[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1191.] 404 ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. VERNIER. Séance du dimanche 4 septembre 1791 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture : 1° Du procès-verbal de la séance du jeudi l6f septembre q û est adopté ; 2° D’une lettre de M. Girardin , qui réclame le droit de c onserve.- dans ses propriétés les cendres de Jean-Jacques Rousseau , comme étant le dépositaire de ses dernières volontés. Cette lettre est ainsi conçue : « Messieurs, « J’apprends, par les papiers publics, qu’il a été présente à l’Assemblée nationale, au sujet de la translation des mânes de Jean-Jacques, une pétition. « Gomme dépositaire de ses dernières volontés, j’ai l’honneur de remettre, sous les yeux de l’Assemblée, les observations que je vais présenter à e t égard. Rousseau a demandé d’être inhumé à Armenonville près de l’ermitage, ou au désert. J’ai rempli religieuse nent ses intentions. C’est dans le sein de la nature iso ée des pervers, qu’un monument lui a été élevé par les soins de son ami. Les oi sèques o u été faites suivant les rites de son pays, en présence de plusieurs citoyens de Genève, il en a été dressé un acte civil déposé au gri ffe d’Armenonvide. « Dans ces circonstances, je crois quel’on ne peut, sans blesser la loi naturelle, la loi civile, la loi religieuse et le droit des gens, conireveuir aux vœux d’un homme et d’un étranger, relativement au vœu qu’il a marqué lui-même pour le repos de ses mânes. Sou génie appartient à l’univers ; c’est dans l’estime et le bien qu’il a fait que consiste sa gloire. Les hommes sensibles de bon sens conservent dans le ur cœur tout ce qui est immortel : ils ue s’occupent de leurs dépouilles mortelles qu’autant qu’ils y sont obligés, et qu’elles n’ont pas été placées conformément à leur destination. C’est ce que l’Assembiée nationale n’a pas fait ;.u sujet de Voltaire. Ce serait arracher ses mânes à la nature, à la clarté nés cieux, pour les ensevelir sous des voûtes ténébreuses dont l'aspect funèbie ne peut représenter que l’image de la mort, tandis que l’aspect des monuments des grands hommes ne doit inspirer que l’idée de la vie, de l’immortalité, du génie. « Je suis avec respect, etc., « Signé : GlRARDiN. » M. Regnaud (de Saint-Jean d’Angêly). Ce que l'Assemblée nationale a fait pour Voltaire et pour Mirabeau, elle est en droit de le faire pour Jean-Jacques Rousseau. Les grands hommes appartiennent à la patrie ; personne n’a le droit de retenir le dépôt précieux de leurs cendres, lorsque les repi ésentants de la nation leur ont décerné les honneurs publics. Mirabeau n’a-t-il pas été placé à Sainte-Geneviève, bien que son testament portât l’ordre de le déposer à Argenteuil? (Murmures.) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. Chabrond appuie la demande de M. Girardin. M. Boissy-d’Anglas. L’Assemblée nationale a renvoyé, il y a 8 jours, au comité de Constitution le mode à suivre pour rendre les honneurs funèbres à Jean-Jacques Rousseau. Je demande que la lettre de M. Girardin soit également ren voyée à ce comité pour le rapport de celte affaire nous être incessamment présenté. (L’Assemblée, consultée, ordonne le renvoi de la lettre de M. Girardin au comité de Constitution.) M. le Président fait donner lecture par un de MV1. les secréiaires d’une lettre de M. Duportail , ministre de la guerre , aiusi conçue : Paris, le 4 septembre 1791. « Monsieur le Président, « J’ai pensé que l’Assemblée nationale verrait avec satisfaction les preuves du patriotisme qui anime les citoyens de nos frontières. Je m’empresse de mettre sous ses yeux le compte qui en est ren tu par M. de Wittg nstein, lieutenant général, commandant la seconde division. Cet olticier général me mande que le dépariement de la Meuse a déjà rassemblé et réuni, sous l’autorité militaire, un bataillon de gardes nationales ; ce bataillon est en marche pour Montmédy. 11 y a lieu de présumer que successivement les autres bataillons vont être rassemblés, et que dans l’espace de 15 jours les département destinés à fournir, à la seconde et troisième division, les citoyens armés pour la défense des froniières, aurout terminé leur rassemblement. Le seul retard que les opérations relatives à ce rassemblement aient éprouvé a été produit par le respect et la soumission exacte des fonctionnaires publics aux décrets de l’Assemblée nationale, et à l’empressement honorable des citoyens à grossir Je nombre des défenseurs de la patrie. Presque partout il a été supérieur à celui que l’Assamblée nationale avait fixé, et les corps ad mimstraiifs, partagés entre le respect pour la loi et la reconnaissance que doit inspirer aux bons citoyens le zèle de ces hommes qui abandonnent leurs foyers pour la défense ne la patrie, n’ont pu se résoudre à les admettre, ni à les repousser. Ils attendent une décision qui leur fasse un devoir de la conduite qu’ils tii naront en cette circonstance. M. de Wittgenstein croit que ce serait tout accorder que d’augmenter de 2 à 3,0U0 hommes la conscription volontaire des 5 départements de la Meunhe, de la Moselle, de la Marne, de la Meuse et des Ardennes, eu établissant que la répartition en sera faite en proportion du nombre de ceux qui sont inscrits au delà de la quotité fixée par le décret. Il me soumet cette idée et souhaite à tous égards qu’elle soit adoptée. « Les administrateurs de ces départements, ceux de plusieurs autres encore m’ont également écrit pour demander à fournir un plus grand nombre debataillonsqueceux qui leur ontété fixés. « J’ai cru, Monsieur le Président, ne pouvoir pas hésiter à seconder 1e zèle avec lequel les citoyens de ces départements veulent se porter à lu défense de l’Etat. J'ai autorisé les directoires à accepter leurs services, pourvu cependant qu’ils puissent former des bataillons complets. Puisque c’est volontairement que les citoyens offrent ce tribut de zèle, je n’ai vu aucune raison de le rejeter, au moins jusqu’à ce que le nombre total des gardes nationales, décrété par l’Assemblée nationale, soit rempli. Comme il est à craindre 192 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1791.] que plusieurs départements de l’intérieur, trop éloignés des frontières, ne puissent former à temps leur contingent, il me semble trop heureux que l’ardeur des autres y supplée; j’ose donc espérer que l’Assemblée daignera approuver ce que j'ai fait. « J’observerai, cependant, que les départements de l’intérieur montreraient autant ne zèle que ceux des frontières, s’ils n’étaient arrêtés par le manque d’habillement; il est à craindre que si l’on ne vient de quelque manière à leur secours, leur bonne volonté reste sans effet. Je prie l’Assemblée de s’en occuper le plus tôt possible. Le bien public exige qu’il soit pris des mesures promptes, et s’il m’est permis de le dire, Monsieur le Président, mon intérêt personnel augmente encore mon impatience à cet égard. « Beaucoup de personnes, je le sais, ne trouvant pas que la levée des gardes nationales se fasse avec la célérité qu’elles désireraient, croient pouvoir m’accuser du retard que cette opération éprouvé; elles oublient que, d’après les décrets, je ne prends les gardes nationales qu’au moment où elles sont rassemblées, formées en bataillons, habillées, équipées, en un mot prêtes à marcher ; que toutes les opérations qui doivent précéder ne me regardent point, et que ce n’a été que par zèle que j’y ai pris quelque part par des avis, des instructions à ceux qui m’en ont demandés. « Aussi, Monsieur le Président, que toutes les mesures que je sollicite soient prises, que les gardes nationales soient pourvues de tout ce qu’il leur faut, et l’on verra que toutes les dispositions subséquentes, celles qui tiennent à mon administration, sont faites. La lettre de M. de Witt-gensiein en est une preuve : vous voyez, Monsieur le Président, qu’il ne me demande aucun ordre. « Je suis avec respect, etc. « Signé : Duportail. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre au comité militaire.) M. Chabroud, au nom du comité militaire. Vous venez d’entendre, Messieurs, les obstacles qui s’opposent à la marche des gardes nationales vers la destination qui leur est coniiée; cet obstacle est sans doute facile à faire cesser; le ministre de ia guerre vous informe des dispositions qu’il a prescrites à cet égard et qui probablement ne seront pas démenties par l’Assemblée. D’après les faits dont le comité militaire a pris connaissance, il paraît que le ministre de la guerre avait prévu, pour ainsi dire, les décrets que l’Assemblée nationale a rendus sur cet objet, car, à l’intant même de la publication de ces décrets, il a envoyé, dans les départements, des états et des plans de répartitions, des règlements provisoires pour Je mode du service de gardes nationales, et des lettres circulaires pour servir d'instructions , tant aux départements qu’aux gardes nationales et officiers généraux commandant les divisions. Un autre obstacle avait été déjà dénoncé à l’Assemblée; c’est le défaut d’équipement relativement à un certain nombre de citoyens-soldats qui se sont volontairement inscrits pour marcher vers les frontières. Cette difficulté, que vous avez renvoyée à votre cumité militaire, le ministre l’avait prévue, et votre comité me charge de confirmer les dispositions qu’il avait prescrites à cet égard aux corps administratifs. Le comité croit donc devoir rappeler à l’Assemblée et au peuple, qu’autant il faut être sévère envers les fonctionnaires publics qui négligent leur devoir, autant il est important pour la tranquillité publique, pour le maintien de la liberté et de la Constitution, qu’on se tienne en garde contre les soupçons injustes et contre les accusations trop légèrement intentées. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter : « L’Assemblée nationale, informée que plusieurs des gardes nationales volontaires, enrôlés pour la défense du royaume, n’ont pu fournir à la dépense de leur équipement, qui a retardé la marche des corps qui ont été formés à leur destination, décrète ce qui suit : * Les directoires de département pourvoiront, sans délai, à l’équipement de ceux des gardes nationales volontaires enrôlés qui n’ont pas eu les moyens d’y fournir, sauf la retenue de la dépense relative sur ia solde qui leur a été attribuée : en conséquence, les ministres sont autorisés à faire aux départements, sur leurs demandes les avances nécessaires. » M. Prieur. Plusieurs jeunes citoyens de Paris se proposent de former un corps de cavalerie nationale; ils sont en grande partie équipés et n’aitendent, pour s’organiser définitivement, que le décret que l’Assemblée doit rendre sur un rapport qui doit être fait par le comité militaire. Je demande que ce rapport soit fait au plus tôt. M. Chabroud, rapporteur. Le comité s’en occupe et fera son rapport incessamment. M. Amollit annonce que 2 bataillons de gardes nationales de son département sont sans armes, qu’il est allé avec ses collègues en demander au ministre de la guerre, afiu que les gardes nationales puissent se rendre à leur destination, mais que cette démarche n’a amené aucun résultat. M. JHuot de Concourt observe le même fait pour les gardes nationales de son département. M. Chabroud, rapporteur , répond que les accusations dirigées contre le ministre de la guerre ne sont pas fondées et que la lettre dont il vient d’être donné lecture y répond. Le décret proposé par le comité militaire suffit d’ailleurs pour écarter tous les bruits qui ne tendent qu’à affaiblir la confiance dont le pouvoir exécutif a besoin. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angèly). Il faudrait charger les départements de s’entendre avec le gouvernement pour ia fourniture des armes. M. d’André. Vous avez décrété qu’un corps de réserve de 20,000 hommes camperait dans l’intérieur du royaume ; vous avez même indiqué les points de rassemblement. Toutes les troupes de ligne étant en ce moment en garnison près des frontières, ce corps de réserve est infiniment important pour couvrir la capitale, dans le cas ou un passage serait forcé, ou pour se porter à ia partie des frontières qui serait attaquée. Or, de ceUe réserve, il n’y a en ce moment que les 1,800 hommes que le département de Paris a fournis. Je demande que l’Assemblée prenne les dispositions nécessaires pour que cette mesure obtienne incessamment son exécution.