[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790.] 454 immense d’état-major, qui trouvera bien moyen de conserver encore celui des géographes? Non, sans doute. Les véritables motifs de toutes ces innovations sont la séduction opérée par l’intrigue, la rivalité, la jalousie et les intérêts particuliers (1). Si cette opinion n’était pas celle de tous les officiers du génie que je vois, que je connais, elle n’en serait pas moins la mienne ; je me dispenserais seulement de la mettre au jour. J’ai tort peut-être de me déclarer le chevalier de ma robe, je pourrai me faire des ennemis, j’ai laissé jusqu’ici le champ libre, à tous ceux qui auraient dû l’occuper; mais puisqu’on l’abandonne, je me précipite dans l’arène au moment du danger ; je m’immole à la bonté de ma cause ; et si je n’ai eu le temps, ni les talents nécessaires pour élever mon style à la hauteur de mon âme, pour lui communiquer sa chaleur, j’aurai du moins eu le courage de me faire entendre. Pourquoi, me dira-t-on, le comité militaire a-t-il rencontré la presque unanimité dans les avis des officiers généraux, officiers d’artillerie, officiers du génie, qui ontété consultés? je répondrai qu’on a pü consulter beaucoup d’officiers intéressés à cette décision ; j’ajouterai que je suis cer-tainque la très grande et plus qu’absolue majorité des officiers de l’artillerie et du génie est de mon avis. Je ne me permets pas néanmoins de révoquer en doute l’assertion du comité, j’en suis au contraire pleinement convaincu; les intérêtsde l’état-major de l’armée et de l’artillerie devaient produire le résultat qu’ils ont obtenu. Ces deux corps ont consenti à être froissés pour en écraser un troisième qui leur faisait ombrage; il est d'usage que le plus modeste succombe. Enfin je supplie les représentants de la nation de réfléchir sur les questions suivantes : 1° Est-il moins dangereux pour la liberté de mettre dans les mains du même corps tous les moyens relatifs à l’attaque et à la défense, que de séparer ceux qui les dirigent de ceux qui les exécutent ? 2° Ne doit-on pas craindre qu’au moment où (1) On récriminera, je m’y attends, sur l’accusation d’intérêts personnels. Je suis obligé de parler un instant de moi, pour mettre mes lecteurs à portée de me juger. Lorsque j’ai fondé l'établissement du Corps de l’état -major de l’armée, je pouvais ajouter eâ anch’ io sono pittore. J’ai servi dans ce corps lorsque M. de Boürcet le commandait ; j’y avais rang de lieutenant-colonel en 1770 ; et deux ans après, lorsqu’il fut réformé, je préférai de rester capitaine au corps du génfe, à l’avantage de conserver une existence qui me semblait oisive et parasite', je serais cependant, selon tout# vraisemblance, maréchal de camp aujourd’hui ; mais si l’on ne peut m’accuser d’intérêts purement personnels, je sais que l’on m’accuse d’en prendre à des individus qui souffriraient des nouveaux systèmes. Il faut encore, malgré moi, me justifier sous ce point de vue. Lorsque j’ai su que l’on décidait le ministre de la guerre à mettre en ligne les officiers généraux du corps du génie, et à les isoler, j’ai gémi de voir de braves et anciens militaires privés de leur existence. Plusieurs de nos maréchaux de camp sont très en état de faire la guerre; j’ai dit et je pense qu’ils sont les seuls, oüi lés seuls qui puissent réunir dans un siège, la marche accélérée de la grande pratique à la circonspection de la théorie. Ils sont, en un mot, les seuls qui aient fait la guerre de Flandre, et, depuis ce temps, il n’y a presque pas eu de sièges dignes d’être cités. Ce n’est donc pas parce que j’ai un oncle maréchal;de camp dans le génie, ni parce que je suis attaché à quelques-uns de ses confrères que j’ai cette opinions Trente années d’expérience et de connaissance des officiers de mon corps p?e l’ont donnée. toutes les puissances étrangères arment, elles saisissent l’occasioa d’ébranler la fidélité des officiers de l’artillerie et du génie, qui auraient lieu d’être mécontents, etqui, jusqu’à ce jour, ont résisté opiniâtrement à toutes leurs offres, ainsi qu’à la certitude de jouir ailleurs d’uue considération illimitée pour leurs talents ? Je ne puis trop inviter me3 lecteurs à réfléchir sur ces questions. Je me contenterai de les poser ; j’ai fait ce que d’autres, avec plus de temps et de talents, auraient dû faire à ma place : j’ai fait ce que je devais à mon corps, au titre de suppléant à l’Assemblée nationale, dont je suis honoré : j’ai cherché à rallier les amis de la justice autour de ses étendards.. Je réclame leur secours en faveur du corps le plus constitutionnel de l’Empire, puisque (j’en appelle à sa composition) les talents ont été la mesure prépondérante pour l’admission de ses raembres.il trouvera des défenseurs, ce corps depuis si longtemps en butte aux efforts de l’aristocratie et de l’intrigue; il trouvera des protecteurs instruits et fermes parmi les représentants de la nation ; il en trouvera de généreux et je suis loin d’en douter. Oui, Messieurs, vous analyserez la proposition. Vous la considérerez, je le présume., à peu près sous ce point de vue. Quelle économie ferait l’Etat, eu attribuant au corps royal du génie les fonctions des aides maréchaux, généraux des logis de l’armée, celles des géographes, la;gardedudépôtde laguerre, etc., qui coûtent des sommes considérables ? Quelle est celle. que produirait la réduction du corps du génie au moindre nombre possible de constructeurs militaires ? Vous vous apercevrez que la balance, chargée de bonne foi, de part et d’autre, conservera à très peu de chose près l’équilibre. Après avoir ainsi dépouillé la question de ses accessoires, le bien de la chose sera la seule considération que vous aurez à exaSiner et vous ferez justice. DEUXIÈME ANNEXE Â LÀ SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 JUILLET 1790. Dénonciation de deux imprimés ayantpour titres, l’un : « C’en est fait denous; » et l’autre: « Révolutions de France et du Bràbant, » par M. Mà-LOUET, député d’Auvergne. Messieurs, l’ordre du jour le plus pressant pour les représentants de la nation, c’est de prévenir de grands crimes, c’est d’en apprendre les causes et les auteurs. Sans doute vous frémiriez, Messieurs, si vous aviez la certitude qu’en cet instant un ou plusieurs scélérats travaillent à faire arrêter le roi, à emprisonner la famille royale, à mettre aux fers les principaux magistrats , les chefs de la milice, et demandent /la mort de cinq ou six cents personnes. Hé bien, Messieurs, c’est sous vos yeux, c’est à votre porte que ces projets atroces se développent, que ces instructions sanguinaires se distribuent au peuple, qu’on appelle aux armes, qu’on l’excile à la fureur. Voici l’imprimé que je vous dénonce, il est signé : Murat. (Ici l’orateur a cru entendre des éclats de rire.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790.J Je ne pense pas que ce soit du sein de l’Assemblée législative que s’élève une voix insultante aux malheurs publics ; car c’est le renversement des lois-que je vous annonce, c’est la liberté qui périt et la Constitution avec elle, si de tels attentats restent impunis ; et c’est déjà, Messieurs, un signe trop certain de l’anarchie où nous vivons, que la triste habitude de la supporter sans effroi, et la nécessité de solliciter avec instance votre attention sur le péril commun. Quoi ! Messieurs, tandis que l’un de ces écrivains criminels menace la tête chère et sacrée du chef suprême de l’Etat, et invite une partie de la nation à massacrer l’autre, son digne émule, Camille Desmoulins répand, de la capitale aux extrémités les plus reculées de l’Empire, ses perfides conseils et sa doctrine de sang. Celui-ci a choisi l’époque mémorable du 14 juillet, pour faire du roi et de la royauté un objet de scandale et de mépris. Ce spectacle touchant d’amour et de fidélité, encore présent à nos cœurs attendris, cette union intime des Françaiset de leur roi ne lui rappelle que l'insolence du trône, du fauteuil exécutif ; et par une allusion barbare de la marche des fédérés au triomphe de Paul-Emile, il félicite les Romains d’avoir enchaîné à la suite du conseil le roi de Macédoine, les mains liées derrière le dos, les mains qui avaient signé tant de lettres de cachet. Il traite d’esclaves et d’hommes corrompus ceux qui révèrent dans la personne du monarque la majesté de la nation. Doutez-vous donc, Messieurs, que cet excès d’audace n’épouvante les hommes faibles, et ne leur fasse craindre d’être signalés comme les partisansdu despotisme s’ils défendent, s’ils chérissent l’autorité royale constitutionnelle, qui peut seule défendre, dans un Empire immense, la liberté et la loi contre les entreprises des factieux. Ce n’est pas tout, Messieurs ; ces prétendus amis de la liberté la veulent sans lois, et surtout sans impôts ; ils excitent le peuple à n’en pas payer ; c’est-à-dire qu’ils invitent le peuple à détruire votre ouvrage, et à le détruire avec d’effroyables déchirements. « Les Romains, dit Desmoulins, étaient fondés à se réjouir en entendant crier pendant la marche triomphale de Paul-Emile: le peuple romain ne payera plus d'impôts , plus de gabelle, plus de taille, plus de capitation. » Voilà les rapprochements qu’il ose indiquer entre la fête fédérale et celle du triomphe de Paul-Emile ; voilà les conseils et les instructions que ces amis du peuple lui prodiguent. Ainsi, quand ils auront fait égorger tous ceux qu’ils lui présenterontcomme ennemis des nouvelles lois, ils lui présentent encore comme des tyrans ceux qui pensent comme nous, que le salut public dépend de l’obéissance aux lois et de la perception des impôts. Avant de venir à vous, Messieurs, je me suis adressé aux ministres des lois : je leur ai porté ces coupables écrits, et, comme représentant de la nation, je leur ai demandé vengeance, non à raison des injures qui me sont personnelles. Qui pourrait croire que, pour mon propre compte, j’eusse distingué Camille Desmoulins de ceux de son espèce dont je dédaigne depuis longtemps les outrages? mais ils m’ont servi de texte pour provoquer le ministre public et la sévérité des lois sur ces feuilles sanglantes qui renouvellent parmi nous les tables de proscription. Que vous dirai-je, Messieurs, de l’impression que m’ont faite la douleur et l’effroi, l’embarras des magistrats? J’ai vu, sur leur visage; j’ai vu, m dans leurs discours, l’impuissance des lois : « hâtez-vous, leur ai-je dit, de nous en donner la preuve, et d’avertir la nation du danger qui la menace; parlez, étendez un crêpe funèbre sur le sanctuaire de la justice : l’impuissance des lois peut seule justifier celle de vos efforts pour la défendre; vous devez périr avant elle, vous devez vous offrir les premiers aux poignards de la tyrannie. Messieurs, vous dévoiler d’aussi grands maux c’est y remédier. Vous ne souffririez pas que des forcenés calomnient la liberté, la Constitution; vous ne souffririez pas que cette Constitution, qui nous assure un roi et un gouvernement monarchique, ne puisse les défendre. Quoi ! nous n’aurions déclaré les droits de l’homme que pour en constater parmi nous la violation! L’humanité, l’égalité, la justice seraient dans vos décrets et la férocité dans nos mœurs ! L’Europe épouvantée pourrait croire que les principes et les mœurs de Camille Desmoulins appartiennent à des Français. Ah ! qu’ils vous soient enfin connus, les véritables ennemis du bien public : les voilà; leur plume, leurs mains sont ensanglantées. Messieurs, que les bons citoyens se rallient contre les pervers ! ceux-ci ne seront jamais les amis de la liberté, qui n’aura jamais pour enne .mis que les scélérats. Pourriez-vous donc vous y méprendre, laisser en paix ceux dont le crime est l’aliment, et diriger votre sollicitude sur ceux que des dissentiments séparent de vos opinions ; qui se plaignent, mais qui obéissent, et qui distinguent dans la loi même qu’ils improuvent, le caractère sacré qu’ils doivent respecter ? Ah 1 celui-là est criminel qui, dans quelque système, et pour quelque cause que ce soit, trouble l’ordre public, et porte une main parricide dans le sein de la patrie; mais qu’ils discutent nos lois, cénsurent nos opinions, les citoyens, les hommes libres de cet Empire, pourvu qu’ils apprécient, qu’ils chérissent et défendent la liberté, compagne inséparable de l’ordre et de la justice! Je vais vous lire, Messieurs, le dernier paragraphe (1) de la feuille de Marat, intitulée : C’en est fait de nous, et le mettre sur le bureau ; quant au dernier numéro des Révolutions de France et de Brabant, je déclare l’avoir remis avant-hier à M. le procureur du roi. Voici le projet de décret que j’ai l’honneur de vous proposer; il remplira les intentions de ceux qui veulent comprendre, dans la même condamnation tous les libelles atroces quels qu’en soient l’objet et l’auteur : « L’Assemblée nationale, sur la dénonciation qui lui a été faite par un de ses membres, de l’imprimé ayant pour titre : C’en est fait de nous , et du numéro 34 des Révolutions de France et de Brabant, a décrété que le procureur du roi au Châtelet de Paris sera mandé, séance tenante, et qu’il lui sera donné ordre de poursuivre, comme criminels de lèse-nation, les auteurs, imprimeurs et colporteurs des écrits qui excitent le peuple à l’insurrection contre les lois, à l’effusion du sang et au renversement de la Constitution. Séance du 2 août au soir. Ce n’est point en sortant de cette séance ora-(1) Voyez dans le compte rendu de la séance, p. 450, le paragraphe cité.