[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1791.] 437 rie veut pas s’en rappeler les expressions. Il y est dit que l’Assemblée déclare que le Comtat Ve-naissin et la ville d’Avignon ne font pas partie de l’Empire français. Mais cette... ( Murmures et interruptions.) M. de FoIIeville. Je demanderais que vous lisiez la lettre de M. Tissot; c’est plus simple. M. Bouche. Voici une réflexion qui frappera tous les membres de cette Assemblée : Le décret rendu dans les premiers jours du mois de mai, porte que l’Assemblée rejette l’article proposé par les comités et renvoie aux comités réunis l’examen de la question au fond : voilà bien le décret que vous avez rendu. On trouve aujourd’hui surprenant que vos comités vous aient présenté un projet de décret et on dit que vos comités veulent exercer sur vous un empire... (4 droite : C’est vrai!); mais ils ne font qu’exécuter votre décret : ouvrez votre procès-verbal. Le décret porte : Renvoyé aux comités réunis pour l’examen de la question au fond. Au surplus, je demande que la motion de M. Goupil soit mise aux voix; car c’est la conservation de vos droits qu’il demande. (A droite : A midi! à midi!). (L’Assemblée, consultée, renvoie la discussion de la motion de M. Goupil-Préfeln à l’heure de midi.) M. le Président. J’ai reçu une lettre de Mme la duchesse d’Aremberg. Cette dame, qui est étrangère, m’instruit qu’en retournant dans sa pairie, elle a été arrêtée à Valenciennes, puis remise en liberté ; mais on lui a retenu toute son argenterie et on lui a dit qu’elle ne lui serait rendue que sur un décret de l’Assemblée nationale. M. de Crillon. Il existe des lois relatives à la libre circulation de l’argenterie ; l’exécution de ces lois est du ressort du pouvoir exécutif. M. Lanjninaig. Je demande le renvoi de la lettre de Mmo d’Aremberg au pouvoir exécutif. (Ce renvoi est décrété, avec la clause qu’il en sera fait mention dans le procès-verbal.) Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir, qui est adopté. M. le Président donne connaissance à l’Assemblée d’une lettre du ministre de la marine , en date du 24 de ce mois. Ce ministre adresse à l’Assemblée : 1° la copie des dépêches qui viennent d’arriver de Saint-Domingue, et qui sont relatives à l’état où étaient les affaires dans cette colonie, au 10 du mois d’avril dernier; 2° les copies d’une lettre du directoire du département de la Gironde, et des délibérations tant du directoire que de la chambre du commerce de Bordeaux, concernant le décret de l’Assemblée nationale du 14 du cornant, les mêmes dont la lecture a été faite dans la séance d’hier matin. (L’Assemblée ordonne le renvoi de toutes ces pièces à son comité des colonies. ) Un membre du comité ecclésiastique propose une modification au décret rendu le 23 de ce mois , concernant les maisons de retraite des ci-devant religieux du département du Nord qui voudront continuer de vivre en commun (1) et soumet en conséquence à la délibération le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète qu’à la partie de l’article premier de son décret, du 23 de ce mois, sur l’emplacement des ci-devant religieux du département du Nord, commençant par ces mots : Le ci-devant prieuré de Beaurep aire, il sera substitué ce qui suit : « Le ci-devant monastère des Augustins d’Ha-zebrouck, aux ci-devant Augustins de Douai, Ha-zebrouck et la Bassée, ci-devant minimes de Lille et Douai, et ci-devant Brigittins d’Armen-tières; « Le ci-devant monastère de Bonne-Espérance, aux ci-devant Carmes-Chaussés de Bonne-Espérance et de Cambrai, et ci-devant Garmes-Dé-chaussés de Valenciennes; « Le ci-devant monastère des carmesde Trelon, aux ci-devant dominicains de Douai, Valenciennes et Bergues ; « Le ci-devant monastère des capucins de Bailleul, aux ci-devant capucins de Bailleul et de Dunkerque ; «Le ci-devant monastère des réeolels de Cassel aux ci-devant récolets de Cassel et de Gravelines ; » Le ci-devant monastère des récolets d’Etaires ; aux ci-devant récolets d’Etaires, et ci-devant carmes de Dunkerque : « Le ci-devant monastère des carmes de Saint-Laurent, aux ci-devant capucins de Mervilte et Armentières ; « Le ci-devant monastère des récolets de Lo-uinol, aux ci-devant capucins de Maubeuge et alenciennes ; « Le ci-devant monastère des Guillemittes de Walincourt, aux ci-devant capucins de Cambrai et Orchit s ; « Le ci-devant monastère des capucins de Con-dé, aux ci-devant capucins de Gondé, Lille et Douai : « Le ci-devant monastère des récolets d’Honts-chote, aux ci-devant récolets d’Hontschote et ci-devant capucins de Bourbourg; « Laci-devant abbayedeVaucelles, aux ci-devant récolets de Douai, Comines, Fournes, Lille, Tourcoing, Cambrai et Valenciennes; « La ci-devant abbaye d’Haumont, aux ci-devant récolets de Dunkerque, Avesnes, B irbençon, Cat-teau, Bavay, Loquinol, Quesnoy et Bouchain. « Quant aux ci-devant chartreux de Douai et de Valenciennes, ils se retireront à la Boulhille-rie, dans le département du Pas-de-Calais. » (Cette modification est décrétée.) M. de Sillery, au nom du comité de la marine , propose d’ouvrir la discussion sur le projet de décret relatif au traitement du corps de la marine. (L’Assemblée renvoie cette discussion à la séance de demaia matin.) M. Briois de Beaumetz, au nom du comité central de liquidation , fait un rapport sur l’arriéré de la comptabilité et s’exprime ainsi (1) : Messieurs, l’Assemblée, nationale a prescrit à son comité central de liquidation de lui présenter un projet de décret, contenant les dispositions nécessaires pour remettre au courant l’arriéré de la comptabilité. Le désordre des finances et celui de la comptabilité furent toujours inséparables; longtemps (1) Voy. ci-dessus, séance du 23 mai 1791, p. 310. (1) Ce document est incomplet au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1791.1 433 (Assemblée nationale.] ils s’accrurent l’un par l’autre; ils ne pouvaient cesser que tous deux à la fois. Tous vos travaux ne rétabliront pas la fortune publique, si vous ne portez la lumière jusque sur les mystères de la comptabilité. Vous serez indignés en mesurant cet immense et ténébreux labyrinthe; mais vous n’en serez pas effrayés. Les difficultés redoubleront votre courage; ce que vous ne pourrez achever en ce genre, le devoir vous dit au moins de l’entreprendre, et vous laisserez à vos successeurs de grands travaux à finir, et de grands exemples à imiter. 179 comptabilités ressortissaienl à la chambre des comptes de Paris; aucune de ces comptabilités n’est au pair de la présentation des comptes, c'est-à-dire que pas un seul compte de l’année 1790 n’a encore été présenté. Au contraire, il est des comptabilités arriérées de 18, de 16 ans, plusieurs de 15, de 12 ans, un grand nombre de 10 ans. Eu tout la chambre des comptes de Paris a, dans ce moment, 1,249 comptes de deniers publics à recevoir, dont 365 sont présentés, et non jugés, 884 non présentés. Ce relevé résulte d’un tableau qui nous a été remis, et que nous ferons imprimer si l’Assemblée le juge nécessaire. Mais ce3 1,249 comptes ne sont pas le seul arriéré de la comptabilité du royaume. Il faut y joindre premièrement les comptes qui sont encore à rendre par la régie générale des aides qui s’était maintenue dans l’usage de ne compter que par-devant le conseil du roi, et se soustrayait ainsi à la juridiction de la chambre des comptes, seule régulièrement compétente pour toute comptabilité publique. La ferme générale comptait aussi par-devant le conseil, pour les objets qu’elle administrait en régie. Nous ne pouvons vous donner des renseignements aussi exacts sur l’état de l’arriéré de la comptabilité dans les chambres des cornâtes des provinces; mais nous pouvons vous annoncer qu’en raison de l’étendue de leur ressort, les mêmes accumulations de comptes à rendre exigeront la même activité pour être remises au courant. Vous aurez à y ajouter les comptes, soit du ci-devant économe général du clergé, soit des régisseurs séquestres ou administrateurs particuliers des biens de certains ordres, communautés ou corporations, supprimés antérieurement à vos décrets du 3 novembre 1789. Par l’article 28 de votre décret du 23 octobre 1790, vous avez statué que cet économe général, ainsi que les régisseurs et séquestres particuliers, dont la gestion s’étendrait sur des établissements situés dans l’arrondissement de divers départements, compteraient directement par-devant le Corps légistatif. Le moment est venu de mettre à exécution ce principe conforme à ceux que nous vous proposons de décréter, et d’assimiler le sort et les obligations de ces comptables, à celui de tous les autres agents qui ont eu quelque gestion de deniers publics. Telle est, Messieurs, la masse des comptes arriérés qu’il faut examiner avant que la France puisse se flatter de connaître d’une manière précise l’usage qui jusqu’ici a été fait des deniers publics, et la situation au vrai de son actif : je dis de son actif ; car il n’est pas possible que le résultat de comptabilités négligées la constitue débitrice envers les nombreux agents qui ont été receveurs, dépositaires et distributeurs des deniers publics. Leurs comptes auraient été moins tardifs, sans doute, s’ils avaient eu des sommes à répéter à la charge de la nation; et leur lenteur affectée et réprouvée par toutes les lois, même de l’ancien régime, est une forte présomption de l’intérêt qu’ils ont eu à reculer uu examen dont l’issue ne pouvait être en leur faveur. Il est même assez remarquable qu’un règlement exprès a défendu aux comptables d’être jamais en avances envers le Trésor public; on peut juger, par cette précaution, du mérite des services qu’ils avaient coutume de rendre à l’Etat. Il ne sera pas inutile de jeter un coup d’œil rapide sur les abus énormes commis par le pouvoir ministériel dans cette partie de l’administration; vous y verrez l’autorité arbitraire, comme si elle eût été chargée de détruire la France sous le prétexte de la gouverner, lutter sans cesse contre la sagesse des lois pour la rendre inutile, contre le zèle des bons citoyens, pour le décourager ; tantôt éludant par la ruse les plus salutaires précautions des ordonnances, tantôt s’indignant ouvertement des obstacles opposés à ses malversations, et les renversant avec scandale. Ce tableau rendra plus sensible la nécessité d’asseoir un nouvel ordre de comptabilité sur des bases plus solides et plus sûres. C’est par le souvenir des anciens désordres, que nous fortifierons dans nos cœurs, que nous y réchaufferons l’amour des bonnes lois et de la liberté. Plusieurs compagnies faisaient en France les fonctions de chambres des comptes. Gelles de Paris, Dijon, Grenoble, Nantes et Bar en possédaient le titre et l’attribution, sans aucun mélange de pouvoir. Celles de Pau et de Metz étaient unies au parlement de ces deux villes. Celles de Rouen, Aix, Nancy, Montpellier, étaient en même temps cours des aides. Les chambres des comptes dans les pays d’élection n’avaient à entendre que la comptabilité des receveurs généraux de leur ressort; celle des domaines de tout le royaume ayant été réunie à Paris, par un édit de 1771. Dans les pays d’Etats, tels que la Provence, le Béarn, le Languedoc, la Bretagne, la Bourgogne, les trésoriers comptaient aussi aux chambres du pays, de la totalité du produit des impôts. Mais la chambre des comptes de Paris ayant dans son ressort le Trésor public, ce centre commun de toutes les dépenses de l’Etat embrassait sous ce rapport ia comptabilité universelle, et la fortune publique tout entière était sous sa juridiction. On peut dire que la chambre des comptes de Paris était née avec les finances du royaume. Au temps où la féodalité portée à son comble avait étouffé et remplacé tous les principes du gouvernement de Charlemagne, lorsque la France n'était plus qu’un amas graduel de fiefs, et le roi qu’un suzerain, tout le service dû à l’Etat s’acquittait en personne; il n’y avait pas de finance. Les revenus des domaines personnels du roi étaient régis par les prévôts, sous l’autorité du maître d’hôtel ou sénéchal de France. Philippe-Auguste, qui augmenta beaucoup ses revenus, soumit ses prévôts à des bailiis ou gardiens; chaque grand fief eut son bailliage, et le sénéchal ne .tarda pas à être supprimé. En 1190, Philippe-Auguste fit transporter à la forteresse du Temple les coffres de son trésor. Ce fut là que les baillis vinrent compter de leurs recettes à différentes époques de i’aunée,qui bien- 439 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1791.] tôt devinrent les époques fixes de la Saint-Martin et de Pâques. Ces comptes étaient reçus par les clercs du roi, dont l’un était spécialement chargé de la garde du trésor. Le roi jugeait lui-même les difficultés des comptes. Saint-Louis réunit 6 grands fiefs de plus à la couronne, et l’administration devenant de jour en jour plus étendue, il se détermina à députer des personnes de son conseil juré pour entendre à sa place les doutes et les difficultés des clercs des comptes, ainsi que les réponses des prévôts et baillis, et pour les terminer en forme de jugement. Il ordonna des séances fixes au Temples, et en détermina l’époque aux termes où les baillis apportaient leurs recettes au Trésor. Rien de plus naturel que cette comptabilité domestique tant que les revenus dont disposaient les rois ne furent que les fruits de leur patrimoine. Mais, après quelques essais de subsides passagers, Philippe de Valois vint et fonda la gabelle; ce premier des impôts permanents forma une branche de revenus d’une nature toute nouvelle. Son produit était sans doute une propriété nationale. Mais quels droits n’étaient pas méconnus alors 1 Un même trésor confondit les revenus du roi et ceux de la nation ; les mêmes clercs en reçurent les comptes, et les rapportèrent avec ceux des domaines, devant les mêmes juges qui commencèrent à cette époque à se prévaloir du titre de conseillers du roi. Tels furent les premiers linéaments de la chambre des comptes de Paris; ils se sont accrus sans se dénaturer. Nous y retrouvons encore les clercs ou auditeurs qui examinent et rapportent les comptes; les jugeurs ou maîtres qui prononcent sur cet examen. Depuis ont été établis des correcteurs qui, après l’examen et le jugement du compte, en revisaient les calculs, annotaient les erreurs échappées à l’examen des auditeurs, et à l’atfention des ministres, et sans pouvoir faire réformer aucuns des articles jugés, réparaient en seconde ligne, les fautes et les omissions. Mais par unebizarerie singulière, ces auditeurs ne faisaient pas eux-mêmes le rapport de leur travail. Us étaient obligés de le livrer à un maître, qui en rendait compte à la chambre. Seulement ils assistaient et obtenaient voix délibérative, au jugement qu’ils avaient ainsi préparé. Le nombre, longtemps variable, des officiers de la chambre des comptes de Paris, n’a été fixé qu’à l’époque de la vénalité. Il consiste en : 13 présidents, 78 maîtres, 82 auditeurs, 38 correcteurs, 1 procureur général, 1 avocat général, 2 greffiers en chef, 1 premier huissier, 1 greffier. Total ; 217. Le nombre exagéré de ces officiers était un premier abus; car, dans toute organisation politique, il n’y a pas de rouage inutile qui ne devienne aussitôt embarrassant. 29 procureurs avaient en outre, malgré les comptables, le droit exclusif de dresser et de présenter leurs comptes. Fonction inutile jusqu’à l’absurdité; car pourquoi donner forcément un auxiliaire à un comptable, pour relever des articles de recette ou de dépense sur ses livres, et les appuyer des pièces justificatives de sa gestion. De l’abus de ces intermédiaires était né l’abus des grosses et celui des transcriptions superflues, qui prolongeaient, surchargeaient, embrouillaient les comptes, et qui fatiguant l’attention par mille redites inutiles, pouvaient la détourner d’une remarque importante. On sent en outre combien toutes ces inutilités doivent être dispendieuses, et l’expérience appuie la théorie à cet égard. Les payeurs des rentes, qui rendaient compte à leurs dépens, avaient obtenu d’être exempts du ministère des procureurs; leur comptabilité était l’une des plus épineuses par sa nature, par le nombre des parties, et par l’obligation de justifier des mutations de propriété; et cependant elle était une des plus claires, par la seule raison qu’ils étaient dispensés d’un agent parasite dont l’intérêt n’est pas le même que celui du comptable. Mais c’est dans l’autorité despotique des ministres, c’est dans leur intérêt à couvrir des malversations de tout genre, qu’il faut chercher la source la plus féconde des désordres de la comptabilité. La loi qui a posé des bases en cette matière, est l’ordonnance de 1669; elle est l’ouvrage de Colbert, et n’est point indigne de ce grand maître dans la science de l’administration. Mais les règles sont bientôt méconnues, quand le gouvernement est dissipateur et despote; ses besoins le placent en opposition avec ses principes : Colbert lui-même en fut le premier exemple. La passion de Louis XIV pour le luxe et la guerre, le mit dans la dépendance des financiers comptables; et la première condition que ceux-ci lui imposèrent, ce fut de déroger à la salutaire sévérité de l’ordonnance de 1669. Les mêmes causes ne cessèrent depuis de< produire les mêmes effets; et cette sage loi, détruite dans presque toutes ses dispositions, par des statuts postérieurs, ne subsiste presque plus que comme un monument qui proteste contre une fouie d’abus légitimés. La première règle de la comptabilité est qu’elle soit rapprochée; c’est-à-dire que le compte suive de près le maniement des recettes ou l’acquit des dépenses; les comptes en sont nécessairement plus clairs, les erreurs plus sensibles ou plus réparables. Le premier besoin des ministres était, au contraire, que la comptabilité fût différée; et leur intérêt savait bien l’emporter sur la loi. Un trésorier était-il poursuivi à la diligence du procureur général, pour être condamné à présenter son compte; il trouvait son excuse dans le retardement des bureaux du ministre qui retenaient ['état au vrai des dépenses, et refusaient constamment de l’examiner et de l’approuver. Sans cet état au vrai, nul moyen de compter, et nul moyen de contraindre le ministre et ses bureaux à terminer un examen de Y état au vrai qui tenait la comptabilité en suspens. La chambre rendait-elle des arrêts de rigueur? Elle les voyait cassés et annulés par ce même pouvoir, évidemment complice des lenteurs affectées des comptables. Prononçait-elle des amendes? Elles étaient insuffisantes ; car les bénéfices usuraires que faisait le comptable, en retenant les débets et en prêtant à l’Etat ses propres fonds, le couvraient et au delà du payement des amendes, dont, en définitive, il obtenait presque toujours la remise par quelque arrêt du conseil. Ainsi la reddition des comptes était facilement rejetée au delà de la durée de ces ministères mobiles qui disparaissaient si rapidement; et plusieurs séries de déprédations s’étaient succédées avant que la chambre pût saisir les traces d’aucune. Enfin elle obtenait un compte ; et à travers l’art [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1791.] des procureurs et le fatras de leurs écritures entassées, elle démêlait une difficulté et laissait des articles en souffrance. Nouvelles lenteurs, nouveaux délais; et enfin nouveaux arrêts du conseil, pour valider une justification insuffisante et irrégulière. L’avouerai-je? Peut-être la constitution même de la chambre des comptes offrait-elle au ministère un moyen d’obtenir, avec plus de facilité, l’enregistrement de ces arrêts. On sait que l’examen et le rapport des comptes étaient l’ouvrage des seuls auditeurs; eux seuls en avaient découvert, au prix d’un travail long et fastidieux, les abus ou les infidélités. L’habitude de rechercher ces désordres, et celle de les voir sans cesse reparaître, pouvait exciter en ceux-ci une vertueuse indignation, difficilement partagée au même degré par les maîtres, qui, moins versés dans cette étude, ne faisaient que juger les difficultés des comptes, avec moins d’application qu’on n’en met à les poursuivre. Cependant les maîtres seuls avaient la connaissance et l’enregistrement des lettres patentes sur arrêts destinées à couvrir les inexactitudes ou les prévarications des comptables, et les connivences des ministres avec les agents du Trésor public. A quoi servait, après tout, un scrupuleux examen d’une comptabilité toujours fictive et mensongère? Deux grands moyens, placés entre les mains du ministère, pouvaient falsifier, d’un trait déplumé, tout l’état des recettes etdes dépenses, et ensevelir les mystères de ses iniquités dans une nuit impénétrable. Dans le chapitre des recettes, les anticipations et l’extension des emprunts, dans celui des dépenses le voile des ordonnances de comptant, n’étaient-ils pas le désespoir de toute surveillance et l’écueil de toute comptabilité? Ainsi un double nuage était placé sur les deniers publics, à leur entrée et à leur sortie du Trésor, et les comptes fictifs qui en étaient rendus ne servaient qu’à légaliser des fraudes. Cette vérité de fait est portée jusqu’à l’évidence par l’inspection du compte des dépenses secrètes appelé le livre rouge ; il faut bien que les fonds de cette dépense, qui n’ont jamais été portés ouvertement dans aucun compte, aient été pris quelque part, et ils ne peuvent être que le produit des falsifications dont quelques comptes ont été surchargés. Dans celte lutte perpétuelle de l’astuce contre la règle, de l’intérêt privé contre l’intérêt public, du pouvoir contre la loi, faut-il s’étonner que celle-ci ait fréquemment succombé? et loin d’accuser les hommes des fautes d’un ordre de choses si vicieux, ne doit-on pas leur tenir compte de toute la résistance qu’ils y ont apportée, quoiqu’elle ait été souvent insuffisante? Le remède à cet excès de confusion ne pouvait être qu’une régénération complète. Vous n’auriez jamais empêché cette hydre de renaître, si vous n’aviez commencé par abattre d’un seul coup toutes les têies du despotisme; il fallait que les droits de la nation fussent reconnus, que toute autorité arbitraire fût proscrite, que la Constitution eût distingué, eût classé tous les pouvoirs, avant d’espérer un ordre durable dans aucune des branches de l’administration. D’après les bases de la Constitution, il vous paraîtra facile de détermimr entre quelles mains doit reposer le soin de recevoir et d’examiner les comptes du maniement des deniers publics. La question n’est pas de savoir à qui en appartient le droit, car le mol de droit ne peut plus réveiller l’idée d’un autre propriétaire que la nation elle-même, à qui ils appartiennent tous; mais il faut examiner par quels mandataires il convient à la nation d’exercer ce droit incontestable. Il suffit de se rappeler que c’est par la voie de ses représenlants que la nation ordonne la levée des contributions publiques, en fixe le mode et la durée, et qu’elle en détermine l’emploi ; il suffit d’observer que c’est au pouvoir exécutif qu’elle prescrit d’en effectuer la perception, d’en appliquer la dépense; que le pouvoir exécutif en est l’administrateur, le dépositaire, le comptable, pour sentir que ce n’est point à lui à en recevoir le compte. Une vérité si sensible s’affaiblirait par des développements. Faut-il des preuves pour établir qu’on ne peut pas à la fois ouïr et rendre compte; que le préposé qui agit ne peut pas se surveiller lui-même? N est-ce pas l’incompatibilité de ces pouvoirs qui en ordonne la distinction, et qui défend de les confondre en des mains où ils se détruiraient mutuellement? Gest donc le devoir des représentants de la nation d’entendre eux-mêmes le compte de la gestion et du maniement de ses finances. Ils sont, pour tout ce qui concerne les deniers publics, les dépositaires exclusifs de la confiance et de la volonté nationale. Si le peuple est obligé de remettre au pouvoir executif la dispensation des deniers nécessaires à la protection et à la prospérité commune, ce n’est qu'avec une méfiance salutaire et en multipliant autour de lui la surveillance et les précautions, qu’il peut lui laisser manier un dépôt dont l’abus est encore plus dangereux que la dilapidation. Il ne peut et ne doit se confier à cet égard que dans se3 représentants électifs. Leur choix, leur nombre, leur intérêt, la Constitution qui les rend toujours surveillants et jamais dépositaires, voilà ce qui le doit rassurer et ce qui le rassure en effet sur la fortune publique; et nous ne craignons pas d’ajouter qu’il n’est aucun article de nos devoirs sur lequel sa volonté ait été prononcée plus distinctement. Toutes nos instructions nous prescrivent d’exercer et non pas de déléguer ce pouvoir; c’est par nos yeux que la nation a voulu connaître la situation de ses affaires, et elle ne nous a pas autorisés à subdéléguer cette importante délégation ; et si nous nous sommes crus obligés de scruter nous-mêmes les dettes passives de la nation, de régler les comptes, de vérifier les répétitions de tous ses créanciers, qui pourrait nous exempter d’entendre, d’examiner et d’arrêter nous-mêmes les comptes des préposés qui ont eu jusqu’ici le maniement de ses affaires, et la manutention de ses deniers? Plus ces affaires ont été négligées, plus elles ont dépéri sous le régime qui nous a précédés, et plus nous devons apporter d’activité uans un examen qui doit donner pour résultat la connaissance de l’actif de la nation, et la somme des débets dont elle a le recouvrement à poursuivre. En même temps que l’Assemblée nationale, et après elle, les suivante? législatures examineront en détail la gestion passé î de tous les comptables, elles éclaire ont aulant qu’il sera possible la conduite des ministres qui se jouaient si cruellement du produit des contribntions. La responsabilité n’existait pas, dira-t-on, dans ces temps voués à l’arbitraire! G’est-à-dire que, faute de règles précises et de sages précautions, il était toujours possible aux ministres adroits de couvrir leurs injustices et de rendre la responsabilité inefficace. Ils avaient mis autant d’art à éviter de répondre par leurs signatures, que vous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mai 1791. [ 441 mettez de soin à exiger qu’ils cautionnent ainsi désormais chacune de leurs opérations. Partout la signature du roi indignement surprise servait à couvrir tes actes les plus coupables, et ils se disaient les amis de cette autorité qu’ils ne cessaient de profaner et de rendre odieuse! Si cependant quelqu’un d’eux, aveuglé par l’imprévoyance et par l’ivresse, avait négligé de se com vrir du manteau de l’inviolabilité royale, et si l’examen des comptes laissait à découvert la main du malversateur, nul doute que la responsabilité ne fût bien acquise contre lui, et qu’il ne dût en subir toute la rigueur. Nos anciennes lois, toutes imparfaites qu’elles étaient, n’avaient pas laissé impunis le péculat et la concussion, et notre histoire fournit des exemples mémorables delà vengeance nationale contre les ministres prévaricateurs. Cette observation, qui ajoute un nouveau degré à l’importance de l’audition des comptes arriérés, nous impose plus étroitement encore l’obligation de ne pas nous en dessaisir. Cependant l’Assemblée nationale ne peut pas tout entière se livrera l’inspection et à l’exaenm delà comptabilité. Cet ouvrage doit, comme tous les autres, lui être préparé par un de ses comités. Celui qui sera chargé d’une opération si étendue, nous paraît devoir être nombreux, afin de pouvoir se diviser en sections différentes. Nous pensons que ce comité devrait être de 60 membres, pour former 10 sections de 6 membres chacune. L’Assemblée voudra bien ne pas perdre de vue, que le projet que nous lui présentons n’est pas celui du mode do comptabilité qui doit subsister pour l’avenir, et s’appliquer aux recettes et dépenses ordonnées et exécutées sous le nouveau régime; au lieu d’une complicaiion excessive, la comptabilité future ne doit offrir qu’une extrême simplicité. Toutes les recettes et les dépenses étant réunies à un même centre, il n’existera presque plus qu’un seul compte à recevoir, celui du Trésor public. Il sera divisé, sans doute, en plusieurs chapitres ; mais chacun de ces chapitres étant formé et présenté à la fois, ils se serviront mutuellement d'éclaircissement et de contrôle; le bureau de comptabilité centrale qui aura préparé le compte, par la réunion de ses bordereaux journaliers, fournira les renseignements les plus utiles sur les erreurs qu’on aurait pu tenter d’y introduire. Les états généraux des dépenses de chaque département, fixés par l’Assemblée nationale, les états de distribution concertés entre les ministres et le comité de trésorerie, et invariablement arrêtés par des décrets, seront, pour l’audition des comptes futurs, des points de départ toujours constants et toujours infaillibles. Nous sommes, pour la comptabilité des années précédentes, dans une position bien moins avantageuse; nous avons à lutter à la fois contre tous les obstacles ; ce n’est qu’à force de travail et de temps que nous pourrons les vaincre, et l’utilité publique sera la digue recompense des hommes laborieux qui se dévoueront à ce genre d’occupations que nos anciennes lois appelaient moult fastidieux. Ces vues ont présidé à la rédaction du décret que nous avons l’honneur de vous proposer. M. Briois-Beanmetz, rapporteur , présente ensuite un projet de décret divisé en plusieurs titres, ayant pour objet principal la formation d’un comité du Corps législatif, pour l’examen de la comptabilité arriérée, et même future, lequel comité renverra le jugement de toutes les contestions par-devant les tribunaux. M. Begnaud {de Saint-Jean-d’ Angêly) . Je demande que la question de l’arriéré de la comptabilité soit ajournée à la législature prochaine ; celle-ci ne tardera pas assez longtemps pour que la chose publique puisse en souffirir. M. Bouche. J’appuie la motion du préopinant. M. Legrand. Comment, Messieurs, l’Assemblée nationale actuelle peut-elle se dissimuler que les principes généraux de la comptabilité tiennent essentiellement à la Constitution de la France?... {Plusieurs voix : Il ne s’agit pas de cela.) Il est nécessaire d’avoir un mode quelconque de comptabilité. Je demande que le projet de décret soit simplement ajourné à 3 jours. M. Rewbell. Nous sommes revenus pour faire rendre gorge aux voleurs; il est bien étonnant qu’ils trouvent toujours ici des défenseurs. MM. Long(>ré et Duquesnoy appuient l’ajournement à jour fixe. M. de Sillery. Je crois, Messieurs, qu’il est extrêmement nécessaire d’établir une forme de comptabilité : cela fera rentrer une très grande somme d’argent dans le Trésor. Je vous prie de me permettre de citer à ce propos un petit exemple : Feu M. le duc d’Orléans manquait toujours d’argent. A sa mort, on a voulu faire rendre compte à ses comptables; ils devaient 11 millions. Si, dans une petite administration, il s’est commis de semblables abus, je crois que dans une administration aus-i considérable que la France, en faisant rendre compte aux comptables, on doit trouver une somme énorme. M. Brio! s-Beau mot/., rapporteur. L’Assemblée qui a détruit le tribunal pour l’audition des comptes, doit le remplacer; d’ailleurs la constitution de la comptabilité est indispensable; la question est donc de la législature actuelle. Au surplus, je consens à l’ajournement à 3 jours. Un membre demande le renvoi de la question aux comités de Constitution et des finances, réunis. Un membre propose d’établir un bureau de comptabilité avec un chef responsable et un co~- mité pour surveiller toutes les opérations. M. de Batz. Messieurs, le comité de liquidation m’a chargé de présenter à l’Assemblée nationale un projet de décret relatif à cet objet-là. Si l’Assemblée veut m’entendre... {Oui! oui! lisez ! lisez !) Messieurs, la comptabilité n’est autre chose que la vérification définitive des comptes. Elle a pour objet d’assurer la fidèle exécution des lois de l’Etat sur la recette et sur l’emploi des deniers publics. Sous le régime du despotisme, la comptabilité n’est point établie pour les contribuables, elle se réduit ordinairement à une opération purement mécanique, à un apurement matériel de comptes