[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juillet 1790]. 337 paye pas pour lors à proportion de sa liberté ; parce qu'à cet égard, il n'est pas un peuple, mais un monarque. Mais la règle générale reste toujours. U y a dans les Etats modérés un dédommagement pour la pesanteur des tributs-, c'est la liberté. Il y a dans les Etats despotiques un équivalent pour la liberté : c'est la modicité des tributs. M. de Montesquieu aperçoit ainsi, avec sa sagacité ordinaire, les raisons qui affranchissent les cantons démocratiques de la Suisse du poids des tributs qu’entraîne toujours cette forme des gouvernements. LesEtats-Unis de l’Amérique peuvent également être cités en exception de la règle générale. Mais comment ont-ils échappé à la surcharge des impositions qui augmentent toujours avec la liberté? Par deux moyens qui expliquent aisément ce puénomène politique : d’abord, par l’infâme expédient de la banqueroute qu’ils ont faite à visage découvert, et ensuite par la ressource momentanée de cette immensité de domaines qu’ils vendent au profit du Trésor public. Sans ce double mode de libération, les circonstances heureuses qui dispensent les Etats-Unis d’entretenir ni flotte ni armée, ne le3 auraient pas préservés d’un accroissement d’impôts, véritablement intolérable dans un pays condamné encore pour longtemps à la plus excessive rareté de numéraire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TREILHARD. Séance du dimanche 25 juillet 1790 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. M. Holff, curé de Saint-Pierre-de-Lille. Qu’il est consolant pour un pasteur, dont le devoir indispensable est de plier la jeunesse à l’obéissance et à la subordination dues à la puissance souveraine de la nation, d’apprendre qu’un militaire respectable, M. Boisragon, ancien premier capitaine du régiment d’Orléans, s’occupe à rassembler de jeunes citoyens de 7 à 14 ans, à leur faire chérir la nouvelle Constitution du royaume, à leur apprendre à la défendre et à faire germer dans leur cœur l’amour le plus pur et l’attachement le plus sincère à la patrie ! Je pense que l'Assemblée nationale écoutera, avec intérêt, la lecture que je suis chargé de lui faire de la part de ces jeunes citoyens. M. Wolff fait lecture de cette adresse, elle se termine ainsi : « Les droits de l’homme, que vous avez assurés par vos décrets, sont gravés dans notre mémoire en traits ineffaçables ;il n’est pas difficile d’inculquer dans son esprit des connaissances aussi simples et aussi naturelles. Vos lois ont pour bases ces principes sacrés, elles rendront heureux tous ceux qui sont soumis à leur empire. Nous venons de consacrer à TEternel notre drapeau ; il sera toujours l’emblème et le gage de notre union civique et de notre dévoûmenl à la patrie ; nous venons de promettre au pied de l’autel d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi. Ce serment (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 1" Série, T. XVII. | qu’on ne peut exiger de notre âge, est l’expression libre et sincère de nos sentiments : nous n'eu professerons jamais d’autres; nous vivrons pour notre patrie, et nos derniers soupirs seront encore pour elle. * (Cette adresse reçoit beaucoup d’applaudissements.) M. le Président lit la note des décrets sanctionnés ou acceptés par le roi, dans les termes suivants : l°,Le décret de l’Assemblée nationale, du 17 de ce mois, portant que les directoires de district fixeront la somme à attribuer aux députés à la fédération, dans les districts où elle n’a pas été réglée; 2° Le décret du même jour, concernant les municipalités établies dans les villes de Riberac, les bourgs de.Saint-Martin et de Saint-Martial ; 3° Le décret du 18, portant que le terme de rigueur qui avait été fixé pour les échanges des assignats contre les billets delà caisse d’escompte est prorogé; 4° Le décret du même jour, concernant le payement d’arrérages de rentes, dépensions assignées sur le clergé, et d’autres objets de dépenses ; Et la perception de ce qui peut être encore dû des impositions ecclésiastiques des années 1789 et précédentes ; 5° Le décret du 19, portant que les bannières données par la commune de Paris aux 83 départements, et consacrées à la fédération du 14 juillet, seront placées dans le lieu où le conseil d’administration de chaque département tiendra ses séances ; 6° Le décret du même jour, portant que toutes les contributions publiques, non supprimées, continueront d’être levées et perçues de la même manière qu’elles l’ont été précédemment; notamment que les droits perçus sur les ventes de poissons dans les villes de Rouen, Meaux, Beauvais, Mantes, Senlis et autres, auront lieu comme par le passé; 7° Le décret du même jour, qui abolit le retrait lignager, le retrait demi-denier et les droits de treizain; 8° Le décret du même jour, qui règle l’uniforme que porteront les gardes nationales du royaume; 9° Et enfin Sa Majesté a donné ses ordres, en conséquence du décret du 17, pour le maintien de la tranquillité publique dans la ville d’Orange, et de la sûreté de cette ville. Signé : Champion de CicÉ, archevêque de Bordeaux. Paris , le 21 juillet 1790. M. le Président lit aussi la note suivante des décrets portés hier à la sanction du roi: Décret portant qu’il ne sera payé parles administrations municipales aucune pension au delà de 600 livres ; Décret qui charge le président de se retirer par-devers le roi pour le prier d’envoyer des troupes à Orange. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angély), secrétaire, doune lecture de deux lettres de M. de La Luzerne, ministre de la marine. Il annonce, dans la première, que, dans l’île de Saint-Martin, les citoyens ont forcé le régiment de la Guadeloupe de venir avec eux dans la partie hollandaise pour délivrer un Français détenu pour dettes; ils ont élargi les prisonniers et maltraité la sentinelle; m 338 [Awemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juillet 1790.] Par la seconde, le ministre prévient que les soldats, qui ont excité des troubles à la Guadeloupe, ont exigé de l’assemblée coloniale des certificats de bonne conduite. (Après une légère discussion, l’Assemblée a envoyé ces lettres aux comités de marine et des colonies réunis. ) M. Regnaud (de Saint-J ean-d’Angély) annonce une autre lettre de M. de La Tour-du-Pin, sur l’organisation de l’armée. Cette lettre, qui est ainsi conçue, est renvoyée au comité militaire : Observations de m. de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre , relatives au plan d’organisation de l'armée , précédemment envoyé à l'Assemblée nationale. 25 juillet 1790. Messieurs, par votre décret du 22 de ce mois, vous avez arrêté qu’il vous serait rendu compte des motifs qui ont déterminé à vous proposer l’entretien d’une armée de cent cinquante mille hommes. Dans un délai aussi court, je ne puis qu’indiquer rapidement tous les objets qu’il faut considérer pour se former un résultat de la force nécessaire à la sûreté d’un Empire. C’est de la nature de son gouvernement, de sa position géographique, de son étendue, de sa population, de ses alliances, des ennemis qu’il peut avoir, des forces qu’ils peuvent employer, que se compose le système de la défense d’un Etat. Telles sont les importantes considérations d’après lesquelles vous avez à fixer quelle armée peut être nécessaire à la France pour la guerre; il s’agira d’examiner ensuite jusqu’à quel point cette armée peut, sans inconvénient, être réduite à la paix. Sans doute, il appartenait aux représentants de la nation française de consacrer, les premiers, ce grand principe de justice, que la force militaire n’est créée que pour la conservation de l’Etat, et non pour son agrandissement; mais ce système juste et modéré n’en nécessite pas moins de grandes armées : s’il faut ne pas vouloir la guerre, il faut pouvoir la repousser avec vigueur; il faut surtout, autant qu’il est possible, chercher à en porter le théâtre chez nos ennemis. Défions-nous, Messieurs, de cette politique timide et trompeuse qui dirait qu’il suffit de bien garnir nos frontières; mais nous avons besoin, au contraire, d’armées fortes et manœu-vrières qui, agissant avantageusement au dehors, éloignent de notre pays les maux de tout genre qu’entraîne la guerre avec elle; nous devons chercher à faire vivre nos troupes aux dépens des Etats qui nous l’auront déclarée; alors nous obtiendrons, à la fois, repos pour le peuple et soulagement pour le Trésor public. Si vous considérez la force des armées qui neuvent nous être opposées, vous verrez que l’état de paix du roi de Hongrie est de deux cent trente mille hommes et que la conscription établie dans ses Etats peut les porter facilement au delà de trois cent mille. L’état de paix du roi de Prusse est de deux cent mille hommes, et une conscription d’un genre plus rigoureux encore peut les porter également à près de trois cent mille. Le contingent de l’Empire est de trente mille hommes, et doit, selon les circonstances, pouvoir se porter au triple de cette force. C’est contre une ou plusieurs de ces forces auxquelles peuvent se joindre des puissances du Nord, que nous devons songer à nous défendre-Mais il faut ajouter à la liste de nos besoins la conservation de nos colonies dans les deux Indes, et la garnison de nos vaisseaux; les puissances maritimes nous obligent à de grands efforts non seulement pour garantir ces importantes possessions, mais pour la protection que nous devons à notre commerce; c’est donc à une guerre de terre et de mer tout à la fois, qu’il faut que nous songions à faire face, et je pense, Messieurs, que vous en conclurez que, dans une telle position, ce n’est pas trop d’avoir un état militaire, constitué sur le pied de deux cent cinquante mille hommes, c’est-à-dire sur un pied plus faible que celui de chacune des puissances avec lesquelles nous pourrions avoir la guerre, quoique nous soyons presque toujours assurés d’avoir à la faire et sur mer et sur terre. Aussi, Messieurs, est-ce à l’heureuse position géographique de la France, au nombre et à la liaison de ses forteresses, à la nature de ses alliances, que nous devons de n’avoir pas besoin de plus nombreuses armées pour défendre d’aussi vastes possessions, une aussi grande étendue de côtes et de frontières. Je vais indiquer maintenant l’emploi des deux cent cinquante mille hommes que je crois nécessaires à la défense de l’Etat. On ne peut pas couvrir nos frontières , depuis Bâle jusqu’à la Meuse, avec une armée moindre de quatre-vingt mille hommes ; on ne peut pas en avoir moins de soixante mille pour pénétrer dans les Pays-Bas, et s’y maintenir ; la frontière des Alpes demande trente à quarante mille hommes, parce que la nature du pays donne aux ennemis que nous pourrions avoir dans cette partie, plus de facilité qu’à la France pour surprendre le passage des montagnes ; la garnison de nos vaisseaux exige au moins dix-huit mille hommes; celle de nos colonies en demande à peu près autant. En récapitulant ces différentes forces, vous trouverez deux cent seize mille combattants, et cependant il n’en est pas encore un seul employé à la garde de nos places et de nos côtes. J’ajouterai donc, Messieurs, au nombre ci-dessus de deux cent seize mille combattants, une réserve de trente-quatre à trente-huit mille hommes, formant à peu près le sixième de l’armée, tant pour réparer les pertes que pour garder nos forteresses et défendre nos côtes. L’histoire des guerres passées devient ici, Messieurs, un témoin précieux et irrécusable de la nécessité de cette force militaire ; consultez-là, vous nous verrez, sous les règnes précédents, avoir constamment, en armes, un bien plus grand nombre de troupes. En bornant donc à deux cent cinquante mille hommes les armées françaises, je n’ai point fait la supposition de la réunion de toutes les puissances contre la France; je n’ai fait que prévoir des événements ordinaires, et dans l’ordre de la vraisemblance; et j’ai cru qu’il fallait abandonner aux efforts du patriotisme le soin de surmonter les obstacles extraordinaires. Maintenant, Messieurs, s’il vous est prouvé qu’une armée de deux cent cinquante mille hommes est indispensable pour faire face aux besoius de la guerre, je vais indiquer jusqu’à