[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] 239 que vous avez nomméà cet effet, apporte dans la suveülanee de cet envoi, afin que les municipalités les reçoivent à temps et heure. Pour lever toutes les difficultés, j’ai l’honneur de vous proposer de rendre un nouveau décret dont voici les termes : « Art. lor L’Assemblée nationale décrète que le garde des sceaux et tous les ministres du roi feront, jour par jour, parvenir au comité des décrets, un avis ou attestation signée par eux, et datée, contenant que tel jour, tel ou tels décrets ont été envoyés aux directoires des départements. « Art. 2. Le garde des sceaux et les autres ministres du roi, chacun en ce qui les concerne, seront tenus, conformément aux décrets du mois de novembre 1789 et juillet 1790, ainsi que du présent, de remettre sans délai, au comité des décrets, les certificats de réceptions qui leur auront été adressés par les différents départements, à fur et mesure qu’ils leur seront parvenus. « Pour rendre les certificats de réception uniformes, le modèle suivant sera joint au premier envoi de décrets : Certificat de réception. « Département de ou district de ou municipalité de Nous soussignés avons reçucejourd’hui le ou les décrets contenant que Fait à le du mois de 179 . Signé : « Art. 3. Le présent décret sera présenté aujourd’hui à la sauctiou, et commencera d’avoir son exécution dès le moment qu’il aura été sanctionné. » M. Gaultier de Biauzat. Je crois qu’il vaudrait mieux établir un mode direct de correspondance entre Ils ministres et les municipalités. L’envoi et l’exécution des décrets sont du domaine du pouvoir exécutif et non du domaine de vos comités. Je crois donc qu’ii y a lieu de renvoyer au comité de Constitution l’examen de la proposition de M. Bouche. (Cette motion cet adoptée.) M. Moreau de Saint-Méry demande que le président du comité de liquidation soit autorisé à écrire aux presidents des assemblées coiouiales pour faire connaître aux colons que la métropole fait et fera les plus grands sacrifices pour entretenir l’ harmonie qui doit régner entre les différentes parties de ce vaste Empire. (Cette autorisation est immédiatement accordée.) M. Moreau de Saint-Méry donne ensuite lecture d’une lettre du ministre de la marine, qui, pour remplir les vues de l’Assemblée nationale, fait connaître la situation des finances de la Martinique et des autres villes qui en dépendent, sur les exercices de 1789 et 1790, en observant que les exercices antérieurs à ces deux années so nt soldés. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le mode de liquidation de la dette publique. M. de Coulmiers,a6W d'Abbecourt (1). Messieurs, en rendant hommage aux grands talents des orateurs qui ont discuté l’objet important qui cous occupe aujourd’hui, je ne me permet. trai pas d’abuser de vos moments précieux, si, après un examen réfléchi sur une partie de ce qui a été dit dans cette tribune, je ne trouvais dans mon opinion de nouvelles considérations à vous présenter. Je ne m’écarterai jamais des bornes du respect qui est dû à l’Assemblée des représentants de la nation; mais nous avons tous un devoir sacré et indispensable à remplir : celui de servir la patrie, de dire librement son opinion ; rien ne doit nous effrayer, que les malheurs publics. La crise où nous trouvons est affligeante; la perspective de l’avenir est, sans contredit, très alarmante; mais le salut de la chose publique n’est pas désespéré. Nous pouvons encore, nous devons réparer ce qu’un zèle aigri par une fatalité de circonstances, par l’esprit de contradiction, nous a fait faire souvent contre nos internions. L’intérêt du parti que nous prendrons, le moyen de le faire réussir, c’est l’unanimité dans une délibération aussi importante. Un collègue aussi vertueux qu’estimable (M.Del-ley d’Agier)nous apréseuté des bases consolantes sur l’imposition. Mais, Messieurs, la première et la plus essentielle est la paix et la tranquillité publiques : c’est l’échafaudage de la Constitution. Que nos ennemis frémissent de rage en voyant l’union et l’harmonie s’établir parmi nous ; que ces mois d’ans tocrat es, de démocrates , que le vulgaire ignorant prononce sans en sentir le sens, soient bannis de notre langue, comme inconstitutionnels. N’ayons tous qu’un même esprit, une même âme; que nous tendions tous au même but et par le même chemin ; que la majorité et ia minorité ne se distinguent plus par cette ligne de division qui sera la perte de la France. Songeons, Messieurs, que notre malheureuse patrie attend sa destinée de nos décisions. Songeons que nos concitoyens partagent nos sentiments qu’ils ne connaissent en nous que les pères de la patrie. Songeons que nous sommes tous Français, enfants d’une même famille, réunis pour corriger les abus, ainsi que pour le salut et le bonheur de la nation française. Devenons un spectacle imposant pour ia nation, pour l’Europe entière qui a les yeux fixés sur nous; méritons le respect du peuple par la dignité de nos délibérations. La première soumission aux lois que nous aurons dictées, les peuples à i’envi inviteront l’exemple des législateurs, ils payeront l’impôt. Tel sera le premier gage et J’hypothèque des assignats, que, dans la nécessité des circonstances, nous penserons devoir créer. Tout dépend de la confiance ; si elle est détruite, hâtons-nous de la rétablir. Songeons, Messieurs, que des législateurs et des réformateurs doivent être sans passions, comme la loi qu’ils prononcent. Si nous corrigeons avec sévérité les abus, notre sensibilité doit plaindre et consoler les victimes de nos réformes. Que l'on grave sur ia porte de cette salle cette maxime, telle qu’elle doit être dans nos cœurs ; « Le salut de ia patrie nous a réunis, nos concitoyens nous ont honoré de leur confiance. » (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. de Goulmiers. 200 [Assemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.} Dans l’émission de deux milliards d’assignats qui vous est proposée, je n’aperçois qu’une grande idée faite pour effrayer l’esprit le plus familiarisé avec les abstractions; on sauve l’Empire ou on le perd irrésistiblement. Quelque grands calculateurs que soient les protecteurs de cette opération, je ne pense pas qu’ils osent répondre de tous les accidents que pourrait produire l’émission prodigieuse d’une masse aussi inconcevable de numéraire fictif ; et il n’est pas un de ces accidents qui ne soit peut-être fatal à la fortune publique ou particulière de chacun de nos mandataires. Lorsqu’un de nos collègues (1) nous a assuré que ce projet avait la majorité de l’Empire, il nous ouvrait alors une importante idée qui était celle de donner à nos commettants le temps de méditer cette grande opération et de nous faire passer le résultat de leurs délibérations; Songeons, Messieurs, quenous avons été envoyés pour donner à la France une sage Constitution; mais non pas, je le pense au moins, pour jouer la fortune de nos citoyens par une opération qui n’est pas du ressort du législateur. Ou la majorité des Français répugne à ce projet, ou elle l’adopte; c’est ce que nous devions connaître en les engageant à faire ce qu’ont fait les sections de Paris et quelques villes de commerce. Mais à force de dire que le temps nous pressait, il est devenu si insistant qu’il faut définitivement prendre son parti. Considérons, Messieurs, qu’est-ce qui nous a amenés au point où nous en sommes? Le papier-monnaie qui circule en ce moment-ci ; la dette nouvelle occasionnée par la suppression de la vénalité des charges, et la justice du remboursement après leur extinction. La dette exigible, enfin, connue sous le nom d’anticipations. Suivons la progression de nos maux. Une augmentation de dépenses, le défaut de perception des impôts de 1790, le désir de nous libérer des 170 millions que la nation devait à la caisse d’escompte, nous ont déterminés à créer pour 400 millions d’assignats; et aujourd’hui l’on nous propose d’en créer pour deux milliards ! Je vais parcourir rapidement toutes ces considérations, et je pose pour principe que l’origine de tous nos maux est due à la caisse d’escompte. La facilité avec laquelle elle s’est prêtée aux opérations ministérielles, auxquelles elle servait de ressources et d’aliment nous a précipités dans l’abîme où nous gémissons. Sans cette facilité de créer une monnaie fictive et idéale qui ne cessera de l’être que par le système que j’aurai l’honneur de vous proposer, si au lieu d’errer dans la métaphysique de l’agiotage, nous eussions fait au mois d’avril une opération un peu sévère, mais qui nous sauvait. Alors l’inertie de toutes les affaires n’existait que parce que le plus grand nombre des affaires ne se payait qu’en billets de caisse ; que pour les réaliser, on était, ainsi que l'on est aujourd’hui, la victime d’une usure aussi scandaleuse que dévorante. Pour cicatriser cette plaie mortelle du corps politique, il n’y avait qu’un moyen : rendre papier mort cette monnaie fictive, et ne lui donner pour débouché que la vente des biens nationaux. Huit jours après, les besoins journaliers auraient fait reparaître le numéraire; le billet noir ne nous représenterait plus le sac de cent pistoles, et nous ne serions occupés aujourd’hui que de l’organisation de l’impôt. Pour n’avoir pas coupé dans le vif une maladie active, nous avons étendu dans les provinces un embarras qui n’était concentré que dans Ja capitale. Nous avons décrété l’émission de 400 millions d’assignats; celte dangereuse facilité de se créer des ressources a retardé l’organisation des finances: pendant ce laps de temps, le numéraire a disparu, le contribuable s’est accoutumé à 11e plus payer l’impôt, et, pour remédier a ce mal qui nous presse de toutes parts, on nous propose encore de créer pour 2 milliards d’assignats I M. Duport. Je demande à interrompre un instant l’orateur pour une courte observation. Le désir de parler le plus tôt possible a porté plusieurs membres à s’inscrire sur la liste où leur tour devait être le plus proche. Puisque M. de�Coulmiers parie contre, je demande qu’on entende tout de suite un opinant pour. M. de Coulmiers. Je me propose de parler swr, pour et contre la proposition de M. de Mirabeau. En conséquence, on doit me maintenir la parole. (On rit beaucoup). M. le Président consulte l’Assemblée qui décide que M. de Coulmiers continuera son discours. M. de Coulmiers. Eq vain, un de nos plus célèbres orateurs (1) nous a dit, dans la séance du 27 août, que la création de 40ü millions d’assi-güats eut tout le succès annoncé par ceux* qui l’avaient conçu, et que la chose publique était alors sortie de l’état de détresse qui nous menaçait d’une ruine prochaine. Je vous le demande, Messieurs, si cette hardie assertion s’est réalisée : non, nous 11e sommes pas sortis de cet abîme; nous nous y sommes de plus en plus plongés; et l’orateur a mal chosi son instant pour nous débiter cette consolante annonce. Les conspirateurs de la rue Vivienne, qui font à leur gré hausser ou baisser l’usure, ayant donné le projet de cette fabrication, et calculant le profit qu’elle devait rapporter, avaient fait monter l’échange du billet de la caisse d’escompte à 10 0/0. Maîtres de tempérer cet agiotage, le fléau du peuple, calculé sur les besoins journaliers du citoyen, ils tirent baisser, le lendemain de la création des 400 millions, cet agiotage à 4 0/0; et cette modification qui, dans d’autre temps, eût été traitée d’attentat, parut être un allégement qui ne fut pas de longue durée, puisque aujourd’hui, à l’heure que j’ai l’honneur de vous parler, l’argent s’achète 5 et 1/2 0/0, sans la perte de l’intérêt de 3 0/0 de première création. Ainsi, de vils capitalistes volent par minute un intérêt qu’il y a trois ans on eût appelé usurâire, s’il eût porté sur des capitaux prêtés pour une année. Tels sont cependant, Messieurs, les effets d’une opération qui lit, vous dit-on, sortir la chose publique de l’état de détresse qui vous menaçait d’une ruine prochaine. Mais, je vous le demande, cette ruine est-elle moins prochaine? La question que nous agitons est-elle un indice de prospérité? Et si le succès que l’on doit en attendre, n’est que celui qui nous est présagé par la première émission ae quatre cents millions, que devien-(1) M. le comte de Mirabeau. 1) M. de Lameth (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.J 264 drons-nous quand nous en aurons répandu pour deux milliards sur toute la surface de la France? A-t-on bien’ calculé la perte que supporte le commerçant, le manufacturier à la fin de chaque semaine, quand il faut payer les ouvriers, et qu’il n’a reçu en payement que des billets, qu’il faut qu’il achète de l’argent à un intérêt aussi odieux qu’usuraire pour acquitter ses obligations journalières ? Y a-t-il un impôt comparable à celui-là? Je ne considère que le citoyen d’une fortune bornée et médiocre; le capitaliste aisé peut faire des sacrifices; il peut, s’il le veut, garder ses billets; mais quelles consolations présenterons-nous à cet ouvrier qui gémit, et c’est malheureusement la classe la plus nombreuse ? Faisons, Messieurs, une réflexion qui n’a pu vous échapper. Un particulier, porteur d’une ordonnance de 3,000 livres, se présente au Trésor royal; on le paye en billets de la caisse d’escompte ou en assignats. Il faut qu’il commence par acquitter en argent l’intérêt échu le jour du payement, qui aujourd’hui se monterait à 39 livres 5 sous. Cependant, remarquez, je vous prie, que la caisse d’escompte n’a fait aucun déboursé en espèces, puisque le payement ne se fait qu’en billets sortant souvent de la presse, qui a tout au plus coûté un sou ou deux de déboursé, tant pour le papier que pour la façon. Calculez, je vous prie, le profit que fait le Trésor royal ou la caisse d’escompte sur cet impôt provenant de la première émission, et suivons le billet dans sa course ou circulation. Il faut convertir ce billet en argent, ce qui est indispensable, comme je l’ai dit, pour les manufacturiers qui ont des ouvriers à payer en détail. Au taux où l’on achète aujourd’hui l’argent, il sera encore obligé de supporter une nouvelle perle de 5 0/0, qui, pour les 3,000 livres, feront 160 livres, qui, réunies avec les 39 livres 5 sous déjà payés, forment pour lui une perte réelle de 199 livres 5 sous. Gomment est-il possible que le commerce se soutienne avec de pareilles opérations ? Le même billet sorti du Trésor royal peut, par une suite d’opérations faciles à présumer, rentrer une heure après dans le Trésor pour servir à acquitter un second payement; et, par une circulation très naturelle, rentrer et sortir plusieurs fois par jour avec le même bénéfice pour le Trésor royal ou la caisse d’escompte, et une perte égale pour ceux qui vont chercher le montant de leurs obligations. On peut comparer ces deux caisses qui opèrent ensemble à des pompes foulantes et aspirantes, qui pompent notre numéraire, pour ne nous renvoyer que de ces odieux billets, aliment de l’agiotage. Le calcul de l’impôt qui reflue sur le peuple par cette opération, est trop effrayant pour être détaillé; il pourrait être soupçonné d’exagération. Il est toujours très prudent de ne pas effrayer le malade , quand on a l'espoir de le guérir. Une autre considération non moins importante : une émission aussi considérable de monnaie fictive occasionnait nécessairement une augmentation de 25 0/0 sur toutes les marchandises ; ce qui serait un surcroît de malheurs pour le peuple, qui nous a honorés de sa confiance et à qui nous n’avons cessé de promettre un avenir heureux. L’on vous propose le remboursement des charges en assignats. Ce serait la plus cruelle des injustices de créer des assignats qui . seront sujets à toutes les vicissitudes de l’agiotage, pour rembourser des charges qui ont été payées comptant, dont on a également payé comptant les droits du marc d’or et centième denier ; charges qui, sous l’ancien régime, étaient soumises à toutes les vexations ministérielles: elles étaient devenues les réservoirs des taxes arbitraires. Par cette opération, vous culbuteriez toutes les fortunes; ceux qui n’avaient pas des fonds pour liquider leurs offices ont emprunté ; ils ont passé des contrats à 5 0/0 d’intérêt: ils rembourseraient avec les assignats qu’ils auraient reçus en payement, qui pourraient perdre moitié sur la place. Si l’on place les assignats sur les domaines nationaux, on sait que les propriétés territoriales nesontquede2 1/20/0; donc il y aurait une perte de moitié pour les prêteurs. Il est donc de la plus rigoureuse justice de rembourser strictement, et en effets d’une valeur réelle et assurée, les titulaires de places ou offices supprimés: agir autrement, ne nous le dissimulons pas, c’est faire banqueroute. Il nous faudra nous occuper, pour ce remboursement, d’un mode qui exclue l’agiotage. J’admets, Messieurs, pour un moment, l’opération proposée. Connaissons-nous le véritable gage de l’émission de deux milliards d’assignats? L’imagination exaltée nous a représenté les propriétés du clergé comme une mine inépuisable où iaraient se perdre et se confondre toutes les dettes de l’Etat. Cette idée serait bien consolante. Je pense même que si la chose était ainsi, les anciens titulaires du ci-devant clergé auraient assez de patriotisme pour se consoler des sacrifices exigés par la nécessité des circonstances, en pensant qu’ils ont sauvé la patrie du danger qui la menaçait. C’est, sans contredit, une grande jouissance pour tout citoyen qui ne calcule que le bien et l’avantage général ; mais, Messieurs, d’après un aperçu fondé sur des recherches et des bases à peu près exactes, j’ai reconnu que les propriétés du clergé ne montaient qu’à deux milliards, depuis la suppression des dîmes. Vous avez sagement décrété, et pour l’avantage de la France, que les bois ne seraient vendus que jusqu’à une certaine concurrence; ce qui diminuera la vente d’un quart au moins; reste doncl,500 millions. Les droits féodaux supprimés et autres objets de ce genre peuvent être, sans exagération, évalués à 200 millions. Vous avez décrété une première émission d'assignats de 400 millions; ce qui fait déjà un total de 1,100 millions à déduire sur les deux milliards. Dans mon estimation générale, je comprenais les biens de l’ordre de Malte, des collèges, des maisons d’éducation, des hôpitaux, sur lesquels vous vous êtes réservé de prononcer. Par l’aperçu le plus modéré, je porte cette évaluation à 300 millions; ce qui, avec les 1,100 millions ci-dessus désignés, font 1,400 millions employés. Il ne nous reste plus que 600 millions de nos deux milliards, sur lesquels j’aurai l’honneur de vous proposer une nouvelle émission de 200 millipns d’assignats. C’est un grand malheur que nous soyons forcés de recourir à la création de nouveaux assignats; mais le numéraire enfoui, sa circulation interrompue, il faut nécessairement trouver le moyen de la rétablir. Ce moyen doit être doux, réfléchi, et doit secourir l’Etat jusqu’au moment de la répartition et de la perception de l’impôt. Par ce calcul simple, je pense avoir démontré 262 [Assemblée nationale.1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] qu’il ne vous restera plus àv votre disposition que pour 400 millions de domaines nationaux qui certainement ne peuvent servir de gage et d’hypothèque à l’émission qui vous est proposée. De plus, Messieurs, je pense que la première opération est nécessairement indispensable pour tout mandataire. Que l’enthousiasme ne nous séduise pas; nous ne sommes que des mandataires, et des mandataires qui, un jour, rendrons un compte sévère de nos opérations; nous devons consulter les départements pour connaître leurs vœux, la juste et véritable valeur des domaines nationaux. Par le décret du 2 novembre, en déclarant que les biens du clergé étaient des propriétés nationales, on a fait des réserves pour Jes départements; il est donc de notre devoir d’attendre qu’ils aient exprimé leurs vœux dans une délibération aussi importante. Il est, je*pense, de votre prudence et de votre sagesse, Messieurs, d’établir une mesure qui assurerait la solidité des assignats, ferait le bonheur général en appelant le plus de citoyens possible a la propriété, détruirait jusque dans leurs derniers retranchements les accapareurs d’argent qui, dans leurs odieuses spéculations pourraient accaparer les assignats, si la loi que j’aurai l’honneur de vous proposer, n’était adoptée. Les riches capitalistes auraient un trop grand avantage sur les propriétés nationales ; ils établiraient le despotisme , j’aurais presque dit l’aristocratie des richesses, la plus dangereuse de toutes; ils feraient des spéculations au détriment du bonheur général, qui seul doit nous animer; s’ils ont enfoui leur argent, il faut, par un acte de justice, les forcer à le mettre en circulation, en établissant le plus de concurrence possible. D’après ces idées, j’examine d’où nous viennent nos propriétés nationales; je trouve que c’est une conquête qu’une partie de la nation vient de faire sur une autre partie de la même nation, 60us la condition néanmoins bien annoncée de salarier les ci-devant détenteurs desdites propriétés. Or, Messieurs, le conquérant, quand il conserve l’esprit de justice, dispose de ses conquêtes de la manière qu’il croit la plus avantageuse au bien général. Les frais du culte devant peser par la suite sur tous les citoyens, il faut combiner nos opérations de telle manière que le plus grand nombre aient une part aux propriétés nationales. J’ai, en conséquence, l’honneur de vous proposer la loi la plus juste. Personne ne pourra acheter plus d’une ferme avec ses dépendances, que vous fixerez et déterminerez à 350 arpents, mesure de roi, au plus ; vous diviserez à l’inüni Jes propriétés nationales ; vous ferez le bonheur d’un plus grand nombre d’individus; cette loi sera dans les principes de la plus rigoureuse justice; vous établirez une concurrence entre les terres des particuliers qui sont en vente et qui sont en très grand nombre, qui supporteraient une réduction vraiment affligeante pour les propriétaires, en jetant dans le commerce une masse énorme de propriétés nationales ; vous anéantirez les spéculations des agioteurs qui se proposent d’acheter au plus bas prix vos domaines nationaux, dans l’espérance d’une revente avec un très gros bénéfice, préjudiciable à nos concitoyens qui, ne pouvaut entrer en lutte avec eux, ne se présenteraient pas même aux adjudications. tù Vous ne ferez aucune injustice aux riches; s’ils ont le désir de devenir de très gros propriétaires, ils pourront porter leurs spéculations sur les autres terres mises en vente. Vous assurerez l’émission de vos assignats, dont le gage sera incontestable ; vous ferez en toute sûreté les ordonnances rigoureuses que vous croirez nécessaires pour anéantir l’agiotage. Après vous avoir entretenus, Messieurs, des dangers d'une émission de deux milliards d’assignats, je ne suis pas moins convaincu de la nécessité d’en créer encore pour sauver la patrie : mais il n’en faut user que comme d’un calmant qui vivifiera la première émission, rétablira la circulation libre, anéantira insensiblement l'usure, et finira par son entière extinction ; nous nous débarrasserons enfin de cette monnaie fictive ; nous forcerons les accapareurs d’argent, les ennemis les plus dangereux de la Constitution, d’abandonner leurs spéculations dangereuses et usuraires, de déterrer leur or, ou de périr avec lui; vous vous acquitterez avec la caisse d’escompte, avec les porteurs d’assignats, l’or se convertira de lui-même eu billets qui, changés en acquisitions de domaines nationaux, rentreront dans la caisse de l’extraordinaire, dont ils ne sortiront que pour être publiquement brûlés. J’ai, en conséquence, l’honneur de vous proposer le décret suivant : L’Assemblée nationale, persuadée que tous les papiers-monnaie serveut d’aliment à l’usure et à l’agiotage, désirant anéantir à perpétuité , et s’acquitter par l’aliénation d’une partie des domaines nationaux qu’elle a déclarés être à sa disposition : 1° des 400 millions d’assignats qu’elle a décrétés; 2° des 200 millions qu’elle croit devoir décréter de nouveau, afin d’établir l’équilibre de la recette et de la dépense, et jusqu’au moment où l’impôt sera déterminé et sa perception assurée ; a décrété ; 1° Que par la suite, et dans aucun temps, il ne pourra plus être créé d’assignats-monnaie, ni aucuns billets de caisse portant intérêt; 2° Que les 170 millions dus par la Dation à la caisse d’escompte, seront remboursés en assignats qu’en conséquence, elle sera tenue de présenter ses comptes d’ici au 1er janvier 1701 ; qu’à cette époque, elle sera supprimée ; 3° A compter du 1er octobre prochain, l’intérêt des assignats ou billets de la caisse d’escompte, fixé par le décret du ..... à 3 0/0, sera entièrement supprimé; 4° Indépendamment des 400 millions d’assignats déjà décrétés, il en sera créé encore deux cents qui auront, par premier privilège, pour hypothèque spéciale les propriétés nationales ; 5° Le3 200 millions d’assignats de nouvelle création seront composés des coupons de 5 livres, de 10 livres, de 25 livres, de 50 livres, de 75 livres et de 100 livres; 6° Tous les acquéreurs de biens nationaux seront tenus de les payer en assignats, qui, seuls, et exclusivement meme à l’argent monnayé, seront reçus en payement, jusqu’à l’entière et parfaite extinction des 600 millions d’assignats décrétés, lesdits domaines nationaux étant particulièrement et par préférence le gage et l’hypothèque des assignats; 7° Chaque assignat, qui aura été employé pour l’acquisition d’un domaine national, sera aussitôt barré et croisé, tant par le receveur ou le caissier du département vendant, que par celui qui l’aura présenté pour payer son acquisition, en sorte qu’il deviendra effet mort, et que jamais il ue pourra rentrer en circulation ; 8° Tous les mois, les receveurs )d,es districts ou [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.J 268 départements rendront le compte le plus exact et le plus détaillé au caissier de l’extraordinaire, du montant des assignats versés dans leurs caisses, du prix et de la quantité des domaines nationaux qui auront été vendus; 9° Le trésorier de l’extraordinaire rendra tous les mois, par la voie de l’impression, un compte public: 1° de tous les assignats croisés envoyés à sa caisse; 2° de chaque bien national aliéné, et du prix qu'il aura été vendu ; 10° Le compte sera divisé par ordre de département; 11° Le doubledu compte sera envoyé au comité de l’aliénation; 12’ Chaque compte de l’extraordinaire sera vérifié par six commissaires de l’Assemblée, qui le signeront et le parapheront avant l’impression. D’après ces dispositions préliminaires pour la sûreté et la garantie des assignats-monnaie, l’Assemblée décrétera: 1° Les assigants-monnaie seront reçus partout pour argent comptant, et sur le prix de l’argent monnayé; 2° Tout particulier , marchand ou fournisseur qui les refusera en payement sera regardé comme un mauvais citoyen, et soumis à des peines qui seront déterminées; 3° Tout agioteur, de quelque qualité que ce soit, qui, après le 1er octobre, prendra ou exigera des intérêts en échange des billets qui lui seront présentés, et n’en rendra pas, soit en argent, soit en billets, la valeur stricte et réelle énoncée par le premier billet, sera puni comme criminel de lèse-nation; 4° Pour donner le temps et la facilité de faire les coupons de détail, et que la circulation ne soit pas arrêtée, la rigueur de la loi énoncée par l’article 3, concernant l’échange des billets pourra être prorogée jusqu’au 15 octobre; 5° Le comité des monnaies sera invité de présenter, le plus tôt possible, le moyen de fabriquer pour 50 millions de monnaie billon; 6° Afin d’appeler plus de citoyens à la propriété dans la vente des domaines nationaux, personne ne pourra acheter plus d’une ferme, métairie ou domaine, avec ses dépendances, qui sera fixée et déterminée à 350 arpents, mesure de roi. M. de Broglie. Vous avez à prononcer sur une opération qui mettra le sceauàlaGonstitution. On convient généralement qu’un parti décisif est indispensable en ce moment; qu’il faut nécessairement libérer l’Etat de la dette sous le poids de laquelle il gémit. On ne peut faire d’objections contre les assignats, qui ne puissent être rétorquées contre les quittances de finance. Les unes comme les autres ont la même hypothèque, deux milliards de biens-fonds : les assignats forcés et en petite somme ont toutes les propriétés du numéraire; iis remplaceront donc le numéraire exilé ou enfoui. Il est nécessaire que la vente des biens nationaux soit rapide ; les assignats sans intérêt se porteront naturellement vers les fonds territoriaux, qui seuls pourront leur procurer les intérêts auxquels les propriétaires d’assignats doivent tendre naturellement. Qu’on cesse donc de s’effrayer d’une opération vaste, il est vrai, mais nécessaire, qui trompe les vues de ceux qui sont intéressés à retarder la vente des biens nationaux, qui accélère cette vente, qui paye la dette, et débarrasse le peuple de plus de quatre-vingts millions d’impôts. Je pensé que tout mélange de système ne vaut rien, et qu’en conséquence, il doit être créé autant d’assignats ayant cours forcé, et sans intérêt, qu’ri sera nécessaire pour payer la dette exigible. Je demande que la discussion soit continuée sans désemparer. (On applaudit). M. de Mirabeau, Paîné. Il s’est introduit un ordre pour la parole extrêmement étrange, qui éloigne mon tour chaque fois que je me présente. L’Assemblée m’a accordé de résumer la question. Je demande qu’elle fixe le moment où elle daignera m'entendre. Je désirerais queM. l’abbé Maury me répondît, que M. Barnave fût ensuite entendu, et que la discussion fût fermée. M. l’abbé Maury. Je n’ai point composé de pièce d’éloquence, je n’aipoint de discours: jede-mandeque M.de Mirabeau monte à la tribune, qu’il parle, et moi, près du bureau deM. le président, je lui ferai mes objections, auxquelles il répondra. (L’Assemblé repousse cette proposition et décide que M. l’abbé Maury parlera à son tour.) M. de Batz, après avoir fait un parallèle assez étendu des billets du système de Law et des assignats, présente un projet de décret dans lequel il propose de faire fournir à l’Assemblée, par l’ordonnateur du Trésor public, un état des dépenses à faire cette année pendant les mois d’octobre, de novembre et décembre, et des recouvrements à faire pendant les mêmes mois : qu’il sera créé une quantité d’assignats-monnaie portant intérêt de 3 0/0 pour établir une balance dans les dépenses , et qu’il ne pourra être créé d’autre papier que pour le strict nécessaire ; que ces nou veaux assignats auront un cours forcé, avec cette différence seulement, que nul porteur de ces assignats ne pourra forcer son créancier, dont la créance serait postérieure au présent décret, à les recevoir qu’au prix courant de l’argent, prix constaté par les consuls, et affiché dans les salles consulaires, etc, etc. M. Gaultier de Biauzat. Je propose qu’il n’y ait plus que deux colonnes, une pour, et l’autre contre. (Après une légère discussion, cette proposition est adoptée.) M. de Mirabeau est à la tribune. M. l’abbé Maury près du bureau fait signe qu’il veut parler. — On observe que M. l’abbé Maury n’a pas la parole. M. l’abbé Maury. Me voici placé, si M. Mirabeau veut me proposer ses difficultés. (L’Assemblée repousse de nouveau ce mode de discussion.) M. de Mirabeau. Messieurs, j’eus l’honneur de vous exposer, le 27 août dernier, la mesure que je croyais la plus convenable pour liquider cette partie de la dette nationale, appelée la dette exigible ; et je me félicite du temps écoulé dès lors jusqu’au moment actuel , qui nous approche d’une résolution définitive sur cette matière. Le projet que je soumis à votre examen et les raisons dont je l’appuyai ont engagé une discussion très étendue; la question a été agitée dans tous les sens, soit dans cette Assemblée, soit dans les sociétés particulières; de nombreux écrits* ont été publiés contradictoirement ; rien ne manque, ce me semble, de tout ce qui peut mûrir une décision. 264 [Assamblée aatioDale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] Mais il arrive, dans des matières de cette étendue, susceptibles d’être envisagées sous tnnt de laces, qu’on s’embarrasse enfin par la multitude des objections et des réponses; et la discussion, où tout semble exposé et balancé, reporte les esprits au même point d’incertitude d’où ils sont partis, car le doute est bien plus le résultat des lumières vagues que de l’ignorance. Je pense donc qu’après le grand jour jeté de toutes parts sur cette question, le meilleur moyen de trouver une issue dans celabyrinthe c’est de nous rallier aux principes, de saisir le fil qu’ils nous offrent, et de marcher alors avec courage à travers les difficultés et les fausses routes. Ce serait également offenser vos lumières, et abuser d’un temps précieux, que de tenir compte de toutes les difficultés élevées contre notre moyen de liquidation, et de m’occuper à y répondre. Quelques tableaux où je retracerai des vérités qu’on oublie, des principes que l’on veut ébranler; où je repousserai, entre des attaques quelconques, celles qui m’ont semblé les plus spécieuses, et d’autres même qui peuvent emprunter quelque éclatde leurs auteurs; où je ferai marcher en opposition la mesure des assignats-monnaie avec d’autres mesures que l’on vous présente : voilà ce que je vais mettre sous vos yeux. > Pourquoi suis-je obligé d’insister de nouveau sur un fait que nous regardons tous comme la pierre angulaire de l’édifice que nous élevons ; de raffermir une base sur laquelle reposent toutes nos espérances ; de rappeler que les domaines que nous appelons nationaux sont entre les mains de la nation ; que certainement elle en disposera par votre organe ; de déclarer que la Constitution est renversée, le désastre inévitable, la France en dissolution, si la vente des bien3 nationaux ne s’effectue pas immanquablement, si elle n’est pas partout protégée, encouragée ; si les derniers des obstacles qui peuvent s’y opposer ne sont pas renversés, détruits; si le moindre acheteur peut éprouver, de la part des premiers usufruitiers, des premiers fermiers, quelque empêchement à rechercher, à examiner les possessions à sa convenance ; si tout, dans ces acquisitions, en un mot, ne présente pas une face accessible qui les favorise ? Quel est le but de ces observations? Vous ne l’ignorez pas ; c’est qu’on semble encore douter, ou du moins on voudrait faire douter que la vente des biens nationaux puisse s’accomplir, et triomphe des difficultés qu’on lui oppose. Ecoutez les discours qui se répandent; lisez les écrits que l’on publie ; voyez surtout les mémoires du ministre des finances, qui vint attrister cette Assemblée, au sein des espérances dont je venais de l’entretenir. Vous verrez qu’on ne veut pas croire à cette opération nationale ; qu’on part, dans tous ces raisonnements, d’un principe de doute et de défiance; car il serait absurde de prétendre renverser un projet solide, fondé sur la valeur réelle de nos assignats, si l’on ne contestait pas au fond cette valeur, si l’on ne se plaisait pas à regarder comme conjectural tout le système de la restauration de nos finances, qui repose sur ce fondement. C’est donc la persuasion de la vente certaine et instante des biens nationaux qui peut seule assurer le succès de notre projet de liquidation par les assignats, comme il n’y a que cette vente effective qui puisse sauver la chose publique. Ainsi, je mets ayi nombre des ennemis de l’Etat, je regarde comme criminel envers la nation, quiconque cherche à ébranler cette b?§e sacrée de tous nos projets régénérateurs, à faire chanceler ceux qui s’y confient. Nous avons juré d’achever, de maintenir notre Constitution; c’est jurer d’employer les moyens propres à ce but; c’est jurer de défendre les décrets sur les biens nationaux, d’en poursuivre jusqu'à la fin, d’en hâter l’exécution ; c’est un serment civique compris dans le serment que oous avons fait ; il n’y a pas un vrai citoyen, pas un bon Français qui ne doive s’y réunir. Que la vente des biens nationaux s’effectue ; qu’elle devienne active dans tout le royaume; la Frauce est sauvée. (On applaudit.) Je pars donc de ce point fondamental, et j’ai d’autant plus de raison que, quelque système qu’on embrasse, reconstitution, contrats, quittances de finance, assignats, peu importe, il faut toujours en revenir là. Que vous échangiez les créances sur l’Etat contre des titres nouveaux et uniformes, qui aient pour gage des biens nationaux, ou que les créanciers soient admis à l’acquisition de ces biens par l’échange immédiat de leurs créances, la libre disposition des biens nationaux, la sûreté de l’acquisition pour les créanciers n’est pas moins necessaire dans tous les cas, pour que la liquidation de la dette puisse s’opérer. Qu’on ne s’imagine donc pas, en énervant la confiance due aux assignats, en présageant d’après cela une dégradation sensible de leur prix, pouvoir faire prédominer quelque autre plan de liquidation ; il serait frappé du même vice; et il faut convenir, ou qu’un assignat, ou qu’une portion équivalente des biens nationaux, c’est la même chose; ou que la dette nationale est impossible à acquitter d’aucune manière! par ces mêmes biens. Il n’y a pas de réponse à cela. (Il s'élève des murmures. On remarque les mouvements de M. l'abbé Maury.) Je parle de laconfiaQce due à la valeur de nos assignats, et dans ce sens il n’y a pas, sans crime, de réponse à ce que je viens de dire. Ai nsi, ne nous départons poiat de cette vérité, et que les adversaires de notre mode de liquidation le sachent enfin : c’est que nos assignats ne sont point ce qu’on appelle vulgairement du papier-monnaie. Il est absurde, en changeant la chose, de s’obstiner à garder le mot, et de lui attacher toujours la même idée. Nos assignats sont une création nouvelle, qui ne répond à aucun terme ancien ; et nous ne serions pas moins inconséquents d’appliquer à nos assignats l’idée commune de papier-monnaie, que nos pères ont été peu sages d’avoir estimé le papier de Law à l’égal de l’or et de l’argent. Et, ici, l’on prétend m’opposer à moi-même. L’on veut que je me sois élevé ci-devant contre ce même papier-monnaie que je défends aujourd’hui. Mais dans quel lieu, dans quel temps? Dans cette même Assemblée ; dans la séance du 1er octobre dernier, où il s’agissait aussi de papier-monnaie. Ouvrons donc le journal de cette séance. Voici mot à mot ma réponse à M. Anson, comme elle est rapportée dans les journaux du temps ; « Je sais que dans les occasions critiques une nation peut être forcée de recourir à des billels d’Etat (il faut bannir de la langue cet infâme mot de papier-monnaie), et qu'elle le fera sans de grands inconvénients , si ces billets ont une hypothèque , une représentation libre et disponible. Mais qui osera nier que, sous ce rapport, la nation seule ait le droit de créer des billets d’Etat, un papier quelconque, qu'on ne soit pas libre de refuser ? Sous tout aylre rapport, un papier-monnaie attente £ la bonne foi et à la liberté nationale ; çest la peste circulante. »> [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 127 septembre 1790.) 265 Voilà ce qu’on appelle mon apostasie. Vous voyez cependant que je distinguais alors ce que je distingue aujourd’hui; que je distingue aujourd’hui ce que je distinguais alors. Vous voyez que je suis constant dans mes principes; et vous voyez aussi que mes adversaires sont parfaitement constants dans les leurs. Je poursuis. Qu’est-ce qui constitue le prix des métaux monnayés ? C’est leur valeur intrinsèque, et leur faculté représentative qui résulte de cette valeur. L’or et l’argent, considérés dans les objets auxquels ils sont propres, ne sont que des mé-taux.de luxe, dont l’homme ne peut tirer aucun parti pour ses vrais besoins. Ils ne sont nas moins étrangers aux premiers des arts, aux arts nécessaires, qu’ils ne le sont à notre nourriture, à nos vêtements. Mais nonobstant cet usage restreint et non essentiel des métaux précieux, leur qualité représentative s'est étendue conventionnellement à tous les objets de la vie. Comparons maintenant nos assignats aux métaux-monnaie. A la différence de ceux-ci, ils n’ont aucune valeur intrinsèque; mais ils ont à sa place une valeur figurative qui fait leur essence. Les métaux, dont se forme la monnaie, ne s’emploient qu’aux arts s°condaires, et la chose figurée par les assignats c’est le premier, le plus réel des biens, la source de toutes les productions. Or, je demande à tous les philosophes, à tous les économistes, à toutes les nations de la terre, s’il n’y a pas plus de réalité, plus de richesses véritables, dans la chose dont les assignats sont le type, que dans la chose adoptée sous le nom de monnaie. Je demande dès lors si, à ce type territorial, à ce papier figuratif du premier des biens, une nation comme la nôtre ne peut pas attacher aussi cette faculté de représentation générale, qui fait l’attribut conventionnel du numéraire? On la donne à des billets de banque, à des lettres de change qui suppléent les métaux et les représentent ; comment refuserait-on le même crédit à des assignats qui sont des lettres de change payables à vue en propriétés territoriales? Comment n’auraient-ils pas le même cours, le même privilège que les métaux, celui d’être un instrument général d’échange, un vrai numéraire national? Mais nos assignats, dit-on, éprouvent ce désavantage, comparativement à la monnaie ; c’est de ne représenter en dernier résultat qu’une seule chose , savoir les biens nationaux. Eh qu’importe, si les biens nationaux eux-mêmes représentent tout? Quel est le créancier qui ne trouve pas ses écus sûrement placés, et représentés très valablement, quand ils ont pour hypothèque un équivalent en propriété foncière? C’est donc en envisageant, de fait et de droit, nos assignats sous ce point de vue; c’est en leur attribuant la valeur jurée par la nation, que je défends le projet de financedont ils sont la base, et qui ne pourrait sans cela se soutenir. Et je regarde tout homme, poussé par l’intérêt à prêcher une défiance qui les déprise, comme plus coupable envers la société que celui dont la main criminelle dégrade les métaux précieux, et altère leur titre à la foi publique. Garantir cette base contre les attaques de la mauvaise foi, de la légèreté, des sophismes, ou de l’ignorance, c’est répondre à la plupart des objections élevées contre la proposition que nous avons faite. Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à trouver toutes ees objections ramassées, accumulées dans le mémoire du ci-devant ministre des finances. Dans une matière aussi grave, je ne lui dois que la vérité. Les égards qu’il mérite d’ailleurs ne peuvent affaiblir, tes mes maias, une défense toute consacrée au plus grand intérêt de la patrie. Quel n’a pas été mon étonnement, et vous l’aurez partagé sans doute, d’entendre ce mémoire qui semble, d’un bout à l’autre, vouloir ôter tout crédit aux moyens d’alléger la dette publique, d’arracher les affaires, par une nouvelle révolution, à cette langueur qui nous tue! Tout ce mémoire repose sur l’avilissement présagé de nos assignats, et ne renferme pas un mot qui rende une justice ferme et encourageante à cette valeur. Tous les pronostics de décadence, applicables au plus vil des papiers-monnaie, y poursuivent notre numéraire territorial. Certainement, si nous eussions eu besoin d’un écrit pour faire entrevoir à la nation le prochain rétablissement de la fortune publique, pour développer à tous les yeux l’étendue et la certitude de nos ressources, pour faire marcher, par une impulsion d’espérance et de courage, toutes nos affaires vers un amendement si désiré, nous aurions attendu un tel écrit de celui qui était à la tête de nos finances. C’est lui aujourd’hui qui vient assembler les premiers nuages sur la carrière que nous devons parcourir. N’est-il pas clair que tout se ranimera chez nous par le retour de la confiance, et que c’est à la faire naître qu’il faut s’appliquer ? N’est-il pas clair que, désespérer d’emblée de tout rétablissement fondé sur notre seule ressource actuelle, c’est empêcher cette confiance précieuse de se rétablir? Qu’est-ce donc qu’on prétend par ces cris d’alarme? Celui qui les pousse est-il, quelques lumières qu’on lui accorde, uu raisonneur si sûr qu’ou ne puisse, sans malheur, s’écarter de ses opinions ? Si cela n’est pas, si, nonobstant ses craintes, vous osez penser qu’on peut néanmoins marcher en avant, ne nuit-ii pas dès lors au succès de vos résolutions? Car Jes ennemis du bien public profitent de tout pour nuire aux affaires; et parmi les moyens qu’ils cherchent, celui que leur fournit le mémoire ministériel ne leur échappera certainement pas. Non que l’adoption d’une mesure quelconque, à plus forte raison d’une mesure si importante, doive jamais être irréfléchie et précipitée, non que la confiance publique ne doive être le fruit d’un mûr examen, d’un jugement éclairé par les discussions contradictoires. Mais c’est précisément contre cette ardente précipitation à trancher une question si grave et si compliquée ; c’est contre cette violence de censure que je m’élève ; c’est parce qu’un mouvement si impétueux, comme s’il s’agissait d’arracher la nation aux flammes, part d’un point assez élevé pour répandre urie frayeur aveugle, pour remplir les esprits de préventions ; c’est pour cela que nous sommes fondés à le réprimer. Convient-il, dans la situation actuelle, de sonner la trompette de la défiance, au risque d’exciter cette défiance par ses prédictions, quitte à dire, si ces maux arrivent : On pouvait les éviter; je l’avais bien dit... Eh ! de grâce, dites-nous donc aussi ce qu’il faut faire, car il ne suffit pas, quand le vaisseau s’enfonce sous nos yeux, de crier à ceux qui veulent tenter d’en sortir : Ne vous fiez pas à cette nacelle ; il faut leur fournir un moyen plus sûr de salut. . Mais voyons si notre ressource est tellement frêle qu’il soit périlleux de s’y confier; voyons du moins si les objections qu’on forme contre elle sont assez solides pour que nous deviens la rejeter. Le tableau que trace, dès les premières lignes, le mémoire que nous examinons, c’est celui de la disetteidu numéraire : marchands, manufacturiers, artisans, consommateurs tous la ressentent, tous 2t6 (Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790, J s’en plaignent. L’administrateur se dit tourmenté ac la nécessité de pourvoir à cette partie des esoins publics. 11 semble presque attribuer cette disette d’espèces à la trop grande abondance d’assignats qui sont déjà en circulation. Je l'avais craint, dit-il, et le temps Va prouvé. Oserai-je remarquer qu’il y a peut-être ici quelque ingratitude envers les assignats-monnaie et que ce serait plutôt le cas de reconnaître tous leurs bons services? Qu’aurions-nous fait, et qu’aurait fait lui-même le ministre, si ces fâcheux assignats ne fussent venus à notre secours? Qui peut savoir où nous en serions sans cette ressource si déplorable? Le numéraire, alors, était déjà rare, rien n’alimentait le Trésor public ; c’étaient les mêmes plaintes qui se renouvellent aujourd’hui. Les assignats libres croupissaient dans la caisse d’escompte ; il a fallu en faire de la monnaie pour leur donner cours; et quelque temps après voici ce que ce ministre dit dans cette Assemblée, mémoire du 24 mai : « Vous apprendrez sans doute avec intérêt que le crédit des assignats s’annonce aussi bien qu’on pouvait l’attendre... Le trésorier de l’extraordinaire ne peut suffire à toutes les demandes qui lui sont faites de nouvelles parties de billets destinés à la circulation. » Cet hommage rendu aux assignats-monnaie parle ministre est d’autant plus probant et d’autant plus noble, qu’il n’avait aucune part à cette mesure. Que prouve donc aujourd’hui contre les assignats cette disette de numéraire dont le public souffre, et l’inquiétude de l’administrateur à ce sujet? Elle ne prouve autre chose sinon que leur service n’est pas assez divisé, assez général. Les assignats actuels ont mis une valeur numéraire entre les mains de ceux qui n'avaient point d’espèces; il faut maintenant qu’ils puissent les convertir en de moindres valeurs; et c’est encore ce que de petits assignats permettront de faire. Mais cette solution même forme une objection nouvelle dans le mémoire ministériel. Il n’envisage qu’un redoublement de difficultés, d’embarras, dans cette infinité d’échanges, puisque enfi n les derniers assignats doivent se résoudre en numéraire. Je réponds à cela : premièrement que, dans l’état actuel des choses, la difficulté est bien plus grande, puisqu’il faut changer un assignat de 200 livres, non seulement quand on a besoin de quelque monnaie, mais de toutes les sommes qui sont au-dessous de cette valeur : ce qui n’arrivera pas quand trois ou quatre assignats inférieurs les uns aux autres joindront les assignats de deux cents livres à notre numéraire effectif. Alors le plus grand nombre de ces petits assignats seront destinés à échanger de forte somme; et il en résultera un bien moindre besoin de numéraire pour effectuer ces sortes d’échanges. Est-il douteux que l’administrateur qui a éprouvé tant de difficultés à rassembler les espèces nécessaires pour ses divers payements, n’eût été très soulagé par les petits assignats dont nous par Ions, et dont ces payements pouvaient être formés en grande partie? Je réponds, en second lieu, que si l’or et l’argent ont pris des ailes pour s’envoler en d’autres climats, il nous faut inévitablement quelque suppléant qui les remplace ; et que s’ils sont resserrés par l’effet de la défiance ou de quelque mauvaise intention, il n’y a rien de tel que de les rendre moins nécessaires, pour qu’ils se montrent et redescendent à leur premier prix. C’est ici le lieu d’expliquer cette maxime financière sire-battue et si mal appliquée : le papier , dit-on, ckas$& l’argent. Fort nien : donnez-nous donc de l’argent; nous ne vous demanderons point de papier. Mais quand les espèces sont chassées , sans que le papier s’en mêle, admettez pour un temps le papier à leur place; et ne dites pas que c’est lui qui les chasse. Le papier chasse V argent ! De quel papier parlez-vous? Le mauvais papier, un papier-monnaie sans consistance, sans garantie, sans hypothèque disponible, qui est introduit par le despotisme d’un gouvernement obéré, qui est répandu sans bornes connues, et n'a point d’extinction prochaine ; celui enfin dont je parlais le 1er octobre dernier, je vous l’accorde : quand un tel papier prétend rivaliser avec le numéraire, celui-ci se cache, et ne veut pas se compromettre dans la parité. Le panier de commerce chasse encore l'argent , ou plutôt il le fait servir à d’autres dispositions, quand il abonde sur une place débitrice envers l’étranger, et que les espèces y sont envoyées. Il le chasse , de plus, ou plutôt il le resserre, quand le papier afflue au point de faire suspecter sa qualité et d’éveiller la défiance. Mais ce n’est pas là notre papier. Les terres productives de tout valent bien les métaux qu’elles produisent ; elles peuvent marcher de pair avec eux. Notre signe territorial ne chassera donc pas les espèces ; il en tiendra lieu jusqu’à ce que l'activité les rappelle. Ils conspirent alors amiablement ; ils circuleront ensemble dans la masse des échanges et des affaires. Mais j’entends ici l’auteur du mémoire se récrier de concert avec les détracteurs des assignats : « Quoi, disent-ils, l’expérience ne renverse-t-elle pas déjà vos conjectures ? Ne connaît-on pas le prix des assignats contre de l’argent? Que serait-ce si leur masse était quintuplée! » Vous allez vous convaincre, d’un côté, que si les assignats perdent dans l’échange contre de l’argent, de l’autre, la cause qu’on en donne est fausse, et que ce fait ne prouve rien contre l’assignat. Je fais deux classes de tous les objets qu’on peut se procurer par les assignats; ceux qui excèdent ou égalent, par leur valeur, celle des assignats dont on les acquitte ; et ceux qui étant au-dessous de la moindre valeur de ces assignats ne peuvent être payés qu’en espèces. Si les assignats étaient déchus de leur prix par trop d’abondance, les marchandises d’une certaine valeur, qu’on payerait par des assignats en nature, seraient renchéries ; c’est ce qui n’est pas. Il est de fait qu’on achète aujourd’hui avec un assignat de 200 livres toutes les choses dont la valeur en espèces était de 200 livres avant la création des assignats, et le vendeur, au surplus, tient compte de l’intérêt des assignats sans difficulté. Il n’est donc pas vrai que l’assignat perde sous ce point de vue, qui offre le seul moyen de connaître la juste valeur dans l’opinion publique. Je sais bien que les assignats ont tort de se soutenir, puisque nos infaillibles raisonnements assurent qu’ils doivent perdre ; mais ce n’est pas ma faute, et je raconte les choses comme elles sont. (On murmure.) Pourquoi donc les assignats perdent-ils contre du numéraire? C’est qu’il faut du numéraire à tout prix; c’est qu’il en faut beaucoup pour l’échange de nos assignats actuels; c’est que nos assignats ont beau être rares, les espèces le sont davantage. Eh n'avons-nous pas un fait bien capable de nous éclairer sur cette matière? On sait que les écus perdent quand on veut les échanger contre les louis. (On murmure.) Dira-t-on pour cela que les écus sont en discrédit? Non, mais c’est que l’or est encore plus rare que l’argent. 11 y a plus; si le billon venait à manquer pour le [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.) 2C7 peuple, c’est le billon qui ferait la loi ; et nous verrions l’or et l’argent le rechercher avec perte. Le papier même de commerce gagne sur les espèces, quand on a un grand besoin de ce papier, et qu’il est fort rare. On raisonne donc mai, on n’analyse rien, on prend une cause pour une autre, quand on attribue à la dépréciation des assignats le renchérissement des espèces. Faites en sorte d’avoir moins besoin de les échanger; créez de plus petits assignats ; vous ne chasserez pas l’argent, vous le rapprocherez du pair, et vous sentirez moins sa rareté. Cette seule observation répond aux trois quarts du mémoire ministériel. On insiste; on dit que des difficultés de toute espèce naîtront, si l’on répand cette multitude de petits assignats dans une classe peu aisée, où leur échange serait un besoin de tous les instants. Mais qu’on me dise comment la même quantité d’espèces employées aujourd’hui à échanger de forts assignats ne suffirait plus à changer les fractions de ces assignats. Qu’on me dise comment, quand les assignats de deux cents livres n’auront plus besoin d’être convertis en argent, puisqu’ils seront divisibles en assignats de moindre valeur; comment il sera si difficile de pourvoir alors avec cet argent aux derniers échanges nécessaires ? Ce louis, que des laboureurs aisés, ou des artisans économes, ont actuellement dans les mains, s’anéantira-t-il, si un assignat de vingt-quatre livres est mis à sa place? La société, pour recevoir un nouveau numéraire représentatif, cessera-t-elle d’être le dépôt commun de notre numéraire métallique? La petite monnaie, qui est For du peuple, quittera-t-elle sa bourse pour fuir en Angleterre ou en Allemagne? Un nouveau mouvement, au contraire, étant imprimé à notre industrie, le crédit renaissant par l’extinction de la dette publique, le numéraire étranger viendrait plutôt chercher nos productions, et peut-on craindre qu’en de telles circonstances notre avoir actuel en numéraire tende à s’échapper? Mais ce n’est pas uniquement, je le sais, jusque dans les derniers rameaux de la circulation, que les ennemis des assignats les poursuivent pour les décrier; ils les considère aussi dans leur masse : cette nuantité que nous proposons les épouvante. Au lieu d’une puissance productive, ils n’y voient qu’un torrent de destruction. Le moindre éclair de la raison dissipera ces vaines terreurs. Je demande aux détracteurs de notre plan, de quel génie bienfaisant, de quel pouvoir surnaturel ils attendent donc la restauration de nos arts, de notre commerce, de tous nos moyens de prospérité. Je leur demande si c’est de là sécheresse de nos canaux qu’ils espèrent voir sortir des fleuves d’abondance. N’entendent-ils pas le besoin général qui pousse un cri jusqu’à nous? Je le répète, riches en population, riches en sol, riches en industrie, nous ne l’avons jamais été en numéraire. Pourquoi? c’est qu’un gouvernement vampirique a, depuis plus d’un siècle, sucé le sang des peuples, pour s’environner de faste et de profusion. {On applaudit.) Ce prodigieux mouvement d’espèces qui en résultait dans la capitale, pour fournir à des emprunts immodérés et aux jeux forcenés qui en sont la suite, n’a jamais été qu’une circulation stérile en bien, trompeuse dans ses apparences, désastreuse dans ses effets. La pléthore était au centre de l’Empire; le marasme, la langueur aux extrémités. L’énormité de notre luxe en vaisselle, qui fait passer tant d’écusii du coin au creuset, est une source de destruction pour le numéraire* Les vices de notre système monétaire en sont une autre chaque jour plus active. Ainsi, � pour bien des raisons, nous n’avons jamais atteint le point de prospérité auquel nous étions appelés par la nature; et les métaux précieux, qui sont à la fois le signe et le moyen de cette prospérité, ont toujours été chez nous fort au-dessous de nos besoins. On craint une obstruction générale par cet accroissement subit et prodieux du numéraire. Quant à moi, j’ai une crainte d’un autre genre; c’est que les opérations préliminaires et indispensables pour la liquidation de la dette, la vérification des titres, la fabrication et la délivrance successives des assignats, en prenant beaucoup de temps, ne prolongent notre langueur, et ne nous privent d’une partie des avantages qu’une plus prompte émission d’assignats nous procurerait. Nous appréhendons d’être écrasés sous le poids de ce numéraire de liquidationl Ne le sommes-nous donc pas sous celui de la dette qu’il faut liquider? Les avantages qui. doivent résulter des remboursements et du crédit qui en est la suite ne sont-ils pas une belle réponse à ceux qui craignent que ce précieux numéraire ne s’avilisse, que l’argent ne fuie devant lui? Vos assignats-monnaie ne sont-ils pas un papier actif qui remplace le papier dormant, le papier fâcheux dont une grande partie de la dette exigible se compose? Cette surabondance nous effraye! Que nos’voisins doivent rire de nos craintes ! Comparez leur sol, leur population, leurs moyens aux nôtres; comparez ensuite à notre quantité de numéraire les valeurs qu’ils savent mettre en activité, vous verrez qu’ils en ont beaucoup plus que nous, sans comparaison, et que, dans les valeurs qui forment leur circulation, il entre plus de billets que d’espèces. Vous verrez, par conséquent, que si nous portions notre papier-monnaie même à deux milliards, nous en aurions bien moins encore que ces riches insulaires. Et pour connaître à cet égard tous nos avantages, pensez que notre papier ayant disparu, il reste à sa place des campagnes, des domaines, les propriétés les plus précieuses, et que le papier national des Anglais ne porte que sur le prestige du crédit. Quoi donc! craindrions-nous -la ruine, en nous acquittant avec notre signe territorial, tandis que l’Angleterre prospère, malgré l’immensité de sa dette, au moyen d’un signe d’opinion, d’un vain simulacre de richesses? Ce sont de grandes erreurs sur la circulation du numéraire, qui font craindre si fort l’accroissement des assignats que nous proposons. On pense ue tout le numéraire répandu dans la société oit se porter jusqu’aux derniers rameaux de la circulation, et se subdiviser comme ces eaux qui, sortant de l’Océan, n’y retournent qu’après s’être transformées successivement en vapeurs, en pluies, en rivières. Mais si une portion du numéraire est destinée à la partie fécondante et productive de la circulation, une autre portion non moins considérable a pour objet le commerce, le transport des immeubles, les dépôts, une multitude de gros échanges. Or, si la subdivision des espèces est nécessaire dans la circulation productive, pour atteindre la main-d’œuvre, pour satisfaire aux menues dépenses, aux petits salaires, l’autre partie de la circulation commerciale n’éprouve pas les mêmes besoins. C’est à grands flots que le numéraire y roule ; les déplacements ne s’y font qu’en certaines masses, et comme le billon ne passe guère de la première de ces circulations à la seconde, de même la somme des métaux précieux qui servent à celle-ci est en 268 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.J plus grande partie étrangère à l’autre. Vous en pénétrez la conséquence. C’est particulièrement cette dernière sphère de circulation que vous êtes appelés à enrichir par l’émission de vos assignats, parce que c’est aussi dans cette sphère que se trouvent placés les fonds territoriaux qui leur correspondent. Vous jetez dans cette région du commerce de nouvelles marchandises et de nouvelles richesses; et, par l’activité des ventes, le signe disparaît à mesure que la chose le remplace. Vous n’arrêterez donc point de cette manière, vous n’embarrasserez point la circulation productive : elle profitera de tout ce qu’elle pourra s’approprier dans la circulation supérieure, pour s’étendre, se vivifier. Celle-ci même puisera, dans la source abondante que vous ouvrirez, de quoi alimenter ses diverses branches, et le superflu de tous ces besotns sera nécessairement refoulé, par la force des choses, vers la masse des biens nationaux. Or, je vous demànde comment voir dans cette marche naturelle des affaires, ce désordre, ce chaos dont on nous menace? N’est-il pas plutôt dans les idées de ceux qui le peignent? Figurez-vous qu'au lieu d’un ou deux milliards d’assignats de 1,000, de 300, de 200 livres et au-dessous, vous missiez en circulation des pièces d’or de même valeur et en même nombre, ne voyez-vous pas : 1° qu’une grande quantité de ces pièces seraient employées pour les grands besoins, sans être jamais échangées contre d’autres pièces ; 2° qu’il y aurait une autre partie de ces espèces dont la conversion en moindres valeurs se ferait sans sortir de ce nouveau numéraire dont nous vous parlons; et qu’enfin les moindres de ces pièces d’or qui se rapprocheraient de notre numéraire actuel, et dont l’échange serait nécessaire, y trouveraient de quoi se convertir en écus, comme ceux-ci se convertissent en petites pièces de monnaie? Ainsi s'accompliraient, de proche en proche et sans embarras, tous les échanges nécessaires à la circulation générale. Maintenant mettez des assignalsde même valeur à la place des grosses pièces d’or que nous avons supposées; vous ne dérangez rien, les choses restent dans le même état et vos assignats entrent dans la partie de la circulation à laquelle ils sont propres; ils s’échangent entre eux et avec notre numéraire, comme seront ces masses d’or dont nous venons de suivre les divers emplois. Il est vrai que je place toujours vos assignats sur la même ligne que les métaux précieux ; s’ils ne les valaient pas il faudrait renoncer à notre mesure : mais comme des propriétés foncières sont une chose aussi précieuse que des métaux, et qu’on ne peut pas faire circuler en nature des arpents de terre, je pense qu’il est égal d’en faire circuler le signe et qu’il doit être pris pour la chose même. (On applaudit.) Relèverai-je ici un singulier rapprochement fait entre nos assignats et le papier-monnaie de certaines banques des Etats-Unis d'Amérique et de plusieurs puissances du nord de l’Europe? « Plusieurs de ces banques, dit-on, malgré des hypothèques territoriales, équivalentes à leurs billets, n’en ont pas moins fait banqueroute. Les papiers de ces puissances, malgré les biens particuliers et nationaux qui les garantissent, n'en sont pas moins tout à fait déchus. » Mais pour mettre, par un seul argument irrépli-quable, nos assignats hors de pair avec de tels papiers, je demanderai seulement à ceux qui font ce parallèle si nos assignats, qui ne s’éteignent qu’à une époque indéterminée fors de leur emploi pour�l’acquisition des biens nationaux, peuvent être comparés à des billets de banque payables à vue, et qui mettent la banque en faillite au moment où elle cesse de payer ? Je demanderai, relativement au papier-monnaie des autres puissances, s’il y a aucune comparaison à tenter entre la prétendue garantie de ce papier, entre ces hypothèques vagues, qui ne sont point disponibles, dont personne ne peut provoquer la vente, et nos biens nationaux, dont la vente est actuellement ouverte, et qui sont moins une hypothèque qu’un remboursement ? J’aimerais cent fois mieux avoir une hypothèque sur un jardin que sur un royaume. (On applaudit.) Enfin, j’entends les Américains dire aux Français : Nous avons créé, pendant notre Révolution, de mauvais papier-monnaie, et cependant ce papier tel quel nous a sauvés; sans lui notre Révolution était impossible. Et vous qui avez aussi une Révolution à terminer; vous qui, à côté de grands besoins, possédez de grandes ressources ; vous avez encore plus de domaines à vendre que d’assignats sur ces domaines à distribuer; vous qui en créant ce papier solide ne contractez point une dette, mais en éteignez une, vous n’oseriez vous confier à cette mesure ! Allons, après avoir commencé votre carrière comme des hommes, vous ne la finirez pas comme des enfants. (On applaudit.) Le principe de la parité de prix entre les métaux précieux et nos assignats étant admis, et il faut bien l’admettre, car c’est non seulement un principe vrai, mais le seul qui nous sauve dans tous les systèmes ; ce principe admis, toutes les objections formées eu général contre le papier-monnaie ne regardent pas nos assignats. Ce principe admis, les choses en marchant avec le temps vers un rétablissement général doivent conserver entre elles ces rapports dont on redoute mal à propos le renversement. On nous parle de la hausse des denrées, du renchérissement de la main-d’œuvre et de la ruine des manufactures qui doit s'ensuivre. Eh ! qu’on nous parle donc aussi des centaines de manufactures qui n’ont point d’ouvrage, de cette foule d’ouvriers qui meurent de faim, de ces milliers de marchands dont les affaires s’anéantissent dans un repos dévorant; qu’on nous parle des cruels effets, quelle qu’en soit la cause, de cette soustraction du numéraire qui, s’il existe encore dans le royaume, est du moins sorti de la circulation, et qu’il remplacera, d’une manière ou d’autre, sous peine de ruine ! Vous fermez les yeux sur tous ces maux actuels, qui s’appellent, se multiplient les uns et les autres, et dont on ne peut cacul-culer la durée et les conséquences : et quand on vous présente un remède à notre portée, un moyen de vaincre la cruelle nécessité, toute votre industrie est de rechercher, de grossir les inconvénients attachés à notre projet. Certes ce n’est pas une chose juste de ne compter pour rien tous ces avantages et de venir ensuite subtiliser à perle de vue sur les prétendues conséquences qu’ils entraînent; conséquences si éloignées et si obscures, que l’esprit le plus profond a bien de la peine à les démêler. Oui, il est un point d’abattement dans les forces du corps politique, où il faut de grands moyens pour le remonter, sans qu’il en résulte, même incessamment, tout l’effet qu’on doit s’en promettre. Vous verrez des millions d'assignats se répandre, combler les vides, réparer les pertes, avant même qu’ou s’aperçoive d'un vrai retour de force et de santé. Ce n’est pas la nation seule qui ait une dette à liquider. Dans ces temps nécessiteux, où des milliers de citoyens ont usé toutes les ressources [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] 269 pour se soutenir, ils ont entre eux une immensité de comptes à solder, une liquidation générale à faire.Ge sera là, sans doute, un des plus grands services, un des premiers emplois des assignats. Et quand leur effet se fera sentir près des premières sources de nos productions, de notre industrie, quelque renchérissement dans la main-d’œuvre serait peut-être un signe de prospérité : cela prouverait qu’il y a plus d’ouvrage que d ouvriers. En supposant ce renchérissement, malgré la faveur maintenue aux assignats, par le crédit acquis à une grande nation qui se libère, et malgré la nécessité qui ne fait pas moins la loi à celui qui vend son travail qu’à celui qui en a besoin, le système des assignats fournirait ici lui-même une compensation à celte perte ; car leur effet devant être d’abaisser l’intérêt de l’argent, le commerçant, le fermier, l’entrepreneur, protiteront de cet avantage, puisque la plupart sont débiteurs des fonds qu’ils emploient. Quand je pense que les biens nationaux et notre caisse de l’extraordinaire sont le débouché où vos assignats doivent tendre, où tous, enfin, doivent s’engloutir, je ne comprends pas qu’on puisse les traiter d’avance comme des valeurs détériorées, des titres qui perdront leur prix. Gomment ne pas sentir que ce numéraire ne pourrait déchoir sensiblement, sans être recueilli par des mains empressées à lui faire remplir sa destination? Se soutient-il, c’est une preuve qu’il est nécessaire. Tend-il à descendre, la vente des biens nationaux n’en est que plus prompte. Ici, comment se défendre d’un ressentiment patriotique? Vous avez entendu, dans cette tribune, ces mots du mémoire ministériel : On dira aux créanciers de l’Etat : « Achetez des biens nationaux ; mais à quelle époque , et dans quel lieu? » A QUELLE ÉPOQUE ? à l’époque de la dette approfondie, connue, arrêtée; à l’époque où toute la nation met son salut dans la vente des biens nationaux, et saura cpnspirer à l’accomplir; à l’époque où les propriétés territoriales reprendront leur prix, et ne seront plus grevées par une féodalité barbare, par des impositions arbitraires, dans quel lieu ? Dans un lieu que le ciel a favorisé de ses plus heureuses influences; dans un Empire sur lequel passeront les orages de la liberté, pour ne laisser après eux que le mouvement qui vivifie, que les principes qui fertilisent; dans un pays qui appellera ceux qui cherchent un gouvernement libre, ceux qui fuient et détestent la tyrannie. (Une grande partie de l'Assemblée applaudit.) Voilà à quelle époque et dans quel lieu les créanciers de l’Etat sont appelés à devenir propriétaires. Et si l’homme qui a prononcé ces étonnantes paroles était encore à la tête de nos finances, je lui dirais à mon tour : A quelle époque teuez-vous un tel langage; et dans quel lieu vous permettez-vous de le tenir? {Les applaudissements redoublent.) Ce même administrateur, qui plus vivement que personne a peint le dénûment que nous éprouvons, trouve néanmoins que nous avons encore assez de numéraire pour effectuer la vente de deux milliards de biens nationaux. Il ne pense pas que ces terres ajoutées à tant d’autres terres, qui déjà De se vendent point faute de moyens, se vendront bien moins encore, si le numéraire n’est point augmenté. Il redoute les assignats qui payent la dette publique; mais il craint moins ceux qui ne la payent pas. Il permet que le capital de la nation se ronge, se détruise pour acquitter, tant bien que mal, les intérêts qu’elle doit, pour subvenir à un déficit journalier ; alors les assignats lui semblent nécessaires. Mais l’opération qui nous libère par leur entremise, et prépare pour le Trésor public les moyens de diminuer à l’avenir ces secours extraordinaires, il la repousse, il la décrie comme désastreuse; et, sans nous rien offrir qui nous en tienne lieu, il nous livre de nouveau à la merci des événements. Joindrai-je ici d’autres objections qui, pour être énoncées par des hommes respectables, n’en sont pas moins faibles ou exagérées? On nous assure que mettre dans les mains du public tous ces assignats, dont on annonce à plaisir le discrédit, c’est diminuer partout les moyens de consommation, c’est porter coup aux reproductions qu’elle encourage; c’est énerver le corps social ; et l’on vous tient ce langage quand les consommateurs n’ont plus le moyen de consommer, quand les reproductions ne sont plus encouragées, quand le corps social souffre de langueur, quand un nouveau numéraire, appelé fictif, quoique très réel, semble créé par les circonstances comme Je meilleur moyen d’appeler le mouvement et la vie ! On vous dit que c’est une erreur en politique de vouloir qu’un Etat acquitte sa dette; que les intérêts de cette dette sont un suc nourricier et productif qui fait fleurir et prospérer la société. Et l’on ne considère pas que ces intérêts si productifs ne produisent rien quaud on ne peut plus les payer ; et que c’est alors que leur suppression est une ruine. On ne considère pas que c’est ensuite de ce pernicieux système, que les Etats n’ont plus qu’un apparence de prospérité, qui peut s’évanouir au premier revers. On ne considère as que ce sont des guerres insensées, de coupâtes profusions, de mémorables extravagances, qui ont obéré à la longue les gouvernements, accablé les peuples, corrompu les mœurs, avili les âmes. On ne considère pas que si c’est là l'ouvrage du vice et de la folie, il n’est pas d’une politique bien sage, bien vertueuse, de nous exhorter à le maintenir. On vous dit qu’avoir en vue, dans ces opérations financières, de faire hausser ou baisser le prix de l’argent, c’est incapacité ou charlatanisme. Eh! quand l’incapacité ou le charlatanisme ont formé, dans la capitale de l’Empire, un tourbillon d’affaires dévorantes, an gouffre d’espèces; quand ils ont fait excéder par ce moyen toute borne au taux de l’argent, qu’ou vous permette de tenter à cet égard quelque réforme, elle ne peut être que salutaire. Faire rétrograder l’intérêt par des principes contraires à ceux qui l’ont si monstrueusement élevé, c’est travailler à la prospérité nationale, c’est fonder le bien du commerce, de l’agriculture, sur l’anéantissement d’une circulation improductive, d’un agiotage pernicieux. On vous dit que doubler ainsi le numéraire, c’est doubler en peu de temps le prix de tout; que le même nombre d’objets à représenter ayant le double de signes, chacun d’eux doit perdre la moitié de sa valeur. Fausse conséquence s’il en fut jamais ; car les signes étant doublés, les objets à représenter se multiplient, les consommations, les reproductions s’accroissent; mille choses abandonnées reprennent leur valeur; les travaux augmentent, d’utiles entreprises se forment, et l’industrie fournit une nouvelle matière à de nouvelles dépenses. Aujourd’hui que la moitié du numéraire semble évanouie, voyons-nous que tous les objets nécessaires à la vie s’acquièrent à moitié prix? Depuis l’émission des assignats, qui forment à peu près la cinquième partie de notre numéraire effectif, voyons-nous que le prix des choses se soit élevé d’une cinquième partie, qu’il ait même reçu 270 [Assemblée nationale*1] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [27 septembre 1790.J quelque accroissement? Qu’on cesse donc de nous harceler en contant ces rêves ; qu’on ne pense point nous effrayer par ces vains fantômes. Je lis encore un pamphlet, où l’on prétend avertir le peuple sur le renchérissement uu pain parles assignats. Mais mal raisonner n’est pas instruire. ; égarer n’est pas avertir. Oa représente dans cet écrit l’argent comme une marchandise. A la bonne heure, dans sa qualité de métal, comme seraient le fer et le plomb ; mais dans sa qualité de monnaie, cela n’est pas. Alors l’argent représente tout; il sert à tout : c’est ce qu’aucune marchandise ne peut faire. Ces marchandises périclitent à les garder ; elles ruinent le marchand par le chômage ; il faut les vendre. Mais je n’ai pas encore ouï dire qu’on eût grande hâte de porter son argent au marché pour s’en défaire. Cette faculté que possède l’argent, de représenter l’universalité des choses, le soustrait aux conséquences établies par l’auteur. L’augmentation du numéraire n’augmentant pas le besoin des premières subsistances, puisque ce besoin est borné par sa nature, mais facilitant et multipliant leur production, la plus grande partie du numéraire qui s’accroît se porte vers de nouveaux objets, et crée de nouvelles jouissances. Oublie-t-on encore nos relations commerciales ? Et ne voit-on pas qu’un renchérissement sensible dans les objets de première nécessité les ferait affluer de toutes parts ? Les faits se joignent ici au raisonnement. L’auteur donne l’exemple de l'Angleterre, où le numéraire surpasse de beaucoup le nôtre; aussi, dit-il, les souliers y coûtent 12 francs. J’aurais beaucoup à dire sur ces souliers de 12 francs : espèce de souliers qui apparemment ont la propriété particulière de coûter 12 francs à Londres, et ensuite, à raison du transport, des droits d’assurance et d’entrée, de venir s’offrir à 7 francs, rue Dauphine, à Paris. Mais, sans remarquer que les personnes qui sont appelées à consommer des choses recherchées et d’un prix un peu élevé, font aussi des profits plus considérables, je demanderai à l’auteur pourquoi il ne nous parle pas du prix du pain en Angleterre, puisqu’il s’agissait du pain dans son écrit ; pourquoi il ne nous parie pas eu général du prix des aliments de première nécessité dmis ce pays-là, du salaire des journaliers et de la main-d’œuvre ordinaire? Il est vrai qu’il aurait été forcé de convenir que tout cela n’est pas plus cher, que tout cela même est moins cher en Angleterre qu’en France. Il aurait vu, dès lors, que le numéraire doublé ne double pas le prix des choses nécessaires, et il n’aurait pas publié sa feuille. Mais puisque nous en sommes à l’Angleterre, qu’on me permette encore uu mot sur cet échafaudage de raisonnements, dont on veut épouvanter nos manufactures, en montrant leur ruine dans nos assignats. L’augmentation du numéraire, dit-on, renchérira les vivres; ceux-ci renchériront de prix ; nous ne pourrons plus soutenir la concurrence ; et tandis que nous ne vendrons rien aux étrangers, ils nous inonderont de leurs marchandises, et finiront par emporter le reste de nos écus. Si cela pouvait être vrai pour nous à l’avenir, cela devrait l’être aujourd’hui pour les Anglais, puisqu’ils sont plus riches que nous en moyens de circulation. Or, vous savez comme nous devons craindre, par leur exemple, que cet horoscope ne s’accomplisse à notre égard. Fasse le ciel que les assignats ruinent bientôt notre commerce, comme la multitude des guinées et des papiers ruiuei aujourd’hui celui de l’Augleterre 1 peine sont là, sans doute, de la part de nos adversaires, que des caricatures économiques, qui ne permettent pas les regards sérieux de la raison. Mais je dois à cette Assemblée une observation plus grave sur les aberrations d’un de ses honorables menabrés, en fait d’économie politique, et sur le cas qu’on doit faire de sa diatribe contre les assignats et leurs défenseurs. Gomment, après avoir blanchi, comme il le dit, dans l’étude des matières qui nous occupent, et j’ajouterai dans la carrière de la plus incorruptible probité, étonne-t-il si fort aujourd’hui et ceux qui le lisent et ceux qui l’entendent? Quoil le même homme qui naguère, dans cette Assemblée, justifiait les arrêts de surséance obtenus par la caisse d’escompte ; qui défendait un privilège de mensonge et d’infidélité accordé aux billets de caisse, puisque ces billets portaient : Je payerai à vue , et que l’arrêt disait : Vous êtes dispensé de payer à vue ; qui trouvait très convenable, très légale, l’immoralité de ce papier-monnaie, créé par l’impéritie du gouvernement, et dont le juste discrédit a donné à la confiance publique un ébranlement que nous ressentons encore; le même homme vient décrier aujourd’hui notre papier territorial, dont lé prix repose sur l’or de nos plus riches propriétés ; un papier, qui, étant toujours payable en fonds nationaux, ne peut jamais perdre un denier de la valeur foncière, ni tromper un instant laconfiance de son possesseur 1 Ainsi donc ce membre caresse une caisse en faillite, un suborneur; et il diffame un papier national, un titre sacré, dont la solidité est inaltérable. Est-ce là le résultat que nous devions attendre de ses travaux et de ses lumières? (On applaudit.) On vous dit, et ce sont des hommes célèbres, des académiciens que je cite, on vous dit que les assignats actuels embarrassent déjà la circulation. Possesseurs d’assignats, dites-nous en quoi votre embarras consiste; et moi je vous montrerai des embarras toutautrementgraves, faute d’assignats. (On applaudit.) On ajoute qu’un plus grand intérêt, attaché à ces assignats, en eût fait au moins un placement. On oublie donc que leur création ayant été sollicitée de toutes parts par les besoins d’une circulation anéantie, c’eût été créer un étrange remède au manque d’argent, que de faire encoffrer les assignats, imaginés pour en tenir lieu. On prétend encore que ces assignats ne remédieront point à la stagnation du numéraire. Ils n’y remédieraient point sans doute, si, comme ces auteurs l’entendent, on favorisait, par de forts intérêts, la stagnation des assignats. Eufin,on est aussi fondé à soutenir que les assignats sont inutiles, parce qu’ils ne feront point reparaître les espèces, que nous aurions été fondés, durant la disette, à rejeter le riz, parce qu’il ne faisait pas revenir du blé. Les mêmes détracteurs des assignats comptent parmi leurs dangers celui de faire penser bientôt au public qu une seconde Chambre, dans l’Assemblée nationale, composée de propriétaires plus riches, aurait réprouvé cette fatale mesure. Or, voici qu’un autre détracteur des assignats dit au peuple, dans son pamphlet sur le renchérissement du pain, que les assignats ne sont bons que pour les gens riches. Daignez donc vous accorder, pour que nous sachions auquel répondre. En attendant, nous demandons à celui qui semble invoquer le jugement de» riches propriétaires contre ces assignats, comment il pense que ces propriétaires s’accommodent de la situation actuelle des choses, où les terres perdent chaque jour de Survaleur faute d’argent pour les acqué- (Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 septembre 1790.] 274 rir ; où un très grand nombre d’entre eux sont forcés de les vendre à vil prix, soit qu’ils ne trouvent pas à emprunter pour les affranchir, soit qu’elles ne puissent pas supporter l’intérêt énorme qu’on leur demande. Qu’il nous dise si, le numéraire n’étant point augmenté, ces terres ne seront pas encore plus déprisées par la concurrence prochaine de deux ou trois milliards de biens nationaux. Qu’il nous dise encore si des contrats ou des quittances, dont les dix-neuf vingtièmes seront à vendre, loin de fournir de nouveaux moyens de circulation, ne l’appauvriront pas toujours davantage ; si tout cela peut relever le prix des fonds territoriaux, et améliorer le sort des propriétaires. Il ne manquait plus à ce philosophe que de se passionner contre le projet des assignats, au point d’y voir trois ou quatre banqueroutes les unes sur les autres. Que nous conseille-t-il à la lace? les chères quittances de finance, c’est--dire la perte inévitable du quart au moins de ces quittances pour la malheureuse foule des vendeurs ? En vérité, c’est là un étrange remède. On reproche au système de liquidation par les assignats qu’ils seront répandus longtemps avant que les domaines nationaux s’achètent ; que l’acquit de ces domaines, par leur moyen, ne s’accomplira qu’au bout de plusieurs années ; et qu’ainsi l’on ne peut regarder l’achat des biens nationaux comme débarrassant à mesure la circulation, puisqu’elle en sera d’abord surchargée. J'observe sur cela : 1° Qu’il s’en faut bien que la somme d’assignats que nous proposons double, dans la circulation actuelle, la somme de numéraire que nous possédons ordinairement. La moitié peut-être de cet avoir en numéraire a disparu de la circulation ; ce déficit qui tend à s’accroître peut parvenir au point le plus effrayant. Ainsi l’émission proposée ne fait, en plus grande partie, que combler le vide et réparer la perte. 2° Il est impossible, quelque diligence que l’on mette dans l’examen des créances, l’apurement des comptes et la fabrication des assignats, de consommer cette grande opération sans un travail de plusieurs mois, peut-être de plus d’une année. On n’a donc-pas à craindre une émission prompte et brusque de la totalité des assignats. 3° Avant la liquidation de la dette exigible, et l’émission de tous les assignats décrétés, une partie de ceux qui auront déjà été délivrés rentrera dans la caisse de l’extraordinaire, soit pour le premier payement des acquisitions effectuées, soit pour le payement complet de celles dont les acquéreurs ne voudront pas jouir des délais ; de sorte qu’il n’existera jamais à la fois dans la circulation des assignats émis. 4° Cette mesure ayant pour objet de nous faire franchir, par des secours nécessaires, cette époque de compression et de besoin, le numéraire, à mesure que le calme et la confiance reprendront le dessus, et que les affaires se rétabliront, sera rappelé, et remplacera à son tdur les assignats, qui s’écouleront, par les payements annuels, vers la caisse de l’extraordinaire. Gette substitution du numéraire aux assignats aura douze ans pour s’accomplir. Pendant ce temps, la nation jouira du produit des biens qui ne seront pas encore vendus ou acquittés ; et les particuliers tireront des assignats tous les secours que les besoins de la circulation et l’état des choses pourront exiger. Mais est-on plus heureux dans les mesures qu’on propose au lieu d’assignats pour la liquidation de la dette, que dans le combat qu’on livre pour les écarter ? On vous parle des quittances de finance escortées d’un intérêt plus ou moins fort. A la réquisition du porteur elles seront échangées directement contre les biens nationaux; et voilà cette créance éteinte, cette partie de la dette liquidée. J’entends : on parle donc de cette vente comme incontestable ; c’est de l’or que l’on met dans la main du créancier, qui n’a qu’à vouloir pour acquérir. On ne peut donc pas refuser aux assignats la même solidité, la même valeur; c’est de l’or aussi; et la moindre défiance qui ébranlerait leur crédit ferait tomber de même les quittances. Mais ces quittances, qu’en feront les propriétaires? Que de papiers morts ajoutés à d’autres papiers morts ! Quel cimetière de capitaux! Ces quittances auront-t-elles la faculté de métamorphoser leurs maîtres en agriculteurs? Le plus grand nombre d’entre eux ne pourront pas faire cette disposition de leur fortune. Une foule de créanciers et d’arrière-créanciers se présenteront : le gage n’est pas transmissible à volonté ; et il faudra vendre. Cette masse énorme d’effets va créer, dans la Bourse de Paris, un nouveau commerce improductif qui achèvera de ruiner toutes les branches du commerce utile et toute autre espèce d’industrie. C’est là que les assignats actuellement en circulation et le peu d’écus qui restent encore dans le royaume seront attirés par ce nouveau tourbillon vraiment dévorant. C’est là que seront pompés les derniers sucs qui laissent encore à nos affaires une ombre de vie. Mais qui s’engraissera derechef aux dépens de la chose publique? Ceux-là seulement qui ont des écus libres, des millions à leurs ordres; tandis que la pluralité des créanciers de l’Etat verront leur ruine au moment où ils feront argent de leurs quittances. Eu laissant dans l’abîme cette multitude de victimes, suivons la destinée de ces effets. Ou le capitaliste accapareur, après avoir spéculé sur les quittances, spéculera encore sur les domaines, il dictera la loi aux campagnes et vendra cher son crédit à leurs habitants; ou il gardera dans son portefeuille ces quittances acquises à vil prix, qui lui rapporteront un intérêt considérable; et dès lors les biens nationaux ne se vendront pas. Le remède à ce mal serait donc de soustraire ces porteurs de quittances à la servitude de leur position, à l’empire de leurs créanciers; de donner à leurs créances sur l’Etat une valeur qu’elles ne pussent perdre, de manière que, passant de main en main, elle rencontrassent enfin un propriétaire qui pût les réaliser. Or, c’est là précisément la nature et la fonction des assignats-monnaie. Des revers multipliés, dit-on, les attendent dans la carrière qu’ils ont à fournir. Mais ces prophètes de malheur ne connaissent pas de quels spéculateurs ils sont les aveugles échos ; ils se perdent dans l’avenir et ne savent pas voir ce qui se passe autour d’eux. Voici le mystère : on peut faire trois classes principales des détracteurs ou des défenseurs des assignats. La première est composée de ceux qui, jugeant la. mesure des assignats indispensable, ne laissent pas d’en dire beaucoup de mal; et pourquoi? C’est qu’ils veulent, par ce moyen, empêcher l’essor des effets publics; et ils en achètent tarit qu’ils peuvent, certains de la faveur que la nouvelle création d’assignats leur donnera. Le décri des assignats est pour ces gens-là une spéculation de fortune. La seconde classe est celle qui a vendu des effets à terme ; elle tremble que ces effets ne haussent : son intérêt est aussi de décrier les assignats, de prêcher les quittances de finance, les moyens qui retardent le crédit; mais voyant que la mesure des assignats prend faveur, ils s’efforcent de leur associe* du moins quelque 272 [ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] papier lourd, d’attacher le mort au vif, afin de retarder l’action de celui-ci et de diminuer leur perte. La troisième classe est celle qui se déclare en faveur des assignats, rondement, consciencieusement, en les regardant comme un moyen nécessaire et patriotique. Je crois fermement qu’on doit ranger dans cette classe les premiers promoteurs des assignats et la grande majorité de ceux qui sont attachés à cette mesure. {On applaudit.) Un orateur s’élève avec un nouveau projet à la main; il rejette, dès l’entrée, les assignats, et ses premiers arguments sont les troubles répandus dans le royaume, les désordres suscités par les ennemis de la Révolution et la défiance publique qui en est la suite. Or, je vois bien là les raisons qui chassent l’argent, qui créent la misère générale; mais je n’y vois pas celles qui empêchent qu’on ne remplace cet argent, qu’on ne subvienne à cette misère, et je plains l’orateur qui marche ici à rebours de ses intentions, et qui plaide si bien, sans s'en apercevoir, en faveur du parti qu’il voulait combattre. Il continue ; il se récrie de ce qu’on pense faire des amis à la Constitution par la cupidité et non par la justice.Mais les assignats-monnaie font justice à tout le monde ; mais ils soustraient une foule de citoyens à la cupidité de quelques hommes.Eh ! vraiment il est permis peut-être de combattre un intérêt par un autre ; il est permis d’opposer à l’intérêt mal entendu, qui fait les antirévolutionnaires, un intérêt bien entendu, qui arrache les égoïstes à leur système d’indépendance, et les lie, par leur fortune particulière, à la fortune publique, au succès de la Révolution. Je supplie donc ces moralistess ublimes, qui s’indignent ici contre moi, de me permettre de ramper loin d’eux dans la bassesse du sens commun et d’une raison toute vulgaire. {On applaudit.) L’honorable membre descend enfin à la proposition d’un décret où il admet pour 800 millions de ce3 redoutables assignats. L’académicien qui les a comparés à de l’arsenic pourra trouver que la dose ici en est un peu forte; mais voici le grand antidote: ce sont les quittances de finance. L’orateur en demande pour le remboursement de la dette, et ces quittances ne pourront être refusées en payement par les créanciers bailleurs de fonds. Mais rien, selon moi, de plus inadmissible que cette mesure. Comment l’Etat peut-il distinguer deux espèces de créanciers pour la même quittance ? Celui qui la reçoit de la seconde main ne devient-il pas créancier de l’Etat au même titre que celui qui la reçoit de la première? Pourquoi donc cette quittance commence-t-elle par exercer, en faveur de l’un, les droits de papier forcé, pour tomber tout à coup au préjudice de l'autre dans les inconvénients du papier libre? La justice a-t-elle ainsi deux poids et deux mesures? Et la nation peut-elle les admettre dans sa balance? Un prélat a fixé l’attention sur cette maitère. Je ne me propose pas de suivre le fil délié de sa discussion contre les assignats. Il me suffira d’en saisir quelques traits essentiels, et de leur opposer un petit nombre de vérités simples et incontestables. Cet orateur observe que les biens nationaux n’étant point une augmentation de richesses territoriales, les assignats qui en sont le type ne représentent point non plus une richesse nouvelle; et il rejette, en conséquence, la qualité de monnaie qu’on veut leur donner. J’observe, a nion four que si les biens nationaux ne sont pas une nouvelle richesse, ils sont du moins une nouvelle marchandise ; que les assignats peuvent être institués, par là même, comme une monnaie accidentelle pour les acquérir, et qu’ils disparaîtront quand la vente sera consommée. {On applaudit.) On a vu des nations forcées de créer au hasard du papier-monnaie dans des circonstances pareilles aux nôtres. Plus heureux dans nos besoins, nous avons une richesse réelle à mettre en circulation. Ceux qui achèreraient des bien nationaux avec des quittances de finance, les achèteront également avec des assignats; mais ceux qui n’en pourront pas acheter avec leurs assignats, par le besoin d’en disposer pour quelque autre usage, qu’auraient-ils fait de leurs quittances? Ils les auraient vendues à perte pour se procurer ces mêmes assignats.Ainsi l’assignat, par cela même qu’il est entraîné pour quelque temps dans la circulation, atteste sa double utilité; et la quittance de finance ne peut point le remplacer à cet égard. Supposons que la nation acquît tout à coup assez de numéraire pour payer sa dette; qui pourrait se plaindre qu’elLe l’appliquât à cet usage? Qui pourrait se récrier contre une telle opération et la repousser par ses conséquences? Je soutiens que nous avons un numéraire moins dangereux pour nous libérer; il n’est pas à demeure; il ne nous surchargera pas. Nos fonds territoriaux seuls sont permanents ; et c’est un papier à temps qui les représente. Ce papier, quoique fugitif, ne prendra pas du moins le chemin de notre vaisselle, de nos bijoux et de nos écus. {On applaudit.) C’est donc une utile, une heureuse mesure pour la nation, que de remplacer son numéraire par les assignats, tout en s’acquittant, par là, de ce qu’elle doit. C’est à tort que le même censeur de notre projet distingue, quant aux assignats, deux ordres de personnes : les débiteurs qui s’en déchargent et les créanciers qu’ils en embarrassent. Car les mêmes hommes, considérés individuellement, étant pour la plupart créanciers et débiteurs à la fois, peu leur importe de quel moyen d’échange ils se servent, pourvu que ce moyen soit reconnu valable, et qu’ils puissent le transmettre comme ils l’ont reçu. On a peine à comprendre que l’honorable membre dont je parie ait pu imputer aux assignats le mauvais usage ou l’emploi détourné qu’on pourrait eu faire, comme de les resserrer par malice, d’en acheter de l’argent afin de l’enfouir, d’acquérir par leur moyen des biens particuliers et non nationaux. Car mettez, je vous prie, des quittances de finance à la place des assignats, et voyez si la mauvaise intention n’en tirera pas le même parti. Mais, direz-vous, il faudrait vendre pour cela les quittances de finance, et il y aurait trop à perdre. J’avoue que je n’ai rien à répondre à une pareille apologie des quittances de finance. Créer des assignats-monnaie, poursuit l’orateur, qui perdront un dixième sur les espèces, c’est comme si l’on augmentait le prix des espèces d’un dixième, c’est élever l’écu de six livres à six livres douze sous. Je conviens d’abord que s’il n’y avait point d’assignats on ne pourrait pas leur comparer les écus, et que ceux-ci ne gagneraient rien vis-à-vis des assignats. Mais alors les écus gagneraient sur une foule de choses, qu’on achète aujourd’hui au pair avec l’assignat, et l’on aurait pour six livres, non pas seulement ce qui se paye aujourd’hui six. livres douze sous, mais des valeurs peut être de sept ou huit livres. Or, j’aime mieux, à tous égards, que la rareté des écus leur fasse gagner un peu sur les assignats, que si la plupart des choses perdaient beaucoup contre les écus. Je reviens donc à cette {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] 273 vérité, c’est que l’assigDat gradue la valeur des s espèces, et que la rareté seule de ces espèces en hausse le prix. Suivons l’orateur dans ses observations sur le change, relativement à notre commerce avec l’étranger, en supposant la perte future qu’il attribue à l’assignat-monnaie. Il en résulte, dit-il, qu’alors le Français qui commerce avec l’Angleterre, soit comme vendeur, soit comme acheteur, perdra sur le change. Mais pénétrons plus avant, et passons du principe à la conséquence. Que les marchandises anglaises renchérissent pour nous; dès lors, moins de consommation, moins de demandes pour les objets de fantaisie, moins d’argent qui sort du royaume, et tout se compense. Que les marchandises françaises soient acquises à meilleur marché par les Anglais, dès lors il y aura plus de débit, plus de commissions; le prix haussera, on regagnera d’un côté ce qu’on perd de l'autre, Enfin, alimenter, raviver notre industrie, mettre la balance de notre commerce en notre faveur, c’est l’essentiel. Il n’y a rien de plus ruineux pour un pays que d’y payer l’argent au poids de l’or, d’y languir, de ne rien manufacturer, de n’en rien exporter. Quelques inconvénients, qui même sont bientôt balancés par des avantages, ne sont rien au prix d’une telle calamité, et les plus fines, les plus ingénieuses argumentations contre les assignats-monnaie n’ébranleront jamais la masse des raisons et des faits qui en établissent la nécessité. L’habile orateur dont je parle s’est contenté dans son projet de décret d’écarter les assignats comme les ennemis les plus dangereux de son dernier plan de liquidation. Il me suffit donc, pour écarter son plan, d’avoir vengé contre lui les assignats. Mais ici, entre notre signe territorial et ces divers moyens de remboursement, une grande différence se préseute à son avantage. C’est la nation qui paye l’intérêt de 'ces reconnaissances, de ces quittances mortes. Mais l’assignat agit, fructifie comme numéraire entre les mains qui l’em ¬ ploient ; et tandis qu’il circule la nation perçoit l’intérêt des biens dont il est le gage. Et je ne puis m’empêcher de m’élever contre divers projets d’association qui ont été présentés entre l’assignat-monnaie et les quittances de finance, soit contrats ou reconnaissances, pour le payement de la dette. Je m’élève, dis-je, contre cette association, comme n’ajoutant rien à la confiance due aux assignats, comme compliquant la mesure, comme prodiguant des intérêts inutiles, comme ouvrant la porte à des spéculations dont les suites peuvent être pernicieuses. Et quant à l’option laissée aux créanciers, dans quelques projets, entre les assignats et les obligations territoriales, pourquoi cette option a-t-elle été imaginée ? C’est en comptant, dit-on, sur la préférence qui sera donnée aux assignats. Je demande si une aussi puérile combinaison est digne de cette Assemblée? Je sais qu’en dernière analyse la nation ne gagnerait rien à l’économie d’intérêt dont je viens de parler si l’assignat venait à tomber en discrédit; mais après tout ce que nous avons observé à cet égard, il nous est permis de regarder cette épargne d’intérêt comme quelque chose. Nous devons surtout en sentir la conséquence dans les circonstances où nous entrons. L’impôt dont le nom seul jusqu’à présent a fait trembler les peuples, mais qui doit présenter maintenant un tout autre aspect ; l’impôt va recevoir chez nous une nouvelle forme. Nos charges lro Série. T. XIX seront allégées ; mais nous avons encore de grands besoins. Le fardeau ci-devant plus divisé et supporté dans ses différentes parties, de jour à jour pour ainsi dire, se faisait peut-être moins sentir, bien qu’en somme il pesât cruellement sur la nation. Aujourd’hui qu’il va se concentrer en quelque sorte et se rapprocher plus près des terres, il peut étonner le peuple et lui semble pénible à porter. Cependant il n’est aucun de nous qui ne sente combien le succès de cette grande opération importe à celui de tout notre ouvrage. Nous n’aurions rien fait pour la tranquillité et pour le bonheur de la nation, si elle pouvait croire que le règne de la liberté est plus onéreux pour eile que celui de la servitude. (On applaudit.) Nous pouvons affaiblir maintenant cette redoutable difficulté; nous pouvons diminuer les impositions de toute la différence qui existe entre l’intérêt qu’on attachera aux quittances de finance, ou autres instruments de liquidation, et le revenu d’une masse de biens nationaux, équivalents au capital de ces quittances. Nous pouvons les diminuer encore de la différence entre l’intérêt de la somme des quittances qu’on voudrait donner en remboursement des divers offices et celui que perçoivent aujourd’hui leurs titulaires. En rassemblant ces deux objets, dont l’évaluation dépend du rapport entre ces différents intérêts, on peut assurer à la nation pendant plusieurs années une grande épargne, si l’on acquitte par des assignats la dette actuellement échue. Il est bien d’autres épargnes qui seraient le fruit de cette mesure, mais il en résultera évidemment uu moins imposé pour les Français. Or, si le parti des assignats présente d’ailleurs tant d’avantages, et si nous pouvons les regarder comme un titre d’une solidité si parfaite qu’on ne doive point en craindre l’altération, vous sentez quelle prépondérance y ajoute le soulagement qu’ils apportent au fardeau des subsides ; vous sentez même quel accueil cette économie peu valoir à la mesure (les assignats, et comment le public sera disposé à favoriser leur succès par la confiance ; vous sentez combien votre système général d’impôt trouvera plus de facilité à être adopté, en le présentant comme un résultat diminué d’une somme si considérable; vous sentez enfin quel avantage ont encore ici les assignats, qui, en allégeant les impositions, en facilitent de plus le payement par leur qualité circulante : au lieu que les quittances de finance, avec tous les autres vices, aggravent les charges de l’Etat, et ne fournissent aucun moyen de les supporter. Quand je réduis la création des assignats-monnaie à la somme strictement nécessaire pour le payement de la dette actuellement exigible, c’est que nous devons leur laisser tout l’appui d’un gage étendu, et que la juste confiance qu’il importe de leur assurer nous prescrit à cet égard des bornes inviolables. Et je ne conçois pas comment l’on a inféré, de mon précédent discours sur ce sujet, que je comprenais dans cette dette exigible cellê qui rigoureusement n’est pas exigible, celle qui ne l’est point encore et qui ne le sera qu’avec le temps, je ne comprends pas que quelques personnes se soient effrayées de ma proposition, comme si j’avais demandé la création de 2 milliards d’assignats-monnaie, tandis que je n’ai pas articulé une seule somme. Quand même la masse des fonds nationaux et disponibles pourrait s’élever à 3 milliards, pouvons-nous compter sur cette somme? Nous savons bien que tout est à vendre; mais la fleur des biens attirera les premiers empressements; et quant au 18 274 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] reste, une partie peut rester longtemps sans acheteurs. La prudence nous oblige donc à borner l’aperçu de cette richesse territoriale à 2 milliards. Joignons aux 400 millions d’assignats répandus une réserve à peu près égale pour les besoins futurs et contingents; reste au delà d'un milliard pour l’acquit de cette partie de la dette publique à laquelle on peut donner le plus strictement le nom d’exigible. Si nous savions nous réunir sur les objets que je viens de mettre sous vos yeux; si nous savions écarter les nuages d’une fausse défiance, d’où peuvent encore partir les tempêtes; si, nous ralliant aux vérités qui sauvent, nous n’avions d’ardeur que pour les défendre et les propager, toute incertitude, toute crainte cesseraient, et la restauration de nos affaires serait très prochaine. Rien n’est plus fragile que la confiance, puisqu’elle dépend toujours en quelque point de l’opinion; l’ebranler est donc un grand tort, quand elle repose sur de bonnes bases, quand elle peut faire le salut de la nation. Tous Français, compatriotes et frères, nous ne pouvons ni périr, ni nous sauver les uns sans les autres : en nous élevant au-dessus de circonstances passagères, sachons voir que les mêmes intérêts nous commandent les mêmes vœux, nous prescrivent le même langage. {On applaudit.) Gomment donc souffrir, dans la grande affaire qui nous occupe, qu’on emploie plus de mouvements pour diviser les opinions des citoyens qu’il n’en faudrait pour les éclairer et les réunir? Ignore-t-on les menées, les instigations, les instances que l’on s’est permises? Ignore-t-on qu’après avoir fait parler l’aveugle intérêt, et soufflé son rôle à l’ignorance, on vient ensuite nous donner ce résultat comme le jugement libre et réfléchi de l’expérience et des lumières, comme le vœu respectable des manufactures et du commerce ? Est-ce là cet oracle pur de l’opinion publique, qui devait nous servir de guide? N’est-ce pas plutôt la voix déguisée d’un égoïsme astucieux, qu’il nous suffit de reconnaître pour le repousser? Et voulez-vous pénétrer les motifs de ces clameurs mercantiles, de ces répulsions financières, qu’il a été si aisé d’exciter contre les assignats; sondez les intérêts d’un certain ordre de commerçants; apprenez quels sont les calculs des fournisseurs d’argent et de crédit. Les manufactures sont toutes tributaires des uns ou des autres. Ceux-là, soit que voués au commerce de commission, iis fassent des fonds aux fabricants sur leurs marchandises; soit qu’adonnés à la banque, ils se chargent d’acquitter leurs engagements, tous mettent un prix de 6 0/0 à leurs avances ; ceux-là, riches commanditaires, portent jusqu’à 10 0/0 et au delà l’intérêt de leurs capitaux. Or, créons des capitaux en concurrence; élargissons, facilitons la voie des emprunts et du crédit; abaissons par là même le taux de l’intérêt; n’entendez-vous pas crier aussitôt ces commissaires, ces banquiers, ces capitalistes ? Mais vous ne vous y tromperez pas : ce cri est un suffrage des manufactures; c’est le signal de leur prochaine restauration, c’est un préjugé favorable pour les assignats. {On applaudit.) Législateurs, rapprochez donc les volontés par le concert de vos sentiments et de vos pensées ; votre opinion ferme et arrêtée sera bientôt l’opinion publique; elle aura pour elle tous les fondements que la sagesse et ia nature des circonstances peuvent lui donner. Mais ne pensons pas nous dérober entièrement à leur empire. Nous marchons chargés d’une dette immense, d’une dette que des siècles de despotisme et de désordre ont accumulée sur nos têtes. Dépend-il de nous, même en l’allégeant, de faire qu’elle pui-se être su portée sans aucun embarras, sans aucune gêne? Est-ce enfin des choses impossibles que la nation exige de nous? Non, elle n’entend pas que nous convertissions soudainement et par miracle la pénurie en abondance, la fortune adverse en prospérité; mais qu’en opposant à ces temps nécessiteux toute la grandeur des ressources nationales, nous servions aussi la chose publique, selon la mesure de nos forces et de nos lumières. Si donc la nation se confie dans le zèle de cette Assemblée, sans doute aussi cette Assemblée peut se confier dans la justice de la nation. {On applaudit.) Non, il n’est pas de la nature des choses, dans ces conjonctures calamiteuses, d’user d’un moyen qui ne porte avec lui ses difficultés ; celui des assignats-monnaie en serait-il donc le seul absolument exempt? Ce n’est pas ici l’objet d’un choix spéculatif et libre en tout point; c’est une mesure indiquée par la nécessité; une mesure qui nous semble répondre le mieux à tous les besoins, qui entre dans tous les projets qui vous ont été offerts, et qui nous redonne quelque empire sur les événements et sur les choses. Des inconvénients prévus ou imprévus viennent-ils ensuite à se déclarer? Eh bien! chaque jour n’apporte pas avec lui seulement ses ombres, il apporte aussi sa lumière ; nous travaillerons à réparer ces inconvénients : les circonstances nous trouveront prêts à leur faire face, et tous les citoyens, si éminemment intéressés au succès de notre mesure, formeront une fédération patriotique pour la soutenir. {La salle retentit d’applaudissements.) Ainsi tout doit fortifier votre courage. Si vous aviez prêter l’oreille jusqu’à ce jour à toutes les instances des préjugés, des vues particulières et des folles craintes, votre Constitution serait à refaire. Aujourd’hui, si vous défériez à tous ces iutérêts privés, qui se croisent et se combattent les uns les autres, vous finiriez par composer avec le besoin ; vous concilieriez mal les opinions, et la chose publique resterait en souffrance. C’est d’une hauteur d’esprit qui embrasse les idées générales, résultat précieux de toutes les observations particulières, que doivent partir les lois des Empires. Un administrateur qui viendrait vous vanter l’art de ménager tous les détails, comme formant le véritable génie de l’administration, vous donnerait sa mesure, il vous apprendrait bien le secret de tous les embarras qui ont fatigué sa marche, mais il ne vous apprendrait pas celui d’assurer la vôtre. Oser être grand, savoir être juste, on n’est législateur qu’à ce prix. {Les applaudissements redoublent à plusieurs reprises.) Je propose donc et j’amende de cette manière le décret que j’eus l’honneur de vous soumettre le 27 août dernier : 1° Qu’il soit fait une création d’assignats-monnaie, sans intérêt, jusqu’à la concurrence d’un milliard, pour le payement de la dette actuellement échue et rigoureusement exigible, lequel payement devra s’effectuer, à mesure que la liquidation des différentes créances sera arrêtée, à commencer par l’arriéré des départements, les rentes en retard, les effets suspendus, la partie actuellement liquide des charges et offices, et ainsi de suite, selon l’ordre et l’état qui seront dressés à cet effet; 2° Qu’on s’occupeincessamment delà fabrication de petits assignats au-dessous 200 livres, pour la somme totale de 150 millions, dont 50 seront échangés, à commencer du 15 décembre prochain, (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790. 278 contre la même valeur d’assignats actuellement en circulation ; et le reste des petits assignats sera distribué pour te payement des diverses créances, et réparti sur toute l’étendue de ce payement; 3* Qu’à la susdite époque du 15 décembre prochain, i’intérêtattaché aux 400 millions d’assignats actuels cessera d’avoir lieu, et que l’intérêt échu jusqu’alors soit acquitté, par la caisse de l’extraordinaire, aux porteurs de ces billets dont les coupons seront retranchés ; 4° Que la vente de la totalité des domaines nationaux soit ouverte le 15 octobre, et que les enchères en soient reçues dans tous les districts; 5° Que les asÉgnats et l’argent soient admis également en paiement pour l’acquisition desdits domaines; que l’argent qui sera reçu serve à éteindre une somme égaie d’assignats; 6° Que le comité des finances soit chargé de dresser une instruction et un projet de décret pour fixer ces différentes opérations, et les mettre en activité le plus tôt possible, comme aussi de présenter à l’Assemblée nationale le pian de formation d’un bureau particulier, qui serait chargé de la direction de tout ce qui concerne la dette publique. Voix nombreuses : L’impression 1 (L’impression du discours de M. de Mirabeau est ordonnée.) M. le Président. Il m’a été remis deux lettres, l’une detM. dePeynier, l’autre de M. de La Luzerne ; elles sont relatives aux colonies. Le ministre demande que l’Assemblée s’occupe promptement de différents objets énoncés dans sa lettre. Je pense que l’Assemblée jugera à propos d’entendre la lecture de ces pièces, pour les renvoyer ensuite à tel comité qu’elle croira convenable. Par la première de ces lettres, M. de Peynier annonce que le décret du 8 mai avait d'abord été reçu,avec allégresse par les assemblées paroissiales comme un bienfait de la mère-patrie; que rassemblée coloniale avait paru y adhérer, afin de mieux fasciner les yeux ; mais que bientôt, par des actes sans nombre, elle a usurpé la souveraineté. M. de Peynier rapporte qu’il a pris tous les moyens pour réunir les colons à la même opinion, qu’il a fait tous les sacrifices personnels qu’il a cru nécessaires pour ramener la paix et que sa conduite a arraché des éloges à ceux mêmes qui s’efforçaient de le rendre odieux. Cependant le désordre augmente; encore un moment, et la moitié de la colonie pouvait être égorgée par l’autre. M. de Peynier, informé dans la soirée du 29 juillet que le comité de l’ouest tenait une assemblée nocturne, et convaincu de la nécessité de dissoudre cette assemblée, a donné ordre à M. de Mauduit de faire mai cher un détachement vers le lieu où cette assemblée tenait ses séances. Beaucoup de citoyens s’étaient réunis aux troupes par hasard, ou par l’effet d’une conspiration ; la garde du comité était quadruplée, et la maison remplie d’hommes armes. On a répondu à la sommation de M. de Mauduit par une décharge d’artillerie. Trois des soldats qui s’étaient avancés avec cet officier ont été tués; les troupes ont tire, et la perte des personnes qui étaient dans la maison a été plus considérable. (Un de MM. les secrétaires lit la lettre de M. de La Luzerne.) M. de Cocherel. 11 est juste d’attendre pour prononcer que les députés envoyés de Saint-Domingue soient entendus. M. Barnavc. L’affaire de Saint-Domingue se divise en deux parties : 1° les mesures indispensables et pressantes pour porter, la paix dans la colonie et pour tranquilliser les nombreux citoyens, qui, après avoir prouvé leur patriotisme, ne peuvent pas attendre longtemps notre appui; 2° le parti à prendre relativement à la ci-devant assemblée coloniale de Saint-Marc. La première partie est extrêmement pressante. Nous n’avons as besoin d’entendre les députés du Port-au-rince ; le comité a toutes les lumières nécessaires. Quant à la seconde, on les entendra avant de les juger, avant de prononcer les peines qu’ils ont encourues. Il ne faut pas différer à rétablir l’ordre. L’humanité, la stricte justice exigent seulement que vous entendiez les motifs de la conduite des membres de la ci-devant assemblée coloniale, pour juger si ses fautes ont été l’effet d’illusions fâcheuses et non de projets coupables ; mais l’humanité exige également que vous rétablissiez le bon ordre, et que vous rassuriez la tranquillité de ceux qui ont multiplié leurs efforts pour empêcher qu’elle ne fût troublée. La justice demande que vous leur donniez des éloges ; vous verrez que les lettres, que les actes de M. de Peynier sont également remplis de fermeté et dupatriotismedont il adonnél’exemple. Je prie donc l’Assemblée de décider qu’immédia-tement après avoir entendu les députés du Port-au-Prince, elle prendra un parti sur ce dernier objet, et qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent. (L’Assemblée décrète que jeudi prochain au soir les députés du Port-au-Priace seront reçus, et ordonne le renvoi des pièces au comité colonial.) (La séance est levée à quatre heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DD 27 SEPTEMBRE 1790. Opinion �Stanislas de Clermont-Tonnerre, dans la question des Assignats (1). Messieurs, la discussion est avancée, les questions sont posées, et les divers systèmes se sont assez longtemps combattus pour que l’homme attentif et sans préjugés puisse maintenant distinguer celles des raisons ou des objections qui n’oat pas été détruites ou affaiblies dans le cours de cette lutte intéressante. Il n'est cependant pas devenu beaucoup plus facile d’adopter une opinion décisive ; il existe encore, tant dans la nature des choses que par l’empire des circonstances, une multitude de difficultés que redoute l’homrqe de bonne foi, l’homme dont les yeux ne voyent que le bien public, dont les pas ne tendent qu’à ce but, et qui n’est intéressé par aucune considération étrangère, à préférer telle ou telle route parmi celles qu’on lui présente. (1) Depuis quatre jours, je n’ai pu obtenir la parole dans cette importante question; je soumets à l’Assemblée mon opinion et mon projet de décret. ( Note de Jtf. de Clermont-Tonnerre.)