[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.) 105 M. de Boislandry demande que tout ce qui est relatif à d’autres droits de parcours non compris dans le décret, et en usage dans quelques provinces du royaume, soit renvoyé au comité d’agriculture. Ce renvoi est ordonné. M. Démeunier, membre du comité de constitution. M. le garde des sceaux nous a fait remettre un mémoire relatif à l’article 2 d'un décret du 20 mars, qui n'a pas été sanctionné. Cet article est ainsi conçu : « Les administrateurs, trésoriers et receveurs qui n’ont pas encore rendu compte de la gestion des affaires de chaque province ou du maniement des deniers publics, ne pourront, avant l’arrêté de leurs comptes, être élus membres des administrations de département ou de district. » Le ministre représente que cet article peut donner lieu à beaucoup d’embarras dans les élections. En se servant du mot administration, on ne distingue pas ceux qui ont été membres, soit des assemblées provinciales, soit des Etats provinciaux. 11 est nécessaire que des hommes instruits dans la connaissance des affaires puissent être admis dans les nouvelles assemblées. Le législateur, en général, doit être avare des exceptions : il faut que le peuple use avec la plus grande liberté possible du droit de choisir les citoyens auxquels il veut donner sa confiance. M. Démeunier lit un projet de décret. M. de Saint-Martin. Il me paraît nécessaire d’indiquer dans le projet de décret que les procureurs syndics y sont compris. M. Démeunier. Le mot administrateurs comptables renferme le procureur-syndic. M. le marquis de Digoine. Le trésorier des États de Bourgogne ne rend ses comptes que tous les deux ans; il serait injuste de l’exclure. L’Assemblée délibère, et le projet de rédaction présenté par le comité de constitution est adopté en ces termes : « Art. 2. Les administrateurs comptables, trésoriers ou receveurs des anciens pays d’État, qui n’ont pas encore rendu compte de la gestion des affaires de chaque province, ou du maniement des deniers publics, ne pourront, avant l’arrêté de leurs comptes, être élus membres des administrations de département ou de district. « Il en sera de même des trésoriers ou comptables des autres parties du royaume, lesquels ne seront admissibles aux administrations de département ou de district, qu’après l’arrêté de leurs comptes. » M. Ce Chapelier, au nom du comité de constitution et de la députation de Bretagne, propose un projet de décret pour distraire quelques paroisses du district de Saint-Brieuc en Bretagne afin de les rattacher à celui de Guingamp. Il se fonde sur la convenance et sur la proportion de population que ce changement établirait entre les deux districts. M. Fréteau dit qu’il serait dangereux d’admettre en ce moment de semblables réclamations; ce serait favoriser les retards daDS la formation des districts et des départements et accréditer les bruits qui circulent jusque dans la capitale, que l’Assemblée cherche à ajourner la constitution de ces districts et départements, afin de pouvoir cacher l’immensité des impôts dont est grevé le royaume. Un membre demande que cette affaire soit renvoyée au département. Cette proposition est mise aux voix et adoptée. V ordre du jour appelle la discussion sur les dîmes. M. Chasset, rapporteur, n’étant pas présent et se trouvant retenu chez lui par indisposition, l’Assemblée passe à d’autres objets. M. le marquis de Vaudreuil donne lecture des 12 articles qui terminent son rapport du 15 avril sur les classes de la marine. L’article Ie*, mis en discussion, est ainsi conçu : « Tous les Français qui ont embrassé ou qui embrasseront la profession de navigateur sur la mer et sur les rivières, et tous ceux qui exercent des professions maritimes seront, à l’âge de dix-huit ans, inscrits sur la matricule des classes, et tenus dès lors de servir à tour de rôle dans l’armée navale ou dans les ports ou arsenaux jusqu’à cinquante-six ans, à moins qu’ils ne se trouvent dans un état d’infirmité qui ne leur permette pas les voyages de long cours. Cette obligation cessera pour eux lorsqu’ils auront renoncé à la navigation ou à la pêche, sauf le temps de guerre, pendant lequel ces renonciations ne seront pas admises. » M. D’André. L’objet des classes est de procurer des sujets à la marine en aussi grand nombre qu’il est possible. Les patrons-pêcheurs ont des bateaux à eux : leur équipage est depuis quatre jusqu’à vingt-cinq et trente hommes. En temps de guerre, on prend cet équipage. Si vous classez les patrons, ils sont obligés d’abandonner les bâtiments ; si au contraire vous ne les emmenez pas en temps de guerre, ils formeront de nouveau leur équipage, et feront ainsi une pépinière de matelots. Je demande qu’on exempte de la classification tous les patrons-pêcheurs ayant un bateau au moins de quatre hommes. M. Malouet. Les patrons-pêcheurs ne sont pas toujours classés : si l’administration des classes s’écartait d’une sage mesure, les municipalités s’y opposeraient; on ne peut exempter entièrement les patrons, parce que c’est parmi eux que se trouvent les meilleurs officiers mariniers. Il n’y a point à délibérer sur l’amendement présenté par le préopinant. M. D’André. J’ai uniquement motivé mon amendement sur l’utilité des patrons-pêcheurs pour élever des matelots. Je crois, au reste, que les officiers mariniers du commerce doivent être meilleurs que les patrons-pêcheurs, qui ne s’éloignent jamais des côtes. Après quelques discussions, plusieurs membres observent que l’Assemblée ne peut décréter des objets de détail avant qu’on ne lui ait présenté les principes de cette matière, et que d’ailleurs les membres du comité de marine ne sont pas encore d’accord sur ces bases. L’Assemblée ajourne le projet de décret sur les classes de la marine. ( Voy . plus loin aux annexes de la séance de ce jour : 1° Observations et projet de décret sur les classes par MM. le marquis de Vaudreuil et le chevalier de La Goudraye; 2° Rapport sur les dépenses et le régime économique de la marine, par M. Malouet). M. Le Chapelier demande la parole, au nom du comité de constitution, pour faire un rapport [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] sur la prolongation des pouvoirs de MM. les députés. Plusieurs membres disent que cet objet n’est pas à l’ordre du jour. D’autres membres demandent que le rapport soit fait tout de suite. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide que le rapport sera entendu séance tenante. M. lie Chapelier (1). Messieurs, votre comité de constitution doit arrêter vos regards sur un objet de la plus haute importance, parce que c’est là qu’est le dernier espoir des ennemis de la patrie, le terme auquel ils se flattent de porter échec à la constitution, de détruire la liberté publique et de renverser les espérances de bonheur que le peuple français fonde avec raison sur l’ouvrage que l’Assemblée nationale est près d’achever. Nous voulons parler du projet conçu et publiquement annoncé d’engager les assemblées qui vont se réunir pour composer les départements et les districts, à nommer de nouveaux députés à l’Assemblée nationale. Les auteurs de cette insinuation perfide se servent du prétexte qu’il y a quelques députés dont les pouvoirs ont été limités à un an. Il est vrai qu’ils ne peuvent employer ce moyen qu’auprêsde quelques départements où se trouvent tout ou partie des électeurs qui ont apporté cette limitation à leurs mandats; mais ils espèrent, ou qu’un département voudrait faire ce que ferait un département voisin, ou qu’ils parviendront, à l’aide des passions et des intérêts particuliers, à agiter les esprits et à jeter dans la nation un sujet de discorde: et confondant tous les principes, les altérant tous pour essayer de les violer, abusant même de la composition vicieuse de l’Assemblée nationale actuelle qui contient à côté des députés élus par le peuple, des députés des anciens ordres, ils disent au peuple que maître de retirer ses pouvoirs, il lui est utile de les confier à d’autres citoyens et de renouveler l’Assembée nationale. Notre obligation est d’éclairer ceux qu’on veut égarer, et de fixer les véritables principes auxquels est attaché le sort de l'Empire, et auxquels doivent se rallier tous les amis de la patrie, de l’ordre et de la tranquilité publique. C’est sans doute une vérité trop longtemps mise en oubli, mais désormais très reconnue, que la souveraineté réside dans la nation; que tous ceux qui exercent une autorité quelconque, l’exercent en son nom et pour elle, et qu’elle peut retirer les pouvoirs qu’elle a délégués; mais ce principe sacré est sans application à la question que nous forcent d’examiner les adversaires de la constitution qui s’établit. Ce serait détruire cette constitution que de renouveler, avant qu’elle fût fixée, l’Assemblée chargée de la former. Qu’est-ce en effet qu’une constitution? C’est la convention qui établit une forme de gouvernement : le mot seul annonce qu’elle ne doit pas varier ; que s’il est salutaire de l’examiner quelquefois, ce doit être ou à des époques déterminées, ou suivant des formes convenues; mais que, pour la tranquillité publique, elle doit, dans tous les autres temps, être fixe et à l’abri des atteintes de (1) Le rapport de M. Le Chapelier est incomplet au Moniteur. tous les pouvoirs, même du pouvoir législatif. Vous avez, Messieurs, déjàconsacré cette doctrine qui est à la fois le garant et du repos de l’empire et de la liberté des citoyens. Dans le décret constitutionnel sur l’armée, vous avez, au nom de la nation dont vous exprimez la volonté, interdit aux législatures qui vous succéderont la faculté d’établir aucune distinction quelconque entre tous les citoyens pour l’admissibilité aux emplois. Cette maxime s’étend sur toutes les parties de la constitution. Il en résulte que l’Assemblée, qui forme ou qui examine la constitution, a des pouvoirs différents de celui dont les législatures seront investies; elles existeront par la forme du gouvernement, elles feront les lois, elles établiront les contributions publiques, et ne toucheront jamais à la constitution, à laquelle elles seront soumises comme tous les délégués du peuple et comme tous les citoyens. La nature des pouvoirs qu’exerce l’Assemblée actuelle n’est sûrement pas douteuse. Chargés par tous nos mandats d’examiner la constitution, d’en réformer les abus, nous avons dès ce moment été créés, par le peuple, Assemblée constituante. Nous avons travaillé à la constitution, nous en avons fait la plus grande partie; notre devoir est de l’achever. La nation a donné son assentiment aux établissements qui sont notre ouvrage, aux décrets qui fixent la forme du gouverneraentfrançais; tous les citoyens ont, d’une voix unanime et par un serment individuel, promis fidélité à la constitution, et se sont engagés à la maintenir de tout leur pouvoir. La nation a donc de plus en plus consacré le caractère d’Àssemblée constituante que nous avions reçu par nos mandats. Si, avant la fin de ce travail, nous étions remplacés par d’autres députés, ou si même, sans être remplacés, nous étions confirmés par une élection nouvelle, il est évident que l’Assemblée formée alors sur des éléments différents, et devant avoir des pouvoirs essentiellement distincts de ceux dont nous sommes revêtus, aurait pourtant les mêmes, et que par conséquent la constitution serait livrée à toutes les législatures, qui, au grand détriment public, pourraient la changer ou la modifier. Car si l’Assemblée qui prendrait la place de celle qui existe maintenant n’avait pas les mêmes pouvoirs, la constitution resterait imparfaite, ou plutôt elle ne serait pas établie. Une constitution n’est pas le rassemblement de quelques principes, ou l’arrangement de quelques-unes des parties du gouvernement : c’est une machine qui doit être complète et avoir un ensemble. Si cette Assemblée avait les mêmes pouvoirs, elle pourrait faire sur tous les objets déjà décrétés, comme sur ceux à décréter, toutes les modifications; elle pourrait prendre toutes les résolutions qui lui paraîtraient convenir au système qu’elle adopterait. Voilà, nous le savons, Messieurs, ce qu’on se promet de l’insinuation funeste qu’on essaye de donner au peuple; mais aussi, c’est précisément parce que nous savons que tel est Je projet conçu, que nous devons, d’une main ferme, mettre pour barrière à de semblables tentatives, et la patrie qu’elles menacent, et les principes sur lesquels la constitution est établie. Nous disons les principes sur lesquels la constitution est établie : en effet, après avoir déterminé qu’il y aurait une Assemblée unique et permanen te, après avoir très sagement rejeté tout veto absolu,