348 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 115 juillet 1791] qui tiennent au pouvoir constituant, de ceux qui ne sont que du ressort de la puissance législatrice, je demanderais qu’en suspendant la présentation des premiers, pour ne les offrir qu’en une seule et même Charte à l’acceptation, nous ne suspendissions [dus l’exercice de la sanction pour les simples décrets lég slatifs. Nous ne pouvons réunir en nos mains une puissance illimitée ; et les divers pouvoirs doivent reprendre peu à peu leur pla e; autrement ce serait priver la nation de son droit, et la dépouiller de l'appel qui lui appartient et qui lui arrive par la médiation du monarque. Si la sûre'é personnelle du roi et celle de sa famille exigent que sa liberté ne soit pleine et entière qu’après la présentation de la Charte constitutionnelle, hâtons-nous donc de la former. Si des précautions inséparables d'une crise violente et extraordinaire sont nécessaires au maintien de l’ordre, à la paix intérieure et au bonheur même du roi, je me tais alors, forcé de donner des limites à mes propres vœux; mais, du moins, que le Corps législatif, considérant le sort de celui qui l’a réuni, qui lui a donné son existence politique, ose le conso'er par sa confiance, et honorer véritablement la nation française, en soutenant avec courage les droits du peuple intimement unis à ceux du trô ie. Oui, Messieurs, vous avez rendu la nation libre, et ce n’est pas sans danger. 11 vous reste maintenant à rendre libre le monarque; et lorsqu’il n’y aura que des périls pour vous, vous saurez également les attendre et sans doute les surmonter. J’ai adopté tous les principes du rapport présenté par vos comités. QUATRIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE OU VENDREDI 15 JUILLET 1791. Opinion de M. de Curt, député de la Guadeloupe à V Assemblée nationale, sur l’inviolabilité de la personne du roi et l'indivisibilité du trône (l). Pro patrià et rege. Messieurs, La personne du roi est-elle inviolable et sacrée? La personne du roi doit-elle être inviolable et sacrée ? C’est autour de ces deux questions qu’il convient de se ranger. Le devoir et le sentiment y retiennent tout Fi ançais qui veut la monarchie, et qui ne sait pas composer avec ce serment qu’il a prêté à la nation , à la loi et au roi. 11 fut un temps où le peuple français n’eut pas agité de pareilles questions. Egaré aujourd’hui par dis intérêts qui lui sont étrangers, il croit sa liberté menacée par la prérogative royale. Cette erreur ne peut durer qu’un moment. L’inviolabilité de la personne du roi était un principe gravé dans tous les cœurs, avant que le décret du 17 septembre 1789 en eût fait une loi (1) Ce discours était destiné à être prononcé à la tribune; l’Assemblée, impatiente de consacrer ses principes, ferma la discussion avant que l’orateur ne pût obtenir la parole. ( Note de l'opinant .) politique. Ce décret à jamais mémorable ne fut point le fruit de la cabale et de l’intrigue; il ne fut point rendu par une faible majorité,’ il fut l’expression de la volonté générale. Car, Messieurs, l’avis unanime de l’Assemblée ne fut point la volonté présumée de la nation, mais l’exécution littérale de la volonté absolue de la nation, manifestée clairement dans chaque mandat. Il n’est pas inutile de remettre sous vos yeux ce décret important, qui a répondu d’avance à tous les sophismes inventés pour en altérer la lettre et l’esprit. L' Assemblée nationale a reconnu, par acclama' tion,et déclare comme points fondamentaux de la monarchie française , que la personne du roi est inviolable et sacrée, et que le trône est indivisible. Que servirait, Messieurs, de commenter ce décret? Le sentiment et le besoin de la monarchie en posent les bases fondamentales ; le respect pour nos rois légitimes y est commandé par l’intérêt commun, et l’indivisibilité du trône avertit les ambitieux que le peuple français n’eu souffrira jamais la moindre dégradation. Ainsi donc, la personne du roi est inviolable et sacrée ; par la loi constitutionnelle de l’Etat, loi ordonnée par la nation ; loi solennellement jurée le 14 juillet 1790; loi qui prouve que l’Assemblée nationale a été calomniée lorsqu’on lui a prêté l’intention de détruire l’autorité légitime des rois. Mais, dira-t-on, qu’importe que l’inviolabilité existe, si elle ne dût pas exister? C’est ici, Messieurs, que l’intérêt du peuple commence, et je dois prouver que l’inviolabilité absolue d’un seul n’est inventée que pour le bonheur de tous. Ceux que Uon accuse de chercher la liberté politique et individuelle hors de notre Constitution, se défendent pourtant du projet de détruire ia monarchie. Ils avouent que le gouvernement monarchique convient seul à un Etat composé de 25 millions d'âmes, qui est puissance de terre et de mer, qui entretient 150,000 hommes de troupes réglées pour défendre les frontières, qui a besoin de 100,000 hommes de mer et de 80 vaisseaux de ligne pour protéger ses côtej, son commerce et ses possessions éloignées ; ilsdisenten-liu qu’un tel gouvernement, pour êt e libre, doit être composé de deux pouvoirs, l’un législatif, l’aulre exécutif; que l’un et l’autre doivent être inviolables dans leurs fonctions, mais qu’indivi-duellement chaque membre de ses pouvoirs doit être soumis à la loi pour ses actiou'! personnelles. Si cette mesure d’inviolabilité était jamais établie, il n’y aurait bientôt plus de balance entre les pouvoirs, et les plus grands malheurs en seraient la conséquence. Je m’explique. Le roi est un pouvoir établi pour l’exécution de la loi; mais il l’est aussi pour s’opposer, au nom du peuple, aux entreprises du pouvoir législatif. Si sa personne n’est point sacrée, s’il peut jamais être mis en cause, il rentre sous la dépendance du corps qu’il doit surveiller; et dès lors sa puissance n’est plus qu’une chimère ; car, entouré sans cesse de craintes, il doit plus s’occuper de sa sûreté personnelle que de celle du peuple. Ce n’est plus par la justice, la prudence et la fermeté qu’il peut régner, c’est par la politique, l’adresse et la séduction. Ainsi, trop faible pour résister longtemps à la puissance législative, il sera anéanti par elle s’il ne trouve pas bientôt les moyens de la détruire. Alors, Messieurs, l’anarchie ouvre la barrière à tous les factieux. Le peuple, agité en sens contraire, trompé et trahi tour à tour par les pou- 115 juillet 179t.] 349 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. voirs auxquels ii avait confié son bonheur, devient la victime du plus fort, et retrouve le plus odieux esclavage sur les ruines de sa liberté. 11 résulte donc que pour assurer cette liberté précieuse, il faut que le Corps législatif n’ait point le pouvoir de juger la personne, et par conséquent la conduite de celui qui exécute. Sa personne boit être sacrée, parce qu’étant nécessaire à l’Etat pour que le Corps législatif n’y devienne pas tyrannique, dès le moment qu’il serait accusé ou jugé, il n’y aurait plus de liberté. C’est ainsi que s’exprime Montesquieu sur les combiuai--cns politiques des deux pouvoirs dans une monarchie libre. Ce législateur de tous les gouvernements, ce grand homme dont le parlement anglais s’honore d’avouer les maximes, va plus loin encore: Si la puissance exécutrice, dit-il, n’a pas le droit d’arrêter les entreprises du Corps législatif, celui-ci sera despotique ; car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu’il pourra imaginer, il anéantira toutes les autres puissances. Tout se réunit donc pour prouver que l’inviolabilité du roi n’est autre chose que la garantie des droits du peuple, et que l’intérêt de l’un et de l’autre est tellement lié par celte combinaison, que la personne du monarque ne peut cesser un instant d’être sacrée, sans que le peuple soit menacé des plus grands désastres. Je pourrais, Messieurs, citer pour preuve de cette vérité l’exemple de ce qui se passe en France depuis que vous êtes chargés de donner une Constitution nouvelle à ce vaste Empire. Voyez jusqu’à quel point nous avons ( té entraînés par l’incertitude des droits attachés à la royauté. Le fanatisme de la patrie, le choc des résistance s, les craintes exagérées, mille passions, enfin, ont égaré les idées, et vous n’avez pas un moment à perdre pour les fixer, si vous voulez sauver la monarchie et la liberté. Il est temps, Messieurs, d’abandonner la discussion des principes pour en faire l’application. Louis XVI e,-t roi des Français, et par droit de naissance (1) et parla loi fondamentale de l’Etat. Partie intégrante de la Constitution qui est votre ouvrage, il doit la défendre contre les entreprises des législatures à venir. Donc sa personne doit être, comme elle e�t, en effet, inviolable et sacrée. Ici l’on m’arrête pour rappeler le départ du roi, la consternation qui en fut l’effet et la méfiance qui est la suite de cet événement. 11 serait plus digne, sans doute, de la loyauté, de la générosité française de ne pas s’abandonner à l’examen d’une démarche aussi affligeante ; mais la discussion est ouverte, et quand les soupçons s'élèvent, il faut bien ies combattre. Louis XVI allait à Montmédy et ne sortait pas du royaume. Effrayé moins pour ses jours que pour ceux des personnes qui lui sont chères, il voulait, à l’abri des dangers qu’il s’était sans doute exagérés, correspondre avec l’Assemblée nationale sur les moyens d’organiser les pouvoirs et de donner à la loi cette force, cette énergie qui seules peuvent rétablir l’ordre et la paix. Jusque-là, je cherche en vain ce qui a pu faire imaginer une Convention nationale pour juger Louis XVI. Aucune loi n’a regardé une telle conduite comme un délit, et ce que ia loi n’a point déclaré délit, est hors de toute espèce d’atteinte. (1) La couronne est héréditaire dans la race régnante do mâle, par ordre do progéniture. Décret du 17 septembre 1789. Mais Louis XVI avait des vues hostiles... Des vues hostiles à Louis XVI!... Peuple français! est-ce bien à vous qu’on s’adresse pour persuader que le roi avait ce projet détestable. Ah ! quand sa déclaration n’en exprimerait pas formellement le désaveu, quand vous en seriez encore au tourment de l'incertitude, je ne voudrais que vous-mêmes, que vos souvenirs pour détruire à jamais tout soupçon contre les intentions de Louis XVI. A peine monté sur le trône, ce prince a signalé son règne par la suppression do la corvée et l’abolition de la torture. C’est par Louis XVI que la servitude du Mont-Jura a été détruite, que les enrôlements par violence ou par fraude ont été protcrits. C’est sous Louis XVI que les protestants ont recouvré l’état civil, qu’ils n’auraient jamais dû perdre. G’est Louis XVI qui le premier a levé le voile qui dérobait à la nation la véritable situation des finances, et qui, pour la création des assemblées provinciales, a forgé les premières armes dont le peuple sYst �ervi pour détruire les abus de l’administration intérieure du royaume. Louis XVI était alors maître absolu des rênes du gouvernement. Il pouvaitse borner à ces actes de justice et de bienfaisance, mais il voulait commander à un peuple libre. Il convoqua les notables, malgré les dangers qu’on lui fit entrevoir comme une suite inévitable de cette démarche; bientôt après, il se décida à convoquer les Etats généraux, et par la double représentation, il mit le peuple en force pour abolir les usurpations, et rentrer dans ses droits et dans sa liberté. Peuple français ! peuple reconnaissant et sensible ! il suffit de vous rappeler tant de bienfaits, tant de vertus, pour ramener votre opinion en faveur du caractère moral du roi et pour vous tranquilliser sur les suites de son voyage. En vain voudrait-on perpétuer votre erreur. Elle cesseratôtou tard, et si vos représentants étaient assez faibles pour porter une loi de circonstance contre ce prince malheureux, vous les puniriez un jour d’avoir abusé des pouvoirs que vous leur avez délégués, non pour céder à des factions passagères, mais pour assurer les principes, au péril même de leur vie. Et vous, Messieurs, vous qui, depuis deux ans, avez montré tant de courage et de patriotisme, vous qui, dans ce moment, tenez le destin de la Révolution, il est bien doux de lire dans votre contenance noble et fière le sentiment qui vous anime tous. L’histoire conservera précieusement les principaux traits de votre caractère politique, et vos neveux, s’arrêtant avec complaisance sur les époques les plus glorieuses de vos fonctions, célébreront votre dévouement au Jeu de paume, pour soutenir l s droits du peuple, et votre dévouement à Paris, pour maintenir les droits du roi. Je conclus, au nom de la Constituion française, au maintien du décret du 17 septembre 1789 sur l’inviolabilité de la personne sacrée du roi et l’indivisibilité du trône.