[3 janvier 1791. J 5 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] M. l’abbé Bourdon. Je demande que les ecclésiastiques fonctionnaires publics qui ont donné leur adhésion se lèvent, et articulent clairement leurs noms. Je demande si leur intention a été de faire une restriction mentale au serment que quelques-uns ont prêté. M. de Follevîlle. Je vous prie, Monsieur le président de rappeler M. l'abbé Bourdon à l’ordre pour avoir interrompu la discussion. M. Treilhard. Ce serait faire une injure à M. l’évêque de Clermont, que de le croire l’auteur de cet écrit à la tête duquel on trouve ces mots : Serment civique ‘prononcé par M. l’évêque de Clermont, car il est absolument faux que M. l’évêque de Clermont ait prononcé aucune espèce de serment. Plusieurs membres disent qu’il n’y a pas prononcé, mais proposé. D'autres soutiennent, au contraire, que le mot prononcé se trouve dans l’imprimé. (L’Assemblée décide qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. Thouret. Il est un point de fait qu’il faut éclaircir. Il y a une double édition de l’imprimé qui vous a été dénoncé. Dans l’une se trouve le mot prononcé , dans l’autre proposé. Je demande que l’on en dépose un exemplaire sur le bureau, afin que l’on ne puisse point induire la France en erreur, et que l’on sache que ce serment n’a point été prononcé. M. Farln, secrétaire. C’est moi qui ai rédigé le procès-verbal de la séance d’hier, et j’atteste que le serment n’a été ni proposé ni prononcé. M. Charles de Lameth. J’observe à l’Assemblée qu’elle a déjà décidé qu’elle passerait à l’ordre du jour ; elle ne doit pas s’appesantir sur un imprimé qui ne mérite pas plus d’attention que toutes les protestations que l’on distribue jusqu’à la porte de celte salle. L’Assemblée a décrété que tous les fonctionnaires publics prêteraient un serment. Ce serait l’atténuer que de délibérer sur aucune espèce de modifications. S’il y avait encore des précautions à prendre, ce serait d’inviter les ecclésiastiques fonctionnaires publics à cesser une résistance coupable: 1° Eu leur annonçant que si demain ils n’ont pas prêté leur serment, ils ne sont plus fonctionnaires publics, et que leurs places sont déclarées vacantes. {On applaudit à plusieurs reprises.) On peut leur donner le conseil salutaire de se soumettre aux lois, en leur annonçant que la loi portée sera maintenue dans toute sa vigueur. M. de Bonnal, évêque de Clermont. Autant je respecte l’Assemblée nationale, aussi peu je crains les sarcasmes. J’ai mis le mot proposé dans l’imprimé qui fait l’objet de votre délibération ; j’ai eu raison de le mettre, puisque j’ai offert à l’Assemblée de prêter serment, et qu’après le refus qu’elle a fait de l’entendre, je l’ai déposé sur le bureau. Je n’ai point à répondre au préopinant. Si l’on discutait la question de savoir s’il peut exister une loi coactive pour les serments, si l’on peut me punir pour obéir à ma conscience, j’imagine que la justice de l’Assemblée s’éclairerait promptement. On se reprochera toujours d’avoir infligé une peine à un homme qui a refusé de prêter son serment ; c’est dire, à un homme : Quoi que vous dise votre conscience, prêtez votre serment. Je ne veux pas lasser la patience de l’Ass mblée, et j’ajoute seulement que n’ayant pas donné la démission de ma place, que ne voulant pas la donner, je ne me regarderai jamais comme dépossédé. M. Barnave. Je crois bon et même nécessaire que l’Assemblée prouve, par une résolution prise sur-le-champ, le peu de cas qu’elle fait de cette discussion, je ne répondrai pas à la théorie qu’on vient de vous développer sur le serment. 11 ne s’agit point ici d’un serment forcé, mais d’un serment attaché à des fonctions publiques, et nécessaire à l’exercice de ces fonctions. Je pense donc que l’Assemblée doit annoncer qu’elle persiste... Je pense qu’elle doit actuellement faire déclarer aux ecclésiastiques fonctionnaires publics, membres de cette Assemblée, que le délai accordé par le décret, pour prêter leur serment, expire demain à une heure. M. de Bois-Bouvray. Il y a une proclamation de la municipalité, qui étend la nécessité du serment aux ecclésiastiques non fonctionnaires publics, et qui les déclare perturbateurs de l’ordre. {On applaudit.) M. de Cazalès. L’Assemblée nationale se voit au moment d’employer des moyi ns de rigueurs contre des hommes qui n’apportent qu’une résistance momentanée à vos décrets. J’ai l’honneur de représenter à la grande majorité, qu’elle sait parfaitement bien que quand les évêques se sont refusés à ce qu’on exigeait d’eux, des motifs de conscience les en ont empêchés. {On murmure.) Elle ne peut douter un instant que les évêques de France n’aient un grand désir d’obéir à ses ordres ; ils auraient pris une marche de résistance absolument opposée, s’ils n’avaient cm devoir attenire que le pape se fût expliqué, ils auraient déclaré que leur conscience s’opposait à ce que les décrets exigeaient d’eux. Ils auraient appuyé l’exposition de leurs principes de la signature de leurs collègues; ils se seraient armés de la signature des membres du second ordre du clergé. {Plusieurs voix demandent que l’orateur soit rappelé à l'ordre.) Alors vous auriez été obligés de déployer toute la force de la puissance qui vous est confiée, pour empêcher les efforts dangereux de l’Eglise. Qu’ont-ils fait? Ils ont attendu la réponse du pape, qui, sans doute, sera favorable aux décrets ; ils ont voulu concilier leur conscience et leurs propres désirs. Il serait impolitique et barbare de leur refuser un délai, peut-être de quelques jours, qui les mettrait dans le cas d’obéir à votre décret, en ne manquant ni à la religion, ni à l’honneur. La religion et l’honneur ont toujours été une digue puissante contre le despotisme de toutes les espèces. Ce n’est pas aux représentants du peuple français qu’il appartient de lever, de repousser des obs-tables tels que ceux de l’honneur et de la religion ; ce n’est pas aux représentants du peuple français à mettre des citoyens dans l’alternative d’être impies ou rebelles, coupables ou déshonorés. Vous ne les pousserez pas à cette extrémité ; ils veulent faire tout ce qu’exige leur devoir; mais ne leur commandez que ce qui est faisable. . . {Il s'élève beaucoup de murmures .) Plusieurs membres demandent que M. de Cazalès soit rappelé à l’ordre. 6 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (3 janvier 1791.J M. le curé Dillon. L’opinant offense les ecclésiastiques qui se sont soumis au serment. Monsieur le président, rappelez-le à l’ordre. M. de Cazalès. Beaucoup d’ecclésiastiques pensent que j’ai voulu blâmer leur conduite ; ils se trompent ..... Il est évident ..... ( Nouveaux murmures.) Monsieur le président, je demande à être entendu. M. le Président. On demande que l’opinant sont rappelé à l’ordre pour avoir mal parlé d’une loi rendue. Plusieurs membres demandent que M. de Cazalès s’explique. M. de Cazalès. Aucuns des ecclésiastiques qui ont prêté le serment ne peuvent trouver que j’aie voulu les blâmer; car s’ils ont agi suivant leur conscience, ils n’ont manqué ni à la loi, ni à la religion, ni à leur honneur... M. Charles de Cametli. C’est à M. le président que j’ai l’honneur d’adresser la parole. Quand M. de Cazalès a dit qu’il fallait commander des choses faisables, j’ai voulu m’élever contre cette expression inconvenable et demander qu’il fût rappelé à l’ordre. M. le président aurait peut-être dû l’y rappeler de lui-même. L’opinant s’est justifié sur ce qui regarde les ecclésiastiques qui ont prêté le serment, mais non pas sur le respect qu’on doit aux décrets, et j'observe que si l’Assemblée permet qu’on lui dise en face qu’elle doit commander des choses faisables, bientôt ceux qui ont intérêt à désobéir à la loi regarderont les choses qu’elle leur commande comme des choses non faisables. M. le président a dit, à la vérité, qu’on avait demandé que l’opinant fût rappelé à l’ordre, pour avoir mal parlé d’une loi rendue : je pense qu’il devait mettre plus de soin, plus d’exactitude et peut-être plus de solennité à ce qui intéresse le respect dû au corps constituant et à la loi. M. le Président. J’accepte, avec la plus vive reconnaissance, la leçon queM. Charles de Lametli a bien voulu me donner. On a fait deux motions ; je les ai dites. Je ne sais si le président doit rappeler lui-même à l’ordre : vous le rendriez président despote, et vous ne voulez pas qu’il le soit. Je ne sais s’il peut le faire sur la motion de plusieurs membres : vous établiriez une chose également fâcheuse, le despotisme de trente ou quarante membres. Mon devoir était de mettre aux voix la motion de rappeler M. de Cazalès à l’ordre pour avoir mal parlé d’une loi ; j’ai proposé cette motion. On a demandé que M. de Cazalès s’expliquât; il le faisait. J’ai été interpellé, et j’ai répondu plus que suffisamment. {On applaudit et Von murmure.) Voulez-vous que je mette aux voix si j’ai répondu plus que suffisamment? ..... M. de Cazalès. A moins que l’Assemblée n’élève la prétention d’être infaillible, il est possible qu’ayant raison elle porte une loi qui paraisse à un individu contraire à son honneur et à sa conscience, elle aurait donc fait une chose qui ne serait pas faisable pour cet individu : donc quand j’ai dit qu’on demandait une chose qui n’était pas faisable pour un évêque qui croit, peut-être à tort, mais qui croit que l’honneur et la religion s’opposent à ce que l’on exige de lui, j’ai dit ce que j’ai dû dire. J’ajoute que si l’on se permet d’interrompre les opinants, il n’y a plus de liberté dans l’Assemblée. Que si on tronque les expressions et les pensées, il n’y a plus de délibérations. Je pense donc qu’il n’y a pas à délibérer sur l’attaque incidente qui m’est faite, et qu’il faut décider qu’un opinant ne pourra jamais être rappelé à l’ordre qu’après son opinion finie, et la question du fond jugée. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour sur la motion faite de rappeler M. de Cazalès à l’ordre.) M. de Cazalès. Je résume mon opinion au fond et je dis qu’au lieu de moyens nuis, les évêques auraient pu prendre des moyens qui auraient causé du trouble dans le royaume; il est évident que leur intention n’a pas été d’opposer une résistance effective : s’ils l’avaient voulu, je doute qu’ils l’eussent pu, je ne le crois même pas... Il est évident... M. Charles de Carneth. Les moyens d’exécuter la contre-révolution ne sont pas à l’ordre du jour. M. de Cazalès. Quiconque examinera sans prévention la conduite des évêques verra que leur intention n’a pas été de résister à la loi; ils ont cherché les moyens de sauver leur honneur et de défendre leur religion... Si l’Assemblée m’écoutait avec plus de bienveillance, il me serait facile de prouver en un instant ce que j’avance. Il est certain que les ministres du culte ont de nombreux ennemis, qu’on a voulu les rendre odieux aux peuples, et qu’ils seraient les premières victimes du trouble si une guerre civile ou religieuse se déclarait ; c’est sur le clergé que se porterait toute la fureur du peuple. {La partie gauche murmure.) Soit que vous considériez les moyens que les évêques de France pouvaient employer, soit que vous considériez le grand intérêt qu’ils ont à la paix publique, il est impossible de ne pas voir qu’ils n’ont pas l’intention de vous résister, et qu’ils ne cherchent qu'un moyen d’obéir sans manquer à leur conscience. L’Assemblée, si elle agit avec rigueur, destituera peut-être soixante ou quatre-vingts de ses membres. Quelques membres à gauche : Tant mieux 1 {Applaudissements.) M. de Cazalès. Gomme il est resté dans mon âme quelque honneur et quelque sensibilité, comme je suis sûr que le sentiment qu’on vient d’exprimer n’est pas celui de la majorité ; comme je persiste à croire que l’Assemblée veut trouver des innocents, qu’elle aime mieux attendre que de punir; qu’en exigeant ce serment elle n’a pas eu l’intention de destituer les évêques; comme on a partagé l’indignation que m’ont fait ressentir les insolentes clameurs que je viens d’entendre, je crois que vous accorderez un nouveau délai. Je conjure donc l’Assemblée, au nom de sa bonté, de sa sagesse, de sa prudence, de ne pas adopter la motion de M. Barnave. M. Démeunier. Il est nécessaire de faire quelques réflexions sur le discours du préopinant et sur celui de M. l’évêque de Clermont. J’oserais me plaindre à M. l’évêque de Clermont de ce qu’il est venu présenter hier un serment que rAssemblée ne pouvait agréer. C’est à cette dé- {3 janvier 1791.1 7 [Assemblée nationale»! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. marche qu’il faut attribuer la discussion qui nous occupe, et non à des intentions sévères. Il s’agit ici de l’exécution d’un décret que la politique et la justice ont inspiré, que le roi a sanctionné. Nous serions au désespoir d’user de voies de rigueur contre nos collègues égarés par des scrupules; mais il n’est pas question de voies de rigueur. Je me plaindrai à M. l’évêque de Clermont, dont nous avons si souvent admiré les vertus patriotiques et religieuses ..... (On murmure à gauche; on applaudit à droite.) Je dirai au fonctionnaire ecclésiastique qui s’est présenté ce matin à la tribune, et qui a iïni par une proposition que j’ai été étonné d’entendre de sa bouche, qu’il peut trouver et dans les canons et dans les moyens naturels de sa position la faculté d’obéir tout à la fois à sa conscience et à la loi; il peut donner sa démission. J’oserai lui demander si la religion et l’honneur peuvent lui permettre de balancer; s’il peut dire d’un côté, je ne prêterai pas mon serment; de l’autre, je ne donnerai pas ma démission; c’est une singulière alternative pour celui qui s’y est placé. Je demande si l’honneur et la religion permettent à celui dont la conscience s’effraye du serment qu’on exige, de rejeter le moyen qui s’offre à lui de s’affranchir de ce serment, en ne blessant ni sa religion ni sa conscience. La religion prescrit à tout citoyen d’éviter les troubles, les calamités, l’égarement du peuple : la religion exige des ecclésiastiques qu’ils se soumettent à la loi, ou qu’ils saisissent le moyen qui dépend d’eux de concourir au rétablissement de la paix publique. On sait si le fanatisme ne produirait pas des égarements aussi terribles que ceux qui ont affligé le siècle passé. La religion peut-elle donc permettre une aussi funeste résistance ? l’honneur souffrirait-il des réticences odieuses? Rien n’est plus contraire à l’honneur que de faire une déclaration publique et une interprétation secrète au fond du cœur. Je crois donc que l’honneur et la religion nous garantissent également la soumission des ecclésiastiques fonctionnaires publics, leur respect pour la loi et leur amour pour la paix. Nous ne jugeons pas les consciences, nous plaindrons celui qui, trompé par des scrupules, donnera sa démission; mais nous admirerons son respect pour l’honneur, la religion et la loi. Il faut cependant, puisque la discussion s’est ouverte aujourd’hui sur cette matière, annoncer l’exécution complète du décret, et ne pas s’occuper des voies de rigueur auxquelles l’Assemblée n’a pas pensé, et qu’on a supposé qu’elle voulait prendre. Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. M. Dufraisse-Duchey. M. Démeunier a avancé ..... M. d© 'Vlrieu. J’ai à répondre ..... (La discussion est fermée à une grande majorité.) Plusieurs membres demandent l’ajournement à huit jours. La question préalable est invoquée et admise sur cet ajournement. L’Assemblée décrète que le délai donné aux ecclésiastiques, fonctionnaires publics, pour prêter leur serment, expirera demain à une heure. M. le Président. M. Auvynet, député, m’a écrit à la date du 28 décembre dernier; il demande une prolongation de congé d’un mois ou de cinq semaines. (Le congé est accordé.) M. Dion, secrétaire , donne lecture de la lettre suivante adressée à l’Assemblée nationale par les administrateurs du département de la Corse : Bastia, le 14 décembre 1790. « Messieurs, les membres composant le directoire du département de la Corse, pénétrés de la plus juste admiration et de la plus vive reconnaissance envers l’Assemblée nationale, croient ne pouvoir mieux commencer leur carrière que par le renouvellement du serment patriotique qu’ils ont déjà religieusement proféré, et par une protestation solennelle de leur entière adhésion à vos saints décrets. Que votre législation est sage 1 que votre Constitution est sublime ! elle est puisée dans la nature, et la conservation de ses droits en est l’objet principal. Oui, Messieurs, nous jurons de la maintenir cette Constitution, le monument éternel de la gloire de la France, nous jurons de la maintenir au prix de notre vie, de lui rester toujours attachés, de lui être toujours fidèles. « On a cherché à répandre des soupçons au sein même de votre Assemblée sur la sincérité de notre dévouement à la France ; on a tenté de noircir notre conduite et nos sentiments ; on vous a même dit que la Corse était dans le désordre et qu’elle était prête à se donner à une puissance étrangère. Pourrait-on imaginer que les représentants mêmes de ce département à l’Assemblée nationale fussent les artisans de ces impostures ? Ce ne peut être que l’effort de la vengeance et de la haine, ou plutôt ce sont les cris du désespoir. Frappés de la juste indignation de leurs concitoyens, ils trouvent une consolation dans la calomnie; mais qu’ils soient démentis et qu’ils en rougissent. « Pourrait-elle, la Corse, renoncer à la liberté qui a toujours été son idole ? pourrait-elle trahir ses intérêts, sacrifier son bonheur? Non, nous nous rendons garants des sentiments de tous les Corses. « Nous vous assurons que l’ordre et la paix y régnent, que vos lois y sont respectées, y sont chéries ; nous périrons, ils périront tous avant de porter la plus légère atteinte à ces sentiments que nous nous faisons une gloire d’exposer aux yeux de votre auguste Assemblée. « Nous sommes avec le plus profond respect, Messieurs, vos très humbles, etc...