SENECHAUSSEE DE UIOM. DOLÉANCES DU CLERGÉ De la sénéchaussée d’Auvergne , séant, à Riom , et instructions pour les députés du clergé de la sé-. néchaussée d'Auvergne aux Etats généraux (1). Les députés du clergé de la sénéchaussée d’Auvergne aux Etats généraux fixeront leurs premiers regards sur la religion, l’appui le plus ferme du trône, la conservation des mœurs, le lien le plus intime entre le souverain et les sujets, la base et le fondement de la durée et de la prospérité des empires. ' Art. 1er. Ils demanderont gue la religion catholique, apostolique et romaine jouisse seule de l’exercice et de l’honneur du culte public, et qu’on renouvelle les lois de police concernant le culte extérieur, la sanctification des dimanches et fêtes et le respect dû à nos temples et aux ministres des autels. Art. 2. Les sources empoisonnées de l’irréligion étant multipliées presque à l’infini dans ces temps malheureux, ils demanderont les lois les plus expresses et les plus sévères contre la liberté de la presse, que nous regardons comme le germe le plus fécond de l’incrédulité, de la dépravation des mœurs et de l’esprit d’indépendance qui fait aujourd’hui le système dominant. Art. 3. Rien de plus sacré que le serment, rien de plus commun que l’abus du serment ; ils demanderont qu’il ne soit désormais employé que dans les causes majeures, et qu’on ne l’exige jamais dans les affaires criminelles de l’accusé contre lui-même. Art. 4. Ils prieront les Etats généraux de fixer leur attention principalement sur l’éducation publique; ils demanderont qu’elle soit confiée à des corps autant qu’il sera possible ; que les auteurs classiques soient également religieux et utiles ; ils demanderont aussi que dans les petites villes où il n’y a point de collège, on établisse des maîtres choisis par les officiers municipaux et les curés sous l’inspection de l’ordinaire. Art. 5. Qu’on réforme les universités et qu’on les rappelle à leur institution primordiale; que les examens soient véritablement rigoureux; qu’on n’accorde des grades pour requérir qu’à ceux qui les auront réellement mérités par leurs bonnes mœurs, leurs études et leurs progrès. Art. 6. Nous chargeons nos députés de s’occuper spécialement de la conservation des communautés séculières et régulières, utilesà la religion, à l’Etat, aux familles indigènes, et devenues aujourd’hui presque nécessaires pour l’instruction de la jeunesse. Art. 7. Ils auront également soin de faire des représentations sur la décence et la décoration des églises, dont la plupart se trouvent dans un état (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de V Empire. ire Série. T. Y. indigne de la grandeur et de la majesté du culte divin. Art. 8. Ils solliciteront le rétablissement des conciles provinciaux, si utiles et si nécessaires pour le maintien de la discipline ecclésiastique. Art. 9. Ils supplieront Sa Majesté d’établir un conseil de conscience pour la nomination aux prélatures. Art. 10. Ils supplieront aussi très-humblement Sa Majesté d’avoir égard aux remontrances que le clergé assemblé en 1788 a eu l’honneur de lui présenter relativement à l’édit concernant les non catholiques. Art. il. Le gouvernement monarchique, aussi ancien que la nation elle-même, étant reconnu comme le plus convenable aux grands empires, comme le plus conforme aux mœurs, au génie et au caractère des Français, nos députés s’opposeront à toute innovation tendante à altérer la forme constitutive de cet heureux gouvernement. Art. 12. Ils demanderont que la distinction des trois ordres soit reconnue comme un principe fondamental de notre constitution ; ces trois ordres séparés par le rang sont égaux en pouvoirs et indépendants les uns des autres ; leur unanimité seule peut former le vœu de la nation ; aucun de ces ordres ne peut être lié sans son consentement libre, même par le concours des deux autres ordres. Art. 13. Nos députés réclameront le maintien et l’exécution de toutes les lois et ordonnances formant le droit public, ecclésiastique et français. Art. 14. Ils supplieront Sa Majesté de maintenir les différents tribunaux ecclésiastiques et civils, dont l’utilité sera reconnue par les Etats généraux, dans le libre cours et exercice de leurs pouvoirs respectifs; supprimer toute commission, attribution et évocation ; d’abréger la longueur des procédures et diminuer les frais de justice. Art. 15. Ils demanderont que, pour obvier aux dangers de la vacance des bénéfices, et aux abus de la prévention, il soit statué qu’un col-lateur ne puisse être prévenu qu’un mois après la vacance. Art. 16. Que l’ordinaire soit autorisé à nommer à tous les bénéfices dont les patrons seront non catholiques jusqu’à l’époque où ils rentreront dans le sein de l’Eglise, si mieux n’aiment lesdits patrons donner leurs procurations à des catholiques pour l'exercice de leurs droits. Art. 17. Que désormais on né puisse nommer à aucun bénéfice exigeant résidence et nomination ecclésiastique que des personnes engagées dans les ordres sacrés. Art. 18. Que les monitoires ne puissent être demandés que pour des causes très-graves, telles que crimes d’Etat, meurtre, incendie, vol. Art. 19. Que, pour éviter les erreurs et les surprises dans les mariages, on ordonne de publier dans tous les cas les bans de mariage dans le domicile dorigine, et d’inscrire sur les registres la publication des mariages célébrés hors la paroisse. 36 M02 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Riom.] Art. 20. Que les canons contre la pluralité des bénéfices soient exécutés; que tous les ecclésiastiques pourvus d’un bénéfice suffisant pour fournir honnêtement à sa subsistance, ne puissent en posséder un autre sans abdiquer le premier ; et pour éviter toute sorte de prétexte à cet égard, s’il est des évêchés d’u n revenu trop médi ocre relativem ent à leur importance et à leur étendue, Sa Majesté sera suppliée d’y pourvoir de manière qu’un évêque ne puisse posséder d’autre bénéfice. Art. 21. Que les Etats généraux prennent particulièrement en considération les traitements des curés et qu’ils s’occupent des moyens les plus prompts et les plus efficaces de leur faire un sort proportionné à l’importance de leurs fonctions, au local et à la population de leurs paroisse; qu’à cet effet il soit incessamment procédé à la réunion des bénéfices jugés les moins utiles, sans porter aucune atteinte aux établissements consacrés au culte, et déjà trop grevés par les augmentations progressives des portions congrues ..... Que Sa Majesté soit suppliée d’ôter les entraves qui s’opposent aux réunions et suppressions des bénéfices, d’en diminuer les frais, et d’établir des lois pour abréger les formalités d’usage. Art. 22. Que les curés dépendants de l’ordre de Malte obtiennent le même traitement, et que leur inamovibilité soit prononcée. Art. 23. Que tout casuel forcé soit supprimé, auf aux Etals généraux d’y suppléer. Art. 24. Que dans chaque diocèse il y ait des fonds affectés pour procurer une retraite honnête, ou assurer une pension aux ecclésiastiques qui auront vieilli dans le ministère ou qui ne pourraient plus en remplir les fonctions, à raison de leurs infirmités. Art. 25. Qu’on simplifie les moyens de pourvoir à l’entretien et reconstruction des églises et presbytères sans imposer de nouvelles charges aux décimateurs. Art. 26. Que les économats soient abolis ; qu’il leur soit substitué un régime plus simple, moins onéreux aux familles, et qui pourvoie plus efficacement aux réparations des bénéfices, sans les tenir en séquestre, et les priver de leur titulaire. Art. 27. Que l’aliénation des biens ecclésiastiques soit réprimée par une nouvelle loi qui interdise toute vente, et ne permette les échanges et les baux emphytéotiques que d’après l’examen le plus sévère et l’autorisation de l’ordre et des supérieurs respectifs. Art. 28. Que la déclaration de 1769, qui soustrait aux recherches les unions faites depuis plus de cent ans aux cathédrales, cures, séminaires et hôpitaux, soit rendue commune à tous les bénéfices et établissements ecclésiastiques. Art. 29. Qu’il soit permis aux agents généraux du clergé d’entrer aux Etats généraux pour fournir les instructions nécessaires. Art. 30. Qu’on lève les défenses faites aux curés de s’assembler pour discuter et traiter en commun de leurs intérêts particuliers. Art. 31. Que les Etats généraux tâchent d’acquérir la connaissance la plus exacte et la plus claire de la dette nationale et prennent les moyens les plus efficaces pour l’acquitter. Art. 32. Que tous les impôts actuellement établis soient supprimés et remplacés par des subsides peu nombreux, simples, uniformes, proportionnées aux besoins de l’Etat, aux facultés des contribuables, et dont la perception exigera le moins de frais possible ; que ces subsides di minuent progressivement à mesure que les dettes de l’Etat s’éteindront. Art. '33. Que tous les droits nuisibles au commerce et à l’industrie, tels que aides,- gabelles, traites, douanes, péages et leydes soient abolis. Art. 34. Le clergé faisant le sacrifice de ses privilèges pécuniaires pour subvenir aux besoins de la nation, que les Etats généraux reconnaissent que la dette du clergé devient celle de l’Etat, et qu’ils prennent les moyens les plus efficaces pour acquitter l’une et l’autre. Art. 35. Si les chambres ecclésiastiques sont dans le cas de subsister, qu’elles soient organisées d’une manière plus conforme aux intérêts des contribuables'; que chaque classe de bénéficiers y soit suffisamment représentée par les députés de son choix, qui seront changés tous les trois ans ; qu’il soit fait un tableau général de la cote de chacun, qui sera imprimé et affiché dans la chambre, et qu’on établisse un tribunal supérieur où seront portées et jugées les demandes et surtaxes. Art. 36. Que Sa Majesté soit suppliée de rendre à l’Auvergne ses Etats provinciaux. Art. 37. Qu’il soit établi dans la province une cour souveraine. Art. 38. Qu’il soit formé de nouveaux arrondissements dans chacun desquels il sera établi une justice royale. Art. 39. Que‘la loi qui donne la présidence aux syndics des municipalités, même en présence du curé, soit révoquée, et que dans tout hôpital et administration de charité quelconque, qui n’aura pas de règlement particulier, un curé ne soit jamais présidé par son évêque. Art. 40. Qu’on établisse dans chaque paroisse un bureau de charité, une sage-femme instruite{ et dans chaque arrondissement un chirurgien habile. Art. 41. Qu’il soit érigé un tribunal de paix dans chaque paroisse pour terminer sans frais toutes les petites contestations ; que ce tribunal soit composé du curé, du syndic et d’un notable de la paroisse. Art. 42. Que tous les notaires royaux soient habiles à remplir les fonctions de notaires apostoliques ; qu’on soit plus exact et plus scrupuleux dans l’examen d’usage, avant leur réception; qu’ils mettent leur nom au commencement des actes, et que, pour la sûreté des engagements, il soit pourvu d’une manière plus efficace à la conservation des minutes. Art. 43. Que tous les droits de contrôle soient fixés et réduits aux taux les plus modérés ; qu’on supprime l’arrêt du conseil, clu 5 septembre 1785, qui oblige les ecclésiastiques à passer à l’enchère, et en présence des subdélégués des intendants, les premiers baux de construction, et qu’on mette un terme aux recherches des agents du fisc. Art. 44. Que les biens et les propriétés des hôpitaux et de tous les établissements de charité soient respectés et conservés ; qu’ils ne puissent vendre leurs biens-fonds et qu’ils soient maintenus dans la possession de leurs droits, immunités et privilèges. Art. 45. Que les corps et communautés religieuses soient autorisés à semer et planter des bois, et que les objets mis en valeur appartiennent exclusivement auxdits corps et communautés sans aucun partage avec les abbés et prieurs commendataires. Tels sont les vœux du clergé de la sénéchaussée d’Auvergne. La convocation des Etats généraux est le présage du bonheur de la nation et de la prospérité de la chose publique ; un admi- [États gën. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Riom.] 5(53 nisfrateur sage et éclairé en a préparé les i moyens ; l’amour du souverain pour son peuple en assure l’exécution ; le bien public est enfin devenu le sentiment général. L’ordre va renaître, le crédit se rétablir, et l’Etat libéré recouvrera toute sa force et toute sa grandeur ; la confiance réciproque du souverain et des sujets en sont garants. Dans cette intime conviction, nous chargeons nos députés aux Etats généraux de déposer aux pieds du trône nos hommages et nos vœux ; ils consentiront d’après ces instructions, en suivant leurs lumières et leur conscience, à tout ce qu’ils jugeront à propos, utile, bon et nécessaire pour la gloire de la religion, la splendeur du trône, les véritables intérêts de la nation et la félicité publique. Et à la minute ont signé : Thaillaud, curé de Riom ; l’abbé Vertamy-Ter-rasse, prieur, commissaire ; l’abbé de Massais, comte de Brioude ; de La Bastide, curé de Pouil-haques; Majeune, curé de Saint-Beausèze, commissaire ; Fayolle , curé de Saint-Bonnet-les-Champs ; Boyer, secrétaire. S’ensuit la protestation de Mgr l’évêque de Clermont : Nous, évêque de Clermont, avons eu représenta-tiondu présent cahier, seulement signé par tioisde MM. les commissaires sur quinze qui avaient été nommés pour rédiger les instructions y contenues et les vœux du clergé de la sénéchaussée d’Auvergne, déclarons que nous ne croyons pouvoir signer que sous les réserves et protestations suivantes : 1° Contre l’article 30, comme absolument contraire au bon ordre, et tendant à faire un corps particulier dans le clergé de la classe de MM. les curés ; 2° Contre la partie de l’article 33, qui porte sur les péages et les leydes, sans demande d’aucune indemnité, ce qui pourrait donner atteinte aux propriétés; 3° Contre l’article 34, en ce qu’il suppose l’abandon des privilèges pécuniaires fait et consommé, tandis que nous pensons que l’ordre ecclésiastique réuni aux Etats généraux, de toutes les parties qui composent le clergé de France, est seul compétent pour prononcer sur un tel abandon, ou même de combiner avec sagesse les intérêts du corps avec la sûreté de l’hypothèque de ses créanciers, préalable que nous regardons comme essentiellement nécessaire dans l’ordre de la procédure et de la justice ; 4° Contre l’article 35, en tant seulement qu’il a relation avec le précédent, et qu’il pourrait donner à penser que l’ordre du clergé cesserait dans l’hypothèse même de la cession des privilèges de s’imposer lui-même ; 5° Contre l’article 39, en tant qu’il ôte aux évêques un droit inhérent à leur juridiction et à leur dignité, s’il n’y a pas d’erreur de copiste dans cette phrase : « Un curé ne puisse être présidé par son évêque ; » et dans le cas de cette erreur qui consisterait dans l’omission du mot : que , nous protestons contre l’exclusion qui se trouverait donnée aux grands-vicaires ; 6° Contre l’article 45, en ce qu’il n’établit pas une réciprocité 4e justice contre les abbés com-mendataires et les religieux, et qu’il est autre qu’il n’avait été arrêté par l’assemblée. Et a signé T. François, évêque de Clermont. Expédié à M. le lieutenant général, président de l’assemblée du tiers-état de la sénéchaussée d’Auvergne, par moi, secrétaire-greffier de ladite assemblée, le 13 avril 1789. Signé FAUCON. INSTRUCTIONS Pour les députés de la noblesse aux Etats généraux, arrêtées dans l'assemblée de la sénéchaussée d’Auvergne, séant à Riom (1). Un monarque bienfaisant veut régénérer la France : à sa voix, tant d’intérêts divisés, et même en opposition, depuis trop longtemps, vont se réunir au but commun de l’utilité publique ; et le Français se livre à la plus] douce espérance,' celle d’être libre sous un roi. La noblesse d’Auvergne vous charge de la défense et du recouvrement des droits de la nation. En vous confiant ses intérêts les plus chers, elle vous remet ses instructions. Bien convaincus de l’importance de cette commission, vous la remplirez sûrement avec la générosité qui gagne les cœurs et le patriotisme qui les élève. Souvenez-vous que la nature a fait les hommes égaux, et que les distinctions nécessaires entre eux, particulièrement dans une monarchie, sont fondées sur l’utilité générale. Vous regarderez ces deux vérités comme la base de notre constitution ; elles vous rappelleront à la fois ce que vous devez à la dignité d'un peuple libre et à la prééminence des premiers citoyens de l’empire. Que par vos soins la France soit heureuse ! La reconnaissance d’une nation est le plus bel hommage que puisse obtenir un citoyen : tel sera le prix de vos vertus. Après avoir exprimé le vœu que la majesté du trône et la dignité de la famille royale aient tout l’éclat qui leur est dû, et que leur assurent le respect et l’attachement gravés dans le cœur de tous les Français, nous déclarons que nos principes sont : Art. 1er. Que l'assemblée des représentants de la nation française formant les Etats généraux est la seule puissance compétente pour établir les impôts et faire les lois avec la sanction du Roi. En conséquence, le jour de l’ouverture des Etats généraux, les députés déclareront que tout impôt est cessé ; ils pourront néanmoins consentir à la prorogation de l’impôt actuel jusqu’au 1er janvier 1790. Mais lesdits députés ne s’occuperont des subsides nouveaux qu’après avoir statué sur les droits de la nation ; ils ne les établiront que pour deux ans, époque qu’ils fixeront, pour rassembler les Etats généraux, qui en régleront alors le retour fréquent et périodique; et dans les cas de régence à établir, ils statueront que les Etats généraux s’assembleront le plus promptement possible. Aucun impôt ne sera, à l’avenir, mis ou prorogé sans le consentement des Etats généraux du royaume ; toutes impositions mises ou prorogées par le gouvernement, sans cette condition, ou accordées hors des Etats généraux, par une ou plusieurs provinces, une ou plusieurs villes, une ou plusieurs communautés, seront nulles, illégales; et il sera défendu, sous peine de concussion, de les répartir, asseoir et lever. Les députés demanderont que les Etats provinciaux soient établis dans toutes les provinces ; mais qu’à chaque tenue des Etats généraux, la convocation soit faite, suivant les anciens usages, par bailliages, étant la manière la plus usitée pour connaître les vœux de tous les citoyens, à moins que les Etats généraux ne trouvent une forme de convocation plus utile. Art. 2. Que tous les citoyens français, depuis le premier rang jusqu'au dernier, quelque profession (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat.