292 {Assemblée nationale, impôts perçus à l’entrée des villes, bourgs et villages seront supprimés, à compter du 1er avril prochain. » Voix diverses : Au 1er mai! au 15 avril!... Laissez établir le droit de patente ! M. Le Chapelier. On m’observe qu’il faudrait reculer davantage l’époque et la mettre au 1er mai ou au 15 avril, afin que le droit sur les patentes, qui remplacera en partie les droits d’entrée aux villes, soit établi et en pleine perception, quand ceux d’entrée cesseront. L’Assemblée doit donc déterminer l’une de ces deux époques. Plusieurs membres à gauche : A compter du 1er mai! M. Le Chapelier. Soit 1 j’accepte le 1er mai; voici donc mon projet de décret : « L’Assemblée nationale décrète que tous les impôts perçus à l’entrée des villes, bourgs et villages seront supprimés, à compter du 1er mai prochain; « Charge son comité des impositions de lui présenter, sous 8 jours au plus tard, les projets d’impositions qui compléteront le remplacement des impôts supprimés, et qui étaient perçus au profit delà nation, de-hôpitaux ou des vill s, de manière à assurer les fonds nécessaires pour faire face aux dépenses publiques de l’année 1791. » MM. de Cazalès, l’abbé Maury et de Foucault demandent la parole. Plusieurs membres demandent qu’on aille aux voix sur la question de piiorité. M. de Cazalès. La priorité naturelle appartient à la question de savoir si on déterminera d’abord la quotité de la contribution foncière. Un membre : On se souvient qu’il y a longtemps que M. l’abbé Maury lui-même a demandé la suppr; ssiondes droits qui se perçoivent à l’eutrée de la ville de Pans. M. de Foucault. Je demande qu’on réponde à ce qu’a dit M. Le Chapelier. M. l’abbé Maury s’avance près du bureau et prononce des paroles qui se perdent dans le bruit. Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix ! (L’Assemblée décrète que la discussion est fermée.) M. de Cazalès. Il est incontestable... Un grand nombre de membres : Aux voix 1 aux voix ! ( L’Assemblée accorde la priorité au projet de déciet de M. Le Chapelier). M. de Lachèze. Je demande que l’époque de la suppression soit reculée au 1er juin, afin que les marchands qui ont beaucoup de marchandises en dépôt chez eux, et pour lesquelles ils ont payé des droits, aient le temps de les débiter et ne vienm nt pas vous fatiguer par des demandes continuelles. J’ai un second amendement ; vous avez |19 février 1791.] décrété que les droits d’octroi de la ville de Paris seraient versés au Trésor public, qui fournirait à ses dépenses. Je demande que, dès le moment que les octrois de la ville de Paris cesseront d’être perçus et versés au Trésor public, toutes les dépenses de la ville de Paris, qui étaient acquittées par le Trésor public, soient laissées sur son compte et que le Trésor public en soit déchargé à compter du même jour. Ces dépenses sont plus considérables qu’on ne pense. M. de Custine. Je demande que le délai pour la suppression des entrées soit porté au 1er juillet. (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les amendements tendant à reporter au mois de juin ou de juillet la suppression des entrées.) M. Le Chapelier. Je demande le renvoi au comité d’impusition de l’amendement de M. de Lachèze tendant à décharger le Trésor public d< s dépenses de la ville de Paris. (Ce renvoi est décrété.) M. de Cazalès. Puisque l’Assemblée est déterminée à détruire les droits d’entrée dans les villes, ce qui ceriainement n’est pas mon opinion, il faut que son décret ait le meilleur effet possible. C’est pour cela que je demande que cette suppression ait lieu dès demain. Je n’ai pas besoin de développer beaucoup cette idée ; l’Assemb ée se souvient encore de la funeste expérience qu’elle a faite en ce genre au sujet de ia gabelle. Si vous donnez une espérance d'un elfet trop éloigné, les incendies, les actes de violence se multiplieront. Les profils du fisc seront très minces et les inconvénients très grands. D’après cette considération, qui devrait trouver plus de faveur dans me a.-semblée qui se pique d’humanité et qui devrait savoir que jamais le législateur ne doit occasionner l’insurrection contre la loi, je demande que par le décret les droits qui se perçoivent à l’entrée des villes soient supprimés dès demain. M. Le Pelletier de Saint-Fareeau. Comme député de la ville de Paris, je crois devoir demander la question préalable sur l'amendement de M. de Cazalès qui paraît craindre que, le droit étant supprimé, la perception ne soit arrêtée de fait. J’ose prendre ici l’engagement contraire... (Murmures à droite ; applaudissements répétés à gauche et dans les tribunes)... au nom de la ville de Paris dunt j’ai l’honneur d'.être le représentant; et je puis assurer que si la ville de Paris a donné, dans la Révolution, l’exemple d’une sainte insurrection contre le despoiisme, elle donnera certainement aussi l'exemple d’un respect religieux pour la loi. (Applaudissements répétés à gauche et dans les tribunes.) Tous les membres du côté gauche se lèvent et demandent la question préalable sur l’amendement de M. de Cazalès. (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. de Cazalès.) ( M. le Président. Je vais donner lecture à l’Assemblée du projet de décret sur lequel elle est appelée à statuer : « L’Assemblée nationale décrète que tous les impôts perçus à l’entrée des villes, bourgs et vil-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 février 1791.] 293 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Assemblée nationale.] lages seront supprimés, à compter du 1" mai prochain; <. Charge son comité des impositions de lui présenter, sous 8 jours au plus tard, les projets d’imposition? qui compléteront le remplacement des impôts supprimés, et qui étaient perçus au profit île la nation, des hôpitaux ou des villes, de manière à assurer les fonds nécessaires pour faire face aux dépenses publiques de l’année 1791. » (Ce décret est adopté.) M. le Président annonce l’ordre du jour de la séance de ce soir. La séance est levée à trois heures et demie. ANNEXE À LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 19 FÉVRIER 1791, AU MATIN. Lettre de M. l'évêque de Clermont à MM. les électeurs du département du Puy-de-Dôme. Messieurs, si je pouvais cesser d’être votre pasteur et votre jière en Jésus-Christ, j’en conserverais toujours dans mon cœur tous les sentiments ; et quand même, ne voulant plus être rien pour moi, vous me réduiriez à n’être plus rien pour vous, je vous dirais, comme Samuel aux Hébreux, lorsqu’ils le repoussèrent : « A Dieu ne plaise que <• je cesse jamais de vous avoir présents à mon « cœur devant lui, et de solliciter pour vous ses « grâces! »> Dans d’autres temps, et dans celui-ci même, si le sacrifice d’uu homme pouvait devenir le salut du peuple, je me dévouerais avec empressement; et je m’estimerais trop heureux que mon naufrage personnel pût, comme celui de Jonas, apaiser la tempête qui agite si cruellement l’Eglise de France. A l’exemple de saint Grégoire de Nazianze, je demanderais un successeur, je le solliciterais avec instance ; je saluerais ma chère église, j’adresserais aux fidèles qui la composent une dernière exhortation, pour les engager à vivre dans la fidélité à la loi du Seigneur et à marcher dans des voies toujours meilleures; je supplierais les anges du ciel, à qui elle est confiée, de redoubler pour elle de zèle et de charité, et je m’occuperais du choix d’une retraite où je pusse oublier les agitations du monde, expier mes fautes, et jouir, avec Dieu seul, de cette paix qu’on ne peut plus espérer de trouver au milieu des hommes. Voilà, Messieurs, quelles seraient mon inclination et ma conduite, dans des circonstances où il ne s’agirait pas de votre salut et du mien, mais seulement de notre tranquillité commune. Mais, dans le moment où le vaisseau de l’Église de France est plus violemment agité par la tempête qu’il ne le fut depuis plus de 14 siècles, le devoir des évêques est de tenir plus que jamais la main au gouvernail. Ils ont été établis premières sentinelles dans Israël, pour veiller sur lui le jour et la nuit. Ils l’ont été bien plus pour le moment de l’orage que pour celui du calme; et quand même les habitants, faussement rassurés, s’obstineraient à croire qu’ils ne courent aucun danger, ces sentinelles devraient toujours crier et ne cesser de se faire entendre. Ah ! Messieurs, si l'épiscopat pouvait n’être envisagé que dans l’ordre humain ; s’il m’était permis d’oublier un instant que c’est pour vous, et non pour moi, que je soi? évêque, qu’est-ce qui pourrait me tenir désormais attaché à mes fonctions? Une sensibilité bien permise me ferait, sans doute, éviter la douleur amère que me promet le premier regard que je porterai sur mon diocèse. Je suis effrayé, quand je considère la différence que je trouverai entre l’état où sera mon église, et celui où elle était lorsque je l’ai quitiée ; j’y trouverai la maison de Dieu, la maison du silence et de la prière, ne retentissant plus du chant des saints cantiques, mais du tumulte bruyant des assemblées politiques ; le service divin interrompu; les pieuses fondations de vos pères, délaissées; les vierges consacrées à Dieu, dans la désolation ; le jeune clergé déconcerté dans les premières voies de sa vocation ; le* pierres du sanctuaire, les memb es du sénat épiscopal, arrachés de leur place et di persés. J’y serai reçu par un troupeau, dont une portion verra en moi un ennemi, au lieu d’y voir un père, tandis que l’autre portion, affligée, redoublera d’attendris ement à ma première vue, et en se hâtant de venir me rendre dépositaire de sa douleur, et témoin de ses larmes, rendra les miennes plu? abondantes et plus amères. C’est pour les temps difficiles que l’esprit de conseil et de force a été mis par la sagesse divine au nombre des dons sacrés qu’elle répand sur un évêque; et il en faut, Messieurs, de la force, pour soutenir l’épreuve que votre as?embiée semble me préparer. Des sentiments réciproques d’affection et de confiance nous avaient unis jusqu’à ces derniers temps, et sans que je sois devenu coupable q m de la seule volonté de ne pas l’être aux yeux de Di* u, vous allez travailler à vou? donner un autre évêque ! Ici, Messieurs, se présente à moi le devoir le plus impérieux de vois instruire. Préposé à votre conduite spirituelle, chargé de répondre de vos âmes à celui par qui j’ai été établi votre pontife — car ce nVst, vous dirai-je, comme saint Paul, et au même titre que lui : « Ni au nom des « hommes, ni par un homme que je suis consti-« tué apôtre, mais par Jésus-Christ et par Dieu *. son père qui l’a ressuscité des morts (i) » — je ne puis me dispenser de vous représenter que vous allez entreprendre sur les droits sacrés du pontife éternel et de son Eglise; porter un coup mortel à la religion, établir un schisme des plus déplorables, vous préparer les regrets et les remords les plus accablants. Je dois vous inviter à considérer que nous ne sommes pas seulement, vous et moi, citoyens et sujets de César, mais que nous sommes marqués d’un autre sceau plus glorieux encore, d’un sceau que nous ne laisserons pas ici-bas avec celui de citoyen, mais qui nous suivra au tribunal du souverain j* ge, du sceau du christianisme. Nous avons, outre la puissance et les lois civiles, une autre puissance à reconnaître, celle de Jésus-Christ et de l’Eglise, et leurs lois à remplir. En vertu de l’autorité de Jésus-Christ et de l’Eglise, je suis devenu votre premier pasteur ; l’Eglise, par le ministère de son chef visible, m’a donné ma mission : elle a établi, par l’organe de mes prédécesseurs ou par le mien, les pasteurs secondaires de mon diocèse; eux