374 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.1 M. Defermon. Des citoyens réunis de toutes les parties du monde viennent vous offrir le plus bel hommage que vous puissiez jamais recevoir pour prix de vos travaux ; je fais la motion que leur demande soit accueillie par acclamation, et leur discours imprimé avec la réponse du président. — Cette proposition est adoptée à l’unanimité. M. Alexandre de Laineth. J’appuie, Messieurs, la proposition qui vous est faite en faveur de ces généreux étrangers, et qui, sans doute, n’éprouvera pas de difficulté. Mais j’ai à vous présenter une autre idée ; le jour où les députés de toutes les provinces se rassembleront pour jurer cette Constitution, qui promet à tous les Français la liberté et l’égalité, ne doit pas rappeler à quelques-unes d’elles des idées d’humiliation et de servitude. Les figures représentant quatre provinces, dont les députés ont toujours été comptés dans cette Assemblée parmi les plus fermes appuis des droits de la nation, sont enchaînées, comme les images de peuples tributaires, aux pieds delà statue de Louis XIV : souffrirons-nous, Messieurs, que les citoyens qui viendront jurer la Constitution pour cès généreuses provinces aient les yeux frappés d’un spectacle que des hommes libres ne peuvent supporter ? Ces monuments de l’orgueil ne peuvent subsister sous le règne de l’égalité. Elevez des statues aux princes qui ont bien mérité de leur pays ; con-sacrez-en une à la mémoire du restaurateur de la liberté; mais empressez-vous de détruire des emblèmes qui dégradent la dignité de l’homme et qui doivent blesser des concitoyens que nous honorons et que nous chérissons.” Je fais la motion que les quatre figures enchaînées qui sont au bas de la statue de Louis XIV, à la place des Victoires, soient enlevées avant le 14 de juillet. M. Gourdan. J’adhère à cette motion comme Franc-Comtois ; depuis longtemps elle était écrite dans mon cœur et dans celui de tous mes compatriotes, qui ont toujours abhorré l’esclavage. Plusieurs membres de la partie droite demandent l’ajournement. M. Lambcl, député de Villefrânche-de-Rouergue. C’est aujourd’hui le tombeau de la vanité. Je demande qu'il soit fait défense à toutes personnes de prendre les qualités de comte, baron, marquis, etc. M. Charles de Lameth. J’appuie la première proposition du préopinant ; les titres qu’il vous invite à détruire blessent l’égalité qui forme la base de notre Constitution ; ils dérivent du régime féodal que vous avez anéanti; ils ne sauraient donc subsister sans une absurde inconséquence : il doit être défendu à tous les citoyens de prendre, dans leurs actes, les titres de pair, duc, comte, marquis, etc. J’appuie également sa seconde proposition; la noblesse héréditaire choque la raison et blesse la véritable liberté ; il n’est point d’égalité politique, il n’est point d’émulation pour la vertu là où des citoyens ont une autre dignité que celle qui est attachée aux fonctions qui leur sont confiées, une autre gloire que celle qu’ils doivent à leurs actions. Il doit donc être également défendu de prendre, dans les actes, le titre de noble. Quant à ceux qui, dans le langage, ou dans leurs lettres, affecteraient de conserver encore ces distinctions puériles, l’opinion les en punira en les notant parmi ceux qui méconnaissent encore notre heureuse révolution. M. de Lafayette. Cette motion est tellement nécessaire, que je ne crois pas qu’elle ait besoin d’être appuyée ; mais si elle en a besoin, j’annonce que je m’y joins de tout mon cœur. M. le marquis de Foucault. Je ne sais ce qui résultera de la délibération ; mais ma mission est de m’y opposer de tout mon pouvoir. Le jour où notre patriotisme a été le plus spécialement consacré, à la fameuse époque du 4 août, cette motion fut présentée. On nous a dit qu’on était trop heureux de pouvoir établir des récompenses de cette nature. Comment récompenser quelqu’un dont le nom peu connu obtint des lettres en ces termes? « Un tel fait noble et comte pour avoir sauvé l’État, à telle heure. « Il resta avec ce titre, qui a servi de fortune à toute sa famille. M. de Lafayette. Au lieu de dire : « a été fait noble » , on dira, « a sauvé l’État, à telle heure». M. Goupil de Préfeln. Qu’il me soit permis de dire que j’étais depuis longtemps tellement pénétré de toutes ces idées, que j’avais tracé d’avance des articles qui comprennent les divers objets qui vous occupent. Je vous demande permission, Messieurs, de vous en faire la lecture : « Les titres de duc et pair, comte, vicomte, baron, marquis, chevalier, et tout autre titre attaché aux terres ci-devant féodales et seigneuriales, sont abolis et ne pourront jamais être rétablis. — Tous titres honorifiques héréditaires sont abolis, et toutes lois qui ont pour objet les distinctions héréditaires sont abrogées. — Ceux qui, contrevenant aux dispositions ci-dessus énoncées, prendront, en quelque acte public ou privé, des titres abolis, seront condamnés à 1,000 livres d’amende, et seront rayés, pendant un an, de la liste des citoyens actifs. — Toute loi, ordonnance, titre, règlement, charte defondation, en un mot, toutes dispositions suivantjlesquelles des’associa-tions et congrégations qui étaient réservées à certaines personnes et à certains titres, sont abolis. — Toute qualification de nosseigneurs et mes-seigneurs sont abolis, sauf l’exception qui sera déterminée ci-après. — Ceux qui adresseront, soit à l’Assemblée nationale, au conseil du roi, soit à quelque tribunal ou assemblée administrative, ne pourrontleur donner d’autre appellation que celle de messieurs. — Le titre de monseigneur ne pourra être donné à personne, de quelque état et de quelque rang qu’elle soit, saut l’exception des princes du sang. » M. de Lafayette. Je demande à faire une observation sur cette exception. Dans un pays libre, il n’y a que des citoyens et des officiers publics. Je sais qu’il faut une grande énergie à la magistrature héréditaire du roi. Mais pourquoi vouloir donner le titre de prince à des hommes qui ne sont, à mes yeux, que des citoyens actifs, lorsqu’ils se trouvent avoir les conditions prescrites à cet égard ? M. le comte de Fauclgny. J’ai toujours été dans ces sentiments; je fais un grand cas de Légalité ; mais pour traiter une aussi grande question, il faut une séance du matin. Je demande [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] l’ajournement jusqu’à lundi à midi. (Il s'élève des murmures dans la partie gauche .) Vous voulez détruire les distinctions des. nobles, et il y aura toujours celle des banquiers et des usuriers, qui auront des 200,000 écus de rente. M. de Noallles. Il me semble que l’Assemblée ne doit pas s’arrêter longtemps à des dispositions qui dérivent de votre Constitution. Anéautissons ces vains titres, enfants frivoles de l’orgueil et de la vanité. Ne reconnaissons de distinctions que celles des vertus. Dit-on le marquis Franklin, le comte Washington, le baron Fox? On dit Benjamin Franklin, Fox, Washington. Ces noms n’ont pas besoin de qualification pour qu’on les retienne; on ne les prononce jamais sans admiration. J’appuie donc de toutes mes forces les diverses propositions qui ont été faites. Je demande en outre que désormais l’encens soit réservé à la Divinité. Je supplierai aussi l’Assemblée d’arrêter ses regards sur une classe de citoyens jusqu’à présent avilie, et je demanderai qu’à l’avenir on ne porte plus de livrée. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau. Je ne viens point ici faire l’hommage des titres de comte et de marquis; je n’ai jamais pris ces noms, quoique j’aie possédé quelques ci-devant comtés et marquisats. Au moment où on vous demande des articles qui soient le complément de votre constitution, je crois qu’il est bon d’ordonner que chaque citoyen ne pourra porter d’autre nom que celui de sa famille, et non point celui d’une terre. Je vous demande la permission' de signer ma motion, Louis-Michel Lepelletier. M. de Tracy. Je demande que ceux qui, depuis cent ans, ont usurpé les titres des anciennes familles, soient tenus de reprendre leurs noms primitifs, et que les membres de cette Assemblée qui sont dans ce cas commencent par donner l’exemple. (On demande que la discussion soit fermée.) M. l’abbé Manry. Dans la multitude des questions qui sont soumises à votre discussion, je ne sais sur quel objet particulier je dois fixer mes regards. On a proposé de faire ôter de la statue de Louis le Grand tous les emblèmes de l’esclavage ; d’autres ont demandé l’anéantissement des dignités sociales et le retour à l’égalité la plus absolue; chacun de ces objets est digne d’un examen particulier, et je ne refuserai d’en discuter aucun. Vous devez rendre hommage à la mémoire de Louis le Grand, qui n’a pas ordonné ce monument de vanité. J’entends dire qu’il a soutenu une guerre pour le conserver; je réponds que cela est faux. La guerre de Hollande, dont on veut sans doute parler ici, a été occasionnée par l’injure faite à une médaille de ce roi, et le monument de la place des Victoires a été ordonné par le maréchal de la Feuillade, qui a prodigué à Louis le Grand les témoignages de la plus servile adulation; encore n’en est-il pas l’inventeur; la place de Médicis en a donné la première idée. Mais puisqu’on veut détruire tout ce qui sent l’esclavage, les regards du patriotisme ne doivent-ils pas se porter sur la statue de Henri IV, dont quelques-unes deq inscriptions sont uniquement à la louange du cardinal de Richelieu? (On applaudit.) Il a aussi à ses pieds des esclaves enchaînés; mais ce sont des emblèmes qui représentent les vices; les amis de la liberté n’en sont point offensés, 37$ Je crois qu’il ne faut pas toucher à la statue de Louis XIV. La philosophie doit consacrer ce monument pour montrer à la postérité comment on flattait les rois. Il fut trop flatté pendant sa vie, mais trop méconnu après sa mort. C’est un roi qui n’avait peut-être pas autant de grandeur dans le génie que dans le caractère; mais il est toujours digne du nom de Grand , puisqu’il a agrandi son pays. Quand vous érigerez des monuments, vous ferez voir la différence qu’il y a du xvne au xviii® siècle. Vous leur donnerez un but moral qui élèvera l’âme des rois. Mais il ne faut pas pour cela dégrader aux yeux du peuple des rois ensevelis dans la tombe, et porter ainsi de terribles atteintes à la majesté royale. Quant à la question du retour aux noms propres, ' elle est juste. Un savant moraliste disait qu’en France on ne reconnaissait plus ni les hommes à leur nom, ni les femmes à leur visage. Votre patriotisme s’élève contre ces abus de la vanité, et vous êtes dignes d’éloge; mais il ne faut pas passer le but. Ce ne sont pas le3 noms qu’il faut condamner, mais les usurpateurs de noms. Geci ne porte point d’atteinte à notre liberté. Les Romains connaissaient des ordres de chevaliers, et les Romains se connaissaient en liberté. Je sais bien qu’à l’avenir on ne s’informera pas de ce qu’ont été les hommes, mais de ce qu’ils auront fait. Un auteur avait bien raison quand il a dit que la première question d’un peuple donnait une idée de la philosophie de la nation. Parlez de quelqu’un en Allemagne, on vous demande s’il entre au chapitre; en France, quelle place il occupe à la cour; en Espagne, s’il est grand de la première classe; en Angleterre, on vous demande quel homme c’est. Sans doute que cette manière d’exister par soi-même est bien la meilleure. En France, la noblesse est constitutionnelle; s’il n’y a plus de noblesse, il n’y a plus de monarchie. Cette question est donc assez importante pour être traitée dans une séance du matin. Je sais bien que, dans la nuit du 4 août, plusieurs articles constitutionnels ont été arrêtés; les sacrifices patriotiques se sont multipliés à l’infini; mais ce n’est pas toujours au milieu de cet enthousiasme qu’on prend les meilleures délibérations. Ne pourrait-on pas dire à ceux qui demandent avec acharnement toutes ces innovations ce que quelqu’un répondit à un philosophe orgueilleux : Tu foules à tes pieds le faste , mais avec plus de faste encore. — Quant à la question des livrées, un domestique n’est ni plus malheureux, ni plus avili, pour avoir tel ou tel habit sur le corps. Personne n’ignore que cet usage remonte jusqu’à l’institution des armoiries et des croisades; et, qu’excepté certaines familles, pas même M. le maire de Paris n’a droit d’avoir une livrée. C’est donc l’institution de la noblesse que vous attaquez dans son principe. Je demande que si on veut traiter cette question, elle soit ajournée à une séance du matin. M. de Montmorency. Je ne sais, Messieurs, si c’est le talent très remarquable du préopinant ou mon infériorité, que je sens mieux que tout autre, qui m’empêche de songer à le réfuter. Mais il me semble que j’ai un motif aussi vrai, plus étendu et plus déterminant dans mon profond respect pour l’Assemblée nationale, pour cette déclaration des droits qui l’a tant honorée et qui, malgré toute l’éloquence de M. l’abbé Maury, efface de notre code constitutionnel toute institution de noblesse : c’est l’ardeur avec laquelle je m’associerai toujours à ces grands et éternels principes £76 [Assemblée nationale.] qu’elle n’a cessé de professer, de consacrer et de propager par ses exemples et par ses décrets. Je me bornerai donc à une chose plus simple et plus utile que de réfuter M. l’abbé Maury. Je lui fournirai au contraire une nouvelle proposition à réfuter. Je ne suis pas bien sûr qu’elle ait échappé à la justice des préopinants; car, lorsqu’un pareil sujet a été traité pendant quelques instants dans une assemblée telle que l’Assemblée nationale, celui qui a eu le malheur d’y être arrivé quelques minutes trop tard doit craindre de trouver le champ complètement moissonné. Si la vaine ostentation des livrées a excité le zèle d’un des préopinants, je demande que, dans ce jour de l’anéantissement général des distinctions antisociales qui, quelque vaines, quelque puériles qu’elles puissent être, contrarient vos principes, l’Assemblée n’épargne pas une des marques qui rappellent le plus le système féodal et l’esprit chevaleresque; que toutes les armes et armoiries soient abolies ; que tous les Français ne portent plus désormais que les mêmes enseignes, celles de la liberté, lesquelles seront désormais fondues avec celles de la France. M. le comte de Faucigny. Je réclame l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale, qui disent qu’on ne peut porter de décrets constitutionnels dans une séance du soir. M. Barnave. Je demande qu’on juge sans désemparer. M. de Fafayette. Après quelques observations, nous serons tous d’accord . Il ne s’agit point d’un nouvel article constitutionnel, mais d’un décret réglementaire, suite de la Constitution. Nous ne voudrions point perdre à ces objets les séances du matin, destinées à la Constitution, tandis que nous ne faisons ici qu’en déduire une conséquence nécessaire. M. l’abbé Maury demande la parole. — On observe qu’il quitte la tribune. — Quelques instants se passent dans le tumulte. M. Alexandre de Fameth. Après les réflexions qui ont été faites par pl usieurs personnes, ie me borne à demander la destruction de tous les emblèmes de la servitude, tels que ceux qui sont aux pieds de la statue de Louis XIV, à la place des Victoires, et qu’ils soient remplacée par d’autres qui rappellent les principaux événements de notre heureuse révolution. On peut décréter le principe, sauf la rédaction. M. le marquis de Foucault. Quelque parti que l’on adopte, soit qu’on détruise tout à fait les emblèmes de la servitude, soit qu’on leur en substitue d’autres qui n’offensent pas les regards, il faut bien prendre garde qu’avec les emblèmes on ne veuille en même temps détruire les édifices. Je demande donc que cette exécution soit confiée à des gens de l’art, et qu’en attendant on mette spécialement ces emblèmes sous la sauvegarde de la loi. M. le comte de Montlosier profère quelques paroles que ie tumulte empêche de recueillir. M. Prieur. J’appuie la motion de M. Alexandre de Lameth ; mais je ne suis pas comme lui de l’avis de substituer aux figures de la place des Victoires des inscriptions qui rappellent les [19 juin 1790.] événements de notre Révolution. Je demande qu’on y mette les attributs des arts qui ont fleuri sous le règne de Louis XIV. M. Bouchotte Je demande que ces monuments soient conservés soigneusement pour servir de modèles à nos artistes. M. le comte de Montlosier. 11 n’est pas plus permisde falsifier des monuments quedes chartes. Si l’Assemblée ordonne qu’il soit détaché quelques parties de celui de la place des Victoires, je demande qu’il soit dressé procès-verbal de l’exécution de ce décret. M. Bouche. Je demande la question préalable sur les amendements, et qu’on décrète ieprincipe, sauf les remplacements. M. deSillery. Dans le moment où nous sommes, les rois n’ont plus de querelles particulières. Je demande que la légende, qui est empreinte sur les canons, ultima ratio regum, soit effacée. M. Favie. Gomme l’on me paraît embarrassé pour savoir ce que l’on mettra à la place des emblèmes de servitude qui doivent être détruits, étant fils d’un réfugié, je demande qu’on y mette la révocation de l’édit de Nantes. (Tous les amendements sont rejetés par la question préalable, et la motion de M. Alexandre de Lameth est adoptée, sauf la rédaction.) M. Fe Chapelier. Je vais vous proposer, sur la seconde motion, un projet de rédaction qui me paraît renfermer toutes les propositions qui ont été faites. « L’Assemblée nationale, considérant que la noblesse héréditaire, née de la féodalité, ne peut subsister dans un Etat libre dont la Constitution est fondée sur l’égalité des droits, décrète que la noblesse héréditaire est pour toujours abolie en France; qu’en conséquence les titres de marquis, comte, prince, vicomte, due, vidante, baron, chevalier, messire, écuyer, noble, et tous autres titres semblables, ne seront pris par qui que ce soit, ni donnés à personne : que tous les citoyens ne pourront prendre que le vrai nom de leur famille et leur nom patroni-mique ; que personne ne pourra porter ni faire porter de livrée, ni avoir d’armoiries; que l’encens ne sera brûlé dans les temples qu’en l’honneur de la Divinité, et ne sera offert à qui que ce soit ; que les titres de monseigneur et de messeigneurs ne seront donnés à aucun individu, ni à aucun corps. » (On demande l’ajournement. — Cette proposition, mise aux voix, est rejetée à une grande majorité.) M. le marquis d’Fstourmel. Je demande par amendement.... M. le comte de Faucigny. Un gentilhomme ne propose pas d’amendement. M. le marquis d’Fstourmel. Je demande par amendement que la faculté de porter trois Heurs de lis en champ d’azur soit continuée au roi des Français, pour servir de marque caractéristique aux pièces sur lesquelles il fera apposer le sceau national. M. l’abbé Maury. La lecture du projet de décret prouve à chaque ligne, à chaque mot, combien il a besoin d’être amendé. On dit que ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 377 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] la noblesse est née de la féodalité : c’est une extrême ignorance. La noblesse existait deux cents ans avant les fiefs.... (Il s'élève des murmures. On interrompt en disant: Lisez Mably.) Je dis que la noblesse a existé dans le royaume avant les fiefs. Avant la conquête du royaume par les Francs, la noblesse héréditaire existait chez les Gaulois. Lisez les Commentaires de César , vous y verrez les noms des premiers Gaulois déjà célèbres dans la nation par leur noblesse ..... Je dis et je supplie ceux qui doivent me réfuter de m’entendre... César dit qu’il a toujours battu l’infanterie des Gaulois, mais jamais leur cavalerie, parce que la noblesse ne servait que dans la cavalerie... L’ordre de la chevalerie existait dans les Gaules ; s’il n’eût pas existé, les Romains l’auraient établi, parce que les chevaliers étaient distingués à Rome des patriciens et des plébéiens... Je suis dans la question quand je prouve que l’Assemblée se déshonorerait en avançant dans son décret des faits inexacts, la question de l’institution de la noblesse... (On demande à aller aux voix.) Je dis qu’il n’est peut-être pas sage de détruire sans discussion une institution aussi ancienne que la monarchie ..... (On observe que la discussion ne peut être recommencée.) M. Bonchotte. Je défie M. l’abbé Maury de prouver qu’avant 850, lors de l’affaiblissement d’une race de nos rois, il y ait eu un ordre en France. Quand les Francs sont venus en France, ils étaient tous égaux : ils ont rendus les Gaulois égaux et non esclaves. M. le marquis de ï�ancosne. Je déclare non seulement ne pouvoir adhérer à la délibération qui pourrait se prendre... (On interrompt par des murmures.) M. le comte de Virieu. Je crois devoir vous inviter à des précautions de prudence dans le cas où ce décret passerait à l’affirmative; ce que je suis loin de présumer. Un décret rendu avec l’activité de celui-ci se répandra promptement, et les peuples l’adopteront avec la même chaleur : votre intention mest sûrement pas, quel que soit le décret que vous jugerez convenable de rendre, d’exciter le peuple à des mouvements d’effervescence dont vous auriez à gémir; or, daignez observer que, dans le moment où vous décréterez la destruction des attributs de la statue d’un de nos rois, dans le moment où vous croirez devoir décréter l’abolition de la noblesse héréditaire, la proscription des livrées et des armoiries, le peuple pourrait s’autoriser de votre décret. Prenez garde qu’il n’aille porter une main effervescente sur les armoiries qui décorent les châteaux, les églises, les tombeaux. Je vous prie de considérer combien il est essentiel d’établir des règles d’après lesquelles votre décret sera exécuté; car vous ne voudrez pas que votre décret porte partout le désordre et j’oserai le dire, puisqu’il est question d’églises et de tombeaux, le sacrilège. Je vous supplie de prendre en considération, en sérieuse considération, l’observation que j’ai l’honneur de vous soumettre. Vos décrets ne doivent jamais s’exécuter par la violence du peuple, mais par des formes légales. Il faut se garder d’exalter la chaleur populaire dont nous avons tant souffert : c’est elle, j’ose le dire, qui a déshonoré une Révolution... (Il s'élève beaucoup de murmures.) une Révolution qui ne doit exister que par l’ordre; le désordre l’anéantirait... Je ne puis m’empêcher de marquer mon étonnement des mouvements qu’exaltent une observation si sage; je ne puis revenir de mon étonnement, de ce que d’honorables membres se permettent de dire autour de moi : « Il faut que cela soit... » (Quelques membres, placés auprès de la tribune, font entendre ces mots : « On n a pas dit cela. ») Je voulais proposer que le comité de Constitution fût chargé de rédiger, dans mes vues, un article que la brièveté du temps ne nous permet pas de présenter. M. Fanjuinals. Il est nécessaire d’ajouter au projet de décret la prohibition des titres $ altesse, de grandeur, d'excellence et d’ éminence. M. Fréteau. J’adhère à toutes les vues qui sont présentées, et je regarde le décret proposé comme tellement attaché à la Révolution, que la principale disposition, la suppression de la noblesse héréditaire, est en toutes lettres dans le procès-verbal de la nuit du 4 août, mais je crois devoir aussi appuyer la réflexion pleine de prudence faite par M. de Virieu.Le respect dû aux tombeaux et aux lieux saints n’est pas la seule considération qui doive déterminer à faire un amendement au décret ; c’est en vertu d’une réflexion plus touchante que je demande qu’il soit ajouté une disposition particulière à l’abolition des livrées. Si vous ne fixez pas l’époque de l’exécution du décret, vous pouvez vous attendre à de très grands inconvénients... (L'orateur est interrompu par les murmures de la partie droite et les applaudissements de la partie gauche). Il peut arriver qu’une foule de citoyens, car les hommes de livrée sont des citoyens, s’ils ne sont pas des citoyens actifs, ils le deviendront; il se pourrait qu’ils fussent insultés, si ceux qui nourrissent des citoyens utiles n’avaient pas le temps de leur faire faire des habits différents ; il faut laisser un délai raisonnable, qui paraît devoir être d’un mois. (On demande que le délai soit fixé de ce jour au ii juillet.) J’adopte cette proposition. Je demande aussi que l’exécution de la disposition qui concerne les armoiries ne soit fixée à aucun temps. Je propose donc un amendement en ces termes : « sans que, sous prétexte du présent décret, aucun citoyen puisse se permettre d’attenter aux monuments placés dans les temples, ni à la décoration d’aucun lieu public ni privé, et sans que les dispositions relatives aux livrées et armoiries puissent être suivies ni exigées par qui que ce soit, avant le 14 juillet pour la ville de Paris, et avant trois mois pour les provinces» . M. le comte de Landenberg-Wagen-bourg. En 1789, c’est pour la première fois que la noblesse d’Alsace a eu l’avantage et l’honneur de se réunir à la noblesse française, mes commettants m’ont dit ; Rendez-vous à cette auguste Assemblée ; mais par votre présence n’autorisez rien qui soit contraire à notre honneur et à nos droits. Je les connais sujets soumis, ils verseraient tout leur sang pour leur roi ; je les connais; ils me désavoueraient, ils me trouveraient indigne de reparaître devant eux, si j’avais par ma présence autorisé cette délibération par laquelle ils pourraient se regarder comme grevés. Je me retire, donc, la douleur dans l’âme ; et, l’on doit bien m’en croire, j’irai dire à mes commettants: Soyez soumis à toutes les lois de l’Assemblée nationale : ils seront soumis ; mais ils sauront qu’ils vivent avec le sang avec lequel ils sont nés, et que. rien ne saurait les empêcher de vivre et de mourir gentilshommes. M. Rewbell. Dans les dernières guerres de Ha- 378 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.; noyre, il y avait quarante mille Alsaciens qui servaient le roi, et parmi ces quarante mille hommes il y avait cinquante gentilshommes. M. Burignot de Varennes. La mission qui m’a été donnée étant contraire à l’issue probable de votre délibération ..... On demande à aller aux voix. — MM. le marquis d’Ambîy, le marquis de Digoine du Palais, le président de Grosbois, le comte d’Egmont et beaucoup de membres de la partie droite s’élancent à la tribune. — On demande à aller aux voix. — MM. les marquis d’Ambly, de Digoine, etc., parlent avec chaleur, lèvent là main droite, la dirigent vers le président. — Les propositions de MM. LeChapelier, Lanjuinais et Fréteau sont mises en délibération. MM. de Grosbois, de Digoine, d’Ambly veulent encore se faire entendre, les applaudissements des spectateurs couvrent leurs voix. M. le Président métaux voix le décret, dont les parties ont déjà été votées successivement. 11 est adopté en ces termes, sauf rédaction : « L’Assemblée nationale décrète que la noblesse héréditaire est pour toujours abolie; qu’en conséquence, les titres de prince, de duc, de comte, de marquis, vicomte, vidame, baron, chevalier, messire, écuyer, noble, et tous autres titres semblables, ne seront ni pris par qui que ce soit, ni donnés à personne; « Qu’aucun citoyen français ne pourra prendre que le vrai nom de sa famille ; « Qu’il ne pourra non plus porter ni faire porter de livrée, ni avoir d’armoiries; « Que l’encens ne sera brûlé, dans les temples, que pour honorer la Divinité, et ne sera offert à qui que ce soit ; « Que les titres de monseigneur et de messei-gneurs ne seront donnés ni à aucun corps, ni à aucun individu, ainsique les titres d’excellence, d’altesse, d’éminence, de grandeur : « Sans que, sous prétexte du présent décret, aucun citoyen puisse se permettre d’attenter aux monuments dans les temples, aux chartes, titres et autres renseignements intéressant les familles ou les propriétés, ni aux décorations d’aucuns lieux publics ou particuliers, et sans que l’exécution des dispositions relatives aux livrées et aux armes placées sur les voitures, puisse être suivie ni exigée par qui que ce soit, avant le 14 juillet pour les citoyens vivant à Paris, et avant trois mois pour ceux qui habitent les provinces. » Une députation de citoyens de Paris est introduite dans l' Assemblée . Elle lui fait hommage d’un monument au’ elle se propose de placer dans le jeu de paume ae Versailles, où l’Assemblée nationale a prêté, le 20 juin 1789, le serment mémorable de ne pas se séparer que la Constitution ne fût achevée. L’orateur de la députation donne lecture de l’adresse suivante : Messieurs, « Trois habitants des Alpes, réunis sur les bords du lac des Quatre-Gantons, jurèrent deren-dre la Suisse libre. Leurs noms sont gravés sur des rochers ; leurs vertus sont devenues la leçon des siècles; et le lieu où leur serment immortel est écrit est encore aujourd’hui le point de ralliement, et l’objet de la vénération de tous les peuples libres. « Des Français ont fait graver sur le bronze le serment que leurs représentants ont prêté dans le jeu de Paume : ils Je présentent à l’Assemblée nationale comme une offrande faite aux peuples et aux siècles. Demain, l’anniversaire du jour où il a été prononcé, ils le porteront religieusement et le placeront dans le lieu que vos vertus ont consacré. Paris, ce 19 juin 1790. Signé : G. Lefebvre ; Burguburn ; Guérin ; Viaud de Belaire, avocat au parlement ; Poulle-not, député à la commune ; Bertaud, cbirurgien-major de la garde nationale ; Beaulieu; Jacob; Gillet ; femme Gillet ; Marne ; Ladainte ; A.-L. Grandmaison ; Frestel ; J. -P. Gillv, volontaire d’Angers ; le Gocq de Cauville, secréiaire-commi3 des archives de l’Assemblée nationale ; Dufour de Saint-Pathus ; Ghajor; Brival; Lanthenas; Boy ; Lefêbvre-Desnoett ; Mejan Duluc ; Vanmes-lelacombe; L. Comtreau ; Otcher; Hugonen, député de la garde nationale de Montpellier ; Langlois, contrôleur des rentes ; Thailaud ; l’abbé Leroy; F. Duplay;J. Duplay; Y. Duplay ; Marguerite Duplay;E. Duplay; Danlig;Monet; Houillon ; Lad-miral; l’abbé Joseph ; G.Romme; l’abbé Anaclet ; Sponville; Ollivier fils ; Royer ; Mellet; Clerot; Ursule Gaveaut ; femme Guérin ; Souberbielle, chirurgien-major des volontaires de la Bastille ; J. Rodur ; Lafosse ; Honorine de Serrierres ; Jacques; Coqueau; Aubin; Laquiante; Petit ; Vriare; Hermil ; Beaublé ; Benoît ; Pascal ; Dujardin, Combert; Joubert ; Cellier; Menneville ; Lesnier, député suppléant de Bordeaux ; Gâcher ; Bousso-gne ; de Merard Saint-Just; Lacretelle le jeune; Benoît ; de Lalande ; Renaudin ; Laurent, avocat, major delà Bazoche ; R.Duhameau, architecte, soldat citoyen du bataillon des Filles Saint-Thomas; Mouchet; G. Desmoulins; Brongniarfils; Gilet, sous-lieutenant de la garde nationale parisienne ; Isaac Albarenga ; Naudet, comédien français, capitaine de grenadiers ; Boulognet; Mouchet de la Combe, lieutenant de grenadiers ; Elie, capitaine du centre de Saint-Jean-en-Grève ; Couraudin de La-noue, député du département de Maine-et-l’Oise. M. le Président répond : « L’Assemblée nationale avait promis solennellement, l’année dernière, de ne pas se séparer, que la Constitution ne fût entièrement décrétée : ce serment, elle l’a tenu, et elle le tiendra ; je le renouvelle ici en son nom. « Vous ne nous devez nul remerciaient, Messieurs ; l’Assemblée nationale n’a rempli que des devoirs ; mais c’est à vous, c’est aux citoyens de Paris : que dis-je ? c’est à tous les Français qu’elle doit son existence, et à l’opinion publique sa force. Soutenue par l’énergie et le courage qui animent la majeure partie des habitants du royaume, elle triomphera de tous ses ennemis, et verra bientôt le terme de ses opérations. Son but sera rempli : la France sera heureuse, et le monument que vous allez élever sera l’autel autour duquel se rallieront tous les amis de la liberté. « L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. » M. le comte de Lévis, député de Dijon, s’approche de la tribune et dit qu’il donne sa démission. M. le Président annonce que le résultat du scrutin pour l’élection du président n’a donné à personne la majorité absolue. MM. Lepelletier (ci-