SÉANCE DU 24 THERMIDOR AN II (11 AOÛT 1794) - Nos 44-45 497 MERLIN (de Thionville) : Il n’est pas sans doute dans l’opinion de mon collègue Duhem qu’il n’y ait de lumière que dans le comité de salut public. J’étais bien aise de faire cette observation avant de demander la priorité pour la proposition de Delmas. TALLIEN : Le comité de salut public a été investi d’une grande autorité. Il est même, en quelque sorte, en ce moment, à lui seul le gouvernement. Une des plus grandes questions que nous ayons à traiter est celle de savoir si le gouvernement doit toujours avoir la même intensité. Pour éclaircir cette question, il me semble qu’on trouvera beaucoup plus de lumières dans une réunion de membres de tous les comités que dans celui de salut public seul, dont plusieurs membres n’ont encore été d’aucun comité. Il faut le répéter, nous voulons un gouvernement juste pour tous les citoyens, mais qui ne pèse plus sur eux avec une verge de fer. Nous voulons la même énergie, la même vigueur, la même unité dans les opérations du gouvernement; mais nous ne voulons plus du gouvernement des Robespierre, des Saint-Just et des Couthon. Je le déclare, si j’étais destiné à être membre d’un comité qui dût avoir les mêmes pouvoirs, je donnerais à l’instant ma démission. J’insiste pour la proposition de Delmas. La priorité, mise aux voix, est accordée à cette proposition. Bourdon (de l’Oise) : L’appel nominal ! Quelques membres : L’appel nominal ! THURIOT : Il est possible de concilier toutes les opinions. On a proposé, d’un côté, .de former une commission composée d’un membre de chaque comité, et, de l’autre côté, de renvoyer au comité de salut public, auquel se réuniraient les trois membres qui ont présenté les vues les plus lumineuses sur l’organisation du gouvernement. La première proposition a été décrétée : laissez subsister ce décret; mais, en même temps aussi, pourquoi n’adopteriez-vous pas l’autre proposition ? Ces deux sentiments ne s’excluent point; en effet, vous ne pouvez empêcher trois de vos membres, soit individuellement, soit réunis entre eux, ou avec le comité de salut public, de vous présenter aussi un projet de décret; et il y aura un avantage certain à cela : car si votre commission est en retard pour vous présenter un projet, ou si celui qu’elle vous présentera n’est pas tel qu’il dût convenir, vous vous serez ménagé une ressource : vous aurez l’avantage d’avor créé deux batteries. Je demande que la motion de Bourdon soit également décrétée. BARÈRE : Il faut aborder franchement la question. On a demandé beaucoup de lumières, pour avoir quoi ? Un gouvernement juste; mais est-ce juste à la manière des aristocrates ? Non, sans doute (On applaudit) (1). Non, s’écrie-t-on de toutes parts; ce n’est pas non plus à la vôtre, président des Feuillants, s’écrie Merlin (de Thionville). D’autres apostrophes très vives interrompent Barère. Il lui (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 472-476. convient bien, s’écrie Thirion, de nous traiter d’aristocrates, lui qui a été fait jacobin par Robespierre et Couthon ! BARERE : Mon style n’est pas personnel. Je demande qu’on pose pour première base le gouvernement révolutionnaire (Oui, s’écrie toute l’assemblée, en se levant et en applaudissant). C’est à lui que nous devons nos victoires, et l’état florissant de la République. S’il y a des abus, c’est qu’il y a des hommes et des passions, qu’il y a eu des Robespierre et des Saint-Just. — Et leurs partisans, s’écrie Thirion. Leurs partisans, reprend Barère, ne sont pas ceux qui ont combattu obscurément pendant un mois et demi pour démasquer le tyran (— Et qui faisoient son éloge l’avant-veille, s’écrie Le Cointre). Puisqu’on refuse de m’entendre, je conclus en demandant la priorité pour la proposition qui tend à appeler autant de lumières que possible dans le travail dont nous nous occupons (l)v BARÈRE : Je conclus à ce que la priorité soit accordée à la proposition de Bourdon (de l’Oise). La discussion est fermée. La Convention décrète la proposition de Delmas (2). Granet : Je demande que le projet définitif soit présenté demain pour tout délai. Cette proposition est adoptée (3). 44 Une députation de la commune de Tours dénonce le nommé Sénart, agent national de cette commune; elle l’accuse d’être l’un des fougueux complices de Robespierre, d’avoir eu des intelligences avec les émigrés, d’avoir jetté des patriotes dans les fers, d’avoir semé la division entre les Cordeliers et les Jacobins, d’avoir avili le signe de notre liberté, et dit que nous ne serions heureux que sous le gouvernement d’un seul. — Renvoyé au comité de sûreté générale (4). 45 [A cette députation (5) en succède une d’Arras]. Les citoyens d’Arras, réunis en assemblée générale, à la Convention nationale. (1) J. Perlet, n° 688; C. Eg., n° 723; Ann. patr., n° DLXXXVIII. (2) Décret n° 10 365. Rapporteur : Delmas. (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 476; J. Fr., n° 686; Rép., n° 235; J. Mont., n° 104; J. Paris, n° 589; J. Sablier, n° 1493; J. S. -Culottes, n° 544; C. univ., n° 955; J. Jacquin, n° 743; M.U., XLII, 397; F.S.P., n° 403; Audit, nat., n° 687. Le décret n° 10366 porte que le discours de Cambacérès sera imprimé. Rapporteur : Collombel (de la Meurthe). (4) J. Sablier, n° 1 494; pour C. univ. (n° 954), il s’agit d’une députation de sociétés d’Indre-et-Loire. (5) Celle de la commune de Tours {J. Sablier, n° 1 494). 32 SÉANCE DU 24 THERMIDOR AN II (11 AOÛT 1794) - Nos 44-45 497 MERLIN (de Thionville) : Il n’est pas sans doute dans l’opinion de mon collègue Duhem qu’il n’y ait de lumière que dans le comité de salut public. J’étais bien aise de faire cette observation avant de demander la priorité pour la proposition de Delmas. TALLIEN : Le comité de salut public a été investi d’une grande autorité. Il est même, en quelque sorte, en ce moment, à lui seul le gouvernement. Une des plus grandes questions que nous ayons à traiter est celle de savoir si le gouvernement doit toujours avoir la même intensité. Pour éclaircir cette question, il me semble qu’on trouvera beaucoup plus de lumières dans une réunion de membres de tous les comités que dans celui de salut public seul, dont plusieurs membres n’ont encore été d’aucun comité. Il faut le répéter, nous voulons un gouvernement juste pour tous les citoyens, mais qui ne pèse plus sur eux avec une verge de fer. Nous voulons la même énergie, la même vigueur, la même unité dans les opérations du gouvernement; mais nous ne voulons plus du gouvernement des Robespierre, des Saint-Just et des Couthon. Je le déclare, si j’étais destiné à être membre d’un comité qui dût avoir les mêmes pouvoirs, je donnerais à l’instant ma démission. J’insiste pour la proposition de Delmas. La priorité, mise aux voix, est accordée à cette proposition. Bourdon (de l’Oise) : L’appel nominal ! Quelques membres : L’appel nominal ! THURIOT : Il est possible de concilier toutes les opinions. On a proposé, d’un côté, .de former une commission composée d’un membre de chaque comité, et, de l’autre côté, de renvoyer au comité de salut public, auquel se réuniraient les trois membres qui ont présenté les vues les plus lumineuses sur l’organisation du gouvernement. La première proposition a été décrétée : laissez subsister ce décret; mais, en même temps aussi, pourquoi n’adopteriez-vous pas l’autre proposition ? Ces deux sentiments ne s’excluent point; en effet, vous ne pouvez empêcher trois de vos membres, soit individuellement, soit réunis entre eux, ou avec le comité de salut public, de vous présenter aussi un projet de décret; et il y aura un avantage certain à cela : car si votre commission est en retard pour vous présenter un projet, ou si celui qu’elle vous présentera n’est pas tel qu’il dût convenir, vous vous serez ménagé une ressource : vous aurez l’avantage d’avor créé deux batteries. Je demande que la motion de Bourdon soit également décrétée. BARÈRE : Il faut aborder franchement la question. On a demandé beaucoup de lumières, pour avoir quoi ? Un gouvernement juste; mais est-ce juste à la manière des aristocrates ? Non, sans doute (On applaudit) (1). Non, s’écrie-t-on de toutes parts; ce n’est pas non plus à la vôtre, président des Feuillants, s’écrie Merlin (de Thionville). D’autres apostrophes très vives interrompent Barère. Il lui (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 472-476. convient bien, s’écrie Thirion, de nous traiter d’aristocrates, lui qui a été fait jacobin par Robespierre et Couthon ! BARERE : Mon style n’est pas personnel. Je demande qu’on pose pour première base le gouvernement révolutionnaire (Oui, s’écrie toute l’assemblée, en se levant et en applaudissant). C’est à lui que nous devons nos victoires, et l’état florissant de la République. S’il y a des abus, c’est qu’il y a des hommes et des passions, qu’il y a eu des Robespierre et des Saint-Just. — Et leurs partisans, s’écrie Thirion. Leurs partisans, reprend Barère, ne sont pas ceux qui ont combattu obscurément pendant un mois et demi pour démasquer le tyran (— Et qui faisoient son éloge l’avant-veille, s’écrie Le Cointre). Puisqu’on refuse de m’entendre, je conclus en demandant la priorité pour la proposition qui tend à appeler autant de lumières que possible dans le travail dont nous nous occupons (l)v BARÈRE : Je conclus à ce que la priorité soit accordée à la proposition de Bourdon (de l’Oise). La discussion est fermée. La Convention décrète la proposition de Delmas (2). Granet : Je demande que le projet définitif soit présenté demain pour tout délai. Cette proposition est adoptée (3). 44 Une députation de la commune de Tours dénonce le nommé Sénart, agent national de cette commune; elle l’accuse d’être l’un des fougueux complices de Robespierre, d’avoir eu des intelligences avec les émigrés, d’avoir jetté des patriotes dans les fers, d’avoir semé la division entre les Cordeliers et les Jacobins, d’avoir avili le signe de notre liberté, et dit que nous ne serions heureux que sous le gouvernement d’un seul. — Renvoyé au comité de sûreté générale (4). 45 [A cette députation (5) en succède une d’Arras]. Les citoyens d’Arras, réunis en assemblée générale, à la Convention nationale. (1) J. Perlet, n° 688; C. Eg., n° 723; Ann. patr., n° DLXXXVIII. (2) Décret n° 10 365. Rapporteur : Delmas. (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 476; J. Fr., n° 686; Rép., n° 235; J. Mont., n° 104; J. Paris, n° 589; J. Sablier, n° 1493; J. S. -Culottes, n° 544; C. univ., n° 955; J. Jacquin, n° 743; M.U., XLII, 397; F.S.P., n° 403; Audit, nat., n° 687. Le décret n° 10366 porte que le discours de Cambacérès sera imprimé. Rapporteur : Collombel (de la Meurthe). (4) J. Sablier, n° 1 494; pour C. univ. (n° 954), il s’agit d’une députation de sociétés d’Indre-et-Loire. (5) Celle de la commune de Tours {J. Sablier, n° 1 494). 32 498 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Représentants, à peine sortie de la stupeur profonde où l’a plongée le spectacle continu de 3 mois de supplices, la commune d’Arras ne peut revenir encore qu’avec terreur sur ce long et effroyable rêve. Représentants du peuple, votre énergie a délivré la France d’un tyran. Vous ne laisserez impuni aucun de ses complices. Déjà des patriotes courageux de cette commune ont réclamé à votre barre contre les persécutions dont ils n’étaient pas les seules victimes. Ils vous disaient le mois dernier que les bons citoyens d’Arras étaient opprimés par l’héber-tisme, ou par la tyrannie, plus horrible encore, de Joseph Le Bon. Quelques-uns de ses agents, plus ou moins initiés, qui n’avaient cessé de déclamer contre les opprimés depuis leur absence, nous répétèrent alors avec plus de fureur que ceux qui se plaignaient étaient couverts de crimes, que leurs cris de douleur à la Convention étaient des calomnies contre nous. Sur ces accusations quelle opinion, quelle pensée nous était permise, quand la vérité, quand le doute même étaient étouffés par la terreur ? Une adresse et deux commissaires vous furent envoyés. Mais vous, représentants, vous qui gémissiez alors sous un joug de fer, et qui hâtiez par vos voeux le moment de le briser; vous, déjà instruits de presque toutes les horreurs qui depuis 3 mois épouvantaient nos voisins, et nous donnaient au loin une affreuse renommée; représentants, n’avez-vous pas vu dans cette adresse même la preuve de tous les faits dont aucun n’était démenti, la preuve de l’intolérable oppression qui nous écrasait ! Libres enfin, nous vous déclarons d’abord ce qui déjà plusieurs fois avant la chute des tyrans avait été publiquement reconnu; nous vous déclarons que ceux des citoyens poursuivis par Joseph Le Bon qui ont réclamé auprès de vous ont été horriblement calomniés; qu’à aucune époque et dans aucune crise de la révolution leur patriotisme ne sera douteux ou faible. Nous vous déclarons surtout que les dénonciations répétées par eux à votre barre le 15 thermidor sont loin de rendre l’horreur et l’amertume qui depuis 4 ou 5 mois nous abreuvent. Nous ne voulons et ne pouvons discuter ici chacun des 400 arrêts de mort prononcés et exécutés sous nos yeux par les ordres du frénétique Joseph Le Bon. Mais quand nous nous rappelons ses éternelles et sanguinaires clameurs, pour comprimer, pour étouffer autour de lui les sentiments de l’humanité et de la justice; quand nous nous rappelons la joie barbare avec laquelle il venait compter publiquement les têtes tombées dans le jour, celles qui le lendemain devaient tomber; ses fureurs contre ceux des jurés qui avaient été trop peu dociles, ses menaces contre les autres; plusieurs d’entre eux destitués, quelques-uns même incarcérés, pour n’avoir pas voté la mort de quelques-uns des hommes qu’il avait désignés; quand nous nous rappelons enfin l’atroce légèreté qui rédigeait les actes d’accusation, la perfidie avec laquelle les prévenus étaient interrogés, épouvantés, enlacés dans les pièges que de nouveaux Lau-bardemont leur rendaient, notre âme encore oppressée se soulève, et notre voix se joint à celle des tombeaux pour vous crier : Hommes justes, le sang innocent a coulé, la liberté a été poursuivie jusque dans la conscience des hommes libres, la justice et l’humanité ont été outragées. On vous a parlé de têtes coupables qui ont été frappées avec les autres; on vous dira que le glaive, promené au hasard par la fureur, a rencontré aussi des aristocrates. Sans doute, on vous vantera quelques services; mais quel monstre a pu, sans avoir fait quelque bien, acquérir la puissance du mal ? Dumouriez aussi avait immolé nos ennemis, il l’avait fait même avec courage, et Dumouriez fut un conspirateur. Robespierre aussi avait poursuivi des traîtres, et Robespierre fut un lâche tyran. Cromwell avait chassé les Stuarts, et son joug prépara les Anglais au retour de leur rois, et à cette longue servitude dont ils sont si dignes. L’un de ces monstres prêchait je ne sais quelle religion, l’autre vantait sa vertu. Le Bon les imitait. Ses pareils en d’autres temps dépouillaient, enchaînaient les hommes et dégradaient l’esprit humain par les terreurs de l’enfer. Il allait au même but par la terreur des supplices; il réalisait pour nous ces lugubres mensonges, et nous offrait l’image de ces êtres éternellement cruels dont on menaçait autrefois nos aïeux. Comme Robespierre, tout dégouttant de sang, il parlait de vertu. Infâmes ! Quoi ! Tibère, Néron, Cali-gula étaient donc vertueux ! Non, Français, non ! les plaisirs des tyrans, ni ceux des cannibales ne sont point vos vertus; vos vertus sont la justice, la générosité, le courage, l’amour de l’égalité, la haine des despotes. Représentants, Cromwell n’existe plus, mais quelques-uns de ses héritiers respirent. Nous ne vous dirons pas si le subalterne tyran était le confident ou l’ami du tyran en chef; s’il était moins intimement lié avec Robespierre qu’avec Saint-Just, s’il connaissait tout le parti que ces hommes voulaient tirer de son instinct féroce, s’il aspirait à régner avec eux ou sans eux, s’il avait plus ou moins d’ambition ou d’orgueil, ou si enfin, comme le tigre, il ne faisait qu’obéir à la soif du sang qui le dévorait. Sans pouvoir sonder son âme, nous vous peignons ses crimes. Nous ne vous rappelons que ceux qui furent publics; des témoins ou des pièces écrites vous ont instruits, ou vous instruiront des délits moins connus. La voix de celles de ses victimes qui lui sont échappées est parvenue ou parviendra jusqu’à vous. Les cris de l’innocence égorgée, ceux de la liberté violée seront aussi entendus et ne le seront pas en vain. Nous finissons en réclamant votre justice pour quatre patriotes, dont l’un, juge de paix, les autres, juges au tribunal du district d’Arras, incarcérés depuis 6 mois par Le Bon, encore pour un jugement, et un jugement rendu en 1792 (vieux style). Le résultat de cette affaire fut, il est vrai, la détention momentanée d’un patriote, et dans le temps nous l’avons reprochée à ces mêmes juges comme une erreur. 498 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Représentants, à peine sortie de la stupeur profonde où l’a plongée le spectacle continu de 3 mois de supplices, la commune d’Arras ne peut revenir encore qu’avec terreur sur ce long et effroyable rêve. Représentants du peuple, votre énergie a délivré la France d’un tyran. Vous ne laisserez impuni aucun de ses complices. Déjà des patriotes courageux de cette commune ont réclamé à votre barre contre les persécutions dont ils n’étaient pas les seules victimes. Ils vous disaient le mois dernier que les bons citoyens d’Arras étaient opprimés par l’héber-tisme, ou par la tyrannie, plus horrible encore, de Joseph Le Bon. Quelques-uns de ses agents, plus ou moins initiés, qui n’avaient cessé de déclamer contre les opprimés depuis leur absence, nous répétèrent alors avec plus de fureur que ceux qui se plaignaient étaient couverts de crimes, que leurs cris de douleur à la Convention étaient des calomnies contre nous. Sur ces accusations quelle opinion, quelle pensée nous était permise, quand la vérité, quand le doute même étaient étouffés par la terreur ? Une adresse et deux commissaires vous furent envoyés. Mais vous, représentants, vous qui gémissiez alors sous un joug de fer, et qui hâtiez par vos voeux le moment de le briser; vous, déjà instruits de presque toutes les horreurs qui depuis 3 mois épouvantaient nos voisins, et nous donnaient au loin une affreuse renommée; représentants, n’avez-vous pas vu dans cette adresse même la preuve de tous les faits dont aucun n’était démenti, la preuve de l’intolérable oppression qui nous écrasait ! Libres enfin, nous vous déclarons d’abord ce qui déjà plusieurs fois avant la chute des tyrans avait été publiquement reconnu; nous vous déclarons que ceux des citoyens poursuivis par Joseph Le Bon qui ont réclamé auprès de vous ont été horriblement calomniés; qu’à aucune époque et dans aucune crise de la révolution leur patriotisme ne sera douteux ou faible. Nous vous déclarons surtout que les dénonciations répétées par eux à votre barre le 15 thermidor sont loin de rendre l’horreur et l’amertume qui depuis 4 ou 5 mois nous abreuvent. Nous ne voulons et ne pouvons discuter ici chacun des 400 arrêts de mort prononcés et exécutés sous nos yeux par les ordres du frénétique Joseph Le Bon. Mais quand nous nous rappelons ses éternelles et sanguinaires clameurs, pour comprimer, pour étouffer autour de lui les sentiments de l’humanité et de la justice; quand nous nous rappelons la joie barbare avec laquelle il venait compter publiquement les têtes tombées dans le jour, celles qui le lendemain devaient tomber; ses fureurs contre ceux des jurés qui avaient été trop peu dociles, ses menaces contre les autres; plusieurs d’entre eux destitués, quelques-uns même incarcérés, pour n’avoir pas voté la mort de quelques-uns des hommes qu’il avait désignés; quand nous nous rappelons enfin l’atroce légèreté qui rédigeait les actes d’accusation, la perfidie avec laquelle les prévenus étaient interrogés, épouvantés, enlacés dans les pièges que de nouveaux Lau-bardemont leur rendaient, notre âme encore oppressée se soulève, et notre voix se joint à celle des tombeaux pour vous crier : Hommes justes, le sang innocent a coulé, la liberté a été poursuivie jusque dans la conscience des hommes libres, la justice et l’humanité ont été outragées. On vous a parlé de têtes coupables qui ont été frappées avec les autres; on vous dira que le glaive, promené au hasard par la fureur, a rencontré aussi des aristocrates. Sans doute, on vous vantera quelques services; mais quel monstre a pu, sans avoir fait quelque bien, acquérir la puissance du mal ? Dumouriez aussi avait immolé nos ennemis, il l’avait fait même avec courage, et Dumouriez fut un conspirateur. Robespierre aussi avait poursuivi des traîtres, et Robespierre fut un lâche tyran. Cromwell avait chassé les Stuarts, et son joug prépara les Anglais au retour de leur rois, et à cette longue servitude dont ils sont si dignes. L’un de ces monstres prêchait je ne sais quelle religion, l’autre vantait sa vertu. Le Bon les imitait. Ses pareils en d’autres temps dépouillaient, enchaînaient les hommes et dégradaient l’esprit humain par les terreurs de l’enfer. Il allait au même but par la terreur des supplices; il réalisait pour nous ces lugubres mensonges, et nous offrait l’image de ces êtres éternellement cruels dont on menaçait autrefois nos aïeux. Comme Robespierre, tout dégouttant de sang, il parlait de vertu. Infâmes ! Quoi ! Tibère, Néron, Cali-gula étaient donc vertueux ! Non, Français, non ! les plaisirs des tyrans, ni ceux des cannibales ne sont point vos vertus; vos vertus sont la justice, la générosité, le courage, l’amour de l’égalité, la haine des despotes. Représentants, Cromwell n’existe plus, mais quelques-uns de ses héritiers respirent. Nous ne vous dirons pas si le subalterne tyran était le confident ou l’ami du tyran en chef; s’il était moins intimement lié avec Robespierre qu’avec Saint-Just, s’il connaissait tout le parti que ces hommes voulaient tirer de son instinct féroce, s’il aspirait à régner avec eux ou sans eux, s’il avait plus ou moins d’ambition ou d’orgueil, ou si enfin, comme le tigre, il ne faisait qu’obéir à la soif du sang qui le dévorait. Sans pouvoir sonder son âme, nous vous peignons ses crimes. Nous ne vous rappelons que ceux qui furent publics; des témoins ou des pièces écrites vous ont instruits, ou vous instruiront des délits moins connus. La voix de celles de ses victimes qui lui sont échappées est parvenue ou parviendra jusqu’à vous. Les cris de l’innocence égorgée, ceux de la liberté violée seront aussi entendus et ne le seront pas en vain. Nous finissons en réclamant votre justice pour quatre patriotes, dont l’un, juge de paix, les autres, juges au tribunal du district d’Arras, incarcérés depuis 6 mois par Le Bon, encore pour un jugement, et un jugement rendu en 1792 (vieux style). Le résultat de cette affaire fut, il est vrai, la détention momentanée d’un patriote, et dans le temps nous l’avons reprochée à ces mêmes juges comme une erreur. SÉANCE DU 24 THERMIDOR AN II (11 AOÛT 1794) - N° 45 499 Nous vous prions de charger votre comité de sûreté générale d’examiner si elle fut autre chose que le crime des lois royalistes d’alors. Quant aux juges détenus, qui se nomment Thiebaut, Triboulet, Gosse et Lecoq, pendant tout le temps que nous les avons vus parmi nous, nous n’avons eu à reprocher que cette erreur à leur patriotisme. Représentants du peuple français, le jour de la justice se lève. Tous nos concitoyens l’attendent. Ce sera après votre décision surtout qu’ils iront embrasser l’autel de la patrie, dont un monstre aurait fait l’autel des Euménides. A Arras, le 21 thermidor, l’an 2e de la République une et indivisible. [Suivent plusieurs mille signatures (sic)]. Extrait de la résolution prise par les citoyens de la commune d’Arras, réunis en assemblée générale, le 21 thermidor de la 2? année de la République française, une et indivisible, 2 heures de l’après-midi. Sur l’observation faite par un citoyen, que Le Bon, représentant, avait annoncé à la Convention nationale, le 15 de ce mois : Qu’étant arrivé primidi à Arras, ville où est né Robespierre, aussitôt que le courrier portant la nouvelle de son supplice, il avait assemblé le peuple et le district, les avait pérorés, et leur avait dit qu’il fallait se rallier à la Convention; que tout le monde avait applaudi; qu’il leur apprit des faits qui étaient à sa connaissance, et qui les mirent à portée d’apprécier ce qu’était Robespierre. L’assemblée générale de la commune a unanimement déclaré que le prêtre Le Bon en a audacieusement imposé à la Convention nationale; qu’il n’a pas du tout parlé aux citoyens d’Arras, et qu’il est resté au district. P.c.c. Les commissaires de la commune d’Arras, Buissart, Harel et Michaut. Cette adresse et la déclaration y jointe sont renvoyées aux comités de salut public et de sûreté générale (1). (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 470-471; Débats, n° 690, 410-413; J. Perlet, n° 688; J. Jacquin, n° 743; C. univ., n° 954; J. Fr., n° 686; J. Mont., n° 104; J.S. -Culottes, n° 543; F.S.P., n° 403; M.U., XLII, 397.