SÉANCE DU 18 THERMIDOR AN II (5 AOÛT 1794) - N° 28 215 liberté. Plus les conspirateurs étoient illustres, plus leur suplice frapera de terreur nos ennemis. Il en est un de ces conspirateurs qui étoit de notre département, qui avoit sçu captiver nos affections; mais, si il nous étoit cher, c’étoit parce que nous le regardions comme un chaud deffenseur de la patrie. Aujourdhuy qu’il l’a trahie, qu’il a conspiré contr’elle, nous le haïssons; nous le vouons à l’infâmie. Ce n’est pas aux hommes que nous nous attachons, c’est aux principes. La réputation des hommes n’est rien pour nous; le peuple est tout; lui seul est grand à nos yeux. Toujours nous serons unis à la Convention nationale. Elle est le point central qui doit diverger les rayons de la félicité publique. Haine aux tyrans, mort aux conspirateurs, honneur à la vertu, attachement inviolable à la République une et indivisible, confiance entière en la Convention nationale ! — Voilà nos sentimens. Vive la République une et indivisible ! Desbouis, Dubois (présid.), Alexandre, Chau-four, Boutarel, Perdraux, Decrepoux, Chivot (secret.), Verdier Latour, Desefrement, O. Gohan, Maÿmatier. [Applaudissements] Ces adresses sont accueillies avec le plus vif intérêt. La mention honorable et l’insertion au bulletin en sont décrétées (1). 28 CAMBON : L’engouement pour un homme a mis la République à deux doigts de sa perte. Votre courage et votre union ont encore une fois sauvé la liberté; votre sagesse saura la préserver du retour d’un semblable danger. Déjà vous avez reconnu la nécessité de faire des changements notables dans votre organisation intérieure, afin de concentrer dans la Convention l’exercice du gouvernement révolutionnaire, et le comité de salut public s’est empressé de vous présenter un projet de décret rédigé dans cette vue. Le fond de ce projet est d’accord avec les principes de l’opinion que j’ai émise dans la séance du 11 courant; il rend aux comités de la Convention une grande partie de l’activité qu’ils avaient perdue; mais je ne pense pas qu’il leur donne encore toute celle dont ils sont susceptibles, et que le bien public me semble réclamer impérieusement. Pour développer mon idée, il est nécessaire que je rappelle le passé. La Convention, pénétrée du danger de faire administrer hors de son sein, au milieu du mouvement d’une grande révolution, et également convaincue de l’impossibilité d’administrer en séance publique, se détermina à créer un comité de salut public, chargé de diriger et de (1) Moniteur ( réimpr.), XXI, 410; BF, 26 therm. (2e suppl1); J. Fr., n° 680; F.S.P., n° 397; J. Mont., n° 98; Rép., n° 229. Mentionné par Mess. Soir, n° 716; Audit, nat., n° 681; J. Sablier, n° 1 482. surveiller toutes les opérations du gouvernement; il lui fut expressément prohibé de faire arrêter les citoyens et de disposer des fonds de la République. Un comité de sûreté générale fut conservé; il fut chargé de la police générale de la République, et fut, exclusivement à tous les autres comités, investi du droit de décerner des mandats d’amener ou d’arrêt contre les citoyens. Ces deux comités eurent la faculté de prendre des arrêtés qui étaient exécutoires. Le premier était tenu d’en rendre compte à la Convention; le second ne devait rendre compte que lorsqu’on le lui demanderait. On avait aussi conservé un comité des finances, qui avait la surveillance directe de la trésorerie nationale. Ce comité ne pouvait prendre aucun arrêté et devait tout rapporter à la Convention. Enfin, les autres comités alors existants devaient conserver leur activité ordinaire, et proposer à la Convention les objets de législation. Le projet de décret présenté par le comité de salut public remet les choses à peu près dans le premier état. Je ne vous rappellerai pas les détails de ce qui s’est passé; la liberté peut en avoir tiré des avantages, et l’histoire saura en recueillir tous les traits; mais vous avez vu comment cette organisation première avait insensiblement dégénéré; comment tous les pouvoirs s’étaient successivement concentrés dans un seul comité, par l’habitude de lui renvoyer toutes les affaires; comment la faculté de prendre des arrêtés exécutoires était devenue un moyen de paralyser les décrets de la Convention; comment enfin cet ordre de choses avait servi les vues ambitieuses de l’usurpateur que vous venez d’anéantir. Cette utile expérience nous avertit du danger de soustraire l’administration générale à la surveillance directe de la Convention; elle prouve combien il importe que la représentation, en masse, prenne au gouvernement toute la part qu’elle y peut prendre, sans que la marche des opérations en éprouve aucun ralentissement; or, ce double but me paraît possible à atteindre, en confiant aux divers comités la surveillance directe des commissions exécutives, et en établissant ces mêmes comités intermédiaires entre les commissions et le comité central du gouvernement. C’est dans ce point principal que mon projet diffère de celui du comité de salut public. Nous sommes d’accord qu’il convient de supprimer tous les comités, et qu’il faut en créer en nombre égal à celui des commissions exécutives. Je suis d’avis, comme lui, que la commission des relations extérieures doit être sous la surveillance directe du comité de salut public; je propose aussi de charger le comité de salut public d’ordonnancer les dépenses secrètes. Le comité de sûreté générale doit être chargé, d’après mon projet, comme d’après celui du comité de salut public, de la police générale de la République; il doit être le seul de la Convention qui puisse décerner des mandats 216 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE d’amener ou d’arrêt contre les citoyens; mais je pense que ce doit être restreint vis-à-vis des fonctionnaires publics, et qu’il doit alors être tenu de se concerter avec le comité chargé de surveiller la partie d’administration à laquelle le fonctionnnaire dénoncé se trouverait appartenir. Par ce moyen, on pourra éviter beaucoup de dénonciations qui ont pour but une désorganisation des administrations, et qui sont souvent suscitées par des remplaçants qui ne cherchent qu’à se mettre à la place de ceux qu’ils dénoncent. Enfin le comité vous propose de charger les divers comités de la partie législative, et de distinguer celle d’exécution, pour la confier exclusivement au comité de salut public, auquel toutes les commissions rendraient compte journellement de leurs opérations. J’observerai à ce sujet que la distinction à établir entre les actes de législation et ceux d’exécution me paraît devoir être une source de difficultés sans cesse renaissantes; elle pourrait faire naître entre les divers comités et celui de salut public une lutte nécessairement préjudiciable à la chose publique. Enfin, j’aurai le courage de le dire, parce que je ne sais point taire les vérités que je crois utiles à prononcer, c’est à cette distinction si difficile à bien saisir, et par là même si favorable à l’extension des pouvoirs, que j’attribue la presque nullité dans laquelle la Convention était tombée, et dont votre énergie l’a si glorieusement tirée. C’est par ces considérations que je propose de décréter que chacune des commissions exécutives rendra un compte journalier de ses opérations au comité chargé de la surveiller. Elle lui soumettra les difficultés à résoudre, et lui proposera les mesures d’exécution. Si ces mesures concernent la législation, le comité en fera le rapport à la Convention, après les avoir communiquées au comité de salut public. Si elles ne sont relatives qu’à l’exécution, le comité rédigera le projet d’arrêté qui sera porté par un membre au comité de salut public chargé d’ordonner toutes les mesures d’exécution. Par ce moyen, tous les actes de législation et d’exécution seront examinés dans un point central, et tous les membres de la Convention seront à portée de concourir tour à tour, chacun dans leur partie, aux actes du gouvernement. Si l’on pouvait craindre que ce mode n’entraînât quelque lenteur dans la marche des affaires, je rappellerais que c’est de cette manière qu’a toujours été dirigée l’administration de la trésorerie nationale, dont l’existence est due à la révolution, et dans laquelle la partie des finances proprement dite se trouve concentrée depuis 1791. Cette administration n’a eu de rapports qu’avec votre comité des finances, sous la surveillance duquel elle est placée : c’est à ce comité qu’elle soumet tout ce qui concerne le service important qui lui est confié, et cependant ce service, qui a exigé une activité si constante pour les recettes et pour les dépenses, n’a jamais éprouvé aucun ralentissement. Le comité vous propose de conserver au comité des finances cette surveillance. Cet exemple démontre la possibilité de soumettre les autres commissions au même genre de surveillance. Les comptes journaliers qu’elles rendront aux comités instruiront tous les membres des détails de l’administration de la République; et à l’époque du renouvellement du comité de salut public, il se trouvera beaucoup de représentants qui, ayant déjà travaillé dans un comité, ne seront pas étrangers aux affaires générales. Vous remédiez également par là aux inconvénients que l’on pourrait redouter de la fréquence du renouvellement des membres du comité de salut public, puisque les membres qui sortiraient de ce comité pourraient être de suite employés dans les comités correspondant à la partie qu’ils auraient particulièrement suivie, et qu’ils continueraient ainsi de participer indirectement aux actes du gouvernement. Je le répète : en vain voudrait-on vous faire craindre que l’action du gouvernement fût ralentie; car si vous vous déterminez à confier la surveillance directe des commissions exécutives au comité de salut public, il serait obligé de se diviser le travail en douze parties; chacun des membres serait absorbé par les détails, et ils ne pourraient trouver le moyen de se réunir pour délibérer en commun qu’en abandonnant en grande partie la suite de ces détails aux chefs de leurs bureaux. Barère vous a dit que le comité de salut public devait avoir la pensée du gouvernement : je suis de son avis, et c’est pour donner à ce comité le temps nécessaire pour utiliser la pensée que je propose de le soulager d’une partie du travail de l’exécution; c’est de plus un moyen d’arrêter les progrès de la bureaucratie, à laquelle un gouvernement ne peut échapper lorsque ses agents principaux sont surchargés de détails qu’ils ne peuvent suivre tous personnellement. Le comité de salut public avait senti cette vérité lorsqu’il vous proposa d’établir, sous ses ordres, des intermédiaires, sous le titre de commissions exécutives, qui sont chargées de surveiller des agences. Ces commissions remplissent par conséquent les mêmes fonctions que je propose d’attribuer aux comités de la Convention : par ce moyen, nous rendons à la représentation nationale la surveillance directe qui lui appartient, et dont elle se trouverait privée. Cette proposition nous conduira naturellement à examiner s’il est utile de conserver des commissions, car rien ne paraîtrait s’opposer à ce que les agences correspondissent directement avec vos comités : le service obtiendrait une plus grande activité, et vous consacreriez ainsi un principe essentiel du gouvernement révolutionnaire, qui veut qu’il y ait le moins de distance possible entre celui qui ordonne et celui qui exécute; et ce ne serait qu’à compter de cette suppression qu’on pourrait dire que les vestiges de l’ancien ministère ont entièrement disparu. S’il fallait vous citer des exemples des retards qui peuvent être occasionnés par les commissions exécutives, je vous parlerais de la commission des revenus nationaux que je connais plus particulièrement. SÉANCE DU 18 THERMIDOR AN II (5 AOÛT 1794) - Nos 29-30 217 Si un comité a besoin d’un renseignement sur les assignats, le commissaire se charge des observations ou demandes; il les transmet à l’agence des assignats, qui lui répond par écrit; et le commissaire porte cette réponse au comité. Ainsi, cet intermédiaire n’est qu’un porteur d’ordres entre les comités et les agences, et occasionne des retards inévitables. Cette question est importante et peut être traitée distinctement : je me borne à vous la présenter pour obtenir votre méditation; elle ne doit pas retarder l’organisation de vos comités, dont il est instant que vous vous occupiez. Je propose aussi de changer la dénomination du comité de salut public, et de lui donner celle de comité central du gouvernement révolutionnaire. Ce changement peut paraître minutieux; mais j’ai pensé qu’il pouvait convenir d’annoncer que le salut public tenait à la Convention tout entière; que le gouvernement de la République était entre ses mains, et qu’elle surveillait en masse les agents de l’administration générale, par une partie de ses membres réunis dans un comité central. Telles sont les bases de l’organisation que je vous ai proposée, et qui contient quelques détails d’exécution; elle m’a paru propre à prévenir les dangers auxquels nous avons été au moment de succomber. Tous les représentants du peuple, je le répète, seraient ainsi appelés à participer au gouvernement; la connaissance des affaires ne serait plus concentrée entre un petit nombre d’hommes qu’il n’est pas juste d’ailleurs de charger seuls du poids d’une immense responsabilité. La Convention saurait tout, et les ambitions particulières, fléau des républiques, ne seraient plus à redouter. L’assemblée décrète l’impression du discours de Cambon (1). 29 [Les administrateurs du départ '! du Cher à la Conv.; Bourges, 13 therm. II] (2) Représentans du Peuple, Les modernes Catilina ne sont plus, et la République vient encore une fois d’être sauvée par vos soins généreux et votre ardent amour pour la patrie... Qu’ils tremblent, les tyrans coalisés ! Il n’est point de victoire remportée sur la tirannie, qui, comme celle que vous venés d’obtenir puisse étonner davantage la postérité et assurer aux nations la liberté et l’égalité. Oh ! combien elles sont heureuses, les sections de Paris, de pouvoir se rallier immédiatement à la Convention nationale dans des circonstances (1) Décret n° 10 252. Rapporteur : Granet. Moniteur (réimpr.), XXI, 410-412; Débats, n° 686, 353-360; Ann. R.F., n° 147 (247); J. Paris, n° 583; J. Sablier, n° 1 482; J. Perlet, n° 682; M.U., XLII, 304; J. Mont., n° 98; Débats, n° 684, 316; Mess. Soir, n° 717; J. Fr., n° 680; Rép., n° 229; Audit, nat., n° 681; F.S.P., n° 397. (2) C 312, pl. 1 243, p. 1; J. Fr., n° 680; B m, 26 therm. (2e suppl1). aussi grandes !... Pour nous, nos cœurs volent vers vous, et il semble que ce soit dans votre sein qu’ils versent avec abondance les tributs d’amour, de respect et de reconnoissance qui nous animent. Périssent les ambitieux qui n’usurpent des réputations que pour s’isoler avec plus de succès de la Convention nationale, et conspirer contr’elle et la liberté du peuple ! Guingier, Béguin fils ( prêsid .), Dumont Ver-ville, Rousseau, Courtier (secrét.) [et 2 signatures illisibles]. Mention honorable, insertion au bulletin (1). 30 [La sté popul. et régénérée de St-Quentin à la Conv.; St-Quentin, 15 therm. II] (2) Toute faction est un attentat à la souveraineté, disoit l’un des tyrans dont la tête vient de tomber. Cependant un grand complot s’ourdis-soit contre la liberté. Cette conjuration, la plus horrible qui ait attaqué les droits du peuple, erroit par des chemins qu’elle avoit sçu couvrir du charme de toutes les vertus. Ces coupables ambitieux sous le masque de l’hipocrisie, livrés à toutes les convulsions du crime, ne purent échapper à l’œil sage et pénétrant de la Convention nationale. Vous avez arraché d’une main hardie le voile qui cachoit cette trame perfide. Vous avez démasqué les traîtres; vous les avez terrassés par l’organe de la vérité et précipités de la roche Tarpéienne d’où chaque infidèle trouvera son tombeau. Enfin la vertu triomphe, le crime est puni et la liberté est sauvée. Nos frères de Paris, toujours dignes du dépôt que nous leur avons confié, se sont ralliés à ce drapeau de la liberté flottant sur la tête de nos législateurs. Ils ont résisté au son de cette cloche criminelle qui annonçoit la trahison, le meurtre et le dernier jour de la liberté. Ils ne songeoient pas, les scélérats qui agitoient ce signal de la révolte, que l’âme des Français et les vertus de leurs représentants forment une alliance indestructible, et que, s’il se lève des cœurs corrompus, des traîtres ou des conspirateurs, la lance de la liberté devient, dans la main de chaque républicain, le poignard de Brutus. Soutenez, législateurs, cette attitude imposante, détournez les orages, immolez les traîtres, affermissez le gouvernement républicain; des bords du précipice vos pas vous conduiront à l’immortalité. Tandis que les factions se détruisent, l’ennemi fuit, et bientôt la République sera délivrée des esclaves qu’il y a laissés; comme les braves citoyens de Maubeuge et d’Avesnes, les bataillons de notre commune se disposent à voler à la conquête des trois places que la trahison a (1) Mention marginale du 18 thermidor. (2) C 312, pl. 1 243, p. 5; ffn, 26 therm. (2e suppl1).