatent l’utile emploi du temps des élèves, leurs progrès et leurs connaissances, et c’est iorsque chacun d’eux a justifié qu’il avait acquis toutes celles dont je viens d’esquisser le tableau qu’il quitte l’école pour entrer dans les brigades du corps du génie, et y exercer, sous les ordres et sous la direction des officiers supérieurs de ce corps, les diverses fonctions du service qui lui est affecté. L’on conçoit très bien qu’au moment où il quitte l’école, l’élève n’est encore ni un appareil-leur, ni un architecte, ni un mineur, ni un officier de l’état-major, ni un fortificateur, ni rien enfin de ce qu’il peut être un jour d’après l’éducation qu’il a reçue; mais les principes de cette éducation subsistent, et quelle que soit la route qu’il auraji parcourir, soit que les besoins du service lui prescrivent sa carrière, soit que cédant à ses goûts il la choisisse lui-même, toutes lui seront également familières, parce qu’il tient le fil conducteur qui doit l’y diriger; je dis mieux, c’est qu’il servira avec d’autant plus d’utilité, qu’il sera successivement employé à plus d’objets différents, car le seul moyen d’exceller dans un art c’est d’en épuiser toutes les combinaisons. Voilà donc à la disposition de l’administration un instrument simple et mobile qu’elle peut employer à une foule de destinations diverses. Voilà une pépinière de sujets, parmi lesquels elle peut choisir, ou même prendre indistinctement ceux qu’elle croira nécessaires à ses vues, et cela avec la certitude que si tous ne concourent pas avec des talents également brillants, tous du moins y apporteront une capacité suffisante pour que le succès des opérations qui leur seront confiées ne périclite pas à un certain point entre leurs mains. L’on sent combien de telles dispositions prépareraient d’unité dans les projets, d’harmonie et d’activité dans les moyens, et d’économie dans les résultats. Au lieu de suivre un plan si naturel, si simple, on laisse un officier du corps du génie végéter dans les détails bornés et monotones de l’entretien des fortifications : sans cesse entouré d’objets d’utilité publique, le sentiment de son aptitude à s’en occuper le tourmente et le porte alternativement vers chacun d’eux ; toujours repoussé, comme si l’on craignait son activité, comme si l’on doutait qu’il fût capable, partout on refuse à son émulation l’aliment qui pourrait la nourrir; et s’il avance la main vers l’une de ces attribu-Série. T. XV. tions que son éducation lui destine, il faut qu’il la dispute à une foule de corporations particulières qui, toutes à l’envi, se sont appliquées, et avec succès, à s’approprier les fonctions qui devraient évidemment faire l’apanage du corps du génie, et ne lui ont laissé que la stérile faculté de gémir sur son inaction. Je dois protester ici contre tout abus de mes expressions, qui pourrait faire penser que je veuille offenser qui que ce soit, ou même lui manquer d’égards : forcé de dire la vérité, je la prononcerai sans amertume et sans détour, et je déclare, une fois pour toutes, qu’en attaquant l’existence, ou lamanière d’être de certains corps, je ne cesse pas de respecter les hommes de mérite qui en font partie. Après cet aveu, je vais au fait, et je cite comme de véritables abus le corps de l’état-major, composé de plus de quatre-vingts officiers auxquels on donne des commissions, des gratifications, des appointements, des traitements en attendant l’ordonnance qui doit les constituer. Le corps des ingénieurs géographes, vraie surabondance militaire, malgré les talents qu’il renferme, mais conséquence forcée de l’institution d’un état-major formé au hasard, sans préparation, sans choix, sans qu’on ait exigé des sujets qui y sont admis de justifier des éléments de la profession qu’ils exercent. Les ingénieurs des affaires étrangères, et les commissaires aux limites, comme si la démarcation d’une frontière et l’art de planter des bornes était un secret particulier que l’on ne pût confier qu’à une certaine classe d’initiés. Les ingénieurs de la marine, chargés des travaux des ports de France, comme si les travaux de ces ports pouvaient jamais perdre l’intime connexion qui les lie aux dispositions défensives des places maritimes; comme si le corps du génie, qui ci-devant en était chargé, ne pourrait pas l’être encore aujourd’hui. Les usurpations des ingénieurs des ponts et chaussées, qui viennent s’emparer des fonctions du corps du génie, sur les points les plus importants de nos côtes, au milieu des places de première ligne de nos frontières, sans que les variations dans les plans, les dépenses perdues dans les exécutions, les tristes succès des travaux de Cherbourg, du Havre, de Dunkerque et de Landau, ayant pu jusqu’ici dessiller les yeux du gouvernement sur ces abus. • Mais ce n’est pas tout, et tout récemment encore, outre des ingénieurs des colonies, nous avions des états-majors et des ingénieurs géographes des colonies. Cependant le corps du génie reste sans bras, sans activité, sans encouragement ; nos places les plus importantes dépérissent faute d’un bon régime qui les conserverait presque sans frais. La plupart d’entre elles manquent de cet équilibre qui constitue leur véritable force ; car vainement multiplierait-on la dépense et les ressources de l’art sur les trois quarts du pourtour d’une forteresse, on n’a rien fait tant qu’il reste un front faible, ou sans proportion avec la force des autres, puisque l’ennemi en s’attachant exclusivement à celui-ci, rendra nuis par ce procédé tous les sacrifices d’argent, et tous les efforts d’industrie qu’on aurait accumulés sur des points qu’il peut éviter. Le moyen des contre-mines serait un des plus énergiques par lesquels on pourrait suppléer à l’inégalité de résistance des différents fronts de nos places de guerre. Un corps rempli d’instruc-30 igg [Àgsemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1790.1 tioa et de talepts est institué pour cet objet, mais son régime contredit sa destination : séparé de ses coopérateurs nécessaires, sans relation, sans correspondance avec eux, cet isolement, dont l’intention est inexplicable, paralyse ses facultés, le force à enfouir des connaissances précieuses dans l’enceinte de son polygone, et à consumer en expériences rebattues, mais toujours renaissantes, des moyens d’industrie doni le résultat serait incalculable s’il était journellement appliqué à l’amélioration de nos forteresses. Dirai-je que l’aveuglement et l’injustice ont été poussés si loin, que l’ordonnance du corps du génie de 1759 excluait formellement les officiers de ce corps, des fonctions d’aides de camp et de celles de l’état-major de l’armée; et lorsque l’on demandait aux hommes en place, qui avaient influé sur cette ordonnance, les motifs de cette étrange exception, ils répondaient qu’elle avait été indispensable, car si les ingénieurs avaient été admissibles à ces emplois, ils eussent nécessairement fini par les envahir tous. Il serait difficile de dire plus clairement que leur aptitude à la chose avait été le titre de leur exclusion. Ce fut à peu près à la même époque qu’une autre ordonnance sépara des ingénieurs les sapeurs et les mineurs que la nature de leurs fonctions identifie nécessairement à ces premiers, vérité si frappante que, quelque temps auparavant, l’intérêt particulier n’avait pu parvenir à l’étouffer, et que l’ordonnance de désunion de l’artillerie et du génie avait respecté un amalgame dont l’intimité fait le mérite essentiel, et dont il est impossible de séparer les éléments sans les dénaturer. Enfin j’ajouterai qu’aujourd’hui même, le corps du génie n’est point encore parvenu à obtenir que, par son ordonnance, on lui tînt compte, pour la croix de Saint-Louis, du temps employé à ses études préliminaires ; et comme, par dés relevés très exacts, il est démontré que l’âge moyen des élèves admis à l’école est de vingt à vingt et un ans, il s’ensuit que lesingénieurs jouissent de la prérogative d’arborer, cinq ou six ans plus tard que les officiers de toutes les autres armes, ce signe toujours flatteur, parce qu’il annonce que celui qui le porte a payé son tribut à l’État et qu’il a fourni honorablement sa carrière. Maintenant si l’on cherche les causes d’un dépouillement si continu, d’une dispersion des moyens si peu calculée, on trouvera que la principale vient du peu de ressources qu’a le corps du génie pour résister à l’intrigue et pour arrêter les préténtions tfe la rivalité. Cette cause, qui n’est que secondaire, tient elle-même à un premier principe, le mode de l’avancement qui n’a lieu que par le rang d’ancienneté. Il résulte de cette disposition qu’un officier n'arrive aux premiers emplois qu’à un âge où, la machine épuisée, souvent lui refuse ces conceptions fortes, cette activité, ce nerf, ces qualités morales et physiques à l’union desquelles tiennent presque toujours les succès de tous les K, et qui doivent former le caractère des es en place. Il s’accoutume donc à regarder la sienne comme une espèce de retraite, comme un asile où il n’a plus qu’à s’occuper de son repos. Sûr de son sort, rien ne réveille en lui cette apathie qui, en général, rend les vieillards si étrangers, si insensibles aux intérêts d’autrui; ou si quelqu’un d’entre eux a conservé cette énergie qu’on admire quelquefois dans la vieillesse, s’il oppose la fermeté de son caractère aux entreprises abusives des prétentions ou de l'avidité, seul contre tous, il ne peut soutenir longtemps cette lutte inégale; l’arme du ridicule est employée pour combattre Paustéritê de ses principes ; on le transforme en un homme difficile, chagrin, infatué de vieux préjugés. Bientôt fatigué par les obstacles, rebuté par l’abandon ou par la faiblesse de ceux qui devraient l’appuyer, il laisse, en gémissant, couler le torrent qu’il ne peut arrêter. L’humeur passe; l’indifférence succède, et la jouissance d’un bien-être qui ne peut lui échapper le console. Cette impuissance de réagir a été jusqu’ici d’autant plus incurable que les officiers au génie manquent en général de cet esprit d’adresse et de conduite, indispensable pour se soutenir dans ces campagnes de bureaux; car c’est là communément que s’élaborent et s’accomplissent ces calculs d’intérêts personnels, ces combinaisons égoïstes dont le résultat immanquable est de sacrifier une portion plus ou moins considérable de l’utilité publique à des convenances particulières ; or, les ressources de cette espèce de guerre ne s’apprennent ni dans les études d’un ingénieur, ni dans la solitude de son cabinet. C’est donc à l’avancement constamment déterminé par le rang d’ancienneté, que sont dus en grande partie les usurpations et les abus qui successivement ont dénaturé l’institution du corps du génie; mais ce vice primordial, quelque grave qu’il soit, le devient bien davantage par le découragement et le dégoût que répand dans le service de ce corps l’ordre processionnel et invariable des promotions. Si le mode d’avancement par rang d’ancienneté est, en général, un principe d’engourdissement et de stupeur dans tous les corps militaires, il est un poison narcotique, un genre de paralysie et de mort dans ceux que l’on désigne sous le nom de corps à talents. C’est surtout dans ceux-ci qu’il est essentiel d’entretenir l’émulation et le zèle : or, il est dans la nature humaine qu’il faut offrir un prix aux hommes pour les déterminer à des efforts, et si ceux de l’esprit sont en général les plus fatigants dans leur continuité, les plus utiles, les plus précieux dans leurs effets, ne serait-il pas absurde qu’ils fussent les moins encouragés et les moins accueillis ? Je dois ici détruire une objection que j’ai entendue quelquefois. On dit que l’admission dans les corps qui exigent une instruction préliminaire, n’étant jamais que la conséquence d’un examen rigoureux, tout avancement hors de rang serait une exception décourageante, plus capable d’assoupir que d’exciter l’émulation, puisque nul n’est admis qu’il n’ait prouvé son aptitude à remplir toutes les fonctions auxquelles on le destine. J’aimerais autant qu’on me dît que parce qu’un homme a montré qu’il était dessinateur, il a prouvé qu’il était peintre. Ne fait-on aucune distinction entre les différentes capacités? ne met-on aucune différence entre un homme qui n’a acquis que les idées d'autrui, et celui qui, par l’étude et la réflexion, a perfectionné le talent supérieur dont la nature lui avait accordé le germe; entre celui qui ne fait qu’exécuter un grand projet, et celui qui a su le concevoir, en embrasser l’ensemble-et les détails; et peut-on enfin assimiler de bonne foi un officier quelconque du corps du énie avec les Cormontaigne et les Yauban? ce ernier, cet fipmme si justement célèbre, avajt [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mal 1790.] proscrit ce régime meurtrier, destructeur de l’émulation et des talents, et son opinion seule suffirait pour autoriser la mienne, quand même la raison et l’évidence ne viendraient pas la justifier. Si donc on veut rendre au corps du génie l’activité, le ressort qui lui sont nécessaires, il est indispensable d’offrir à l’émulation un prix qui puisse la développer. Que l’on ne perde pas de vue que, d’après l’organisation actuelle du corps du génie, les officiers de ce corps qui ont vingt ans de service, n’ont point encore percé le tiers de la colonne des capitaines ; que pour traverser l’espace qui les sépare de la classe des colonels, il leur faut au moins trente ans ; que conséquemment il est impossible à aucun d’eux de prétendre à ce dernier grade avant l’âge de soixante-dix ans-, et que l’on juge alors du dégoût qui doit être l’effet d’une perspective aussi décourageante, et que l’on dise si de toutes les manières de paralyser une branche quelconque du service, la plus infaillible n’est pas d’en confier la direction, la surveillance l’ensemble, et les détails à des hommes épuisés par l’âge, par le travail de l’esprit et par les fatigues du corps. Vainement me citerait-on l’exemple de quelques individus qui ont conservé, sinon toutes leurs forces physiques, du moins une très grande énergie morale jusque dans l'extrême viellesse. Je répondrais que ces exceptions rares ne peuvent pas faire foi, qu’une tête excellente unie, à un corps impotent ne constitue que la moitié d’un officier propre à des fonctions actives, et qu’en général, ce ne sera jamais dans la classe des hommes au-dessus de soixante-dix ans que l’on ira chercher ceux que l’on destine à la guerre. Je crois qu’il est démontré que l’avancement constamment déterminé par l’ordre du tableau, est un principe absolument contraire au but de l’institution du corps du génie, et par conséquent que dans cette arme, comme dans toute autre, le gouvernement doit avoir la faculté de tirer hors de rang, et de porter en avant un certain nombre de sujets auxquels il reconnaîtra le plus de talents et une aptitude plus marquée à remplir les emplois supérieurs. Je reviendrai sur cet objet ; mais, dès ce moment, je remarquerai que cette disposition, quelque utile qu’elle me paraisse, manquerait entièrement son but, si l’on n’y joignait la précaution de faire sortir du corps et de classer parmi les officiers généraux de la ligne, les officiers qui seront promus au grade de maréchal de camp. Cette observation n’a pas besoin de commentaire, et l’on conçoit qu’il serait parfaitement inutile d’avoir tracé et ouvert la route, si l’on laissait subsister une disposition qui pût l’encombrer sans cesse. Je reviens à mon objet et je dis que cette spoliation, si injuste et si impolitique des attributions essentielles du corps du génie, le conduit à une inaction qui s’accroît par le défaut de moyens propres dont il puisse disposer. Toujours réduit a emprunter des moyens étrangers, il ne peut les trouver que dans l’artillerie et dans l’infanterie ; mais l’une et l’autre ne voient qu’avec répugnance passer leurs soldats en d’autres mains : les demandes sont éludées, car jamais on ne manque de prétexte : ceux de l’artillerie sont même d’autant plus plausibles que les circonstances sont plus délicates et plus urgentes, et c’est surtout à l’armée que le corps du génie est le plus exposé à ne pas trouver dans l’artillerie les ressources qui lui sont indispensables pour agir. 11 est donc forcé de recourir à l’infanterie : celle-ci a grand soin de fournir tout ce qu’elle a de plus médiocre, 467 et, en vérité, il est impossible de l’en blâmer, car pourquoi s’appauvrirait-elle en se détachant de membres utiles, en arrachant à leur destination première des hommes qui lui sont nécessaires, pour les appliquer à des fonctions qui leur sont étrangères et qu’ils ne remplissent jamais que très imparfaitement, parce qu’ils ne sont point institués pour elles, et parce qu’il n’existe et ne peut exister ni habitude, ni confiance, ni harmonie entre ceux qui dirigent et ceux qui travaillent? De là, il résulte une exécution incertaine, incomplète ; une incohérence perpétuelle entre le dessein et son accomplissement, entre le mouvement et la volonté ; ou si, par hasard, les circonstances ont mis entre les mains des officiers du génie des hommes capables de remplir avec succès l’objet de leur destination, cet avantage n’est que du moment, et bientôt il faut que ces instruments empruntés retournent au dépôt qui les a fournis ; il faut en chercher de nouveaux, les former, les reperdre encore, et parcourir sans cesse ce cercle de moyens aussi instables qu’ils sont insuffisants. Telle est, en temps de paix, comme à la guerre, la condition d’un officier du corps du génie: cette vicissitude perpétuelle, ce dénuement constant de moyens propres amènent le dégoût, la haine de l’activité; l’ofticier se retire dans son cabinet; il se jette dans les idées contemplatives, dans les combinaisons abstraites; il perd de vue son grand objet, celui de l’industrie militaire ; il n’est plus qu’un spéculateur, et l’on n’a pas le droit de le lui reprocher. Les considérations que je viens de développer conduisent à conclure qu’une troupe, affectée au corps du génie, et dont il aurait seul et exclusivement la disposition, serait un des moyens les plus sûrs de porter ce corps au degré d’utilité qu’on a droit d’en attendre. Il reste à déterminer qu’elle devrait être la composition et les attributions de cette troupe. Si l’on examine l’analogie des services de l’artillerie et du génie, les points de contact qui les unissent ; si l’on se rappelle que l’instruction primitive est à peu près la même pour ces deux corps ; que les théories respectives ne sont que des corrollaires différents de principes parfaitement identiques; que la connaissance des principes une fois acquise, les diverses conséquences deviennent bien faciles à tirer ; si l’on calcule le dommage qui résulte pour le service, des prétentions opposées, des contradictions, des rivalités de ces deux corps ; si l’on fait attention à l’économie que leur réunion procurerait infailliblement, on sera facilement convaincu que cette réunion serait le maximum des spéculations de ce genre, car on y trouverait, en même temps, unité dans les vues, force et ensemble dans les moyens, toute la coalition, toutes les ressources qui peuvent procurer des résultats précieux et durables. Ces vérités ne seront pas détruites par l’expérience trop souvent citée et trop peu concluante de 1755; on s’y prit mal, on choisit le moment le moins convenable, on fit entre-heurter avec violence des parties qu’il fallait rapprocher avec précaution, et tout ce que l’on peut conclure de cet exemple, c’est que les projets les plus sages et les plus utiles peuvent et doivent échouer par la maladresse de l’exécution. D’un autre côté, si l’on observe qu’il est difficile qu’une opération, telle que celle-ci, puisse réussir, sans l’assentiment, sans le concert des coopérateurs, sans la conviction de l’utilité qui doit en résulter; qu’il ne s’agit pas seulement ici de mêler 468 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1790.) des hommes, mais de fondre et d’amalgamer des opinions; enfin, d’obtenir un concours de volontés, tendant toutes au même but ; que l’on n’est point encore parvenu à ce terme heureux; que le préjugé qu’a fait naître l’infructueux essai de 1755, subsiste , malgré les raisons qui devraient l’avoir dissipé ; et que, dans le moment d’un bouleversement général, il serait peut-être imprudent d’en accroître le chaos, en rapprochant de force des éléments dont l’affinité n’est pas encore suffisamment déterminée; on oubliera pour quelques instants et l’on remettra à des temps plus propices celte grande et utile disposition, d’autant que le retard n’entraîne point d’inconvénients majeurs; que le service séparé des deux corps est bon; qu’il ne s’agit que de la différence du bien au mieux, et que peut-être sommes-nous dans le cas prévu par cet adage qui dit que le mieux est V ennemi du bien. On peut doncetje pense même que, dans cet instant, l’on doit se borner à rapprocher des parties dont l’isolation est un état réel de souffrance pour le service, dont l’analogie est si frappante qu’il est impossible de donner une raison, tant soit peu plausible, pour les tenir séparées, dont laliaison est aussi nécessaire que celle de la tête et des bras ; je parle ici de la réunion des mineurs et des sapeurs au corps royal du génie. Cette opération est désirée par les militaires qui y ont réfléchi sans partialité et sans intérêt ; et je vais justifier leur opinion et ma demande par le tableau des devoirs de ces différents corps, lorsqu’ils sont occupés simultanément de leurs fonctions respectives. L’on sait que les mines sont une des plus effrayantes découvertes de l’industrie humaine, un des moyens les plus puissants que les hommes aient imaginé pour produire les efforts les plus violents et les plus subits, et l’objet de cet art terrible est, à la guerre, de favoriser ou de retarder des progrès et de détruire des obstacles. Si je les considère dans les mains d’un assiégé, j’y vois la plus efficace de ses ressources : c’est par leur moyen qu’il tient l’assiégeant dans une crainte continuelle, dans une circonspection qui ralentit sa marche; ce sont elles qui attendent ce dernier dans ses cheminements, dans ses établissements, dans l’emplacement de ses batteries de brèche, et c’est par elles qu’il se voit enlever, dans un instant, les fruits sanglants de plusieurs jours de patience, de travaux et de peines. Dans les mains de l’assiégeant les mines ont pour objet de protéger ses cheminements, d’assurer l’établissement de ses batteries en détruisant d’abord les galeries de contre-mines de l’assiégé, et ensuite en ouvrant de larges débouchés dans des fossés, ou des brèches dans des remparts. L’exécution de cette arme suppose donc, dans celui qui la dirige, une connaissance parfaite de l’attaque et de la défense des places; il faut que prévoyant à l’avance les moyens, les ressources, les chicanes de son ennemi, et jugeant de ce que celui-ci fera, par ce qu’il ferait soi-même en pareille circonstance, il ait tellement préparé ses mesures, combiné ses procédés, calculé ses efforts, que l’explosion de ses fourneaux se fasse au point précis, à l’instant déterminé et dans le sens le plus convenable pour assurer la marche progressive de ses dispositions générales. Il est donc impossible de citer deux arts qui aient des rapports plus intimes, qui soient plus inséparables que ceux du mineur et de l’ingénieur. Ils sont rigoureusement identiques ; c’est une branche qu’on ne peut séparer de son tronc sans affaiblir celui-ci, sans dessécher celle-là, sans nuire aux fruits que leur réunion peut seule procurer. Quant aux sapeurs, ils sont par l’objet de leurs travaux, par leur institution même, la troupe essentielle du corps du génie : cette vérité toujours constante et consacrée par les ordonnances; de sorte que cet article, prouvé par le droit et par le fait, m’est ni constesté ni contestable. Cet exposé semble prévenir toute objection contre le projet de réunir les mineurs et les sapeurs au corps du génie. Il en existe, cependant, et quelque frivoles qu’elles me paraissent, je ne veux pas qu’on puisse me reprocher d’avoir négligé de les détruire. L’on dit que l’objet et la fin de l’artillerie, dans les sièges, étant d’ouvrir les remparts en y faisant des brèches, les mines, dont la destination est pareille, ne doivent donc point être séparées du service de l’artillerie, et l’on renforce ce raisonnement en ajoutant : que le corps exclusivement chargé de la surveillance, de la manutention et du dépôt des poudres, en doit mieux que personne connaître les effets, et que par conséquent il est bien naturel de le rendre dépositaire des fonctions qui tendent à développer les plus grands effets de la poudre. Le vice de la première partiefde cette objection, c’est qu’au lieu de généraliser la question, elle la particularise ; qu’elle ne considère le service de l’artillerie et celui des mineurs que sous le point de vue de l’offensive, et qu’elle suppose que leur destination est toujours d’attaquer. Mais ce qui aggrave le défaut de cette logique, c’est qu’en raisonnant ainsi, dans la même hypothèse, sur l'artillerie et sur les mines, en les examinant l’une et l’autre dans les mains de l’assiégeant, on aperçoit la première dans toute la supériorité de ses moyens, et les secondes dans l’état de leur plus grande faiblesse. On dénature donc, en quelque manière, la question de l’art du mineur, car, pour la traiter convenablement, il faudrait considérer cet art dans sa destination réelle, dans les circonstances des plus grands effets qui peuvent en résulter, dans l’analyse de toutes les ressources qu’il assure à celui qui en dispose, en un mot dans la défense des places : c’est là que le mineur, maître d’un terrain dont il connaît la nature, parce que l’ingénieur lui fournit à cet�gard toutes les indications désirables, aidé par des travaux préparés à l’avance et disposés pour favoriser sa marche dans l’hypothèse de tous les événements possibles; c’e*t là, dis-je, qu’il jouit au plus haut degré de la faculté de déployer toute l’énergie, toute l’activité de la profession qu’il exerce, surtout en ménageant à l’assiégé les moyens des retours offensifs dans des ouvrages dont l’assiégeant se croit le maître, en le forçant à les abandonner, à les reprendre, à les reperdre de nouveau ; enfin, en prolongeant au moins la résistance des forteresses, lorsqu’il ne parvient pas à les sauver. En considérant l’art des mines sous ce point de vue, l’analogie, les rapports qu’on lui suppose avec le service de l’artillerie, s’évanouissent tout d’un coup, et l’on sent, au contraire, la liaison intime qui existe entre les fonctions du mineur et celles dé l’ingénieur; mais je veux bien renoncer à poser ainsi la question, et je vais l’examiner dans le sens même de l’objection, quelque défavorable que soit pour mon avis cette manière d’établir la thèse. Premièrement, il n’est point exact de dire que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1790.] 469 l’objet et la fin de l’artillerie soient d’ouvrir des brèches aux remparts des places assiégées, car cela supposerait qu’on ne peut arriver à ce dernier résultat que par l’application directe de l’artillerie, ce qui est absolument faux. En effet, l'on conçoit que dès l’instant où l’assiégeant sera parvenu, et qu’il pourra se maintenir au pied du rempart d’un corps de place, il aura pour y faire brèche plusieurs moyens indépendants et distincts de l’action des bouches à feu. Il s’ensuivrait encore de cette assertion, qu’aus-sitôt que l’artillerie aurait fait brèche au corps de place, son objet serait rempli, ce qui est également faux ; car la brèche au corps de place est très indifférente à l'assiégé et à l’assiégeant, tant que ce dernier n’a pas la faculté d’y parvenir, et cette faculté, c’est l’artillerie seule qui peut la lui préparer. L’objet et la tin de l’artillerie dans un siège sont donc de balayer les faces des ouvrages, d’en ruiner les flancs, de tourmenter l’assiégé sur tous les points de l’attaque, de protéger le cheminement de l’assiégeant, par l’extinction des feux de la place, et finalement de lui faciliter l’accès des brèches, par quelques moyens qu’elles aient été pratiquées. Je sais que presque toujours elles le sont par le canon, en quoi certes l’on a très grande raison, car pourquoi emploierait-on des agents faibles, lents et dispendieux, tandis que l’on dispose du plus puissant et du plus expéditif de tous ? Mais cette observation ne détruit pas la première. Ce que j’ai dit des bouches à feu, je puis l’appliquer aux mines, avec d’autant plus de vérité et de succès, qu’il est extrêmement rare d’ouvrir des brèches par ce moyen, et je ne crains pas d’avancer que si l’on faisait un relevé exact des places qui ont été assiégées et prises en Europe depuis cent ans, on n’en compterait peut-être pas une sur vingt-cinq où l’ouverture des brèches au corps de place ait été l’effet des fourneaux de l’assiégeant. Après avoir démontré que le raisonnement par lequel on prétend justifier l’union des mineurs au corps de l’artillerie, porte sur des bases absolument fausses, pour achever de le détruire, je ferai observer que quels que soient, dans un siège les procédés de l’attaque, du moment que l’intention en est définitivement arrêtée, l’exécution de l’artillerie, constamment la même, est subordonnée à la manière d’être de la fortification, manière d’être qui ne peut changer ; qu’au contraire, les opérations de l’ingénieur et des sapeurs sont sujettes à varier d’une infinité de manières, selon les circonstances locales, qui ne sont pas toujours prévues, que souvent même il est impossible de prévoir; et qu’il est indispensable aux mineurs de combiner leur marche, et d’en calculer les progrès, de manière à ce qu’elle ne corresponde pas à à tous les détails du cheminement des attaques. Tandis que les uns tracent et exécutent directement les tranchées, les communications, les logements, les autres, par leurs dispositions souterraines, protègent et assurent le succès de ces premiers. C’est parce qu’à telle époque telle mesure attaquante sera nécessaire, qu’il faut qu’un ou plusieurs fourneaux soient préparés, ou pour crever les galeries de l’assiégé, intercepter les communications de ses fourneaux, et de suite parvenir à les éventer, ou à les détruire, ou pour faire sauter un obstacle quelconque dont on ne pourrait avantageusement se débarrasser d’une autre manière, ou pour ouvrir un débouché dans un fossé en renversant une contrescarpe, etc. Il y a donc entre les travaux de l’ingénieur, du mineur et du sapeur une liaison nécessaire qu’on ne peut interrompre sans préjudicier à la force de leurs moyens respectifs, sans compromettre l’objet de l’institution des uns et des autres ; au lieu que la relation des sapeurs, avec l’artillerie, est évidemment nulle pour le fait, et que celle de ce corps avec les mineurs, dérive tout au plus de ce que la poudre est le moteur ou l’agent principal, à l’aide duquel les uns et les autres arrivent au terme de leur destination mutuelle. Voilà donc l’objection réduite à cette seconde partie, savoir : que l’artillerie doit conserver les mineurs, parce qu'elle connaît les effets de la poudre. J’ai un peu de honte d’y répondre ; cependant, je m’y suis engagé, et; en conséquence, je demande si, quand on s’appuie de la connaissance des effets de la poudre, on entend parler de la théorie de ces effets ? mais, c’est là l’objet d’un problème physico-mathématique, pour la solution duquel j’espère qu’on ne récusera pas la compétence du corps du génie ; et si l’on ne veut parler que du résultat matériel, de l’effet proprement dit de la poudre, je dirai d’abord que cette connaissance n’est pas exclusivement accordée à l’artillerie, puisqu’elle est possédée par les mineurs dont les fonctions sont très réellement séparées de celles de l’artillerie. J’ajouterai ensuite qu’indépendamment de la facilité d’acquérir, en peu de temps, une expérience suffisante sur cet objet, il existe des tables toutes calculées qui servent de règle aux mineurs eux-mêmes, et qui en serviraient également aux officiers du corps du génie. D’ailleurs, comme on ne conteste pas aux mineurs la connaissance de ces effets, ils la transporteraient et la répandraient dans le corps du génie, d’où l’on voit que l’on parviendrait au but désiré sans toucher au droit dévolu à l’artillerie de surveiller, de manipuler les poudres et d’en avoir le dépôt. L’on se retranche et l’on dit que la soustraction des sapeurs et des mineurs affaiblirait sensiblement l’artillerie, parce qu’ils peuvent faire fonction de canonniers, quand ils ne sont pas occupés des mines et des sapes. Je réponds qu’en prenant les choses dans leur état actuel, la moitié de ce raisonnement porterait à faux, puisque les mineurs et l’artillerie sont, de fait, deux corps dont les fonctions sont entièrement séparées; mais je veux supposer que cela soit autrement : alors, ou l’argument s’applique au temps de la paix ou a celui de la guerre. Dans le premier cas, l’artillerie est suffisamment nombreuse pour fournir à l’exercice des bouches à feu et au service des arsenaux et de ses polygones, sans recourir à l’emprunt dont il s’agit, et même, dans la supposition contraire, il serait ridicule d’instituer des corps dont on exige une instruction particulière, pour les employer à des travaux qui leur sont étrangers, et dont on peut assurer l’exécution de tant d’autres manières moins préjudiciables au service. Si c’est pour les temps de guerre que ce raisonnement est fait, il est bien plus défectueux, car les sapeurs et les mineurs étant essentiellement institués pour les travaux des sièges, si dans ce cas ils sont employés à leur destination véritable, ils ne feront pas le service de l’artillerie; et s’ils font le service de l’artillerie, ils ne rempliront pas le but de leur institution : à AftCÜlVÊS PARLEMENTA IRÈÉ. (10 mai 1790.1 47Ô [Assemblée nationale.] i’égard des circoü stances autres que celles des sièges, je ferai voir, dans la suite de ce mémoire, que les mineurs et les sapeurs peuvent être tenus constamment dans une activité plus profitable et plus précieuse que celle qui pourrait résulter de l’emploi de leurs moyens au service de l’artillerie proprement dite, Enfin, ou le corps de l’artillerie est assez nombreux pour suffire à sa destination, et pour lors l’adjonction des sapeurs et des mineurs est une surabondance sans objet, et conséquemment inadmissible, ou l’artillerie n’a pas assez de sujets pour satisfaire à tous les détails du service dont elle est chargée, et, dans cette hypothèse, il faut porter ce corps au nombre convenable, soit par l’augmentation d’un certain nombre d’hommes par compagnie, soit par l’addition d’une compagnie par régiment, soit enfin par la création d’un huitième régiment, et fendre à leur destination Véritable, des hommes dont les talents seraient d’une utilité journalière, en paix comme en guerre; au lieu que, depuis plus de quarante ans, les mineurs sont bornés à de stériles spéculations de théorie, sans qu’on puisse s’en prendre de cette inaction qu’à l’isolation ridicule de ce corps. Pour conclusion, si l’artillerie n’est réellement portée qu’à un nombre d’hommes, tel qu’on ne puisse le diminuer sans altérer le service de cette arme, et si l’on ne veut point d’augmentation dans ce corps, qu'il garde les sapeurs pour en faire de simples canonniers, tels qu’ils le sont aujourd’hui, et que les mineurs, réunis ad corps du génie, lui communiquent et partagent avec lui les avantages d’une activité dont iis sont privés tous deux par leur séparation. Les mineurs seront bientôt des sapeurs, l’artillerie n’aura rien perdu, le corps du génie aura acquis des connaissances et des bras, et l’État surtout aura fait le profit qui se rencontre toujours dans la réunion des moyens analogues et dans l’emploi des hommes à la. place qui leur convient. Avant de développer tous les avantages qui résulteraient de la composition que je propose pour le corps du génie, il faut que j’écarte encore une objection que je prévois. On peut me dire que j’ai mis en évidence les défauts de la composition actuelle de ce corps, que j’ai démontré la nécessité de lui donner des bras par l’adjonction d’une troupe dont il aurait seul la direction, mais qu’on peut remplir cette indication sans ôter à l’artillerie Une portion d’elle-même qu’elle se fait gloire de conserver, et sans blesser ni ses intérêts, ni celui des mineurs. D’abord, je déclare que, dans une question de cette nature, je ne suis guidé parla considération d’aucun intérêt particulier, et j’ajoute que quand même le système que je propose contrarierait à quelques égards les vues de quelques individus des corps qu’il intéresse, ce ne serait point un titre pour le rejeter, si d’ailleurs il se liait à des résultats démontrés d’utilité publique. Mais je vais plus loin, et je prétends que l’artillerie, ni les mineurs ne peuvent rien y perdre, et que ce dernier corps a tout à y gagner. Premièrement, la séparation des mineurs d’avec l’artillerie n’est qu’un mot ; cette séparation existe de fait dans l’état actuel de ces deux corps; leurs théories, leurs exercices, leurs services journaliers, leurs écoles, les lieux de leur réunion sont distincts, n’ont rien de commun ; il n’y a entre eux ni correspondance, ni dépendance, ni relations nécessaires quant au service ; et si l’on donnait à l'un ùn uniforme vert» il sérail impossible d’assigner la moindre preuve d'identité entre eux. C’est donc bien gratuitement, ou par inadvertance qu’on a imprimé qu’en voulant retirer les mineurs à l’artillerie, « ce serait vouloir lui reti-« rer une partie de son existence ; ce serait , pour « ainsi dire , vouloir mutiler ce corps , et lui re-« trancher un de ses membres les plus essentiels ; » car, si cette assertion était exacte» il s’ensuivrait que, dans le moment actuel, il manquerait à l’artillerie une partie de son existence, et qu’elle serait un corps mutilé, privé d’un de ses membres les plus essentiels» ce qu’assurément personne ne croira. Puisque donc l’artillerie et les mineurs sont essentiellement séparés, il s’ensuit qu’en effaçant tout à fait le léger indice de rapprochement qui existe entre eux, on ne blesserait en aucune manière l’intérêt général de l’artillerie, car entre deux corps qui n’ont point de fonctions communes, les services ne peuvent avoir des intérêts communs. Je ne suppose pas non plus que ce soit blesser l’intérêt général de l’artillerie que de ne pas respecter ce préjugé qui fait que le commun des hommes mesure l’importance des choses sur le nombre apparent de leurs éléments : ce motif puéril serait tout à fait indigne d’un corps justement célèbre par l’étendue de ses lumières et par l’objet de son institution, dont la réputation, si bien établie dans l’Europe, ne tient pas à ces petits moyens, et qui rougirait d’étayer sa consistance par des ressources qui lui seraient étrangères, et qui dès lors prendraient le caractère du charlatanisme ou de l’ostentation. Quant à l’intérêt particulier de l’artillerie, il se réduirait tout au plus à celui des premiers officiers généraux de ce corps, qui, Voisins de là place de premier inspecteur général (si tatit est qu’elle dût subsister), craindraient de voir diminuer leurs attributions, leur traitement, leur influence, et j’avoue qu’il m’est encore impossible d’admettre cette supposition ; elle est outrageanté pour eux, comme guerriers, comme citoyens, et jamais on ne me persuadera que des hommes que leurs vertus et leurs services ont portés aux honneurs militaires, puissent dégrader leurs places, leurs réputations, leurs caractères, et démentir l’opinion publique en opposant à des mesures qui entraînent le bien de l’État des vues personnelles et des calculs mesquins de lucte ou de vanité. A l’égard des mineurs, non seulement ils n’ont rien à perdre dans leur réunion au corps du génie, mais il est impossible de méconnaître l’avantage qu’ils y trouveront. Rendus à une activité et à une utilité journalière dont ils étaient privés nécessairement par leur manière d’être, ils ne pourront qu’être flattés des occasions multipliées qui s’offriront eux, de développer leurs talents et les ressources de leur profession : cet avantage s’accroîtra par la communication des idées; ils transmettront aux officiers du génie des connaissances indispensables à la théorie des fortifications. Us en recevront des notions essentielles à la perfection de l’art des mines, ils uniront leurs moyens pour former leur troupe à la connaissance des fonctions qu’elle doit remplir, et ils parviendront par cette réciprocité d’instruction à tripler leur existence et leur utilité mutuelle ; et quant aux soldats mineurs, en continuant à jouir des avantages actuels de leur service, ils (es verront augmenter du salaire des travaux qui leur seront con- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1190.) 471 fiés, et de l’expectative certaine des retraites que ces dispositions leur destinent. On voit donc que ni l’intérêt de l'artillerie, ni celui des mineurs ne s’opposent à l’adjonction de ces derniers au corps du génie, et que si l’on se bornait à former pour ce corps une troupe qui ne fût pas celle des mineurs eux-mêmes, on se priverait d’abord de l’avantage de faire marcher de front, et de voir s’entr’aider mutuellement deux portions du service, dont les fonctions sont inséparables; on laisserait subsister une rivalité qui peut nuire au bien de l’État, et qui ne peut jamais lui profiter; enfin on dépenserait sans motif, comme sans objet, la solde de l’une de ces deux troupes qu’il est si facile, et même si nécessaire d’épargner. Ajoutez à cesréflexions, qu’avant peu l’on ferait la remarque de ce double emploi ; qu’on voudrait en faire cesser l’abus; que dans le choix eutre deux troupes, l’une ancienne et toute instruite, et l’autre nouvellement instituée, il n’y aurait pas à hésiter que la troupe de mineurs serait, avec justice, et raison, conservée de préférence à celle du corps du génie ; que ce dernier retomberait dans l’inertie, dont à peine il serait sorti, et qu’enfin on verrait renaître en foule tous les inconvénients du régime qu’il s’agit de faire cesser : d’où je conclus que la proposition de donner au corps du génie une troupe qui ne serait pas celle des mineurs n’offre qu’un palliatif vain, une disposition sans stabilité, sans économie, et qu’elle doit être rejetée. D’après cet exposé, on est en état de juger si les ordonnances qui tiennent séparées et distinctes les fonctions des mineurs, des sapeurs et du corps du génie, ne sont pas une contradiction manifeste dans l’institution de ces trois corps, et si cette organisation n’est pas aussi bizarre, et aussi funeste que celle qui partagerait l’artillerie proprement dite en deux corporations distinctes qui auraient pour office, l'une de transporter les pièces, et de les mettre en place, et l’autre de charger, pointer et tirer. Enfin, comme en toute espèce d’établissement il est absurde de désunir les forces et la volonté, les têtes qui conçoivent et les mains qui exécutent ; comme le moyen le plus assuré d’empêcher un mobile d’arriver à son but, est de le tirailler dans des directions opposées; comme la véritable économie politique consiste à faire dériver neaucoup d’effets d’un petit nombre de causes, et surtout à employer les hommes aux fonctions auxquelles ils sont propres, je regarde comme un point démontré, et hors d’atteinte la nécessité de fondre le corps du génie et les mineurs, devenus sapeurs, dans une seule et même corporation, dontles parties s’éclairant et s’entr’aidant mutuellement, la rapprocheront d’autant plus du butau-quel elle doit tendre. Je dois actuellement justifier par quelques détails la nouvelle composition que je demande pour le corps du génie. D’abord ce corps serait dans l’armée le seul qui jouirait des avantages d’une utilité présente (1) ; tous les autres sont réduits à s’instruire pour l’avenir, et l’arme la plus importante n’existe réellement que pour l’utilité ultérieure de la guerre. Le corps du génie étant au contraire essentiellement destiné et occupé à la construction, à la (1) On doit excepter de cette assertion la partie du service de l’artillerie qui concerne les fonderies, les manufactures d’armes, etc. consolidation et à l’entretien deè forteresses et des établissements publics qui concernent l’arbiée, c’est dans les détails journaliers de cet entretien, qu’avant peu l’on reconnaîtrait le prix d’une surveillance toujours active, qui, p ar des soins assidus, et avec une exactitude assurée par la discipline militaire, préviendrait les dégradations des fortifications et celles des bâtiments; dégradations d’où s’ensuivent des dépenses considérables qu’on éviterait avec des précautions habituelles, car si l’on avait des yeux qui vissent tout, des préposés qui missent eux-mêmes la main à l’œuvre, qui fussent indépendants de l’intérêt de l’entreprise, et dont le service ordinaire consistât en petites attentions de ce genre qui n’exigeraient aucun salaire ; c’est, dis-je, avec ces soins de tous les jours, de tous les moments, que l’on préviendrait des dégradations sérieuses, et que l’on réussirait à affecter les dépenses qu’elles occasionnent à des améliorations réelles ou à des additions nécessaires. Dans les grands travaux, les soldats dü génie seraient employés comme chefs d’ateliers; ils dirigeraient et instruiraient les autres travailleurs; et, dans ce cas, ils seraient payés sur le pied des meilleurs ouvriers : mais comme ils seraient toujours dispensés du service des garnisons, il leur serait fait sur leur salaire une retenue proportionnelle, de laquelle il serait rendu compte pour profiter au fonds des fortifications, de telle sorte que tant sur cet objet que sur les économies à faire, et sur les fausses dépenses à éviter, la troupe du génie rendrait peut-être plus à l’Etat que le montant de la dépense de sa solde. Ajoutez à ce qui vientd’être dit que si les dépenses appliquées consr ta mment à 1 Instruction de 1 ’école de V erdun étaient réparties et employées dans les plus importantes de nos places, les fruits de cette instruction nous resteraient matériellement, et que, dans peu d’années, nous parviendrions, en exécutant non pas des simulacres de contre-mines, mais des travaux durables, à donner aux points capitaux de no3 frontières ce degré de force le plus efficace de tous, et peut-être le seul qui puisse contre-balan-cer la supériorité de l’attaque sur la défense. Cela n’empêcherait point que les soldats du génie ne fussent exercés à tous les travaux conservateurs, tels que les tranchées de différentes espèces, les sapes, les logements, les contre-approches, les passages de fossés, les blindages, et mille autres moyens inconnus aujourd’hui par une suite nécessaire de l’affiliation des sapeurs à un corps étranger à ce genre d’industrie, quin’aaucun intérêt prochain ou éloigné à leur composition, à leur instruction, à leur expérience, et même à leur fermeté, en diverses commissions variées et périlleuses, qui exigeraient au moins qu’on pût les connaître pour les choisir dans l’occasion. Les bas-officiers, les caporaux, et même les soldats d’élite, seraient employés comme piqueurs dans les travaux des fortifications; ils préviendraient une multitude d’abus et de iüal-façons dans les ouvrages, car il est impossible démultiplier les officiers du génie au degré qu’exigerait une surveillance de ce genre. Les mêmes hommes se trouveraient naturellement établis gardes des mines, des fortifications, des jetées, des épis, etc.» et ils éteindraient, ou du moins ils diminueraient notablement pour l’avenir, le prix dés gages de ceux qui sont actuellement pourvus de ces emplois; enfin les places de caserniers, d’éclusiers et autres semblables seraient données pour récompense et pour retraite à ceux de ces hommes qdi, ayant vieilli dans des fonctions analogues, en auraient 472 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1790.] l’intelligence, et lesordonnances veilleraient à ce qu’aucune de ces places ne pût être affectée par la faveur à d’autres qu’à ceux auxquels elles sont essentiellement destinées. Après avoir exposé les avantages qui résulteraient, dans le service, des places de la nouvelle composition que je propose pour le corps du génie, il me reste à démontrer combien il serait économique et nécessaire d’étendre ses fonctions à d’autres objets auxquels son institution l’appelle. Le premier est le service de l’état-major de l'armée. On peut le considérer comme divisé en deux branches parfaitement distinctes: l’une renferme les mesures relatives aux mouvements des troupes, à leur répartition et à leur établissement, tant dans les cantonnements que dans les quartiers d’hiver, la formation des dépôts et entrepôts des vivres et des fourrages, remplacement des hôpitaux tant dans les camps que dans les quartiers, la connaisssance des facultés et des ressources d’un pays en grains, fourrages, bétail, chevaux, voitures, bateaux, la distribution des ordres des généraux aux différentes troupes, l’instruction d’une classe d’officiers appelés à leurs emplois par la confiance du ministre et des généraux et que je désigne sous le nom d'adjudants. Le surplus du service de l’état-major consiste dans la reconnaissance du théâtre de la guerre, et dans divers travaux relatifs aux mouvements des troupes, à leurs positions offensives ou défensives, et voilà ce qui doit appartenir au corps du génie. Personne n’est plus en état que les officiers de ce corps, de fournir au maréchal général de logis, soit par des cartes exactes, soit par des mémoires (qui, pour être bien faits, sup-Ï (osent au moins le talent de lever des cartes par a pensée), tous les renseignements désirables sur le terrain que l’armée peut occuper; personne n’est plus en état qu’eux d’indiquer les ressources d’une place ou d’un poste fortifié, de distinguer, dans les localités compliquées d’un pays, les points plus ou moins susceptibles de défense, de désigner les ressources que l’art pourrait ajouter à la nature, de reconnaître les accès, les communications, les appuis d’une position, etc. Je dis que personne n’est plus en état de remplir cet objet que les officiers du génie, parce qu’en effet toutes ces indications tiennent essentiellement à l’habitude d’estimer les distances, de figurer les terrains, de saisir rapidement les rapports qui existent entre leurs différentes parties, de juger la protection qu’elles se donnent mutuellement, ce en quoi elles s’entr’aident ou se contrarient dans le système de leur défense réciproque, et toutes ces connaissances sont celles Îrnur lesquelles un ingénieur est élevé: ce sont es rudiments de sa profession, ce sont des talents qu’il passe sa vie à perfectionner, après avoir passé sa jeunesse à les acquérir. Je pourrais en dire autant d’une foule ’d’objets accessoires, qui suivent nécessairement les indications que je viens d’attribuer aux ingénieurs. Par exemple, après avoir reconnu le terrain sur lequel les troupes doivent agir, pour les mouvoir, il faut ouvrir leur marche, il faut percer des forêts, consolider ou même combler des parties marécageuses, faire ou réparer des chemins, construire des ponts, quelquefois les couvrir d’une tête; dans d’autres circonstances retrancher promptement le terrain qu’occupe une troupe avancée, pour protéger la marche d’une colonne; ailleurs, il faut soutenir des eaux, ou bien il faut les écouler; il faut fortifier un village, une ferme, le frontd’un camp ou quelques-unes de ces parties, et mille autres détails dont je supprime l’énumération, et je défie qu’on puisse nier que tous ces objets ne soient pas des applications de la topographie, de la théorie des fortifications, des arts du charpentier, du terrassier, du pionnier, du maçon, et en général de l’industrie que l’ingénieur est sans cesse appliqué à diriger dans les travaux des places de guerre. Mais s’ils sont en même temps unepartie des fonctions de l’état-major, je ne vois pas comment on pourrait se dispenser de conclure que le corps du génie doit être chargé de cette portion du service de l’état-major, qui est intimement liée à la théorie et à la pratique du service des ingénieurs, à moins qu’on ne déclare qu’il est préférable de rejeter des moyens sûrs, pour employer des moyens douteux. Je m’attends à cet argument tant rebattu, que le corps du génie n’ayant point l’habitude de manier des troupes, son insuffisance à cet égard s’opposera toujours à ce qu’il soit chargé de fonctions dont la fin est de mettre enjeu, et de développer toutes les facultés des troupes. Eh bienl je" répondrai que je ne connais rien de si chétif et de si puéril que cette objection. Car l’objet d’un officier de l’état-major n’est pas de remuer des troupes, mais d’indiquer les obstacles ou les facilités qu’elles auront à se mouvoir dans un terrain déterminé ; la possibilité de s’y maintenir, les ressources qui protégeront leur position, les circonstances qui pourront favoriser ou gêner leur retraite, les localités qni pourront leur permettre ou leur interdire la faculté de se porter en avant ou par leurs flancs : or, toutes ces connaissances exigent, non pas la science du mécanisme par lequel on remue une troupe, mais seulement celle de l’effet des mouvements d’une troupe, c’est-à-dire l'espace qu’elle tient dans telle ou telle hypothèse; ainsi, il faut savoir qu’un bataillon ou qu’un escadron occupe telle étendue, lorsqu’il est campé; telle autre, lorsqu’il est en bataille; telle autre, lorsqu’il marche en colonne ; qu’un accès, qu’un débouché permet à tant d’hommes d’y marcher de front ; qu’il est praticable à l’infanterie, à la cavalerie ou à l’artillerie ; qu’un tel terrain peut contenir tant de cavalerie, tant d’infanterie en bataille, tant en potence ou en échelons; qu’en arrière du front il y a tant d’espace pour une position rétrogade ; que les flancs en sont appuyés, ou à des pentes impraticables, ou à une rivière non guéable,ou à un marais qu’on ne peut tourner. Voilà les connaissance qui appartiennent à un officier de l’état-major : l’art de combiner des mouvements de troupes, de changer rapidement leur position , appartient aux généraux, c’està eux à prévoir la possibilité et la nécessité de ces événements, d’après les renseignements de l’officier de l’état-major, et ces renseignements doivent être si exacts, si clairs, si précis, que le chef qui imprime le mouvement à toutes les parties, puisse, sur ces données, préparer ses mesures et calculer ses projets. Enfin, je pense qu’un officier de l’état-major est destiné, non pas à être le précepteur, mais l’aide des officiers généraux. On voit donc que les talents d’un officier de l’état-major consistent à exprimer avec clarté ce qu’il a vu avec attention : or, quel que soit le mode de rendre ses idées, soit qu’il les consigne dans un écrit, soit qu’il en fasse une description verbale, soit qu’il les transmette par le dessin, soit qu’il emploie tous ou plusieurs de ces moyens à la fois, le mérite essentiel de son travail se ré- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1790.] 473 duira toujours à l’art du coup d’œil, d’abord, et à celui des descriptions après, et non pas à la science des grandes manœuvres de la tactique. Ce n’est pas que je prétende nier que celui qui réunirait ce dernier avantage à ceux que j’avais précédemment indiqués, n’eût une grande supériorité sur ses coopérateurs ; mais je dis que, dans ce cas, l’homme dont il s’agit aurait plutôt le talent d’un officier général que celui de l’état-major. D’où je conclus que l’objection n’est qu’un sophisme. Cependant, il n’a pas été inutile de la discuter, et les développements qu’elle a nécessités ont achevé de prouver de quelle ressource serait, dans les différentes circonstances que j’ai indiquées, une troupe composée d’hommes intelligents, d’artistes qui joindraient à l’habitude de prendre part à des opérations topographiques, à des tracés sur le terrain, le talent d’en exécuter lesdétails après en avoir saisi l’intention. C’est alors que le corps du génie ayant des conducteurs et des modèles à donner aux ouvriers quelconques, qui lui seraient fournis pour les travaux à l’armée, tirerait un parti vraiment utile de tous ces ouvriers, qui ci-devant étaient, entre ses mains, des instruments très imparfaits, faute de pouvoir les surveiller et les diriger tous. On va me demander si, en dernière analyse, je propose de réformer l’état-major. A quoi je répondrai que je ne puis proposer de réformer un corps qui n’est pas: je sais bien qu’il existe, sous le nom d’état-major de l’armée, une corporation d’environ quatre-vingts individus qui ont des grades des appointements et un avancement très rapide, je sais bien que la faveur y appelait tel homme que l’on voulait dispenser du devoir de mériter par les voies ordinaires du service le grade dont on le décorait ; je connais toutes les réclamations de l’armée à cet égard ; mais comme je n’ai jamais su qu’il y eûtni école pour former des officiers de l’état-major, ni formalités pour constater la capacité de ceux qui étaient admis à remplir ces emplois, ni mode d’instruction uniforme à suivre après l’admission, ni ordonnance qui légitimât la manière d’être de ce corps militaire, je suis fondé à jUre qu’il n’est ni institué, ni constitué ; que son existence, très réelle quant à l’abus, est nulle quant au droit ; conséquemment je propose de supprimer non pas l’état-major, mais l’abus qui, dans ce moment, en porte le nom. Je vais plus loin, et je dis qu’un état-major, en temps de paix, est une superfluité aussi dispendieuse 'qu’inutile. En effet, j’en ai divisé les fonctions en deux branches parfaitement distinctes. Les détails qui concernent la première sont très restreints en temps de paix ; tout ce qu’il y aurait de praticable à cet égard serait confié aux adjudants qu’adopte le ministre de la guerre ; mais comme cet objet serait insuffisant pour donner à ces officiers l’activité dont il est désirable qu’ils jouisseut, ils seraient employés .comme aides-de-camp sous les ordres des généraux divisionnaires, et là ils apprendraient à manœuvrer les troupes en grandes masses, ils s’instruiraient de tous les besoins possible d’une armée, et se mettraient en état de remplir les grandes et importantes fonctions dont j’ai dit qu’ils devaient être occupés à la guerre. Quant à la partie des reconnaissances, des retranchements et autres travaux que j’ai désignés comme devant faire l’attribution des officiers du génie, ces derniers trouveraient, en temps de paix, sans sortir du cercle de leur institution, toutes les occasions, toutes lesfacilités nécessaires pour s’exercer aux emplois que je leur destine, tellement qu’à l’instant d’eûtrer en campagne le gouvernement aurait des sujets tout formés, tout prêts à servir utilement, sans les avoir achetés par l’inconvénient des doubles emplois, de la dé-pensesuperflue et du découragement qu’éprouvait le reste de l’armée à la vue d’un corps privilégié auquel on accordait tout sans en exiger rien. Cette première réformerenfermeinévitablement une seconde impression, c’est celte du corps des ingénieurs-géographes militaires. Ceux-ci étaient le supplément à l’insuffisance du soi-disant état-major; cette surabondance forcée achève de mettre dans tout son jour la nécessité de confier les reconnaissances militaires à des hommes qui, non seulement ayant des idées et des vues militaires, mais qui possèdent encore la partie mécanique, qui seule peut donner la facilité de saisir rapidement et exactement l’ensemble d’un terrain et le rapport de ses parties. Or, ce mécanisme n’est autre chose que l’art de lever des cartes. C’est dans sa pratique, qu’à force de comparer des grandeurs inconnues à des grandeurs déterminées, on finit par se loger dans la tête l’échelle réelle qui doit mesurer les objets qu’on observe. G’est dans sa pratique que l’on apprend à juger souvent la forme d’un terrain que l’on ne voit pas, par la forme des parties que l’on en connaît, et que se familiarisant avec la structure des pays montueux, on arrive au point de trouver leur reconnaissance plus facile que celle des pays plats, où rien n’est prononcée, et dans lesquels il faut se porter, sur les moindres accidents locaux, pour les apprécier et juger de leur importance; cette théorie est un élément indispensable de l’instruction d’un officier de l’état-major; il fallait donc bien suppléer, dans le corps qui porterait ce nom, à cette partie intégrante ae son art, dont il était privé; et faute de pouvoir mieux faire, on tenait séparées deux classes qui doivent essentiellement être unies. L’une était chargée de reconnaître et de figurer le terrain; l’autre, aidée de ce moyen, rendait ses comptes, et fournissait ses projets d’après cette base, et l’on appelait cette complication barbare, une institution utile, une pépinière d’officiers généraux ..... Et voilà comment les abus s’engendrent et se perpétuent ! Il suit de cet exposé que le corps des ingénieurs éographes militaires est parfaitsment superflu ans le système que je propose, car queîqu’esti-mables que soient leurs talents, ils se bornent à une partie de ceux qu’on exige du corps du génie; et pourquoi deux têtes et quatre bras, là où un seul individu peut suffire? S’il y avait le plus léger doute sur cette assertiou, je prierais que l’on consultât les archives de la guerre, et que l’on y prit connaissance de la carte des Alpes, du Jura et des Vosges, objet aussi intéressant par son immensité que par son exactitude, et résultat du travail d’une brigade du génie qui en a été occupée pendant douze années consécutives. C’est ce que je connais de plus parfait en topographie. Ce travail était devenu si familier, et s’exécutait avec une telle rapidité, et avec des moyens si peu dispendieux, que huit à neuf officiers qui y étaient employés, mettraient au net chaque année à peu près cent trente lieues carrées de pays, qui ne revenaient pas au gouvernement à plus de 150 livres chacune; et cependant, c’était dans le dénuement de tous moyens propres que cette entreprise fût faite et achevée. Qu’on juge de ses progrès, 6i, au lieu des ouvriers inexpérimentés qu’il fallait changer presque tous les jours, 474 les officiers du génie eussent eu à leur disposition, et pour aide des bas-officiers, et des soldats accoutumés à ce genre d’exercice, qui en eussent connu les premiers éléments, qui eussent pu en pratiquer quelques détails. Je ne crains pas d’affirmer que, dans cette hypothèse, on eût tiercé le produit de cet ouvrage. Au moyen de ce qui précède, je regarde comme très inutile d’entamer une discussion pour prouver que les officiers du génie peuvent suppléer facilement les ingénieurs des affaires étrangères, et les commissaires chargés de la vérification ou de la fixation des limites de nos frontières, et conséquemment économiser au Trésor public au moins les trois quarts de la dépense annuelle appliquée à cet objet. On verra de même qu’en rendant au corps du génie les travaux des ports dont il était chargé ci-devant, on recueillerait d’abord l’avantage essentiel de soumettre à une même direction, à des vues uniformes, des objets analogues et correspondants; car, ainsi que je l’ai déjà dit, il ne faut point oublier les rapports nécessaires qui existent entre les opérations dont il s’agit, et le système de défense de nos places maritimes, et que de plus on trouverait dans cette disposition une économie notable pour le département de la marine, qui, en confiant ces travaux au corps du génie, épargnerait les traitements de ceux qui actuellement les dirigent. Je puis en dire autant de plusieurs autres articles qui concernent directement la marine des finances, tels que les travaux de Cherbourg, du Havre et de Dunkerque, et divers canaux sur les frontières, qui devraient être dirigés dans l’intention de les faire servir à leur défense. Enfin, l’on conçoit de quelle utilité pourrait être aux divers départements un corps instruit, sans intérêt personnel, dans les entreprises diverses pour lesquelles il serait consulté, et qui ne serait mû que par la seule ambition de l'estime de ses concitoyens, et de la considération attachée à des travaux utiles, quoiqu’ils ne soient pas brillants; on ne doute pas que le gouvernement ne se prêtât aux désirs des départemen ts, toutes les fois qu’ils réclameraient les services du corps du génie. Dans une infinité de circonstances, les travaux civils doivent être combinés avec la défensive des frontières; faute de cette précaution, il est arrivé souvent que des routes, des canaux ont étéexculés en dépit de l’esprit militaire; et pour éviter cet inconvénient, il serait à désirer que dans le cas de ce genre la finance et la guerre fussent toujours d’accord sur les projets avant de les entamer. C’est à présent qu’on est en état de juger de l’utilité du corps du génie, constitué d’après les principes que j’ai indiqués dans ce mémoire. Sans parler de l’économie qui en serait l’effet, n’y gagnât-on que l’ensemble et l’harmonie des parties qui sont essentiellement destinées à s’entr’ai-der, que la cessation des querelles interminables, et toujours funestes que produisent les prétentions et la rivalité des corps en concurrence, c’en serait assez pour ne pas hésiter. Je prie surtout que l’on considère que je ne demande, pour le corps du génie, ni avancement extraordinaire, ni grâces particulières: que, traité comme le reste de l’armée, on le mette à portée d’être utile, et mon objet est rempli: mais on ne peut retenir un mouvement de dépit et de regret, quand on songe que le gouvernement a, dans l’école de Mézières, la plus belle institution de l’Europe dans ce genre, quand on le voit y former lip mai 1790.J avec soin des sujets pour la guerre et poiiHa paix, et les forcer, par des mesures contradictoires, à l’inaction la plus complète et la plus révoltante. Il est temps de faire disparaître cet abus ; il faut qu’on examine cette question avec l’attention qu’elle mérite; que Ton se décide et que Ton prononce que le corps du génie est un établissement superflu auquel on peut suppléer par d’autreà moyens; et, dans ce cas, il ne faut point balancer à le' réformer; mais si Ton juge qu’il est nécessaire, en le conservant il faut le composer de manière à lui permettre ledéveloppementde toutes ses facultés, et surtout il faut avoir le bon esprit de l’employer aux objets auxquels il est propre, et récupérer ainsi une partie de la dépense qu’il nécessite. C’est pour remplir ces vues que je propose : 1° De composer le corps du génie de trois cent-trente-neuf officiers, tels qu’ils sont désignés dans le tableau ci-joint; 2° De dix compagnies de mineurs-sapeurs-ouvriers, dont le fonds sera fait par les six compagnies actuelles du corps des mineurs, fixé à Verdun : la composition particulière de chaque compagnie est au tableau;’ 3° Je demande pour points fondamentaux de l’ordonnance de ce corps : Que l’avancement ne puisse se faire que par rang de promotion jusqu’à un point déterminé de la colonne des capitaines, et qu’ensuite l’avancement ait lieu alternativement par rang de promotion, et par le choix du ministre qui prendra dans la classe des capitaines, désignée pour cet objet, ceux qui seront promus au rang de major dans les majors, les lieutenants-colonels; dans les lieutenants-colonels, les colonels; dans ces derniers les commandants de département qui, en arrivant au grade de maréchal de camp, quitteront le corps pour entrer dans la ligne avec les officiers généraux de toutes les autres armes. Sans cette mesure indispensable, le corps du génie n’aura jamais pour officiers supérieurs que des hommes trop âgés et trop affaiblis pour exercer leurs fonctions avec l’activité qu’exigent leurs emplois : car il faudrait 10 à 12 ans au moins, pour percer les lieutenants; il en faudrait au moins 22 à 23 pour arriver à la tête des capitaines, ajoutons 3 ans d’école, et n’oublions as que l’âge moyen auquel on est admis, est de 1, et qu’à l’âge de 54 ou 55 ans au plus tôt; et par conséquent à celui de colonel, à 68 ou 70 ans, ce qui est ridicule. Il est même essentiel que la cLasse des capitaines dans laquelle le ministre choisira les sujets qui devront être portés hors de rang, ne soit pas trop restreinte; il ne faut pas, par exemple, qu’elle soit moindre que la première moitié, car, dans cette supposition, pour qu’un officier fût appelable au rang de major, il faudrait qu’il eût au moins 23 à 24 ans de service dans le corps, 3 ans d’école, et 3 ans au moins d’étude3 préliminaires, c’est-à-dire 29 à 30 ans d’instruction, 25 à 26 ans de commission d’officier, et 47 ou 48 ans d’âge. 4° Que les inspecteurs généraux du service du génie soient pris dans les officiers généraux sortis de ce corps, car eux seuls seront en état d’eü connaître tous les détails. 5° Qu’outre le service ordinaire des fortifications, le corps du génie soit chargé en temps de paix de la topographie et de la démarcation des frontières, de l’inspection des projets de routes, canaux et autres ouvrages civils qui pourront influer sur la défense du royaume; bien entendu que cette inspection se réduira à l’examen de ces [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lOroai 1790.] 47$ projeta; pour en rendre compte soit aux officiers généraux employés dans les provinces où devront s’exécuter ces travaux, soit au ministre de la guerre, et à proposer, en cas qu’il crût y a-percevoir des inconvénients, les modifications capables de concilier les intérêts du commerce et ceux de la défense de l’Etat; de l’entretien des ports et de toute construction d’ouvrages qui, soit sur nos côtes, soit sur nos autres frontières, seront essentiellement liés au système militaire. 6° Qu’à l’armée, indépendamment de la direction des travaux de l’attaque et de la défense des places, il soit encore chargé de la reconnaissance du pays où se fera la guerre, de la désignation des fortifications naturelles ou factices dont on pourra s’aider, de la construction de redoutes, de celles des retranchements des postes et des camps, de l’ouverture des marches, de la construction, de la destruction, de la réparation des chemins et des ponts, et autres objets d’industrie, dérivant de son institution et de ses exercices journaliers, le tout sous les ordres immédiats des généraux et du maréchal-général des logis. Le ministre de la guerre, frappé de la justesse de ces vues, les avait adoptées, et en conséquence il avait donné à des officiers appelés pour cet objet l’ordre de préparer une ordonnance qui constituât le corps du génie d’après les bases indiquées dans ce mémoire : quels que soient les motifs qui l’on fait changer d’avis, il est triste de voir manquer des dispositions qui concouraient si évidemment au bien du service ; et je vais les justifier par le tableau de l’économie qui en serait l’effet. Aujourd’hui le corps du génie coûte .......................... 841,180 liv. La dépense de celui des mineurs est de ...... * .................. 133,668 Total ........ 974,848 liv. La dépense totale des deux corps réunis, selon mon projet, serait de.... ......................... 929,370 Il y aurait donc une économie de ............................. 45,478 liv. sans compter les bonifications sans nombre qui résulteraient, dans les détails du service, de la surveillance et de l’activité du nouveau corps. Je conviens que le projet du ministre offre une économie plus considérable, et que la dépense totale du corps du génie et de celui des mineurs est, selon son projet, de 91,558 livres moindre que dans le mien ; mais aussi il achève la mutilation du corps du génie, car j’ai démontré combien l’avancement y était lent et décourageant ; et cependant les dispositions projetées en aug-mententles dégoûts. Dans son existence actuelle, sur 329 officiers, les capitaines, au nombre de 189, se trouvent divisés en quatre classes. On en compte 21 à 2,400 livres d’appointements, 63 à 2,000 livres, 21 à 1,600 livres, et enfin 84 à 1,350 livres. Dans la proportion du corps actuel à celui projeté par le ministre, il devrait y avoir dans ce dernier, 18 capitaines à 2,400 livres, il n’y en a que 12; enfin il ne devrait y avoir que 70 capitaines à 1,350, il y en a 96. Par ce moyen le ministre trouve une économie de 23,100 livres qui, déduites des 91,458 livres annoncées ci-dessus, réduiraient le bénéfice de son projet à 78,458 livres. Si l’cn se rappelle que j’ai dit, et avec vérité, que la troupe du génie rendrait peut-être plus à l’Etat que le montant de sa solde, on verra que la différence d’économie du plan du ministre au mien est trop peu considérable pour faire rejeter un projet, duquel Résultent évidemment l’ensemble, l’harmonie et les progrès du service. Mais on va se convaincre que des avantages bien plus réels naissent de cette disposition. 1° Le corps du génie est aujourd’hui composé de ......... 376 officiers. Celui des mineurs, de ....... 32 Celui de l’état-major, d’environ .......................... 80 Celui des ingénieurs-géogra-phes-militaires, de ............ 20 Celui des ingénieurs de la marine, de .................... 24 Celui des ingénieurs des affaires étrangères, de ............. 20 Et quand je ne compterais pour les travaux actuellement exécutés par les ingénieurs des ponts et chaussées, et qui doivent être confiés au corps du génie, qu’une augmentation dans ces premiers, de .......................... 15 Cela ferait en tout .......... 567 individus Que je remplace par ......... 339 irmivlüUS-Par conséquent, j’en supprime, .. . 228, dont le traitement individuel, compris les gratifications, les commissions, et est au moins de 2,000 à 2,400 livres par tête, ce qui produit une économie annuelle de 500,000 livres. Je sais bien qu’on n’en jouirait pas dès le premier moment, car il faut assurer le sort de ceux qui perdent leurs emplois, et il en est plus d’un auquel il conviendrait de laisser son traitement entier pour retraite ; mais au moins ce bénéfice s’accroîtrait tous les jours; et, dans un laps de temps qui ne serait pas trop long, on serait sûr de jouir de l’économie totale que j’ai annoncée ci-dessus ; je pense aussi qu’on ne pourrait pas, sans injustice, ôter à des sujets auxquels il ne manque qu’un petit nombre d’années pour obtenir la croix de Saint-Louis, la faculté de la recevoir à l’époque fixée pour les militaires en activité. Je ferai remarquer encore que les deux corps pris ensemble, étant composés actuellement de 408 officiers, il en sort, d’après mon système, 24 officiers généraux; que l'on peut raisonnablement estimer le nombre des retraites volontaires à 15 ou 16 au moins; que, par conséquent, la réforme nécessaire serait de 30 ufficiers au plus, nombre assez peu considérable pour que l'espérance d’être promptement remplacés, les fasse résister à la tentation de passer au service des étrangers, par qui ils seraient surs d’être accueillis. Ce mémoire essuiera sans doute des critiques, peut être m’attirera-t-il des inimitiés; j’écouterai les unes avec docilité, et je n’opposerai aux autres que les vues d’intérêt public et la pureté des intentions qui m’out fait écrire. A Paris, ce 10 mai 1790. Signé: Bureaux de Pusy. Tableau de la composition proposée pour le corps royal du génie , avec les appointements et la solde de ce corps. 9 Commandants de département ............... à 9,600 liv. chacun 86,400 liv. 20 Colonels ............... à 4,890 ........... 96,0Q0 20 Lieutenants-Colonels. .. . à 3,000 ........... 72,000 234,400 liv. A reporter 476 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [n mai 1790,] Report 20 Majors ou Lieutenants Colonels en second ..... ( 20 de 1™ classe. 20 de 2° classe. 30 de 3e classe . 40 de 4e classe . \ 60 de 5e classe . 100 Lieu-( 50 de lr« classe. tenants. 50 de 2e classe.. 170 Capi taines. à 3,200. à 2,700. à 2,400 . à 2,100. à 1,800. à 1,500. à 1,200. à 1,000. 254,400 liv. 64,000 54,000 48,000 63,000 72,000 90,000 60,000 50,000 339 Officiers. 755,400 liv. par les officiers municipaux et notables de la communauté de Soing, district de Gray, département de la Saône, autorise lesdits officiers municipaux à toucher ce qui leur reste dû d’une vente de bois pour leur quart de réserve ; ordonne au receveur des domaines et bois, de leur remettre, sur bonne et valable quittance, tout ce qu’ils justifieront leur appartenir, à charge de rendre compte de l’emploi. Composition d’une compagnie de mineurs-sapeurs-ouvriers. 1 Capitaine. 2 Lieutenants. Masse et solde comprises. Et pour les 10 compagnies, 410 hommes ..................................... 124,030 Masses particulières. Hôpitaux.. 410 hommes., à 15 liv. 6,150 liv. Lits militaires.... 4i0 — ..à 6 ... 2,460 Effets de campements..,. 410 — ..à 4 ... 1,640 Bois et lumière.... 410 — ..à 9 ... 3,690 Déj>ense de l’école, appointements des chefs, des élèves et des maîtres compris ............ 36,000 Total général de la dépense du corps royal du génie .................. . ........................ 929,370 liv. ASSEMBLÉE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du 11 mai 1790, au matin (1). M. Defermon, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir. Ce procès-verbal est adopté. M. le comte de Toustain de liray demande à s’absenter pour affaires pendant trois semaines. M. le baron de Mcdonclielle fait une demande semblable pour douze ou quinze jours. Ces congés sont accordés. M. laongpré, membre du comité des finances, propose un projet de décret qui est adopté sans discussion, ainsi qu’il suit: L’Assemblée nationale, sur le rapport de son comité des finances, vu lu délibération prise (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. Longpré, membre du comité des finances , fait ensuite le rapport suivant sur les impositions pour 1790 : L’égalité proportionnelle dans la répartition de l’impôt a été le vœu vraiment national, et la base sur laquelle l’Assemblée a voulu que désormais toutes les contributions fussent assises, et c’est sur ce principe de justice que reposent tous les décrets qu’elle a portés sur cet important objet. L’inégalité frappante qui existait, soit dans la quotité de l’impôt, soit dans la manière de le répartir, a dû disparaître, et c’est pour remplir ces vues de justice que l’Assemblée a déjà quatre fois tracé des dispositions d’après lesquelles les commissions intermédiaires ont dû partager la masse de l’impôt, et les assesseurs le répartir dans chaque localité. Les décrets des 26 septembre, 29 novembre, 17 décembre et 27 janvier ont déterminé, d’une manière bien précise, et la proportion qui devait être observée, et le lieu où chaque répartition devait être faite. Cependant, Messieurs, il s’est élevé, et tous les jours il arrive à notre comité des finances de nouvelles réclamations de communautés qui se plaignent de ce que le décret par lequel il a été ordonné que le produit des impositions des ci-devant privilégiés serait réparti en moins imposé sur les provinces, loin d’apporter une diminution à la masse totale de leurs cotisations, les a portées à une augmentation sensible. Les unes exposent que les villes seules ont joui du bénéfice de cette diminution, et que les campagnes n’ont eu aucune part à cette faveur; les autres, habitués à payer dans le lieu où se fait la principale exploitation, n’entendent pas que leur cote soit divisée en autant de rôles qu’elles ont de possessions sur les communautés voisines. Il en est qui démontrent des erreurs commises dans l’observation des règles prescrites, et le préjudice qui en est résulté pour elles. Une grande quantité ont été arrêtées dans la confection de leurs rôles, jusqu’à ce que, sur la réponse du comité, elles aient pu se concilier sur les difficultés qu’elles ont prévues. Les commissions intermédiaires sont encore accusées d’avoir retardé l’envoi des départements, et les officiers d’élection d’avoir refusé de rendre les rôles exécutoires. De cette foule de réclamations, il est résulté, Messieurs, que malgré l’activité et la surveillance de M. le contrôleur général, qui, tous les huit jours, envoie à votre cotnité un relevé exact des rôles vérifiés et mis en recouvrement; de 24,907 municipalités qui composent les généralités du royaume, il n’y en a que 8,713 dans le moment qui aient achevé la répartition de leurs impôts. Cependant, Messieurs, le service de cette année ne peut se faire que par un prompt recouvrement des contributions. Le Trésor public appelle ce secours, et les charges de la nation sont 13,940