786 l Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il msi 1191. essayé les pertes, et l’autre par les électeurs du canton. Si le district doit concourir à réparer Jesdites pertes, alors le cauton et le district nommeront les experts dans le district le plus voisin. Si le département doit concourir avec le district à réparer la perte, alors les experts seront nommés par le district et le département, et choisis dans le département le plus voisin. Si la nation doit concourir, alors les deux départements les plus voisins nommeront seuls les experts. Cette précaution et la proportion dans laquelle le canton, les districts ou les départements contribueront à l’indemnité et aux secours à fournir, donneront à l’administration nationale ou à la législature autant de confiance et de certitude qu’il est possible d’en avoir, et de s’en procurer sur les faits, sauf au Corps législatif à les faire vérifier de nouveau par telles personnes qu’il jugera à propos de commettre. Les questions résolues, voici le projet de décret propose : « Art. 1". Les départements pourront seuls, solliciter du Corps législatif des secours sur les fonds communs, et mis en réserve par la nation. « Art. 2. Il ne pourra être pris aucune somme sur les fonds communs sans avoir satisfait aux décharges, réductions, remises, modérations auxquelles ils sont principalement destinés. « Art. 3. Les Corps législatifs ne pourront accorder ces secours que dans les cas extraordinaires de grêle, gelée, incendies, inondations, maladies épizootiques ou autres fléaux, et seulement lors-ue la perte qui en résultera sera telle, que le épartement ne puisse accorder un soulagement convenable sur ses propres fonds, ou lorsque ces mêmes fonds auront déjà été destinés à d’autres objets importants. « Art. 4. Le département ne pourra obtenir du Corps législatif un supplément de secours qu’en faisant des soumissions d’y contribuer pour un vingt-quatrième; et dans ce cas, la législature contribuera pour 2 ou 3 autres vingt-quatrièmes, suivant les circonstances, d’après les estimations dont sera parlé ci-après. « Art. 5. Si les lléaux n’ont frappé qu’un seul ou plusieurs districts d’un même département, alors le vingt-quatrième à fournir par le département sera pris sur tous les autres districts qui n’auront essuyé aucunes pertes. « Art. 6. Dans les cas où les accidents ne seraient pas de nature à intéresser la nation, alors les secours seront fournis par les communes, cantons, districts, départements, en proportion de la nature et du montant des pertes, et toujours d’après une soumission de la part de ceux qui solliciteront les secours de contribuer pour un vingt-quatrième aux indemnités ou soulagements a réclamer. « Art. 7. Lorsque l’indemnité ne sera prise que sur les communes, sur les cantons ou districts, et qu’il ne s’y.trouvera pas des deniers libres, les départements auront dans ces cas la faculté d'accorder auxdites communes, cantons ou districts, l’autorisation à l’effet d’imposer une somme additionnelle proportionnée au vingt-quatrième de la perte, d’après l’estimation qui en aura été faite. « Art. 8. L’estimation, s’il ne s'agit que d’un accident particulier subi par quelques citoyens, se ra faite entre les commissaires de la commune et ceux qui ont essuyé les perles. « Art. 9. Si le soulagement doit être en partie supporté par le canton, l’estimation sera faite concurremment avec deux électeurs du canton (dans l’ordre de leur nomination, autant que faire se pourra) et les commissaires de la commune où l’accident sera survenu. « Si le district doit y concourir pour quelque somme, cette estimation sera faite conjointement entre les commissaires du conseil général de la commune du chef-lien du canton et le district. « Si le département doit contribuer à l’indemnité, l’estimation sera faite entre les commissaires du district et ceux du département. « Si la nation doit concourir à cette indemnité, l’estimation sera faite entre les commissaires du département et ceux des deux départements voisins. » (L’Assemblée ordonne l’impression du rapport de M. Vernier et du projet de décret.) M. Martineau. J’ai l’honneur de dénoncer à la vigilance du comité des impositions les manœuvres employées par des ennemis du bien public qui se répandent dans les campagnes et s’efforcent de détourner leurs habitants de faire des déclarations justes sur la valeur de leurs biens. Je demande également que le même comité s’occupe incessamment de ce qui regarde la caisse de Poissy et en rende compte à l’Assemblée. M-d’AI larde, au nom du comité des contributions publiques. Messieurs, votre comité vous a exposé le 20 avril dernier la situation de la ville de Dunkerque, de ses hôpitaux, de la nécessité de pourvoir à ses besoins; il vous proposait alors que la caisse du pilotage verserait en la caisse de la commune de cette ville une somme de 50,000 livres à la charge de la rétablir à une époque fixe ; vous avez ajourné le décret jusqu’à ce que vous connussiez l’avis du département (1). C’est avec cet avis, avec celui du district et même avec le consentement de l’administration du pilotage que je viens vous représenter le projet de décret dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète : Art. 1". *« Que dans le délai de 3 jours, à compter de la notification du présent decret, l’administration du pilotage de Dunkerque fera verser dans la caisse de la municipalité de cette ville, une somme de 50,000 livres, faisant partie de celle qui existe dans la caisse du pilotage. Art. 2. « Le conseil général de la commune remettra à l’administration du pilotage une obligation de pareille somme, payable au 1er janvier 1793, sans intérêt; et les fonds nécessaires à ce remboursement, seront prélevés sur ceux que la ville de Dunkerque sera autorisée à imposer suivant le mode, et dans la forme qui sera décrétée par l’Assemblée nationale, pour subvenir aux dépenses particulières des villes. • (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est la discussion du projet de décret des comités de Constitution, de lamarine, d'agriculture et de commerce , et des colonies , réunis sur l'initiative à accorder aux assemblées coloniales dans la formation des lois qui doivent régir (1) Voy. ct-deisas, séance du 30 avril 1191, p. 313. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 mai 1791.) les colonies et sur l'état civil des gens de couleur( 1). M. l’abbé Grégoire (2). 11 est donc enfin ermis, Messieurs, aux défenseurs des citoyens e couleur d’élever la voix dacs cette assemblée. Il leur est donc enlin permis de démontrer que le salut des colonies tient à la justice qu’ils réclament; que les troubles des colonies viennent des injustices dont ils sont victimes; du mépris de vos décrets et des fausses mesures qu’on a prises; que les troubles ne peuvent disparaître; que la tranquillité ne peut renaître qu’eu s’écartant de la fausse route dans laquelle le comité des colonies à continué à persister. Ces dispositions, manifestées par l’Assemblée nationale dans la séance du 8 mai, m’ont convaincu que l’opinion publique était écUdrcie, que les esprits se soulevaient en pensant au système d'oppression sous lequel on veut faire gémir pendant des siècles les infortunés mulâtres. Oui, Messieurs, la sainte indignation de l’Assemblée m’est un garant que jamais elle ne consacreraun décret aussi scandaleux que celui qui vous a été proposé. Ce décret déshonorerait la France, l’Assemblée nationale, et nous aliénerait la classe la plus précieuse de la colonie. Il dépouillerait la Franee et l’Assemblée nationale de leur suprématie sur les colonies; il les déshonorerait en leur faisant sacrifier une classe u’iiommes libres à la cupidité de quelques individus, et dépouiller cette classe du droit inaliénable de l’homme, celui de n’obéir qu’à des lois auxquelles il a concouru par ses représentants. Enfin il allumerait une guerre éternelle dans les colonies en même temps qu’il les séparerait de la métropole. Telles seraient les fatales conséquences du projet de décret si �ous l’adoptiez. Les nombreux écrits répandus par la société qui s’est dévouée à la défense de ces infortunés, ont dù vous convaincre de tous les inconvénients que renferme le projet qui vous est présenté par votre comité. On la calomnie bien celte société; mais on ne lui répond pas. Ses succès la vengent des ténébreuses manœuvres d’hommes qui suppléent aux talents par l’intrigue, et aux moyens par des injures. Les profonds raisonnements développés daus la dernière adresse, ont fait une impression si vive sur tous les esprits, qu’elie a ramené des hommes, des sociétés, et même des villes qui s’étaient montrées les plus acharnées contre elle et contre ces gens de couleur, telles que celles de Lorient, d’Angers, de Vannes, de Goutances, de Bordeaux, et bieu d’autres. M. Malrac. Dites des sociétés particulières, et non pas la ville. Le commerce de Bordeaux n’est point de cet avis-là, et quaud vous en voudrez la preuve... (Murmures.) M. l’abbé Grégoire. Messieurs, j’ai parlé de ces sociétés éclairées et respectables qui se sont vouées à la défense de la liberté, j’entends parler de celles d* s amis de la Constitution. J’ai cité celles de Bordeaux, de Lorient, de Vannes, de Coutances, et je vous en citerai vingt autres dont j’ai les adresses à la main. Elles expriment hautement leur adhésion aux principes développés daus la dernière anresse, et s’uuignent de (1) Yoy. ci-dessus, séance du 7 mai 1791, p. 630> et suiv., le rapport de M. Delattre et le projet de decret des comités sur cet objet. Le discours de M. l'abbé Grégoire n’a pas été insère au Moniteur . !*• Série. T. XXV. 737 ce que l’on ose encore hésiter à mettre les gens de couleur au rang des citoyens actifs. Par quelle fatalité arrive-t-il qu’aucune de ces adresses n’ait été mentionnée nominativement dans le rapport qui vous a été fait, tandis que l’on nous a fastueusement énuméré celles de quelques villes qui n’ont fuit que copier l’indécente circulaire i.es députés au nord de Saint-Domingue? Par quelle fatalité M. le rapporteur a-t-il gardé le silence sur la volumineuse adresse de la société des amis des noirs, qui a été officiellement envoyée à M. le Président, qui a été distribuée abondamment dans cette Assemblée, et communiquée au comité colonial? Ce silence n’amena-t-il pas et l’impuissance de répondre et une partialité coupable? Car enfin un membre chargé de faire un rapport à cette Assemblée, peut-il taire lesarguinenis elles plaintes de ceux sur lesquels il est appelé à éclairer ses collègues? Ce n’est pas, Messieurs, le seul reproche qu’ou ait à faire au lapporl qui vous a été présenté. Il vous déguisé la cause des troubles qui déchirent actuellement les colonies. Ou ne cessait de crier, de répéter autrefois que b s écrits des amis des nuirs avaient seuls allumé les dissensions. Cette assertion, d’abord accueillie par la crédulité, a été tellement pulvérisée, qu’on n’o:e plus guère la reproduire, de peur de s’exposer aux éclats de l’indignation. Le rapporteur ne vous a pas dit les causes du mal ; j’aurai plus de franchise, et je vous les dirai. Il e.-t nécessaire de les développer avant de passer à l’examen du projet de décret qui vous est proposé, et de celui que nous proposons d’y substituer. La cause des troubles a u’abord été développée par cette lettre incendiaire des députés des colonies, écrite le 12 août 1789, dans laquelle ils insultaient à notre enthousiasme pour la liberté, où ils se. liaient des alarmes, où ils effarouchaient les imaginations sur des vaisseaux anglais qui sont toujours eo staiion dans les parages, sur des émissaires et des milliers de fusils qu'ils accusaient les amis des noirs d’envoyer, taudis que ces émissaires et ces fusils étaient d’horribles suppositions. Dans cette lettre, on excitait les défiances des noirs contre les gens de couleur, et surtout contre ceux qui devaient arriver d’Europe. Elle parait n'avoir été dictée que par le projet de croiser les ordres donnés parM. de. La Luzerne, de traiter les hommes dérouleur libres comme des citoyens actifs, comme des citoyens libres. Ces ordres si humains, si constitutionnels, sont restés sans effet. Ils ont même donné naissance à cette fâcheuse dénonciation contre lui que la haine a été forcée d'abandonner. Cette 1. ttre, si propre à jeter le trouble dans les colonies, a été suivie d’une foule d’autres. Le 4 feu s’est allumé aussitôt que les copias ont été ‘ distribuées. Alors ont commencé de toutes parts les inquisitions, les persécutions de toute espèce, tt une espèce de conspiration universelle contre les hommes de couleur alors on les a reietés avec mépris des assemblées primai! es, on les a dé.-armés, on a coupé la tête d’un blanc, d’un juge rtspeclable qui s’était montré leur défenseur, M. Ferraud de Baudière; alors de petits b aucs, hommes sans lois et sans mœurs, ont envahi à main armée les propriétés des hommes de couleur les plus riches, les ont pillées ; ont assassiné M. de La Pâlie; ont menacé une foule d’autres infortunés ; et ces vols, ces massacres, oü les justifiera sans doute, en citant cette fameuse phrase delà lettre du 12 août 1789 : «Mé-47 738 [U mai 1791.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Assemblée nationale.] fiez-vous des gens de couleur, et surtout de ceux qui arrivent de l'Europe. » L’éiineeUe qui avait allumé l’incendie à Saint-Domingue, l’a de même allumé à la Martini que ; mais l’explosion contre les gens de couleur y a été bien plus violente, bien plus funeste. Ils ont été victimes d’une conspiration qu’on a cherché à justifier par les accusations les plus absurdes. llue foule ü’bomraes de couleur a péri dans la conspiration des petits blancs contre eux, conspirateurs que Je gouverneur de celte île a voulu inutilement arrêter pour lis faire punir: scs efforts n’ont été récompensés que par des calomnies. Voilà, Messieurs, n’en doutez pas, voilà la première cause des troubles funeste s de< colonies et qu’on ne cesse d’atirib :er aux amis des noirs. Ceux-ci, à cette époque du 12 août 1789, n’avaient écrit qu’une lettre très courte aux bailliages sur l'abolition de la traite, et où il n’était pas question des mulâtres. Celte lettre est finalement inconnue aux colonies; et si elle y avait été connue, elle aurait alarmé autant les mulâtres, maîtres des noirs, que les blancs ; dans le système de nos adversaires, elle n’aurait pu soulever que les noirs. Or, on sait qu’il n’v a pas eu parmi eux un seul mouvement, une seule sédition, que les troubles se sont circonscrits d'abord entre les blancs et les mulâtres, et ensuite entre les blancs eux-mêmes. La seconde cause des troubles des colonies se trouve dans la fausse marche qu’on vous a fait suivre, par le decret du 8 mars. Je veux croire que M. le rapporteur, étranger jusqu’alors aux affaires des colonies, nous a innocemment trompé, et a été trompé lui-même; mais j’aurais désiré le voir, depuis que les yeux se sont dessillés, ne pas persévérer dans un système qui n’est qu’un tissu de violations de principes et de mesures fausses. Ce rapporteur n’avait pas vu sans doute que lorsqu’une colonie est divisée en deux clasi-es d’hommes, dont l’une est opprimée par l'autie et sent vivement son oppn ssion, il est impossible de prolonger longtemps cet é'at de convulsion. Il n’avait pas vu que violer les principes do la métropole pour forcer en smi nom Iadas-e opprimée à rester sous le joug, était une mesure qui ne pouvait avoir d’autre durée qui* celle le Terreur et de l’ignorance sur le véritable état des choses ; il n’avait pas vu que sous un régime libre, le préjugé qui tient une classe d'hommes asservie, établit aussi un contraste dangereux dans le corps politique, ne peut exister longtemps sans être attaqué par la foule d»-s pat-iotes éclairés, occupés sans a ss * à épier, à découvrir, à démasquer tous les abus; il n’avait pas vu que les hommes s’opiniâtreraient à combattre en raison îles obstacles qu’on leur opposait; que du combat sortirait une vive lumière ; que cette lumière éclairerait les législateurs qui ne peuvent vouloir l’oppression de leurs frères, lorsqu’elle leur est démontrée ; et ne pouvant vouloir cette oppression, qu’ils viendraient à renverser le préjugé qui écrase les mulâtres, et à détruire cet échafaudage ridicule dont on avait essayé de l’étayer; il n’avait pas vu cette série de principes et de conséquences si facile à saisir, à calculer; ou il vous aurait conseillé de faire ce que dès lors vos principes et la justice vous commandaient, ce que votre intérêt vous ordonne aujourd’hui, sous peine de perdre peut-être vos colonies; il vous anrait dit : les citoyens de couleur, libres, propriétaires, contribuables, comme les blancs, doivent être comme eux citoyens actifs. Il faut que voua vous expliqui z formelleme t, parce que si votre décision n'ist pas formelle, le-blancs dont nous c mnaisso is l’esprit, i-i'erpréteraicnt autrement votre décret, le omt-steraient et ne là résulteraient de nouveaux trouhl s, de nouvelles divisions. de nouvelles guéri e<. Telle était la marche simple que la justice, le bon sens et la politique réclamaient; et si dès lors un pareil décret eût éié appuyé par beaucoup de troupes, bien pénétrées de l’e-prit de la Révolution, n'en douiez pas, Messieurs, la tranquillité régnerait aujourd'hui dans vos colonies. A cette marche simple on a substitué la fines-e, on a substitué des équivoques, parce qu'on a voulu ménager tous les partis. Que Ton ne s’y trompe pas, cette politique étroite n’a qu’un” succès momentané; et à la fin les turpitudes se révèh-nt, et c ux-là mêm-s qui veulent suivre cetie marche oblique et odieuse sont démasqués et découverts. On dirait aux m i Jàtres : < Vous êtes compris sous la dénomination de toutes personnes », et je me rappelle très bien que dans cette tribune, quand j’insistais pour que les gens de couleur fussent désignés nominativement dans l’article 4, M. Barnave que j’in-terj elle lui-même, et M. Charles de Lameth, et une foule d’autres s’empressèrent de crier qu’ils y étaient compris, qu’il désignait tous ceux qui étaient propriétaires. M. Payen. Ils n’étaient pas exceptés. M. l'abbé Grégoire. C’est que le terme, étant universel, enveloppait toute espèce de propriétaires qui se trouvaient dans les colonies, et par là môme les gens de couleur y étaient compris. On disait donc aux gens de couleur : « Vous êtes compris dans ces mots toutes personnes », et on disait aux blancs : « L’Assemblée nationale ne désigne pas les gens de couleur, vous pourrez argumenter de ce silence. — L’Assemblée nationale est maîtresse de ne pas parler ; mais si elle parle, elle tiendra le langage franc et loyal qui lui convient. » Uu’est-il résulté de celte double marche? Rien autre chose que les querelles et les ressentiments des deux partis, des trames, des oppresseurs se coalisant avec le pouvoir exécutif, au moyen duquel on continue d’opprimer, de tenir sous le joug les gens de couleur, de les empêcher de s’assembler, d’intercepter leurs lettres, d'etoulTer leurs plaintes, d’effrayer par des me-n ces, des supplices même, ceux qui pourraient réclamer. Les blancs ont bien senti que cet état de choses ne pouvait pas avoir une longue durée et que les principes triompheraient tôt ou tard, que les mulâtres tôt ou tard seraient réintégrés dans leurs droits. Il fallait parer à ceci; on a l. vé l’étendard de Tindcpendance ; on a témoigné l’intention de ne plus reconnaître la suprématie de l’Assemblée nationale, de n’admettre que celle du roi, parce u'ou espérait s’en jouer. Les blancs voyaient ans ce système l'assujettissement éternel des mulâtres; ils voyaient encore une autre marche, qui vous donnera” peut-être la règle de la conduite de l'assemblée de Saint-Marc, et que voici : Beaucoup de colons so it écrasés de dettes, et pour fournir à leurs dépenses, ils sont forcés d'écraser leurs noirs de travaux, de les recruter sar d’autres malheureux que les commerçants eur vendent au plus haut prix. Si on forçait aujourd’hui les colons à s’acquitter avec la métro- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il mai 1791.) 739 pôle, ils seraient obligés d’abandonner leurs propriélés. Il e.-t naturel alors à ces débiteurs de chercher, sinon à se débarrasser de leurs créanciers, au moins à leur faire la loi ; et tel a été le but secret qui a dirigé la fameuse assemblée de Saint-Marc. Vous devez sentir qu’une pareille marche et une pareille conduite devaient trouver beaucoup d’approbateurs parmi les planteurs et effrayer tout le commerce des colonies. l)’un autre côté, elle a nécessairement irrité les mulâtres, qui démêlaient les secrels de leurs ennemis, et qui d’ailleurs, attachés à la France, ne voulant exister que sous ses lois, s’indignaient de cette révolte. Entre ces deux germes de division, un troisième s’est manifesté. Plusieurs pouvoirs nouveaux existaient dans Pile, et il est naturel dans cet état de se heurter contre des prétentions osées. ‘Assemblée de Saint-Marc prétendait à la suprématie sur toutes les autres. Elle lui a été disputée par l’Assemblée provinciale du Nord qui, profitant des fautes et de l’intempérance de sa rivale, a cherché à la renverser et à élever son autorité sur ses débris. Elle a désapprouvé formellement le système d’indépendance que celle-ci affectait, et cependant en le désaprouvant elle paraissait en quelque façon avoir les mêmes vues. Avec habileté, elle s’est jointe au pouvoir exécutif; et par ce concert s’est effectuée l’expulsion de l’Assemblée de Saint-Marc. Vous devez bien penser que de là est résulié dans la colonie une source de divisons et de haines implacables, liâmes qui se sont encore exaspérées. Que vous a-t-on proposé pour calmer ces troubles? Rien. On a cherché seulement a en éclairer les sources avec Je ilambeau de la vérité; mais au lieu de punir franchement les coupables, on a puni les uns et donné des couronnes aux autres; en un mot, au lieu de topiques vigoureux, on n’a appliqué que de faibles palliatifs. On a voulu seulement en étouffer l’éclat à Pans ; on s’est peu inquiété des intérêts del’ile. Qu’est-il résulté de ce système de ménagements et de faiblesses? Aucun parti n’a été content; la violence et les troubles se sont accrus. Si vous voulez suivre les dispositions de ce décret, vous verrez que l’Assemblée nationale de Saint-Marc a été en quelque façon sacrifiée aux terreurs du commerce français, révolté avec raison du système d’indépendance des colonies, que les couronnes, prodiguées à l’assemblée provinciale du Nord, ont été distribuées sans doute dans l’espérance de faire un parti pour contrebalancer l’autorité de l’Assemblée de Saint-Marc; qu’on a sacrilié dans le fameux considérant du décret du 8 mars, les hommes de couleur à tous les partis; que par là on espérait s’attacher plus fortement le parti du Nord et se réunir à celui du Midi; que ce considérant est comme une pierre d’attente pour établir sur cette initiative absolue la facilité que cherchaient les planteurs de faire la loi à leurs créanciers. Vous verrez e ifin que ce décret n’est qu’un tissu de petits ménagements. Les auteurs ont été et devaient être déjoués dans leurs ruses comme dans celui du 8 mars. Les troubles ne continuaient pas moins malgré les fausses mesures si péniblement compliquées. Des nouvelles arrivées de la Martini |Ue amènent un nouveau décret, une autre maiche. L’état de cette île ne ressemblait point à celui de Saint-Domingue : l’assemblée coloniale s’était réunie au général et aux hommes de couleur armés. Il était conçu dans un esprit différent des précédents décrets. On accordait aux colonies la faculté de faire les plans de leur constitution ; et dans celui du 29 novembre, M. le rapporteur déclare que les colonies n’ont pas assez de lumières pour se diriger elle-mêraes, pour rédiger ce plan ; le décret leur ôté cette faculté. Il suspend l’assemblée coloniale, remet le gouvernement de l’ile entre les mains des commissaires, et rappelle ud général qui rendait de3 services importants à la chose publique. Que penser d'une pareille marche qui parcourt, en si peu de temps, les extrêmes, qui vous disent de renverser en novembre ce qu’ils ont édifié en octobre, qui détruisent des instructions par des instructions, qui tantôt proposent de laisser aux colonies l’initiative, et tantôt leur ôtent ce droit? n’est-ce pas se jouer des décrets et compromettre la dignité de cette assemblée, que de lui faire sanctionner des volontés aussi versatiles, et des résolutions aussi contradictoires? Telles étaient les réflexions que je me proposais de vous faire lors du décret du 29 novembre. Mais malgré ma persévérance, il ne fut impossible d’obtenir la parole; l’événement a justifié mes craintes. C’est ici que je sollicite votre attention. J’ai à vous peindre les événements qui ont depuis augmenté les calamités des colonies. La première réflexion qui se présente à l’esprit, en discutant le rapport qui est soumis à notre délibération, c’est que, jusqu’à ce moment, toutes les mesures prises par votre comité des colonies pour ramener la tranquillité, n’ont fait au contraire que propager et augmenter les troubles et les malheurs que votre sagesse eut prévus si la discussion s’était engagée. Le décret du 8 mars, et les instructions du 28 qui l’ont accompagné, devaient porter le calme dans ces colonies ; et sur l’assurance qu’on vous en donnait, on est parvenu à étouffer la voix des membres de cette Assemblée, qui avaient la connaissance la plus intime des effets désastreux qu’elles devaient produire. Et effectivement la colonie a été en feu et plusieurs fois à deux doigts de sa perte. On a eu l’imprudence de déployer, aux yeux des esclaves, l’appareil terrible avec lequel ôn brise les chaînes et avec lequel on conquerra la liberté. Après un exemple aussi funeste qui pouvait entraîner la colonie à sa perte, on accusait sans cesse une société d’liomraes paisibles, humains, philosophes, d’occasionner, de fomenter ces troubles; mais, Messieurs, était-ce pour contenir les esclaves qu’on donnait dans les colonies le spectacle des divisions et de la guerre? Malgré ce spectacle, ces malheurenx n’ont jamais donné dsinquiétudes. S’il en eût été autrement, l’intérêt eût bientôt réuni les partis les plus divisés pour faire face à l’ennemi commun. La cause de ces scènes d’horreur n’était pas même dans les réclamations de ces habitants paisibles et humains, désignés sous le nom d’hommes de couleur; car on suit que les hommes de couleur ne sont entrés d’aucune manière dans les querelles qui ont fait naître les assemblées de la colonie, querelles qui ont fait verser tant de sans. Les blancs seuls cuire eux s’entr’égorgeaient; les uns prétendaient que les premiers visaient à l’indépendance ; ceux-ci disaient au contraire que les autres n’étaient que les suppôts du despotisme; qu’ils avaient iutérêt de soutenir les abus de l’ancien régime, parce qu’ils eo vivaient. Cependant on vous répète sans cesse que c’étaient les gens de couleur, que c’étaient vos décrets qui 740 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 mai 1791.J donnaient des inquiétudes sur les propriétés ; mais il nef -ut pluss’abU'er : cYlait l’in dependuiici-que l’on vuulaits’apprupâerà t’aidcd’un de vosd< erets. L’initiative des lois întérieuies fut donner aux colonies après ces premiers t: oubli $ apaises, pour le moment seulement. Votre comité colonial vous propose de nouvelles mesuies; c’est d’envoyer des troupes, des vaisseaux, des commissaires pour remettre la paix. 11 vous promet que les instructions qui seraient faites pour les colonies y apporteront le calme et le bonheur; et enfin on obtient un troisième décret, et malgré lu juste réclamation de MM. l’étion, Mirabeau, quelques autres et moi, le decret passe sans di.-cussion. On ne doit pas discuter, nous disait-on ; on s’égorge a Saint-Domingue : uu jour de retard perdrait les colonies; et cependant ces troupes, ces vaisseaux, ces commissaires, qu’il était si urgent de faire partir, pour sauver les colonies, ne partent que 3 mois après. Le décret du 12 octobie, qui portait dans sou sein le latal considérant, arrive enfin à Saint-Domingue. On vous annonce aussitôt qu’il y est re�u avec acclamation; je le croirais assez, Messieurs; il paraissait promettre que vous alliez laisser vos droits de législature sur ces contrées. Mais on demande encore des vaisseaux et des troupes, on dit qu’avec cela tout ira bien; à l’iustaut où ces troupes arment, elles sont mises en insurrection, ainsi que les équipages des vaisseaux qui les ont portées. A l’instant elles égorgent M. Mauduit, celui-là même qui avait arrête les progrès de rassemblée coloniale que vous avez si justement cassée. Le général est mis en fuite, et l'on est dans la plus grande anarchie dans les colonies; les seuls pouvoirs qui maintenaient vos décrets sont anéantis. Que se passe-t-il? Quand on apprend ces terribles nouvelles, tout change précipitamment; on dirige de nouvelles batteries. D’abord, on voit les inconciliables se réuuir, la ci-devant assemblée coloniale avec le comité colonial ; et l’on vous lit à la tribune une rétractation de la ci-devant assemblée générale, qui adhère à tous vos décrets, qui reconnaît toutes ses erreurs. On vous annonce un rapport très pressé, ati ti de vous faire décréter sur-le-champ et constitutionnellement le premier article très inconstitutionnel, très impoliuque et liés désastn ux du projet du comité. Ou veut vous faire consacrer les fameuses instructions promises et attendues depuis si longtemps. Qui ne voit que ce qu’on vous présente, n’est qu’une pièce faite pour les cir-cou.- tances? Si vous eussiez décri te ce premier article, les culonns vous échappaient, et peut-être sortaient-elles pour jamais de votre uépeu-dance; les colons se seiaieut érigés les législateurs suprêmes : en uu mot, ils avaient la îaci-lité de devenir indépendants. Je ne pousserai pis plus loin des recherches, qui ne feraient que nous indigner davantage. 11 est temps que vous ne souffriez pas plus longtemps que la déclaration des droits de l'homme, que la justice soient enfrtiutes au détrimciitd’une classe de citoyens libres, proprietaires, contribuables, indigènes au sol des colonies, désignés sous le nom générique d’hommes de couleur. Ou a tout employé, Messieurs, pour confondre la cause de celte classe d’hommes libres, la véritable force des colonies, avec celle des esclaves mêmes. Cette erreur n’a que trop duré pour ces hommes trop malheureux, puisque leur sang n’a cessé d’être répandu. J’observerai eu passant que toutes les fois qu’il a été question dans cette assemblée des hommes de couleur libres, ou n’a pas cessé de nous reporter et sur la Iraite et su l esclavage des nègn s dont nous ne parlion pas, dont nous ne voulions pas puh r et dont la cause n'a rien de commun avec celle dos mulâtres. (Applaudissements. ) .Nous sentons tedis très bien q i’il ne faut rien bru?quer, et que vouloir sur-le-cnamp donner tous les droits politiques à des hommes qui n’en connaissent pas tous les devoirs, ce serait peut-être mettre une épée entre les mains d’un furie îx, ce serait un détestable présent à faire à eux-mêmes. On a tout fait pour étouffer les réclamations des gens de coulear. Té nom, comme membre du comité de vérification, de tous les obstacles qu’on a opposés à leurs jusies réclamalio > s, je vous affirme qu’après 11 séances consécutives, le comité avait décidé sur la pétition présentée par les hommes de couleur, au mois u octobre 1789, pétition par laquelle ils réclamaient le d;ot d’avoir des députés parmi vous, je puis alarmer, dis-je, que leurs pouvuirs nous ont paru sutii-sants, et que votre comité avait cru juste que ces citoyens eussent au moins 2 députés parmi vous. C’est ce que vous eût fait connaître M. Brevet, chargé de faire le rapport, &i je ue sais quels obstacles n’eussent empêché ce rap,jû.t d’être fait à l’Assemblée nationale. Depuis cette époque les citoyens de cuuleur ont encore réuni des pouvoirs p*us étendus, qui ont été présentés en ma présence au comité colonial. Ces pouvoirs étaient de 3 paroisses, et l’une d’elles avait donné plus de 60 signatures, et votre comité co.ouiul, dans sou dernier rapport, présente ces pouvoirs comme de simples lettres, il paraît à peine y donner quelque attention. Il est vrai que ces actes ne sont point notariés, et que tous les citoyens de couleur libres n’ont pas donué leur sighatuie; mais, Messieurs, apprenez sans surprise que les ciloyens de couleur ne pouvaient s’assembler pour délibérer paisiblement sans être poursuivis et môme fusillés comme des bêtes féroces, et qu’il leur eût été impossible de trouver un nolaire qui eût o.-é signer pour eux un acte qui eût servi à constater les pouvoirs qu’ils désiraient envoyer ici à leurs représentants, parce que ce notaire eût épiouvé sans doute le sort de l'homme généreux, qui a été assassiné par les blancs, pour avoir seulement rédigé une pétition en faveur des geus de couieur libres. On a été plus loin, on a été jusju’à défendre à ces personnes libres, propiiétaires, de sortir de leur quartier, de communiquer entre eux ; et un homme de couleur, âge de plus de soixante ans, proprietaire de plus de I5U esclaves, a été arrêté chez lui à minuit par 25 blancs, ayant à leur tète iiuelques-uus des gardes de la rna'é-chaussée du quartier, et cela, pour avoir eu des assemblées d’hommes de couleur chez lui, et cependant cessoupçonsétaientfaux.Plusieursautres ont été arrêtés pour les mêmes raisons. On a pris toutes les précautions possibles pour empêcher les hommes de couleur de vous faire parvenir leur vœu. Enfin, les seules pièces qui ont pu parvenir ici à leurs représentants, out été misas dans un baril de café, pour les cacher aux recherches des blancs qui, comme vous le sentez, avaient le plus grand intérêt à ce que leurs cruautés, leurs injustices, ue lussent pas connues de vous. Vous vous rappellerez sans doute, Messieurs, que dans la pétition qui vous fût préseutée, en octobre 1789, par les députés des hommes de couleur, ils offrirent à la Dation un don patrio- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 mai 1791.] tique de 6 millions, argent des colonies. Eh bien 1 malgré tout ce qn’ils ont éprouvé de cruauté», il> ont encore chargé leurs rep*vs ntants, et il-* ont exhibé les nièces avec tou’es b*s signatures à vos comité-», 'e renouv-1er cette offre qu’ils sont encore prêts à effectuer, si l’Assemblé" d ligne nommer quelqu’un p >ur 1 s recevoir. Eh bien ! pourquoi vous laisse-t-mi ignorer ces laits qui auraient servi, non pas à faire r>*n re justice à ces homme», mais à vous fore connaître leurs vertus patriotiques. U’après ce léger développement vous sentirez toute l'injustice du premier article du comié que l’on s’empressait de vouloir faire décréter de suite, le d de ce mois, en vous menaçant de perdre vos colonies, de voir s'évanouir la splendeur de la Fram e, et enfin de voir ton ber sur vous tous les maux si vous vous y refusiez. C’est ainsi qu’on a cru arrêter votre' loyauté 1 1 votre justice. Quoi, parce que vous ne pourriez vous dispenser d'accorder à des hommes libres, à des propriétaires et c ontribuables, les mêmes droits qu'aux blancs, vos colonies seront perdues. La France l’a-t-elle été, quand vous avez décré é pour le peuple l’égalité des droits avec les nobles et les gens d’église? Mais, vous diront les colons blancs, si vous accordez les droits de citoyen aux hommes de couleur libres, 1. s esclave» se � lèveront. Qu’ils conviennent plutôt, les colons blancs, que c’e-t l’aristocratie et l’orgueil des b’ancs qui se soulèveront, pour cet acte de justice. Et pourquoi les esclaves se sou èveraient-ils? Parce qu’ils verraient arriver les hommes de couleur à la qualité de citoyen? Pourquoi les nègres ne se sont-ils point soulevé-» lors de la publication de l'édit de 1685, qui accorde aux affranchis les mêmes droits qu’aux b ânes? Il est bon de le remettre sous les yeux de l'A»- spmblée. Voici cet édit: » Déclaronsleurs affranchissements, faits dans nos il' s, b ur tenir lieu de naissance dans nos îles, et l 's esclave» affranchis n’avoir besoin de nos lettres