[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790.] 363 L’Assemblée nationale accorde le provisoire à la ville de Saint-Fiour. Le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : 1° Que le département de la Haute-Auvergne est divisé en quatre districts dont tes chefs-lieux sont : Saint-Fiour, Aurillac, Mauriac et Murat, qui sera placé dans celui de Saint-Fiour, sauf au département â proposer à la prochaine législature la suppression du district de Murat, s’il jugeait qu’il n’est ni nécessaire, ni utile à son administration; » 2° Que les séances de l’assemblée du département alterneront entre Saint-Fiour et Aurillac, et que Saint-Fiour aura la première séance; » 3° Que la ville de Salers sera le siège de la jurisdiction du district de Mauriac. » M. Gossin fait ensuite un rapport concernant le département d’Armagnac. M. Long demande que la ville de Gimont ait le tribunal de district et que l’administration soit donnée à File-Jourdain ; il forme la même demande pour Duelan, relativement à Mirande. M. Sentetas demande la question préalable sur cet amendement et la motive sur l’avis unanime des députés. L’amendement est mis aux voix et rejeté. Le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution ; « 1®. Que le département d’Armagnac, dont Auch est le chef-lieu, est divisé en six districts; que les chefs-lieux de ces districts sont les villes d’Auch, Lectoure , Condom, Nogaro, l’Ile-Jourdain et Mirande ; .« 2°. Que le département déterminera s’il convient d’établir, en faveur de Vic-Fesensac, un septième district pour le proposer, le cas échéant, à la seconde législature. » M. Gossin présente ensuite la division des trois départements du Dauphiné et saisit cette occasion pour exprimer les sentiments de reconnaissance que la France doit à cette province. Si l’on réfléchit bien, dit-il, sur l’intérêt des habitants d’un pays de montagnes tel que ceux du Haut-Dauphiné, on sentira que ce qui pourrait leur arriver de plus funeste, serait d’être associés avec ceux d’un pays de plaine ou d’une vallée fertile, telle que celle du Grésivaudan. Ce n’est point la pauvreté qui humilie, qui chagrine le pauvre, c’est la comparaison de sa misère et de ses privations avec le iuxe et les jouissances des riches. Les Français qui habitent le Haut-Dauphiné seront pauvres, actifs, industrieux, et surtout ils seront égaux ; ils aimeront le sol qu’ils auront fécondé par leur travail et leur patience; ils étonneront par la hardiesse de leurs entreprises et par l’étendue de leurs ressources; ils seront heureux par cela même qu’ils seront pauvres et ignorés; ils seront humains et bons, parce qu’ils auront des besoins, et qu’ils apprendront à s’attendrir sur les besoins d’autrui ; ils seront fiers de cette égalité civile et politique qu’ils ont vu naître, qu’ils ont réclamée les premiers; et si nos enfants ou nous-mêmes laissions échapper ce bien précieux, nos neveux iraient le chercher dans les rochers des Alpes ; et la province qui, la première, osa secouer les chaînes du despotisme, qui fit luire aux yeux des Français l’aurore de la liberté, mérite d’en être à jamais l’asile. Un député du Dauphiné , en proposant un amendement au projet de décret proposé par M. le rapporteur, reconnaît la justice de la confiance d’après laquelle l’Assemblée s’en rapporte ordinal rement à l'avis du comité. M. Pison relève une erreur du préopinant, qui avait dit que la majorité de la députation avait décidé pour le plan de division dont le comité croyait devoir s’écarter. L’avis du comité est adopté par le décret qui suit : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis de son comité de constitution, que les trois départements, dans lesquels le Dauphiné est divisé, sont ainsi limités : « 1°. Celui du Nord comprenant Grenoble et Vienne, à l’Ouest, au Nord, au Nord-Est et à l’Est, le sera par les anciennes limites de cette province, jusqu’au grand contrefort qui s’attache à la principale chaîne des Alpes, proche le col de Gali-bier; que, de ce point, la limite suivant la crête du contrefort contournant le Val Godemard, comprendra ou laissera le Bourg-de-Corp, suivant la convenance mutuelle des deux départements limitrophes ; de là elle regagnera le sommet de la chaîne qui sépare le Devolny du Triève ; passant au coi de la Croix-Haute, toujours suivant la crête de la montagne, elle passera entre le Triève d’une part, le Diois et le Vercors, de l’autre; à l’extrémité du Val de Vercors, elle se retournera carrément entre Pont-en-Royans et Saint-Hilaire, entre l’Isère et Saint-Nazaire; elle coupera la route de Romans à Saint-Marcelin, à distance égale de ces deux villes, passera par Montrigaud à l’Est du Grand-Serre, par les clochers de Saint-Barthelemy et de Beaurepaire, el de là viendra s’appuyer au Rhône entre Saint-Rambert et An-dance.” « 2° Les limites du département de l’Ouest comprenant Valence, Romans, Montélimart et la principauté d’Orange, seront au Nord ; celles décrites précédemment pour le département de Grenoble, à l’Ouest; le Rhône, au Sud; les anciennes limites de la province, et celles de la principauté d’Orange, à l’Est; les limites qui séparaient les baronies de l’Election de Gap, et depuis Ville-Vieille, la crête de la montagne jusqu’au col de la Croix-Haute. cc 3° Le troisième département comprenant le reste du Dauphiné, aura pour limites les anciennes limites de cette province, et celles assignées aux deux départements précédents, laissant à tous les trois la liberté de faire errtr’eux des échanges, selon leur convenance mutuelle. » M. Gossin, rapporteur , propose ensuite un décret concernant la division de quelques paroisses entre les départements de l’Angoumois et du Roi-tou ; cet avis est adopté en la forme suivante : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution, que les paroisses de Montjean, la Forêt, celles de Pleuville et d’Abesac, appartiendront â FAngoumois; que celles d’Arsy, Mauzé et Priay, sont au Poitou ; le tout conformément au tracé signé par le comité de constitution. » M. le Président. M. l’évêque d’Autun a la parole pour faire, au nom du comité de consti- 364 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790.] tution , un rapport sur la possession d’état de citoyen actif , réclamée par des juifs portugais établis à Bordeaux. M. de Talleyrand , évêque d'Autun. Les juifs regnicoles, établis à Bordeaux, viennent d’envoyer une députation extraordinaire, avec des pouvoirs constatés et signés par deux cent quinze chefs de leurs maisons. Ces députés ont remis au comité de constitution une adresse pour l’Assemblée nationale, dontnotre devoir est de vous donner connaissance, et sur laquelle, à raison de l’époque prochaine des élections, il nous a paru également juste et convenable que vous prononçassiez incessamment. Les juifs de Bordeaux, ainsi que ceux de Bayonne et d’Avignon, se trouvent dans une position particulière, en sorte que votre décision laissera intact l’ajournement que vous avez prononcé. Cette position les rend étrangers aux observations qui ont été faites dans cette assemblée sur l’état des juifs. Ils n’ont ni lois, ni tribunanx, ni officiers particuliers. Ils jouissent du droit indéfini d’acquérir des immeubles. Ils possèdent toute espèce de propriété. Ils supportent toute imposition sur le même pied que les autres Français. Ils participent au droit de bourgeoisie, assistent dans toutes les occasions aux assemblées publiques comme citoyens et comme négociants ; ils ont concouru en dernier lieu à l'élection des députés à l’Assemblée ; ils servent dans ce moment dans les milices nationales, y occupent des grades, et en remplissent les fonctions sans distinction d’aucun jour de la semaine. Enfin, ce qui nous a paru tout-à-fait décisif, depuis deux cent quarante ans, ils jouissent de tous les droits de régnicoles, en vertu de lettres-patentes légalement enregistrées et renouvelées de règne en règne. Les preuves de tous ces faits nous ont été remises ; elles sont incontestables. Voici les termes des lettres-patentes de 1776 : « Voulons (y est-il dit en parlant des juifs portugais établis à Bordeaux) qu’ils soient traités et regardés, ainsi que nos autres sujets nés en notre royaume, et qu’ils soient réputés tels, tant en jugement que dehors. » Les lettres-patentes de 1780, relatives aux juifs avignonnais établis aussi à Bordeaux, sont plus expressives encore. Ils demandent donc, Messieurs, non pas d’être admis à la participation des droits de citoyen ; mais plutôt d’être maintenus dans la jouissance de ces droits. Leur demande nous a paru parfaitement juste, Vous n’avez point voulu, vous n’avez pas pu priver personne de l’honorable qualité de citoyen à moins qu’il n’eût démérité aux yeux de la nation ; et il est évident que ce serait priver les juifs de Bordeaux que de ne pas la leur reconnaître en ce moment. Votre comité de constitution a donc pensé que, sans rien préjuger sur la question de l’état des juifs, prise dans sa généralité, il était juste et convenable de décréter en ce moment : « Que les juifs à qui les lois anciennes ont accordé la qualité de citoyen, ainsi que ceux qui sont dans une possession immémoriale d’en jouir, la conservent, et, en conséquence, sont citoyens actifs, s’ils réunissent les autres qualités exigées par les décrets de l’Assemblée. » Cette motion excite de vives réclamations. M. Hewbell prend la parole; il est interrompu par des rumeurs. M. le vicomte de IVoailles s’écrie : En 1757, les juifs de Bordeaux ont ouvert une caisse aux officiers de la marine française ; ils ont donné des preuves du plus grand patriotisme, et ce sont de tels citoyens qu’on veut priver de leur état ! M. de la Gralissonnière. Les juifs ont trouvé leur intérêt en agissant ainsi. M. de Fumel. J’assure qu’il existe chez les ministres des preuves de ces actes du patriotisme le plus pur et le plus désintéressé des juifs. M. Ifiewbell. Je croirais manquer à mon devoir si je ne m’opposais pas au projet du comité; c’est une exception très-dangereuse qu’il vous propose; votre décret a ajourné la question de tous les juifs. Ceux de Bordeaux n’ont énoncé qu’un extrait de leurs lettres-patentes, et des lettres isolées de bourgeoisie. Les juifs se sont réunis pour exister en corps de nation séparé des Français ; ils ont un rôle distinct, ils n’ont donc jamais joui de la possession d’état de citoyen actif; d’ailleurs l’exception pour les juifs de Bordeaux entraînerait bientôt la même exception pour les autres juifs du royaume. L’Alsace est inondée de libellistes dont les ennemis publics se servent pour chercher à soulever les peuples, et après votre décret, ils leur diront qu’il existe une confédération des juifs et des agioteurs pour s’emparer de toutes les propriétés ; enfin, si les juifs ne sont pas en possession, un de vos décrets ne la leur donnera pas ; si au contraire, ils sont en possession, ils n’ont pas besoin de vos décrets. Je demande la question préalable. M. de Sè*e. Quand je ne serais pas un des représentants de la province de Guyenne, je me croirais le droit d’être le défenseur d’un peuple malheureux, longtemps opprimé par vos lois civiles, qui a supporté avec la plus longue patience la proscription de presque toutes les nations au milieu desquelles il a vécu. Je me croirais surtout ce droit, au moment où l’on veut ôter l’espèce d’adoucissement à son sort, qu’il a obtenu de la faveur de nos rois ; mais comme représentant de la ville de Bordeaux, c’est un droit et un devoir, parce qu’ils ont influé sur ma nomination. Dépositaire de leurs intérêts, je dois les défendre. D’abord les lettres-patentes qui ont reconnu les juifs en différents temps leur ont donné un des droits les plus précieux des citoyens, celui de posséder des fonds de terre, droit dont ne jouissent pas les juifs alsaciens, et qui est un des premiers pas aux autres droits de cité. Les juifs de Bordeaux ont exercé de plus la plénitude des droits de citoyens actifs, en concourant, comme électeurs, à l’élection des députés de l’Assemblée nationale; et si quelqu’un (l’entre ‘eux ne siège pas dans cette Assemblée, le hasard seul les a privés de cet honneur, que leur patriotisme, si souvent déployé dans toutes les crises de la France, leur eût mérité. Si les juifs n’ont pas occupé à Bordeaux les charges municipales, c’est que jusqu’à présent elles sont concentrées dans trois classes de citoyens ; c’est que tous les non-catholique3 en étaient éloignés par le serment qu’il fallait prêter ; c’est que la raison n’avait pas encore dissipé tous les préjugés, et que les droits de l'homme étaient méconnus.