[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] 601 diminution pour la masse générale. Gomment proposer de créer de nouveaux billets et les mettre en circulation dans un moment de crise où la crainte et la méfiance se sontemparées de tous les esprits ! Gomment donner à ces assignats un intérêt de 4 0/0 par le moyen des primes, tandis que la nature des biens qu’il représente ne rapporte rien, on très peu de chose, puisqu’ils consistent, pour la plus grande partie, en surfaces de terrains et en bâtiments dans la ville de Paris, qui ne se loueront pas et exigeront des réparations! Voilà donc une diminution sur les fonds jusqu’au moment de la vente; et il est certain que, par ce moyen, la dette augmentera etyous jettera dans de nouveaux embarras, puisque, indépendamment des pertes certaines que je viens de mettre sous vos yeux, la ville de Paris vous propose de faire un emprunt jusqu’à concurrence du tiers de la valeur de ces biens, ce qui serait évidemment une charge de plus pour la nation. J’avoue que ce nouveau mode présenté pour libérer l’Etat, ne me paraît pas admissible, et je crois qu’il aurait un effet contraire. En tout, ce projet est sujet à bien des chances; la série des articles est trop compliquée et son exécution confiée en trop de mains, pour ne pas craindre la diversité d’opinions. D’ailleurs, comment, avec le sage et patriotique progrès d’éteindre la dette publique, peut-on s’égarer au point de recourir à un emprunt, et faire supporter une rente à des assignats étayés sur des vrais hypothèques et sur la garantie de la nation Comment ne pas s’apercevoir que ce serait aggraver la dette de l’Etat, en lui faisant payer l'intérêt de l’intérêt, puisqu’une partie de la dette consiste dans des rentes dues ou arriérées? Méfions-nous, Messieurs, de ces élans de patriotisme que nous ressentons tous et qui nous font saisir avec vivacité les lueurs du bien public qu’on nous fait entrevoir dans le lointain. Je crois devoir vous communiquer un autre plan : je rie prétends pas m’en faire un mérite; il n’est ni nouveau, ni compliqué; le bon sens seul suffit pour l’apprécier : je voudrais donc, puisqu’il s'agit de libérer l’Eiat, que l’on ne s’arrêtât pas à de si petits moyens, et que l’on donnât plus de latitude à cette ressource immense qui est dans vos mains; je voudrais que l’on créât d’abord pour six cents millions d’assignats sur les biens du domaine et du clergé, en sus des quatre cents millions que vous avez déjà décrétés, de manière que la totalité se montât à un milliard, lesquels assignats ne porteraient point intérêt, et ne seraient point mis en circulation forcée, mais avec lesquels on rembourserait, sur-le-champ, les anticipations et les dettes portant les gros intérêts : par ce moyen le Trésor public se trouverait soulagé, dès ce moment et à jamais, de soixante millions à payer de moins. Cette opération exige en même temps que vous déclariez irréfragablement que ces seuls assignats seront reçus en paiement des biens mis en vente, et que même l’argent comptant n’y sera pas admis: il faudra ordonner etan-noncer que ces assignats seront brûlés aussitôt qu’ils rentreront, et prendre pour cela les précautions les plus sûres. Mais les capitalistes, sur quiseuls cette opération frappera, diront : Vous avez mis notre créance sous ta loyauté et la garantie de la nation ; vous nous donnez des assignats dont nous ne pouvons pas faire d’autre usage que pour acheter des biens du domaine et du clergé ; nous ne sommes pas dans l’intention d’en acheter; vous manquez à votre parole ; je leur répondrai : non, je ne prétends pas forcer votre intention, la mienne est de remplir sévèrement mes engagements. Je vous ai promis la garantie de votre créance, je vous donne dèsce moment une hypothèque assurée; vos assi-gnatsontseuls ledroit de représenter le prix de ces biens, et s’ils ne sont pas à votre convenance, il est incontestable que ceux qui seront dans l’intention d’en acheter, seront forcés de prendre vos assignats puisqu’ils n’auront pas d’autres moyens de payer; dès lors, vos assignats ne sont plus des effets fictifs, ils deviennent les signes représentatifs de la valeur deces biens, ils ont une véritable valeur, et je tiens ma parole. Mais, me diront-ils encore, vous nous donnez en paiement des assignats qui ue portent point intérêt ; je leur répondrai : que de sages législateurs doivent se conduire d’après les principes de la saine morale; et que, sous ce point de vue, ce qui est l’effet représentatif de l’argent ne doit pas porter intérêt. Je les inviterai, d’ailleurs, d’oublierun moment qu’ils sont capitalistes et de s’honorer de leur titre de citoyen, ce sera ma dernière réponse, et je ne crains pas qu’ils cherchent à la combattre . Je crois maintenant devoir répondre aux objections de ceux qui répète sans cesse qu’on ne trouvera point d’acquéreurs ; que la crainte du peu de solidité de ces ventes agitera tous les esprits, et que, d’ailleurs, la multiplicité de ces biens mis en vente forcera de les abandonner à un vil prix. Je répondrai d’abord, que la crainte de ne pas trouver d’acquéreurs se détruit par le motif d’intérêt qui doit nécessairement animer les porteurs d’assignats pour ne pas laisser leurs fonds dans une stagnation funeste ; et de plus, il est incontestable que cette opération sera un moyen sûr de porter la vente de ces biens à leur juste valeur. On me dira encore: vous diminuez la masse des biens du clergé, qui seul était le gage des frais du culte, de l’entretien de ses ministres et du soulagement des pauvres ; dès lors, plus d’hypothèque assurée: je répondrai qu’un bon père de famillequia beaucoup d’enfants et qui setrouvesurchargé ne dettes doit, en sage économe, commencer par se libérer, voiren grand et mettre de l’ordre dans ses affaires ; sans quoi toute sa fortune est en péril. Les biens du clergé sont à la disposition delà nation ; ses ministres, ainsi que les pauvres, en qualité de citoyens, sont les enfants de l’Etat ; il faut donc suivre la même marche. Etcomment ne pas concevoir qu’une grande famille diminuant la masse de ses dettes, tous les membres qui la composent acquièrent une certitude sur la portion qui leur revient 1 Si mon patriotisme m’a égaré, le motif mérite de l’indulgence. Je soumets mes idées à l’Assemblée. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, considérant la nécessité indispensable et urgente de mettre de l’ordre dans les finances, a cru devoir employer les moyens les plus sages et les plus prompts pour diminuer le fardeau de la dette de l’Etat qui pèse sur le peuple, et lui enlève une partie de son nécessaire pour fournir aux intérêtsde cette somme; en conséquence, elle a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Il sera vendu par les municipalités, sous la direction des départements, pour 600 millions des biens du domaine et du clergé, en sus des 400 millions déjà décrétés, de manière que la 002 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] totalité delà vente seporteàla somme d’un milliard. « Art. 2. La partie des biens qui se trouve maintenant aux économats, ainsi que celle des maisons et abbayes supprimées par le nouvel ordre de choses, formeront d’abord le premier objet de la vente, et les départements désigneront les autres biens qu’il sera nécessaire d’y joindre pour compléter ladite somme. « Art. 3. Il sera créé des assignats hypothéqués sur ces biens, jusqu’à la concurrence d’un million. Ces assignats ne pourront être au-dessous de 1,000 livres; et, pour ne pas trop les multiplier, on pourra en faire delQ,000 livres etau-dessous. « Art. 4. Ces assignats, à commencer du 1er mai 1790, seront délivrés eu paiement et liquidation de toutes les anticipations et de toutes les dettes portant les plus gros intérêts. « Art. 5. Il sera nommé dans le comité des finances huit commissaires pour désigner les effets les plus onéreux, s’assurer du complément de la somme et veiller à l’exécution de la confection et de la distribution des assignats. « Art. 6. Ces assignats seront le signe représentatif des biens du domaine et du clergé. Il seront seuls reçus en paiements. L’argent comptant même n’y sera pas admis. « Art, 7. Ces assignats ne porteront point d’intérêt, et ne pourront pas être mis en circulation forcée. « Art. 8. Aussitôt la vente faite, les municipalités feront brûler devant elles ces assignats, et les départements s’assureront de l’exacte exécution. Les municipalités ne pourront consommer la vente sans l’autorisation des départements, qui vérifieront si ces biens ne sont pas donnés au-dessous de leur valeur, auquel cas ils arrêteraient la vente. « Art. 9. Les départements jugeront des cas où il serait plus avantageux de morceler les biens, et les vendre en détail pour en tirer un meilleur parti. «Art. 10. Il sera dressé parles municipalités un compte exact des biens vendus et du moulant des assignats brûlés, lequel sera remis aux départements pour en tenir état, et le faire parvenir tout de suite à l’Assemblée nationale. » M. Martineau. Je ferai remarquer à l’Assemblée qu’il y a connexité entre le projet de décret proposé par M. de La Rochefoucauld, au nom du comité des douze, et les rapports que le comité des finances et le comité des dîmes vont nous présenter ; en conséquence, je demande que, préa-iablement à toute délibération, nous entendions d’abord le rapport sur les assignats, ensuite le rapport sur la dîme. M. Fréteau. J’appuie la motion de M. Martineau et je pense que l'Assemblée voudra voir clair en cette affaire avant de se décider. Gela est d’autant plus nécessaire que la caisse d’escompte a des plaintes à formuler contre les assignats. M. le duc de La Rochefoucauld. J’ai vu des administrateurs de la Caisse d’escompte qui ne m’ont lait aucune plainte sur l’émission prochaine des assignats, et je ne crois pas qu’il y ait lieu d’attendre d’autres rapports pour prononcer sur le projet de décret qui vous est soumis par votre comité d’aliénation. M. de Bouthillier. Le retard qu’entraînerait l’adoption do la motion de M. Martineau ne serait pas long et il y aurait grand avantage à connaître les trois projets afin d’en apprécier l’économie et la concordance, M. Boutteville-Dumet*. Si nous différons de prononcer sur le projet de décret du comité des douze, nous empêchons l’exécution du décret qui ordonne la vente de 400,000,000 de biens ecclésiastiques. Je propose de délibérer sur-le-champ. M. de Castellane. J’observe que le décret proposé par le coinilé des douze n’a d’autre objet que de faire assurer par la municipalité de Paris la perception prochaine d’une somme de 70,000,000 qui seront fournis, sans attendre les ventes qui seront faites dans la suite et qu’il serait dangereux de précipiter. (Ou demande une nouvelle lecture du projet de décret.) M. le Président, après cette lecture, consulte l’Assemblée et le décret est rendu ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il est important d’assurer le paiement à époques fixes, des obligations municipales qui doivent être un des gages des assignats, décrète : « Que toutes les municipalités qui voudront, en vertu des précédents décrets, acquérir des biens domaniaux et ecclésiasiiques, devront, préalablement au traité de vente, soumettre au comité chargé par l’Assemblée de l’aliénation de ces biens, les moyens qu’elles auront pour garantir l’acquittement de leurs obligations aux termes qui seront convenus. « Bu conséquence, que la commune de Paris sera tenue de fournir une soumission de capitalistes solvables et accrédités qui s’engageront à faire les fonds dont elle aurait besoin pour acquitter ses premières obligations, jusqu à concurrence de 70 millions, et qu’elJe est autorisée à traiter des conditions de cette soumission, à la charge d’obtenir l’approbation de l’Assemblée nationale. » M. Anson, au nom du comité des finances, fait le rapport suivant sur les assignats-monnaie (1). Par votre décret du 26 février dernier, vous avez demandé au premier ministre des finances l'état des besoins de l’année présente, et des moyens d’y pourvoir. Le premier ministre des finances s’est conformé à ce décret; il vous a adressé un mémoire très détaillé, qui vous a été lu le 6 du mois dernier; il présente le tableau de la situation des revenus en 1790, et des ressources que le ministre vous propose pour suppléer à leur déficit. Votre comité des finances, chargé de l’examen de ce mémoire, vous en a rendu compte le 12; et après vous avoir exposé ses vues, uu peu différentes de celles du premier ministre des finances, il vous a soumis un projet de décret. Quelques articles de ce projet avaient rapport aux assignats sur les biens domaniaux et ecclésiastiques, ainsi qu’à la vente de ces biens. Votre décret postérieur du 17 ayant décidé que cette vente serait faite aux municipalités du royaume, et celle de Paris ayant présenté un plan qui avait paru mériter votre attention, il était naturel (1) Le rapport de M. Anson est incomplet au Moniteur.