5 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] avant de vous occuper définitivement d’aucune de ses parties. Ces décrets, dont la sagesse est évidente, s’opposent à la proposition qui vous est faite. M. Rœderer. Les principes du préopinant sont très justes, la conséquence qu’il en tire ne l’est pas. Sans doute, vous ne pouvez décréter séparément aucune partie de l’impôt; elles doivent toutes être subordonnées à des bases communes : mais il faut décréter ces bases. M. de La Rochefoucauld ne propose pas autre chose. L’Assemblée décide que la discussion sera ouverte sur les bases générales du système de l'impôt. M. Pierre Delley ( ci-devant d'Agier )_ (1). Messieurs, vous êtes parvenus à la partie la plus importante de vos travaux, le mode et la quotité de l’impôt : il vous sera présenté, dans cette tribune, des plans neufs, brillants, ingénieux : ce que je vais avoir l’honneur de vous soumettre n’a aucun de ces caractères : j’ai voulu gagner un gîte après une orageuse journée : le chemin le plus court, le plus sûr, est celui que que j’ai préféré. Les hommes réunis en société, malgré la diversité de leurs gouvernements, se sont accordés sur un point : la nécessité de sacrifier une portion de chaque revenu individuel, pour former un revenu public. L’on peut donc regarder ce sacrifice comme une des premières bases de toute association politique , et lorsque les lois qui fixent la quotité de ce sacrifice, et la manière dont il sera perçu, ont été constitutionnellement promulguées, elles sont celles dont l’exécution est la plus impérieusement commandée. Représentants de frères égaux en droits, et nés le même jour à la liberté, le Corps législatif, délibérant sur ces lois, doit surtout oublier ces anciennes dénominations, ces anciennes démarcations des provinces ; il n’en est plus d’étrangères ou de conquises, d’exemptes ou a’asservies : dans l’enceinte de cet empire, il n’existe que des Français. L’uniformité dans les modes de perception de l’impôt sur tous les départements et la quotité proportionnelle pour chaque contribuable sont donc des bases aussi justes qu’indispensables. Examinons quels sont les moyens d’arriver à ce grand but, en conciliant les intérêts généraux de l’empire, et ceux de chaque citoyen, avec la nécessité d’un impôt proportionné à nos immenses besoins. Si la France, se suffisant à elie-même, pouvait se soustraire à l’influence active ou passive de tout ce qni l’environne ; si la France, purement agricole, voyait ses domaines également divisés ; si elle ne comptait parmi ses enfants que des propriétaires laboureurs, cette simplicité d’organisation déterminerait celle de la perception de l’impôt. Une légère portion des récoltes suffirait aux besoins publics, bornés dans cette hypothèse à une surveillance intérieure. Plus nous sommes loin de cette position, qui ne peut convenir qu’à des contrées ignorées, et plus nous allons être forcés de compliquer la perception de l’impôt. (1) Nous reproduisons le discours de M. JDelley-d’Agier d’après l’impression ordonnée par l’Assemblée nationale. La version du Moniteur n’est pas tout à fait complète. La différence des propriétés, autant que l’inégalité de leur quotité, dans les mêmes mains, nécessitent divers modes de perception; car, dans un état où ces propriétés sont aussi variées, l’on ne peut amener tous les propriétaires à un juste concours aux contributions, qu’en appropriant, pour ainsi dire, un mode particulier à chacune de ces propriétés. Ainsi, les propriétés visibles, légalement connues, dont le propriétaire ne peut dissimuler la valeur qu’il ne saurait soustraire à l’inspection publique, ces propriétés, que je nommerai immobilières, seront l’objet d’un genre d’impôt appelé direct ; car il sera véritablement appliqué sur la chose même , d’après une connaissance exacte de son produit. Les propriétés, au contraire, dont le possesseur peut dissimuler la valeur et la quotité; ces propriétés, pour ainsi dire, en dehors de la surveillance publique, qui peuvent s’accroître, s’anéantir ou changer de mains, sans la participation et la protection des lois; ces propriétés que l’on a pu jusqu’ici faire participer à la contribution que d’une manière éloignée, et qu’on nomme mobilières, seront l’objet des impôts indirects. Ces premières définitions nous présentent d’abord deux manières bien distinctes d’imposer, directement et indirectement. Mais une grande question reste à résoudre : quelle doit être la proportion entre les impôts directs et les impôts indirects? Ce problème, présenté sous cette forme ainsi généralisée, a été et sera toujours insoluble; chaque peuple, eu égard à sa situation politique, aura des résultats différents sur la proportion qu’il doit adopter dans les divers modes d’impôts qui lui conviennent. Je pense donc qu’il faut changer les termes de la proposition, et que, l’appliquant à notre existence politique, nous devons nous demander : quelles sont les propriétés mobilières et immobilières qu’il convient de ménager dans la répartition des impôts directs et indirects, relativement à nos voisins et relativement à nous-mêmes? Relativement à nos voisins : On nous assure que nous avons un avantage dans la balance du commerce .-avantage précieux qu’il est bien intéressant de conserver. Nous le devons à la partie productive de notre sol et à notre industrie, source de toutes richesses ; A la partie productive de notre sol qui fournit des objets de nécessité ou de luxe, que l’étranger ne trouve point ailleurs ou qu’il préfère de prendre chez nous; A notre industrie, par nos manufactures, soit qu’elles s’exercent sur nos propres productions de manière à les faire rechercher de nous ou de l'étranger , soit que, travaillant sur les matières premières, fournies par nos voisins, elles s’approprient ces matières par la perfection de la main-d’œuvre. Ainsi tout impôt qui pèserait trop sur notre industrie ou sur la partie productive de notre sol, si intimement liée au produit de cette industrie, deviendrait impolitique; les aides et la partie des droits de traites, relatifs à l’exportation en général et à l’importation des matières premières, doivent donc être très ménagées; l’impôt sur les terres productives de denrées ne doit pas l’être moins, afin que le prix des combustibles ne force point à un surhaussement dans le prix de main-d’œuvre, surhaussement qui détruirait les avantages de notre balance commerciale. Si nous considérons notre position intérieure, 6 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (16 septembre 1790.] relativement à nous-mêmes, nous verrons encore que, sous ce point de vue, l’impôt sur les terres ne doit point atténuer, par son poids, la source féconde de reproduction que le climat, la nature de son sol et la population promettent à la France. Messieurs, si l’on veut conserver aux propriétés rurales les encouragements nécessaires pour que cette nature de propriétés soit regardée comme la plus précieuse, il faut absolument laisser au laboureur, non seulement de quoi suffire aux bonifications annuelles, mais encore de quoi pouvoir tenter des bonifications extraordinaires, sans lesquelles l’agriculture stagnante et dédaignée reste, du côté de l’avantage et delà considération, dans la dernière classe des professions. L’impôt sur la partie productive des terres est donc encore dans le cas d’être extrêmement ménagé comme impôt : j’oserai prouver qu’il doit l’être également par la manière dont il est perçu. Mais qu’il me soit permis de faire auparavant deux observations que je rapprocherai ensuite de mon, sujet : 1° M. Desaguiller a trouvé le moyen de faire porter à un homme trois mille livres pesant, en divisant sur toutes les parties de ses fibres musculaires cette énorme masse. Le même homme eût succombé sous un poids cinq fois moins considérable, s’il l’eût porté sur un seul point. 2° Il est reconnu que le sacrifice fait avant et en considération d’une jouissance quelconque, coûte infiniment moins à faire, que si ce sacrifice était exigé après la jouissance. Appliquons ces vérités. 1° L’impôt sur les terres, au lieu d’être divisé en petits payements journaliers, se fait en grande masse, et le malheureux qui ne songe jamais au lendemain, qui ne sait pas que 365 livres qui lui seront demandées à la fin de l’année exigent qu’il mette 20 sols de côté par jour, arrive au terme fatal sans moyens de s’acquitter; il voit sa propriété saisie, ses meubles vendus, parce que le gouvernement, qui ne peut en agiravec lui comme on en use avec un dissipateur à qui l’on ne fournit ses revenus qu’à proportion de ses besoins, se trouve forcé d’attendre, pour percevoir, la vente de ses récoltes. 2° L’impôt demandé, lorsqu’on fait insinuer une donation, contrôler un testament, ou l’impôt payé et confondu avec la valeur de la chose qu’on se procure, comme luxe ou fantaisie, est l’un, le prix d’une sûreté ; l’autre, le prix d’une jouissance que le désir appelle : mais l’impôt en masse que Je collecteur des campagnes va forcer le laboureur de lui payer, est le pri* d’une protection éloignée, trop peu directe pour être sentie par la majorité des contribuables; ils ont le double regret de se détacher d’une somme considérable, et de ne pas apercevoir distinctement la cause pour laquelle on en exige le sacrifice. Aussi, Messieurs, est-il bien généralement reconnu que l’habitant des campagnes regarde le collecteur comme un persécureur odieux, tandis que son procureur même, qui lui coûte si souvent d'avantage, n’est à ses yeux qu’un homme qui lui rend service. Si ces raisonnements ne sont pas d’une logique adaptée aux principes de nos théoriciens en matière d’impôts ; au moins sont-ils adaptés aux circonstances. Si nous réfléchissons sur notre position actuelle nous voyons que le salut de la France et le sort de sa Constitution tiennent à trois choses : 1° La vente prompte et avantageuse des domaines nationaux; 2° Le payement exact et prompt des impôts; 3°. Un mode d’impôt qui fasse comprendre à l’habitant des campagnes, que le nouvel ordre de choses lui est avantageux. Quant à la première considération, est-ce lorsqu’on a plusieurs milliards de fonds de terres à vendre, que l’on doit forcer la contribution foncière , et annoncer qu’un jour elle sera la seule constitutionnelle? quel est le capitaliste qu’une semblable perspective n’arrêterait pas dans ses projets d’acquisitions? Quant à la seconde considération, est-ce lorsqu’une longue expérience et surtout le moment actuel ont prouvé que de tous les impôts, ceux sur les terres sont les plus difficiles à percevoir, que l’on doit proscrire ceux dont les recettes promptes et journalières alimentaient depuis si longtemps toutes les profusions du Trésor public? N’est-il pas imprudent de vouloir diminuer la masse de ces impôts si promptement productifs, pour tenter des remplacements si éloignés, dans leurs effets, des secours que nos besoins exigent? Quant à la troisième considération, et celle-ci est la plus essentielle, vous n’avez qu’une manière de faire comprendre à l’habitant des campagnes que la Constitution est bonne : c’est, Messieurs, car il n’entend que ce langage, de lui offrir une grande diminution dans ses impositions foncières. Le capitaliste juge de la fortune publique par le taux des effets publics à la Bourse, l’habitant des campagnes consulte son collecteur, et juge à sa manière. Rendons-nous favorable ce jugement. Si nos vrais intérêts nous le prescrivent dans tous les temps, Messieurs, les circonstances nous en font aujourd’hui une impérieuse loi. Quels sont donc les objets sur lesquels l’impôt doit peser, avec l’étendue qu’exigent nos besoins? C’est ce que nous allons examiner sous les deux rapports déjà présentés, relativement à nos voisins et relativement à nous-mêmes. D’abord, relativement à nos voisins. Si l’intérêt de nos manufactures et des productions de notre Sol exige que la partie composée des traites, qui portera sur les exportations en général et sur l’importation des matières premières, soit ménagée, ces mêmes intérêts exigent que toutes les marchandises qui pourraient nuire à la consommation intérieure de nos productions, soient particulièrement frappées de l’impôt ; et cette partie de nos droits de traites peut et doit être portée à une grande latitude. 2° Relativement à nous-mêmes. Nous devons également frapper du poids de l’impôt les objets sur lesquels ce poids ne peut apporter de trop sensibles atténuations. Ainsi les impositions personnelles légalement réglées, les parties de l’impôt portant sur les sols non productifs de denrées premières, comme les maisons, les droits ci-devant] domaniaux et de formalités d’ordre public, contrôles, droits de mutation, insinuations, centième , denier, formule, etc., etc. Les moyens que l’on peut prendre pour la création d’un timbre, par lequel on assujettirait à l’impôt toutes les conventions et affaires privées, commissions, brevets, etc., etc. ; les droits sur les objets de luxe et de fantaisie ; la ressource que peut présenter le régime exclusif de certaines marchandises, la poudre à poudrer, les poudres et salpêtres, les cartes, le tabac, etc., etc. ; ou de certains services publics, comme les postes aux lettres, aux chevaux. Enfin les barrières, sage- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] 7 ment combinées, sur toutes les grandes routes, pour subvenir à leur entretien, en faisant payer celui qui en profite : tels sont les objets où, sans inconvénient, l’on peut et l’on doit faire porter le grand poids des impôts. D’après ces généralités, parcourons rapidement les divers modes d'impôts sur lesquels vous aurez à délibérer; nous reprendrons ensuite chacun de ces modes en particulier, pour fixer la quotité pour laquelle il entrera dans la masse totale de l’impôt. Le premier rapport fait par vos comités sur l’imposition a été sur les droits de traites et le reculement des barrières. Cette opération, que le commerce sollicitait depuis longtemps, sera comptée au rang des plus sages dispositions de vos décrets ; et vous devez d’autant plus vous féliciter d’opérer ce changement, que, d’après le rapport de votre comité, le revenu public, imposé sur cette partie, n’éprouvera aucune réduction : ce sera l’effet d’un nouveau tarif, combiné d’après les principes dictés par notre situation intérieure et extérieure ; situation qui nous prescrit de ménager toutes les exportations en général, et la partie des importations nécessaires pour l’alimentation de nos manufactures. La contribution foncière a été l’objet d’un second rapport. Cette contribution, dont il est si important de fixer les bases; cette contribution, dont la quotité portera si directement sur les innombrables productions de cette inconcevable et sublime manufacture, où tant de bras, occupés à la fois, sont soumis, comme dans un atelier ordinaire, àltoutes les dangereuses influences d’un impôt mal combiné; cette contribution, dis-je, exige, plus que toute autre, Messieurs, toute l’étendue de votre attention. J’ai comparé notre sol à une immense manufa-ture, où des millions de bras attachés à la culture décuplaient la quotité des matières premières, confiées à leurs soins par l’effet de la main-d’œuvre; car la terre, cette divine matrice, semble n’être, sous la main de l’homme riche et indutrieux, qu’une multitude d 'ateliers et d’instruments modifiés à son gré; elle dégénère et s’appauvrit, dès que l’homme oisif ou indigent néglige quelques instants de diriger et surveiller son action. Je puis encore comparer le sol productif à ces arbres dont le tronc vigoureux fournit de nombreuses branches. L’œil et la main du jardinier distinguent celles qui doivent produire des fruits ; il les ménage : sa sévérité ne s’étend que sur ces branches parasites qui, si elles n’étaient contenues dans de justes proportions, attireraient bientôt à elles seules la partie féconde de la sève, qu’il est important de conserver aux bourgeons qui produiront des fruits. Appliquons ces deux considérations à notre sol. Ce sol peut se diviser en deux classes : la partie productive de fruits, denrées ou matières essentiellement nécessaires, et la partie non productive de ces mêmes objets. La partie productive peut se subdiviser en deux autres; la première, celle dont les produits nécessitent des avances et des encouragements. Ces produits sont, comme dans une manufacture, le prix de l’industrie, combiné avec la main-d’œuvre. Cette partie exige les mêmes considérations que les manufactures ordinaires, pour l’accroissement de leurs produits. La seconde partie productive du sol est celle dont les richesses, toute formées ou se formant d’elles-mêmes, avec une action moins directe de la part de l’homme, ont moins besoin de sa surveillance et de ses premières avances; elle mérite, sans doute, infiniment moins d’encouragement. L’assiette de l’impôt doit donc avoir deux bases pour ces deux espèces de sols productifs de fruits, denrées ou matières. La partie non productive de fruits, denrées ou matières n’a sûrement besoin d’aucun encouragement; l’intérêt, l’amour-propre, la fantaisie aiguillonneront toujours assez la volonté de celui qui possède des maisons, etc., etc. Ces objets stériles doivent être essentiellement frappés par l’impôt, et une troisième base doit être appelée pour cette dernière caste de nos possessions territoriales. Le projet de décret de votre comité n’a point cette triple base ; il paraît même que les maisons ont reçu dans son plan une faveur particulière. Il leur réserve un quart de ce revenu, exempt de contribution, pour subvenir aux réparations; tandis qu’il impose en entier, et sur une même proportion, les sols productifs en général, et qu’il ne met encore aucune différence entre le sol, perdu pour la production qu’exige l’exploitation d’une carrière simplement productive de matières formées par la nature, sans le concours et indépendamment de l’industrie de l’homme, et le sol productif de fruits qui couvrait cette carrière et qui lui est sacrifié. L’exploitation des carrières de tous genres et d’autres propriétés semblables, dans lesquelles l’homme cherche des matières déjà formées, et pour lesquelles son industrie se borne à l’extraction ; ces propriétés sont tellement liées à l’impossibilité de s’en passer, parce qu’elles tiennent surtout aux besoins que le luxe et la fantaisie lui imposent, que la quotité de l’impôt, plus ou moins forte, sur ce genre de propriétés, à raison du sol productif dont elles exigent le sacrifice, et celle sur les maisons n’influera que bien faiblement sur le plus ou le moins d’activité que le luxe ou la fantaisie leur assurera. Je pense donc que si la masse de la contribution territoriale que vous imposerez sur le sol doit, en général, grever ce sol d’une taxation égale au septième de son revenu net, la répartition, à raison de chaque sol particulier, devrait offrir des différences: 1° D’un huitième au moins entre le sol productif de fruits, comestibles, ou matières qui nécessitent la semence, l’industrie et le concours de l’homme ; et les sols où les matières sont déjà formées, ceux qui n’exigent que faiblement le concours de l’homme, et qui, sans travail et sans semences, croissent et se multiplient; 2° Cette différence doit être de deux huitièmes au moins entre le sol de première qualité, productif de fruits exigeant semences, etc., etc., et le sol non productif. Ainsi, par exemple, si les terres labourables, les vignes, etc., payent 800 livres à raison d’un revenu net quelconque, les terrains sacrifiés à l’exploitation des carrières, les pâtis et les prairies non irrigables, les forêts et taillis, les étangs, etc. payeront 900 livres pour un semblable revenu ; tandis que des maisons des villes payeront pour des loyers égaux à ce même revenu, 1,000 livres. Cette proportion, que l’on peut étendre ou res serrer, devra donc être prise en considération dans l’établissement de la contribution foncière, et sera reprise, avec de plus grands détails, lorsque cette partie de l’impôt sera exclusivement discutée. Les droits exercés par la régie générale seront 8 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] aussi l’objet d’une discussion particulière : nous nous bornerons ici à quelques généralités. La régie, avant la suppression des droits sur les fers, les huiles, les amidons et les cuirs, a porté ses produits au delà de 50 millions, quoiqu’elle ne s’appesantit que sur certaines provinces; et l’on peut dire que si les droits qui procuraient ce revenu étaient d’une grande ressource pour le Trésor public, leur diversité et les inquisitions qui fatiguaient les contribuables seraient un devoir de les anéantir en entier, si l’impossibilité d’un remplacement total ne forçait à en conserver quelques-uns. Cependant, Messieurs, comme le reculement des barrières aux frontières purgera la France de l’armée fiscale employée à la perception de ces divers droits, et que votre intention n’est sûrement pas de salarier de nouveaux satellites pour les exiger, sous les odieuses formes qui en faisaient un fléau, vous ne pourrez vous dispenser de réunir ceux de ces droits qui en sont susceptibles, comme les droits sur les cartes, papiers et cartons, etc., à la régie que vous établirez pour la vente des poudres et salpêtres, tabacs, etc. Vous serez également forcés de réduire les droits sur les eaux-de-vie et boissons, à de simples droits de licence pour la fabrication et la revente, à des droits d’entrée dans les grandes villes murées, et à des droits aux frontières pour leur exportation et leur importation. En effet, comment établir des droits proportionnés à la qualité et quantité des eaux-de-vie et boissons sur les lieux de la récolte ou de la fabrication, et à l’entrée des villes non murées, à moins que l’on ne se prête à des abonnements, ou que l’on ne s’en rapporte absolument à de simples et si abusives déclarations? Lorsqu’on traitera en particulier le mode de perception qui convient le mieux à ceux de ces droits qui seront conservés, nous nous arrêterons davantage sur les inconvénients dont ils sont inséparables : il vous suffira, dans ce moment, pour parvenir au résultat que nous nous proposons, de savoir que (malgré l’extension à tous les départements du royaume delà partie des droits de la régie générale que l’on sera dans le cas de conserver) le produit de ces droits diminuera au moins de moitié. Mais outre que cette réduction est commandée par une saine politique, puisqùe la partie de ces impôts sur les fruits de la terre doit être considérée comme un surimpôt sur les terres, pesant en même temps sur l’industrie qu’il faut encourager, celte réduction sera facilement couverte par des augmentations sur d’autres droits d’une perception qui atteint plus directement même les capitalistes , tels que les droits domaniaux sur lesquels nous allons nous arrêter. _ Les droits domaniaux doivent particulièrement fixer l’attention de l’Assemblée, comme la plus précieuse branche des revenus publics : ils sont en général payés accidentellement par les personnes aisées, ou du moins par celles qui ont nécessairement des moyens sans lesquels elles ne s’exposeraient point à les supporter. Une partie de ces droits peut être regardée comme le prix direct de formalité et d’ordre public, qui ont pour objet d’assurer les conventions des citoyens contre la mauvaise foi et l’infidélité; le surplus résulte des droits sur les successions, les donations, etc., également nécessaires à l’ordre et à la sûreté, et payés dans les circonstances les plus favorables au débiteur. Tous ces différents droits doivent être modifiés dans des proportions indiquées par la justice, afin que chacun paye en raison de ses facultés, et non plus, comme ci-devant, sur des tarifs qui pesaient sur la classe la moins riche, tarifs dont les bases, en partie appuyées sur les conditions et l’état des personnes, présentaient à chaque rais particulier une application de la loi contraire à l’esprit qui aurait dû la dicter. Malgré l’anéantissement d’une grande partie de ces droits, résultant de la disposition de vos décrets, l’extension à tous lesrdépartements de l’empire, de ceux que vous conserverez en les modifiant, et le régime économique de leur perception, susceptible encore d’une plus grande perfection, vous assurent une augmentation très importante dans cette partie de nos revenus. Nous osons, Messieurs, vous répondre que cette augmentation, que nous vous annonçons, sera la conséquence heureuse d’un nouveau tarif prêt à être mis sous vos yeux, et qui réunira deux avantages. Le premier, la clarté et la précision dans les règlements qui mettront chaque citoyen à portée de les saisir et de les appliquer ; le second (et celui-ci est vraiment constitutionnel), d’avoir pour base les principes déjà par vous adoptés sur la plus juste répartition. Je ne m’arrêterai pas à combattre l’idée de substituer aux droits actuels un droit uniforme pour toutes espèces d’actes ou de dispositions, ou une taxation fixe pour chaque acte de la même classe de citoyens, en fixant ces classes à un certain nombre déterminé, d’après les facultés présumées de chacun. Il sera facile de prouver, lorsque la partie des domaines sera nommément à l’ordre du jour, que ce mode serait également destructif d’une grande partie des revenus domaniaux, et directement opposé à l’esprit de l'Assemblée, qui veut une juste répartition, et surtout l’oubli, en fait d’impôt, de toute classification de citoyens ; classification qui tendrait à renouveler un jour des distinctions qu’elle a cru devoir abolir. Vous ne négligerez pas non plus, Messieurs, de soumettre au contrôle et au centième denier toute espèce de mutation de propriété mobilière et immobilière, soit par acte public, soit par signature privée. Il serait également sage d’établir une forme de contribution pour les placements d’argent faits par des actes privés ; ils sont à la vérité hors de la protection de la loi, tant que leur existence n’est pas manifestée : mais comme la loi, au moment de cette manifestation, leur prête toute sa force, elle peut exiger qu’ils aient payé, au moment où ils ont rédigé leur convention sous seing-privé, le tribut qu’ils doivent à la protection qu’ils seront les maîtres de réclamer un jour. Ainsi, 1° tout engagement et prêt d’argent sous seing-privé (excepté les lettres de change) ne pourrait invoquer le secours de la loi, et être protégé par elle, que lorsqu’il aurait été rédigé sur un papier, dont le droit de timbre varierait à raisonnes sommes qui devraient y être portées, sans préjudice des droits pour les formalités exigées ; je pense que cette mesure serait d’une grande justice. D’un autre côté, tout citoyen devant chaque année à la patrie une partie de son revenu individuel, quelle que soit la nature de ce revenu, et la facilité qu’a rencontrée jusqu’ici lecapitaliste pour se soustraire à cette obligation, n’étant point un motif pour s’y soustraire encore, le papier timbré, sur lequel il recevrait la reconnaissance de son débiteur , serait renouvelé tous les ans de I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] manière que le capitaliste contribuerait chaque année de toute la quotité du droit imposé pour le timbre du papier dont il se serait servi. J’ai cru devoir excepter les lettres de change, parce que l’intérêt du commerce exige impérieusement une liberté indéfinie sur cette espèce de papier faisant fonction de monnaie volontaire ; monnaie tellement active, que, passant de main en main, de ville en ville, de nation à nation, elle porte avec elle un caractère particulier, dont la confiance, la loyauté sont les bases que la plus légère entrave pourrait altérer, surtout dans leurs cours à l’étranger. Le timbre que je viens de proposer pour les engagements et prêts d’argent sous seing-privé, peut encore s’étendre à d'autres opérations ; et nous trouverons, dans une sage combinaison de l’emploi qu’on peut en faire, une ressource aussi étendue qu’assurée. Le comité des finances a reçu divers plans ; d’autres vous seront présentés, pour faire concourir les droits de timbre aux produits des impositions personnelles sur les facultés mobilières et industrielles : développés , modifiés , soumis à votre discussion, ils vous fourniront de nouveaux moyens de réparer les pertes immenses qu’ont éprouvées les revenus publics. Les postes et relais, la poste aux lettres, peuvent aussi offrir, les premières, une diminution de dépense ; les secondes, une augmentation de recettes. L'on peut porter le prix des chevaux de poste à un taux qui, sans trop grever le commun des voyageurs, très en état de le supporter, mettrait les maîtres de poste, avantageusement placés, dans le cas de fournir une redevance suffisante pour indemniser ceux qui, placés moins favorablement, ont besoin d’encouragement pour s’astreindre à ce service public , et, pour mieux dire, on pourrait en faire un objet de régie à réunir avec celle des messageries et roulage, en augmentant partout le prix des chevaux de poste dans une proportion sagement réglée; cette augmentation, en partie payée par les étrangers, ne serait cependant pas dans le cas de les éloigner, parce que le voyageur riche et conduit par la fantaisie, ainsi quelle voyageur que ses affaires appellent et commandent, ne sont point arrêtés par de légers motifs d’intérêts. La poste aux lettres en restreignant le contreseing à des règles très sévères, en augmentant le prix des ports de lettres, peut offrir une somme extraordinaire de plusieurs millions ; cet impôt ne frappe point le pauvre, qui écrit peu; il est le prix de services rendus, et dès lors il devient susceptible d’une extension qui ne blesse aucun de vos principes. Le gouvernement peut encore allier l’esprit de la Constitution avec des privilèges exclusifs, lorsque l’objet de ces privilèges établis en sa faveur, n’attaquant aucune des bases essentielles de cette Constitution, sont le résultat de la volonté générale éclairée sur les vrais intérêts. Ainsi la vente exclusive des cartes à jouer, celle des papiers et cartons, celle de la poudre à poudrer, celle des poudres et salpêtres formeront un revenu public susceptible d’augmentation, parce qu’on peut en hausser le prix sans inconvénient. Mais quelles que soient les améliorations possibles sur la vente des cartes à jouer, sur celle des papiers et cartons, sur celle des poudres, etc., cette partie des revenus nationaux n’aura jamais que des bornes fort étroites. Il en est une autre plus importante contre laquelle de nombreux préjugés se sont tout à coup manifestés : si la proscription de la vente exclusive du tabac n’était pas aussi intimement liée à la contribution foncière par la nécessité d’un remplacement, j’aurais attendu que l’on traitât cette partie pour prouver combien sont exagérées les déclamations contre celte vente exclusive, considérée comme impôt, et combien il serait imprudent de se priver, dans les circonstances calamiteuses où nous nous trouvons, d’une ressource uniquement payée par le luxe ou la fantaisie, pour se livrer aux dangers de son remplacement. Mais le rapport de votre comité de l’imposition contre la régie du tabac m’oblige, dans cet instant même, d’examiner avec quelques développements si véritablement cette régie est inadmissible avec une Constitution libre. La liberté politique d’un nation consiste à obéir aux lois qu’elle même a consenties. Donc cette liberté conserve toute son intégrité, tant que cette obéissance aux lois, qui sont son ouvrage, est exacte et générale. La liberté individuelle des citoyens consiste dans le droit de ne dépendre que de la loi à laquelle ils ont coopéré. Donc la liberté individuelle de chacun d’eux n’est jamais blessée, quel que soit l’effet de la loi à laquelle ils se sont volontairement et constitutionnellement soumis. Ne disons donc jamais que telle loi, consentie par tous, ne peut exister avec l’état de la liberté; elle s’adapte et fait nécessairement partie de cet état de liberté, dès qu’elle a été l’ouvrage d’une volonté générale, préalablement éclairée. Chez une grande nation policée et commerçante, cette volonté générale conduit nécessairement cette nation à considérer les lois qu’elle se donne, bien plus dans leurs effets physiques que dans leur théorie ; elle la conduit à rejeter celles qui, sous une fausse apparence de perfection, ne sont réellement qu’un continuel sophisme que l’expérience décèle bientôt. Ainsi seront toujours inadmissibles ces dogmes si vantés par une société nombreuse et illustrée sur l’impôt unique, perçu sur le produit net , quels que soient les magiques tableaux dont ils bercent depuis 30 ans notre imagination ; quels que soient leurs efforts pour nous prouver que cette doctrine est celle de la liberté, la seule qu’elle puisse’ avouer. Cette doctrine est inadmissible par le seul fait que sa théorie va se briser aux pieds de l’expérience. Gardons-nous donc, Messieurs, de compromettre une branche essentielle de nos revenus, en nous livrant aux premières impressions d’une imagination exaltée ; et consultons avec le sang-froid de l’impartialité, avant de proscrire le régime actuel du tabac. Examinons ses effets relativement à l’agriculture, relativement au commerce, relativement à la consommation, relativement à l’impôt, relativement enfin aux provinces jusqu’ici exemptes de son régime : 1° Relativement à l’agriculture. Le tabac, cette plante exotique apportée en France en 1560, sous le nom de petun, a des racines pivotantes et des racines traçantes. Ce premier caractère annonce à tout agriculteur éclairé : 1° que le nombre et la qualité de ces racines exigent une terre franche, abondamment engraissée et profondément travaillée, c’est-à-dire le sol le plus précieux par lui-même, ou rendu tel par l’industrie. 10 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] 2° Que ce double moyen d’épuiser la terre et par ses racines traçantes et par ses racines pivotantes la rend la moins propre des plantes pour une culture alternative, soit avec les grains dont toutes les racines sont traçantes, soit avec les fou-rages, légumes, chanvres, lins et colzas, dont les racines sont pivotantes. Un axiome en agriculture étant qu’une racine pivotante doit succéder à une racine traçante, toutes les récoltes qui succéderont au tabac seront moins abondantes que si l’on avait alterné avec toute autre plante ou semence, et l'on verrait sensiblement diminuer les récoltes des grains si nécessaires à notre population, si le tabac était généralement cultivé dans toutes les parties de l’empire. 3° L’agriculteur verra qu’un arpent, préparé comme il doit l’être pour le tabac, donnerait en chanvres, lins, colzas ou grains de mars, un produit plus assuré, plus considérable et surtout plus utile, que ne doit le faire espérer une récolte en tabac, lorsque la liberté de culture sera établie. 4° Que les chanvres pouvant être avantageusement semés jusqu’au mois de mai, que les colzas pouvant se replanter (avec la précaution de semis à l’abri, exigée pour le tabac) aussi tard et même plus tard que le tabac, cette culture des chanvres et des colzas peut, tout aussi aisément que le tabac, dédommager le propriétaire d’une récolte de grains ou de lins, que l’intempérie des saisons aurait fait périr avant le mois de mai; et le prétexte que l’on ne peut substituer que le tabac a ses récoltes détruites par les gelées, est démenti par le fait dans les trois quarts de la France. 5° Que les précautions minutieuses qu’exigent les semis, la replantation et la récolte du tabac, les vastes bâtiments et emplacements couverts où cette récolte doit être déposée pour y sécher à l’abri de la pluie et du soleil; l’incertitude de son débit, lorsque la liberté de culture en aura rendu la quantité surabondante à la consommation, sont autant de considérations qui doivent être pesées, avant de présenter à des peuples toujours avides de nouveauté, les faux bienfaits d’une liberté indéfinie, qui ne les conduirait qu’à jeter dans leur esprit un désir immodéré d’en jouir, et dont les pernicieux et inévitables effets seraient : 1° De déranger pendant plusieurs années, dans les provinces actuellement soumises au régime exclusif, les cultures auxquelles on est accoutumé, et qui sont appropriées au climat, à la nature des terres, aux facultés et à l’intelligence du commun des cultivateurs, et surtout aux débouchés ordinaires ; 2° De diminuer sensiblement dans ces provinces la culture si nécessaire des prairies artificielles, et conséquemment de tarir la source des engrais, par l’impossibilité de nourrir des bestiaux; d’atténuer la culture des chanvres, et d’augmenter du double, peut-être, l’énorme tribut que nous payons déjà à l’étranger pour nous en procurer: mais ce qui est plus effrayant, plus désastreux encore, c’est d’exposer la subsistance du peuple, en laissant destiner les sucs de la terre à la culture d’une plante vorace, parasite, essentiellement inutile, puisqu’elle n’alimente que le luxe ou la fantaisie, tandis que ces sucs précieux peuvent à peine suffire, année commune, à la production des blés; vérité trop sensiblement manifestée par toutes les scènes douloureuses qui ont affligé récemment encore tous les marchés de l’empire. La liberté du tabac présente donc (relativement à l'agriculture), du moins pour les premières années, et jusqu’à ce qu’une espérance, plusieurs fois trompée, ait enfin désabusé le cultivateur, de véritables pertes dans les productions les plus précieuses. Relativement au commerce, elle n’aurait pas de moindres inconvénients. La politique d’une nation est d’éclairer ses habitants sur la nature des productions qu'il est avantageux de favoriser; ainsi, les premiers objets de son industrie doivent être les denrées de première nécessité de tout genre, parce que jamais, autant gue la chose est possible, on ne doit l’exposer à en manquer; parce que la liberté politique tenant à une abondance indépendante de toute convention extérieure, on doit écarter toute spéculation sur ces denrées précieuses. Viennent ensuite les objets de seconde nécessité. Ceux-ci peuvent être soumis au calcul , lorsque telle ou telle denrée n’est essentielle que parce qu’elle peut fournir une ressource utile à l’industrie, ou satisfaire le luxe et la fantaisie, lorsqu’il en coûte moins pour se la procurer, de l’acheter chez l'étranger, que de la cultiver chez soi: dans cette hypothèse, l’on ne doit pas balancer à préférer l’achat à la culture. Cette préférence acquiert un nouveau degré d’utilité, lorsque, par cet achat à l’étranger, on se ménage en remplacement une culture plus précieuse, et par la nature de la denrée, et par les ressources qu’elle offre à l’industrie. Ainsi, dans notre position, la France doit d’abord favoriser la culture des grains et autres denrées de première nécessité; ensuite calculer et dire : le tabac cultivé en France sera, en général, de qualité inférieure; il nuira au produit des grains dont la récolte doit le suivre, et tiendra la place ou d’une récolte de fourrage, ou d’une récolte de chanvre, ou d’une récolte de colza. Le tabac qui les remplacera ne vaudra guère, après la récolte, que tant la livre, et ne prêtera de ressource à l’industrie dans la fabrication, que tant par livre; de manière qu’une livre de tabac, prête à être consommée, n’aura produit à l’Etat, tant en matière qu’en industrie, que la valeur d’une journée de travail. La prairie artificielle, dont il a tenu la place, aurait fourni l’aliment à des bestiaux : ces bestiaux auraient produit un triple avantage, l’engrais dont l’effet est incalculable, l’augmentation de ces bestiaux, une économie de temps, et plus de moyens pour les travaux à graines; enfin la ressource industrielle que présente les objets de commerce fournis par les bestiaux, comme les cuirs, les laines, etc., etc., qui, par les diverses préparations qui les attendent et dont le détail est infini, centuplent la valeur produite par le fourrage qui tenait la place du tabac. Observons encore que si une livre de tabac récolté avec peine ne peut jamais que doubler de valeur, par l’effet de la main-d’œuvre, une livre de chanvre, qui n’exige pas autant de premières avances, vaut mille fois sa valeur première, lorsqu’elle est, par les miracles de la main-d’œuvre, transformée en dentelles, etc., etc. Convenons donc, de bonne foi, quel 'intérêt du commerce n’est point de substituer à des productions qui procurent par l’industrie de si immenses ressources, la culture d’une plante dont nos voisins s’empressent de nous pourvoir à meilleur marché, et que la nation peut s’approprier pour en faire un objet de revente avantageuse même à l’étranger. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] 11 Nous avons à considérer la vente libre du tabac, relativement à la consommation : une première question se présente. Est-il avantageux d’augmenter l’usage du tabac et de le faciliter à toutes les classes, et, pour ainsi dire, à tous les individus de l’Empire? La réponse est facile : l’usage du tabac porté à l’excès, surtout dans les pays secs et chauds, comme il ne manquerait pas de l’être avec une liberté indéfinie, est un véritable mal, au physique et au moral. Au physique, comme toutes substances irritantes, il accélère et augmente la sécrétion de certaines humeurs; il dérange l’équilibre de celles qui sont les plus essentielles à la conservation des forces et de la santé; il affaiblit tous les organes de l’individu qui s’y livre sans réserve, et détruit, surtout, ceux qui ont une correspondance plus directe avec la partie où il exerce son action, la mémoire et les digestions. Au moral, il produit, comme toutes les liqueurs fortes, et comme l’opium (moins sensiblement à la vérité), une espèce d’ivresse habituelle; le tabac à fumer, surtout, abrutit celui qui en est l’esclave; il l’isole pendant celte jouissance; elle ne produit même à la longue d’autre effet que celui de la stupeur. On ne peut voir, sans éprouver une sensation pénible, une famille entière s’infectant à l’envi, dans leur réduit, de cette pernicieuse .fumée ; mais, sans nous arrêter davantage sur ce tableau si peu fait pour nos goûts, nos mœurs, notre amabilité, disons que si le tabac, considéré comme remède irritant, peut être employé pour certains tempéraments humides, il devient un véritable poison lorsqu’il est, pour ainsi dire, devenu un besoin, comme l’aliment, par l’habitude d’en abuser; et si la nation ne peut absolument en défendre l’usage, du moins ne doit-elle pas fournir les moyens de l’augmenter, surtout dans les provinces méridionales, où les effets seraient bien autrement dangereux que dans les provinces du Nord, par la qualité plus active de la plante. Mais en admettant qu’il soit exempt des inconvénients qu’il nous fait craindre, l’intérêt du consommateur est d’avoir pour une somme fixe, sur laquelle il a calculé, du tabac d’une fabrication sûre, et exempt de tout mélange et dont le débit se fasse à sa portée dans une quantité proportionnée à ses besoins journaliers et à ses facultés. Or il est possible, en modifiant la régie actuelle du tabac, de procurer au consommateur tous ces avantages, et à un prix tellement modéré, qu’il lui deviendrait difficile, peut-être, de les obtenir aussi aisément d’une culture, d’une fabrication et d’un commerce libre. Car, en admettant cette entière liberté, le consommateur aura toujours à payer le prix de la chose; plus l’impôt de remplacement. Or, le prix de la chose ne saurait changer à son avantage, par la raison que les frais d’une fabrication générale et les salaires d’une vente exclusive doivent être infiniment plus économiques, dirigés par une administration unique et nationale, que livrés aux spéculations particulières de l’intérêt, de l’inexpérience et de la mauvaise foi. Mais s’il est aisé de prouver que le consommateur, en modifiant la régie actuelle, peut trouver son avantage sous un nouveau régime, il est bien plus aisé de prouver que celui qui ne consomme pas ou qui ne peut pas cultiver, peut exiger qu’on ne le surcharge pas d’un remplacement qui le frapperait sans intérêt pour lui, comme sans indemnité. L’on ne répondra jamais d’une manière satisfaisante à l’homme sage qui ne prend pas de tabac, lorsqu’il dira à celui qui en use jusqu’à l’ivresse : De quel droit me feriez-vous payer vos dégoûtants plaisirs ? Concluons donc que la nation, au lieu d’anéantir le régime du tabac, doit, et pour l’intérêt du consommateur, et surtout par justice à celui qui ne consomme pas, se borner à modifier le régime actuel, afin que le consommateur ne paye réellement que le prix de la chose; plus l’impôt auquel il serait assujetti pour son remplacement. Il nous reste à examiner la régie du tabac considérée comme impôt, et relativement aux provinces ci-devant exemptes. Considéré comme impôt, on lui reproche : 1° d’imposer le riche comme le pauvre; 2° de coûter 37 0/0 de frais de perception; 3° d’être incompatible avec une Constitution libre. Ces objections sont spécieuses ; sont-elles insolubles? 1°. Tous les impôts sur les consommations, sur les marchandises, sur les poudres, sur les lettres etc., pourraient mériter le même reproche, de porter également sur des fortunes inégales; mais il est possible d’en atténuer la force à l’égard de la régie du tabac, en ayant deux prix pour cet objet de consommation; de même qu’il y a des fruits, des comestibles, des étoffes de différentes valeurs: et l’on peut tellement diminuer le tabac du pauvre, même en le conservant supérieur à celui qu’il récolterait et fabriquerait lui-même, qu’il ne sera réellement que le prix de la chose, plus celui de la partie de l’impôt qu’il serait présumé devoir supporter en remplacement, puisque ses facultés lui permettent l’usage superflu du tabac. On aurait en même temps du tabac supérieur payé par le riche qui veut satisfaire ses goûts ; et alors le prix de la chose laisserait une grande latitude à l’impôt. En combinant sagement ces deux moyens, l’état peut se promettre la conservation d’un revenu au moins égal à celui jusqu’ici perçu sur le tabac parce que les sacrifices qu’il fera sur le bas prix du tabac du pauvre, seront compensés par le haut prix du tabac du riche, et par une consommation augmentée et étendue à tout le royaume. Le second reproche que la régie actuelle coûte 37 0[0 pour les frais de perception ne peut soutenir le plus léger examen. Il faut distinguer dans les frais de régie, les dépenses accordées à l’industrie du fabricateur et et du revendeur, qui, dans tous les régimes, existeraient, avec la fabrication et la revente, d’avec ceux que le régime prohibitif nécessite seul. Quant aux frais de fabrication, il a déjà été prouvé que ces frais sur une administration unique et nationale, ayant de grands moyens et de grandes avances en matières, bâtiments et instruments, doivent infiniment moins coûter en masse, que ne coûteraient une multitude d’ateliers privés des lumières d’une longue expérience, et offrant nécessairement de prodigieux frais de détails et d’avances particuliers : ainsi cette partie des dépenses est, en entier, à l’avantage du consommateur, même dans l'ancien régime. Quant à la partie des dépenses et profits accordés aux revendeurs et détailleurs, la liberté de la revente, loin de diminuer ces profits, les ren- 1 2 [Assemblée aationale.] ARCHIVES .PAULEMEISTAIRES. drail seulement arbitraires. En effet, l’expérienee prouve qu’il n’est aucune espèce de marchandise qui conserve un prix égal dans les achats en gros et à la revente en détail; mais la régie nouvelle pourrait, à très peu près, faire tourner au profit du consommateur la totalité et de ces dépenses et de ces profits, et fournir le tabac, dans la plus petite fraction, au prix fixé pour les achats en gros ; elle n’a pour cela qu’à payer en nature les revendeurs, et leur interdire tout bénéfice sur le prix auquel il leur est délivré. Ainsi les frais de régie relatifs à la fabrication et à la revente peuvent être déterminés sou s des formes également avantageuses au consommateur, et ne sauraient être portés coibme frais inhérents à l’impôt. Les seuls frais de cette sorte sont ceux de garde aux frontières, pour empêcher l'entrée des tabacs (puisqu’un seul inspecteur par district suffira, sous la surveillance des directoires et des municipalités, pour garder l’intérieur et empêcher les plantations). J’avoue, Messieurs, que si l’intérêt de votre commerce et de vos manufactures ne vous forçait point à entretenir sur vos frontières un double cordon d’employés; que ces employés étaient uniquement destinés à la garde du régime prohibitif du tabac, j’avoue que cet objet, exigeant à lui seul une somme de 4 millions, et l’impôt du tabac n’en produisant que 32 des frais équivalents à 16 0/0, serait une véritable surcharge; mais si vous abolissez la régie du tabac, ces frais n’en existeront pas moins pour protéger les droits des traites : en sorte que le régime prohibitif du tabac, lié au reculement des barrières, est de tous les impôts, celui dont les frais de régie seront les moins coûteux, les plus imperceptibles, au point qu’on peut les regarder comme nuis, puisque ces mêmes frais existeraient presque en entier, indépendamment de cette régie. On voit, par ces reflexions, à quoi se réduit le reproche fait avec tant d’appareil à la perception de cet impôt, de coûter 37 0/0 de son produit. La troisième objection est plus propre à alarmer tout bon citoyen, si l’on ne se hâtait de la détruire. On nous dit, on nous répète, on imprime que l’impôt du tabac est incompatible avec la liberté et notre Constitution. f Mais est-ce de l’ancien régime du tabac dont on veut parier, ou de celui que les gens éclairés proposent de lui substituer? Il serait superflu, sans doute, de rapeler ici les anciens abus, les anciennes formes, les anciennes vexations qui ne subsisteront plus dans le nouveau régime. On le demande : les visites domiciliaires, la conversion de peines pécuniaires en peines afflictives étant abolies, que restera-t-il de contradictoire entre notre Constitution et l’exécution d’une loi que l’on aura adaptée à cette Constitution ? Pourquoi le tabac serait-il moins dans le cas que les poudres et salpêtres de devenir l’objet d’une régie, si l’intérêt général, manifesté par la volonté générale, le décidait ainsi ? Est-ce que la loi qui conserverait cette régie ne serait pas tout aussi légalement promulguée que celle qui a aboli la gabelle? Depuis quand une nation n’aurait-elle pas le droit de régler à son gré les modes de la contribution qu’elle s’impose ? Convenons que rien dans la Constitution ne s’oppose à l’admission d’une régie pour le tabac, 1 comme pour les poudres, comme pour les postes, etc., lorsque surtout la liberté rendue sur cesobjets 1 [16 septembre 1V90.J serait plus préjudiciable qu’utile, priverait l’Etat d’une branche essentielle de ses revenus, et cela pour se livrer à tous les dangers d’un remplacement aussi injuste qu’incertain. Mais, dira-t-on, comment y soummettre, sans les léser, les provinces ci-devant exemptes? J’avoue que ces provinces ont une objection à faire valoir, celle que l’extrême modicité dans le prix du tabac, ayant accoutumé leurs habitants à un usage plus général, le régime prohibitif les ferait contribuer à cet impôt dans une proportion forcée et relative à leur excès de consommation : mais est-il impossible de les dédommager? ne le peut-on pas par une indemnité annuelle répartie sur ces proviuces et prise sur le revenu même de la régie? Ce moyen serait d’autant plus praticable, qu’il ne s’agit que d’indemniser la généra tion présente accoutumée au tabac, et que celte indemnité, évaluée pour la première année à une somme quelconque, diminuerait d’un quarantième par an, et cesserait dans quarante ans. Cette indemnité de faveur, accordée à ces provinces, lève toute objection de leur part, et on le prouve : 1° Les contributions foncières devant, à l’avenir, être calculeés d’après la fixation des revenus nets, les terres des provinces exemptes seront taxées comme toutes les autres provinces du royaume; 2° La liberté de culture du tabac rendue à toutes les terres ferait tomber les avantages que les provinces exemptes retirent à présent de leur culture exclusive, et les assimilerait encore à toutes les autres provinces du royaume ; 3° Si le nouveau système d’imposition pouvait éprouver des réclamations ; si l’avantage de l’uniformité et la satisfaction de concourir au bien général ne devait pas l’emporter dans le cœur de tout bon Français sur des regrets particuliers, ce ne sont point les provinces ci-devant exemptes du régime du tabac, qui auraient à se plaindre du nouvel ordre de choses. Ces provinces fertiles et abondantes en grains, ainsi que celles ci-devant soumises aux grandes gabelles, gagnent par la suppression de cet impôt, par la suppression de la dîme et par le mode uniforme de remplacement de ces deux impôts, autant que perdent les pays de petites gabelles ou rédimés,'ou les cantons stériles dont les récoltes principales n’étaient point sujettes à la dîme. En effet, la province qui payait 14 sols la livre de sel ; celle qui ne le payait que 6 sols ; celle qui le payait 2 sols, vont, dans le nouveau mode d’impôt et de remplacement, payer dans une proportion égale à raison du revenu net , un impôt qui, en supposant la valeur réelle du sel à 2 sols, étaient dans les provinces de grandes gabelles, de 12 sols par livre de sel consommé, de 4 sols dans les petites, et qui était nul dans les provinces rédimées. Elles sont donc lésées dans le nouvel ordre, en raison des différences qui existaient dans le prix réel du sel et le prix fictif à l’impôt, et l’habitant des grandes gabelles gagne 12 sols par livre de sel qu’il consommait, tandis que celui des petites gabelles gagne seulement 4 sols, et celui des provinces rédimées absolument rien. Il en est de même pour la dîme. Les terres fertiles du nord de la France ne sont point complan-tées en arbres productifs de fruits précieux exempts de la dîme. Leur unique récolte, dans l’année consacrée aux grains, est du grain; et comme la dîme se prélevait toujours sur les grains dans toute l’étendue du royaume, il s’ensuivait qu’un arpent de terre [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 116 septembre 1790.] flamande payait la dîme à raison de la totalité de la récolte, tandis que ta très grande partie des provinces méridionales, complantées en arbres précieux, formant le principal revenu de ces terres, ne payaient cependant la dîme que sur la récolte des grains ; récolte qui ne forme pas la moitié de ce revenu pour la plus nombreuse partie de ces terres. Ainsi le Flamand payait la dîme sur la totalité des productions de sa terre, tandis que l’habitant du midi ne la supportait pas à raison de la moitié des siennes. Les provinces ci-devant exemptes delà régie du tabac, en obtenant une indemnité pendant la génération présente, pour leurs habitants accoutumés à un grand usage de cette plante, ne peuvent donc former aucune réclamation juste contre l’extension de cette régie chez elle ; car les mêmes réclamations pourraient, à d’aussi justes titres, être formées contre l’uniformité de remplacement de la dîme et de la gabelle, par les provinces qui se trouvent lésées par ce remplacement. On pourrait objecter encore aux provinces Bel-giques, que les aides restreintesjusqu’ici à certaines provinces, vont être étendues sans réclamation à tous les départements, ainsi que les droits domaniaux. Il résulte de ces observations : que la régie du tabac, sagement modifiée, est tout aussi compatible avec notre Constitution, que la régie des poudres, celle des postes, celle des aides, etc., etc. ; ce n’est qu’un mode adopté pour le bien général, et comme le plus favorable aux véritables intérêts de l’agriculture, du commerce et des consommateurs eux-mêmes. Passons rapidement à d’autres objets d’impôt que prescrivent également la nécessité ou la prudence. Les entrées de Paris exigent que l’on modifie quelques parties de leur tarif | elles éprouveront probablement une grande diminution. Les loteries, ce mal nécessaire tant que nos voisins conserveront chez eux de semblables établissements, sont commandées par la politique ; nousjdevons les conserver, malgré leurs effrayants abus, on nous exposer à voir porter chez L’étranger une partie de notre numéraire; mais nous pouvons en épurer la source par l’usage que nous ferons de ce revenu, en le consacrant à aes aumônes et ateliers de charité. Les barrières, pour l’entretien des grandes routes, sont un établissement dont nos voisins nous ont donné l’exemple; ce qui fatiguait le voyageur aux anciens péages et barrières, c’était l'inquisition qui précédait le payement du droit; ici cette inquisition ne subsistera plus : un droit léger pour telle et telle espèce de voiture, et pour tel nombre de chevaux, n’a rien d’effrayant et offre une ressource importante pour l’entretien des grandes routes et ouvrages d’arts. J’ai parcouru les divers objets sur lesquels peut s’appliquer l’impôt: j’ai eu l’honneur de vous présenter quelques réflexions sur cette application, et toutes ont eu pour but de favoriser les richesses qui résultent de l’industrie. Sur ce point de vue, j’ai dû ménager le commerce, les manufactures, les sols productifs de fruits exigeant des semences ou des cultures annuelles; eu un mot, tout ce qu’un gouvernement sage doit chercher à encourager: mais j’ai été plus sévère pour toutes les propriétés et les objets dont l’existence et l’activité se trouvent bien moins dépendantes de l’industrie, que de la nécessité ou de la fantaisie ; et ces derniers moyens 13 nous présentent de bien grandes ressources, si nous savons en faire usage. D’après cet exposé, Messieurs, j’ai l’honneur de vous proposer de fixer une somme approximative quelconque pour la généralité des impôts : cette somme pourra facilement diminuer ou s’augmenter chaque année à raison de nos besoins par l’addition ou la soustraction de quel-quelques sols pour livre: nous apercevons déjà que 500 millions seront un jour plus que suffisants à l’entretien habituel des dépenses publiques, et que même si les assignats-monnaie étaient décrétés d’après les plans proposées, ces 500 millions différeraient peu de la masse de nos besoins: nous pouvons donc, dès cet instant, les regarder comme une base moyenne de nos impositions; l’avantage précieux que vous obtiendrez, en adoptant dès cet instant 500 millions pour base de vos impositions générales, sont : 1° que vous pourrez, d’après cette base, décréter quelles sont les sommes particulières pour lesquelles chaque espèce de contribution, chaque mode d’impôt y concourra; 2° qu’aussitôt que cette quotité pour chaque impôt particulier sera déterminée toujours à raison de cette base de 500 millions, votre comité, en conséquence de celte quotité, pourra vous présenter une suite de décrets sur chacun de ces impôts, calculés par approximation, afin d’en retirer, avec le moins de frais et d’entraves possibles, la somme pour laquelle il aura été compté dans votre décret général ; 3° dès que votre système d’impôt sera décrété sur la base de 500 millions, les établissements pour sa perception pourront se former, même avant que l’état de vos dépenses soit définitivement arrêté: car au moment de la perception, et à chaque mois même, vous, et les législatures qui vous remplaceront, aurez la faculté d’augmenter ou de réduire les recettes, par l’addition d’un ou plusieurs sols pour livre; manière d’augmenter les impôts infiniment simple, infiniment préférable à un nouveau mode de faire contribuer, parce que l’augmentation par sol pour livre sur la masse générale, augmente chaque espèce d’impôt d’une quantité proportionnelle à sa quotité, divise cette surcharge sur tous les genres de revenus et de facultés, sans rien changer à la proportion accoutumée: c’est donc à une sage combinaison sur la quotité dans laquelle chaque espèce fi’impôt doit concourir pour sa part dans la masse générale, que doivent s’appliquer tous vos soins. Ainsi je propose, avant d’entrer dans les détails de chaque espèce d’impôt, et de rien arrêter sur la quotité pour laquelle il sera compté dans la masse des revenus publics, que l’on mette à la discussion ces deux questions : 1° Quels sont les divers genres et espèces d’impôts à conserver ou à établir pour former la ruasse des revenus publics ? 2° Dans quelle quotité chacun des impôts à conserver ou à établir concourra-t-il à la formation des revenus publics? Dans mon opinion particulière, et en appliquant les principes sur lesquels je me suis appuyé, je pense que l’agriculture, considérée comme une manufacture, où, par les effets de la main-d’œuvre, l’on multiplie les matières premières, l’agriculture, ou plutôt les terres productives qui sont les ateliers et les principaux instruments de cette manufacture, doivent être extrêmement ménagés, et que la contribution foncière ne peut être portée que pour les deux cinquièmes des revenus publics. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] 14 [Assemblée nationale.] Je pense aussi que, dans sa répartition sur le sol en général, elle doit avoir une base particulière pour chacune des trois espèces de revenus qu’on peut en retirer : une base pour les sols productifs de fruits ou de valeurs exigeant des semences ou des cultures ; une base pour les sols productifs de valeur n’exigeant ni semences ni culture ; une troisième pour les sols non productifs de valeurs réelles; mais seulement de loyers, comme les maisons. Ces deux cinquièmes répartis sur trois bases, nous donneront, à raison de 500 millions, 200 millions pour la contribution foncière..... ...................... 200.000.000 2° Les impositions personnelles, à raison des facultés mobilières et industrielles, formeront un objet très important : mais il est nécessaire, pour écarter le plus possible l’arbitraire de ce genre d’impôt, qu’un droit de timbre sur tous les objets qui en sont susceptibles , concoure avec la capitation à compléter les produits que nous avons lieu d’attendre des impositions personnelles à raison des facultés mobilières et industrielles ; il faut donc réunir ces deux objets et les porter dans la masse pour un cinquième de cette masse, c’est-à-dire, dans notre hvpothèse, de 500 millions, pour..." .............. 100.000.000 Reste deux cinquièmes à répartir, que nous diviserons ainsi qu’il suit : 1° Les droits domaniaux, de contrôle, centième denier, insinuation, droit de mutation sur tous les actes translatifs de propriétés mobilières et immobilières, les droits sur les donations, les successions, etc., d’après un nouveau tarif établi sur les vrais principes d’une juste répartition à raison des facultés, d’après l’extension de ces droits à tous les départements de la France, l’on peut compter ces droits comme susceptibles de produire une somme égale au sept cinquantièmes de nos revenus, et toujours dans notre hypothèse de 500 millions .................... 70.000.000 2° Les droits d’aides même étendus à tous les départements, et modifiés en droits sur les boissons, doiventêtre seulement comptés pour moitié de ce qu’ils produisaient par la difficulté de les faire percevoir dans une juste proportion , et suds inquisition : ces droits réunis aux entrées de Paris ne peuvent être compris que pour un dixième de nos revenus, c’est-à-dire pour 50 millions sur 500 ............................. 50.000.000 3° Les régies du tabac, des poudres et salpêtres , des cartes à jouer, celles qui pourraient y être réunies pour les papiers et cartons, la poudre à poudrer, tous objets employés par le luxe ou la fantaisie, et dont le pauvre fait si Report ..... 420.000.000 peu d’usage, peuvent même, avec les adoucissements annoncés sur le prix du tabac (pour que le consommateur peu aisé ne paye réellement que la valeur intrinsèque du tabac, plus celle du remplacement auquel il serait assujetti) : ces objets peuvent, dis-je, être comptés comme propres à former neuf centièmes des revenus publics, et dans notre hypothèse ................. 45.000.000 4e La poste aux lettres, la poste aux chevaux, les messageries et le roulage de France peuvent, par une réunion qui favoriserait l’exactitude du service et l’économie , entrer dans nos revenus pour trois centièmes ....................... 15.000.000 5° Les traites et droits d’entrée aux frontières (autres que les droits d’aides sur l’exportation et l’importation des boissons que nous avons déjà comptées avec les aides) peuvent, avec les ménagements exigés sur les exportations en général et sur l’importation des matières premières, être comptés, dans nos revenus, pour un vingt-cinquième.. 20.000.000 Total ................... 500.000.000 Restent les domaines d’occident, les barrières sur les grandes routes, les loteries et quelques autres branches de revenus publics, ou peu importantes, ou destinées à rembourser une partie de la dette publique. Les barrières sur les grandes routes, pour leur entretien et la confection des ouvrages d’art, ne doivent produire que ce qui est nécessaire à ces deux objets. L’on peut donc ne les compter que comme remplacement de ces dépenses. Enfin, j’ai déjà proposé et je propose encore de destiner le produit des loteries à des dégrèvements, des aumônes, des ateliers, des maisons de charité. Telles sont, Messieurs, les idées que j’ai conçues sur l’impôt en général et sur la manière d’imposer ; je vous devais le tribut de ma pensée, je viens de m’acquitter de ce devoir, et le zèle avec lequel j’ai cherché à le remplir sollicite votre indulgence. M. Rœderer. Je demande l’impression du discours de M. Delley-d’Agier. (L’impression est unanimement ordonnée.) M. Leleu de Ijaville-aux-Bois. La base de toute contribution résulte de la protection accordée par la loi aux personnes et aux choses. Il doit donc y avoir une contribution uniforme perçue indistinctement sur tous les citoyens, et ensuite une contribution foncière et aussi uniforme, à raison de la superficie de terrain que l’on possède. Les propriétés mobilières doivent être aussi assujetties à un impôt qu’on pourrait appeler contribution industrielle, et cette dernière pourrait tenir lieu des droits sur les consommations. Encon-séquence, je propose à l’Assemblée de décréter avant tout : 1° qu’il sera établi une contribution personnelle, uniforme et légale, qui sera supportée par tout citoyen, sans aucune distinction, 2° qu’il sera établi une contribution foncière; uniforme et légale, dans toute l’étendue du A reporter 420.000.000 15 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1790.] royaume, sur toutes les propriétés, sans aucune exemption, à raison de leur étendue ; 3° que son comité de l’imposition lui présentera, à cet effet, le plus promptement possible, un taux pour la contribution à acquitter par le citoyen le moins aisé; 4° qu’il sera établi un contribution territoriale sur toutes les propriétés foncières et immobilières, à raison de leurs produits respectifs, d’après une somme qui sera déterminée par l’Assemblée nationale, sur le rapport de son comité de l’imposition, d’après la nature et la connaissance qui lui sera donnée des besoins de l’Etat ; 5° qu’il sera établi une contribution industrielle, qui sera payée par tous les citoyens, sans exemption, pour raison de leurs propriétés mobilières, en prenant pour base la valeur des logements qu’ils occupent , dans une proportion uniforme, sauf à augmenter cette proportion, d’après le rapport de son comité de l’imposition, à l’égard de ceux qui exercent une profession, un art ou une industrie quelconque. (L’Assemblée ajourne à mardi prochain, séance du matin, la suite de la discussion sur la contribution foncière.) Un de MM. les secrétaires fait lecture d'une seconde lettre de M. Guignard signalant le refus de payement des droits de champart ; en voici l’extrait : « Au mépris des décrets de l’Assemblée nationale, [on cherche, par la terreur ou par la force, à se soustraire au payement des dîmes et des droits de champart, et autres redevances ci-devant féodales. M. Esparbès me mande de Cahors que sur les limites du département de la Dordogne, non seulement on refuse de payer ces dettes, mais qu’on a élevé des potences pour effrayer ceux qui voudraient les acquitter. Des troupes de ligne ont été employées pour assurer ces perceptions ; mais elles sont en très petit nombre dans les provinces méridionales. L’augmentation des maréchaussées et l’organisation des gardes nationales paraissant être les seuls moyens sur l’efficacité desquels on puisse compter, il est important que l’Assemblée les prenne en considération. » M. l’abbé Maury. Je n’ai qu’une observation à présenter. Vous avez chargé les tribunaux de veiller au payement des droits et redevances supprimés sans indemnité; mais la plupart des praticiens aspirent à des places dans le nouvel ordre judiciaire : la crainte qu’ils ont de déplaire au peuple rend toute justice impossible à obtenir. Je demande que les corps administratifs soient chargés de prendre tous les moyens qui sont en leur pouvoir, pour assurer le payement des droits et redevances non abolis sans indemnité, et de décider les contestations qui s’élèvent au sujet de ces droits. M. Regnand (de Saint-Jean-d’ Angély .) Cette proposition peut d’autant moins être adoptée que, par un décret, vous avez ordonné aux procureurs du roi de poursuivre les personnes qui refusent de payer les droits conservés. Ces officiers, qui, pour la plupart, seront sans doute maintenus dans leurs fonctions, ne sont pas dans le cas des praticiens dont M. l’abbé Maury a parlé. Il est possible que le décret qui leur a enjoint ces poursuites ne soit pas suffisamment connu. On ne sait que trop que quelquefois on n’exécute pas les décrets qui protègent les propriétés, pour avoir le triste plaisir de vous porter des réclamations et des plaintes. Je propose de charger M. le président d’écrire à M. le garde des sceaux pour lui demander s’il a envoyé le décret dont il s’agit aux tribunaux du département de la Dordogne, ou bien, dans le cas où ce décret aurait été envoyé, quelles sont les causes de son inexécution. M. de Crillon le jeune. Dans le département de l’Oise, le peuple était dans les mêmes dispositions. Sur la réquisition du directoire, les gardes nationales ont marché, et tout est rentré dans l’ordre : vous avez voté des remercîments à ce directoire et aux gardes nationales. Le département de la Dordogne a les mêmes moyens. Il u’est donc pas nécessaire de décréter de nouvelles dispositions. M. de Foucault. La véritable raison de tous ces mouvements c’est que vous n'avez pas de force publique. Hâtez-vous de l’organiser, et le jour où vous aurez terminé ce travail sera celui où vous verrez l’ordre se rétablir. M. Merlin. Il est temps de marcher librement à l’achèvement de la Constitution, et d’écarter les entraves par lesquelles on éloigne le moment où nous pourrons arriver à ce but. Il faut apprendre aux agents du pouvoir exécutif à faire leur devoir; ce n’est pas nous qui devons remplir leurs fonctions. Les décrets sont extrêmement clairs : je demande qu’on renvoie la lettre sur laquelle nous délibérons au ministre qui l’a adressée, pour que fe pouvoir exécutif ordonne aux tribunaux et aux corps administratifs d’exécuter les décrets de l’Assemblée nationale. M. Martineau. Ce n’est pas assez pour le ministre d’avoir vos décrets à la main, il faut qu’il puisse les appuyer par la force armée : le ministre dit qu’elle lui manque. Organisez donc les gardes nationales , augmentez donc les maréchaussées. Si vous ne le satisfaites pas sur ces deux objets, pouvez-vous avec justice le rendre responsable? Je propose d’enjoindre au comité de vous présenter ses vues à cet égard et que les séances du soir soient entièrement consacrées à ces deux objets. M. Bouche. En exécution d’un décret rendu il y a plusieurs jours, il faut ordonner au comité de Constitution de vous faire, ce soir même, sou rapport sur l’organisation des gardes nationales. M. Ce Chapelier. Quelque zèle que le comité apporte dans ses opérations sur une partie qu’il regarde comme la clef de la Constitution, il ne peut encore vous présenter ce rapport; il y travaille matin et soir. Je demande la permission d’observer qu’il s’agit uniquement d’organiser les gardes nationales, suivant les principes de la Constitution, et qu’elles ne peuvent servir l’ordre public mieux qu’elles ne le font maintenant. J’ajoute encore que, sans doute, vous ne discuterez pas cette matière dans une séance du soir. Après quelques amendements, le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale, délibérant sur la lettre écrite aujourd’hui à son Président, par le ministre du roi, relativement aux obstacles qu’éprouvent, dans quelques paroisses, la perception des droits ci-devant seigneuriaux, qui ne sont pas supprimés sans indemnité ; renvoie au pouvoir exécutif, pour l’exécution des décrets de l’Assemblée sanctionnés par le roi. » M. le Président. Par suite du résultat du scrutin pour la nomination du comité des monnaies, les membres élus sont :