[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1789.] 211 M. l’abbé Grégoire, curé d’Emberménil. On ne peut se dissimuler que ceux qui craignent la réforme des abus dont ils vivent, épuisent toutes les ressources de l’astuce et font mouvoir tous les ressorts pour faire échouer les opérations de l’Assemblée nationale. Si les Français consentaient actuellement à recevoir des fers, il seraient l’opprobre du genre humain et la lie des nations ; en conséquence, non-seulement j’appuie la motion, mais je demande qu’on dévoile, dès que la prudence le permettra, les auteurs de ces détestables manœuvres ; qu’on les dénonce à la nation comme coupables du crime de lèse-majesté nationale, afin que l’exécration contemporaine devance l’exécration de la postérité. Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée, et qu’on aille aux voix. M. de Gouy d’ Arcy. Le sujet est si important et la délibération si pressante, que je prie M. le président de faire procéder à l’appel, et de finir la délibération avant de lever la séance. La discussion est fermée ; on demande de nouveau à aller aux voix. M. le comte Mirabeau relit sa motion. M. ISIauzal. Le Roi n’aura jamais de garde plus assurée que la confiance de ses sujets fil est le père de tous les Français ; pourrait-il redouter de se trouver au milieu de ses enfants ? Cependant on environne de troupes cette Assemblée ; on fait venir des extrémités du royaume une effrayante artillerie ; on établit des 'camps aux environs de cette ville, comme s’il y avait lieu de craindre des attaques et de livrer des combats. Pour faire cesser ces alarmes, j’adopte la motion de M. le comte de Mirabeau ; mais je propose, par amendement, de retrancher l’article concernant la garde bourgeoise, sauf à y revenir dans la suite, s’il paraît nécessaire. Cet amendement est adopté. La motion ainsi dégagée est mise aux voix ; elle passe à l’unanimité, excepté quatre voix. En voici le texte : « Qu’il sera fait au Roi une très-humble adresse, pour peindre à Sa Majesté les vives alarmes qu’inspire à l’Assemblée nationale de son royaume, l’abus qu’on s’est permis , depuis quelque temps, du nom d’un bon Roi, pour faire approcher de la capitale et de cette ville de Versailles, un train d’artillerie et des corps nombreux de troupes, tant étrangères que nationales, dont plusieurs sont déjà cantonnées dans les villages voisins, et pour la formation annoncée de divers camps aux environs de ces deux villes : qu’il sera représenté au Roi, non -seulement combien ces mesures sont opposées aux intentions bienfaisantes de Sa Majesté pour le soulagement de ses peuples, dans cette malheureuse circonstance de cherté et de disette des grains; mais encore combien elles sont contraires à la liberté et à l’honneur de l’Assemblée nationale; propres à altérer entre le Roi et ses peuples cette précieuse con-iiance qui fait la gloire et la sûreté du monarque, qui seule peut assurer le repos et la tranquillité du royaume, et procurer enfin à la nation les fruits* inestimables qu’on attend des travaux et du zèle de cette Assemblée : que Sa Majesté sera suppliée très-respectueusement de rassurer ses fidèles sujets, en donnant les ordres nécessaires pour la cessation immédiate de ces mesures, également inutiles, dangereuses et alarmantes, et pour le prompt renvoi des troupes et du train d’artillerie au lieu d’où on les a tirés. » En conséquence, M. le président qui, dans le cours de la séance, avait annoncé que Sa Majesté lui avait fait dire de se rendre auprès de sa personne à six heures du soir, a été chargé par l’ Assemblée nationale de demander au Roi si Sa Majesté voudrait bien recevoir une députation qui lui présentera la respectueuse adresse que l’Assemblée nationale vient de décréter. M. le Président invite les comités de rédaction, de vérification de pouvoirs, de règlement et de distribution du travail relatif à la constitution, à s’assembler ce soir à six heures, et la séance est prorogée à demain neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du jeudi 9 juillet 1789. Al’ouverturede la sépnce, M. le Président dit que, sur l’invitation qui lui en avait été faite par Sa Majesté, il s’était rendu hier au soir auprès du Roi. Le monarque lui a dit qu’il aurait voulu le voir pour lui manifester ses intentions relativement aux troupes qui se sont approchées de Paris et de Versailles ; qu’elles ne porteront jamais aucune atteinte à la liberté des Etats généraux ; que leur rassemblement n’a d’autre but que de rétablir le calme, et que leur séjour ne durera que le temps nécessaire pour garantir la sûreté publique, objet de sa prévoyance. Le Roi a ajouté qu’étant déjà instruit de la délibération prise par l’Assemblée à ce sujet, il recevrait la députation, et lui donnerait une réponse ostensible. On lit ensuite différentes adresses envoyées à l’Assemblée de la part des électeurs des villes de Bordeaux, Poitiers, Nemours, Ghâtellerault et Uzerches. Toutes ces adresses expriment les mêmes sentiments de respect, de reconnaissance pour l’Assemblée, et d’adhésion à tout ce qu’elle a déjà fait. L’Assemblée les accueille avec intérêt et en ordonne l’insertion au procès-verbal. M. de Lally-Tollendal donne lecture du procès-verbal. M. le Président prévient l’Assemblée que M. le rapporteur de la députation du bailliage d’Amont est prêt à faire le rapport de la contestation élevée sur les deux députations de ce bailliage. M. Tronchet fait ce rapport. Il en résulte qu’il existe deux députations de la noblesse. L’une, au nombre de trois, nommée par la majorité ; L’autre, par la minorité, également au nombre de trois. La première a été faite dans une convocation des trois ordres ; L’autre, en vertu d’un arrêt du conseil. Cette affaire est devenue excessivement compliquée par les arrêtés du parlement de la paovirice, les arrêts du Conseil, pour casser les arrêtés et les protestations des deux partis. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1789.] [Assemblée nationale.] Le rapporteur réduit la question à celle de savoir si la députation est valable ou non. Nous ne suivrons pas dans toutes les divisions les objections, les raisonnements auxquels il a cru devoir se livrer. L'Assemblée étant fatiguée de la prolixité de ce rapport, M. de Saint-Fargeau élève le premier la voix sur les députations du bailliage d’Amont, et s’arrête à un tempérament qui consiste à admettre les deux premiers députés de chaque députation. Il fonde cette opinion sur diverses considérations, telles que la crainte d’entretenir la haine dans la noblesse d’une province frontière, et de la laisser divisée en deux factions, en proie à une animosité qui ne s’éteindra qu’avec la génération actuelle. Un membre. Sans doute, il serait inquiétant de voir les premiers citoyens d’une province s’abandonner à l’esprit de parti ; sans doute, il est bien plus désirable d’étouffer un feu qui peut brûler longtemps; mais enfin il existe deux députations: il y en a une de régulière, ou elles sont nulles toutes deux. S’il y en a une régulière il faut l’admettre, quelles que soient les considérations, c’est la loi de la justice. M. Le Pelletier «le Saint-Fargeau. Je crois qu’il faut plutôt les renvoyer toutes deux que d’en admettre une exclusivement. Un membre de la noblesse parle encore en faveur de la première députation ; il fait part de quelques faits. 1° La minorité qui, au nombre de cent cinquante, a nommé la seconde députation, a quitté la majorité qui, au nombre de cent soixante, est restée dans l’église avec les autres ordres ; 2° par le serment, la minorité a reconnu la légalité de l’Assemblée ; 3° que la minorité avait protesté contre la tenue des Etats généraux, et contre tout ce qui s’y ferait. L’orateur s’étend ensuite sur les faits généraux, et conclut en faveur de la première députation. Une discussion s’élève sur la manière de poser la question. M. ie Président. Je demande s’il ne convient pas d’abord de statuer sur la première députation et d’opiner pour la déclarer ou valable ou nulle. M***. La question ainsi posée ne se rapproche pas de tous les systèmes. M. le Président. Je crois qu’il vaut mieux étendre un peu davantage la délibération, afin qu’elle soit plus nette et plus claire. On rédige ainsi la proposition : 1° Admettra-t-on la première ou la seconde? 2° Ou les admettra-t-on toutes les deux ? On procède à l’appel nominal. 11 y a eu 597 voix pour la première députation, 84 pour toutes deux, 3 pour qu’elles eussent séance muette, 1 pour que dans les deux députations il n’y eût que 3 membres, pris indistinctement, qui auraient voix délibérative , 2 pour mettre en délibéré. M. Dusson de BSonnac, évêque d’Agen , demande à l’Assemblée la permission de mettre sous ses yeux une déclaration de la noblesse du bailliage d’Agen. Extrait de déclaration de la noblesse du bailliage d’Agen. « Ayant pris en considération l’état actuel des Etats généraux, et après le recensement des suffrages, nous avons vu avec douleur que les efforts de nos députés ayant été jusqu’à ce moment vains et illusoires, pour se mettre en activité et se constituer définitivement en Etats généraux ; désirant contribuer au grand ouvrage du bien public et rendre hommage à l’esprit de paix des membres de l’Assemblée nationale, au courage dont ils ont donné des preuves, à la sagesse qu’ils ont montrée ; étant moins jaloux de nos droits particuliers que de l’intérêt général, nous déclarons être pleinement satisfaits de nos députés, et nous désirons que leurs pouvoirs soient modifiés; encore que nous leur ordonnions de se rendre à la salle générale des Etats généraux, pour participer à la régénération du royaume, sans compromettre toutefois les privilèges honorifiques de la noblesse ; leur enjoignons en outre de ne consentir à aucun emprunt, à aucun subside, que la constitution ne soit invariablement fixée, et leur permettons de se relâcher sur les articles 14 et 15. » Celte déclaration est reçue avec les plus vifs applaudissements. M. le comte de Mirabeau lit ensuite le projet d’adresse qu’il a été chargé de rédiger. Cette adresse fait la plus vive sensation sur l’Assemblée, qui se lève unanimement en signe d’adhésion. La voici telle qu’elle a été lue et adoptée. ADRESSE AU ROI. Sire, vous avez invité l’Assemblée nationale à vous témoigner sa confiance : c’était aller au-devant du plus cher de ses vœux. Nous venons déposer dans le sein de Votre Majesté les plus vives alarmes. Si nous en étions l’objet, si nous avions la faiblesse de craindre pour nous-mêmes, votre bonté daignerait encore nous rassurer, et même, en nous blâmant d’avoir douté de vos intentions, vous accueilleriez nos inquiétudes; vous en dissiperiez la cause; vous ne laisseriez point d’incertitude sur la position de l’Assemblée nationale. Mais, Sire, nous n’implorons point votre protection ; ce serait offenser votre justice : nous avons conçu des craintes ; et, nous l’osons dire, elles tiennent au patriotisme le plus pur, à l’intérêt de nos commettants, à la tranquillité publique, au bonheur du monarque chéri, qui, en nous aplanissant la route de la félicité, mérite bien d’y marcher lui-même sans obstacle. Les mouvements de votre cœur, Sire, voilà le vrai salut des Français. Lorsque des troupes s’avancent de toutes parts, que des camps se forment autour de nous, que la capitale est investie, nous nous demandons avec étonnement : le Roi s’est-il méfié de la fidélité de ses peuples ? S’il avait pu en douter, n’aurait-il pas versé dans notre cœur ses chagrins paternels? Que veut dire cet appareil menaçant? Où sont les ennemis de l’Etat et du Roi qu’il faut subjuguer? Où sont les rebelles, les ligueurs qu’il faut réduire? Une voix unanime répond dans la capitale et dans l’étendue du royaume ; Nous chérissons notre Roi ;