SÉANCE DU 7 FRIMAIRE AN III (27 NOVEMBRE 1794) - Nos 10-13 245 puissez vos lois dans la nature, elle ne vous trompera jamais, tout ce qui n’est pas elle, est erreur et mensonge. Maintenez le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix, dans des mains pures, il fait la sûreté du peuple et la terreur de ses ennemis. Restez à votre poste jusqu’à cette même époque pour assurer à jamais le bonheur d’une nation qui servira un jour de modèle à tous les peuples de l’Europe. Quant à nous, nous ne cesserons de nous occuper des intérêts de la république et d’inspirer aux habitans de notre commune une confiance entière dans le loyauté de la Nation française et dans les principes de justice qui dirigent la Convention, nous espérons montrer par nos actions et par notre conduite, que nous sommes dignes du nom français. Aucun sacrifice, aucunes privations ne nous coûteront et quelque soit le sort qui nous attend, nous jurons que nos senti-mens seront invariables pour la République, et que notre dernier soupir sera pour elle. Les maire, officiers municipaux et conseil général de la commune de Mons. Charles Wolff, maire et 19 autres signatures. 10 Le citoyen Turgard, agent national de la commune de Louviers, département de l’Eure, père de famille et peu fortuné, mais jaloux de contribuer de tout son pouvoir à la liquidation de la dette publique, fait l’abandon, au bénéficie de la République, de deux offices de perruquier dont il est propriétaire. Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoi au comité des Finances (44). 11 Le citoyen Gurgez, ex-Minime, ci-devant administrateur à Roche, district de Besançon, département du Doubs, fait don à la patrie, du capital d’une rente viagère de 600 liv. et de deux années d’arrérages de ladite rente. Mention honorable, insertion au bulletin et renvoi au comité des Finances (45). 12 Les républicains de la société populaire de Sancoins, département du Cher, remercient la Convention nationale d’avoir mis toutes les vertus à l’ordre du jour, et (44) P.-V., L, 136. Bull., 10 frim. (suppl.). (45) P.-V., L, 136. Bull., 10 frim. (suppl.). applaudissent aux opérations du représentant du peuple Cherrier. Mention honorable, insertion au bulletin (46). [Les républicains de Sancoins composant la société populaire à la Convention nationale, Sancoins, le 15 brumaire an III] (47) Représentons d’un Grand Peuple, Lorsque vous avez mis la probité et la justice à l’ordre du jour, vous avez sauvé la république. Lorsque vous avez envoyé dans les départe-mens des représentans justes et vertueux, vous avez fait tant de conquêtes sur les cœurs, que nos armées sur les esclaves des tirans. Les nôtres ont toujours été à vous. Le passage de votre collègue Cherrier dans ce district, y a répandu la joie la plus vive, et la sensibilité la plus marquée. Elles étoient gravées dans les âmes et peintes sur tous les visages, jamais jour de fête ne fut plus célébré. Il a su réunir la fermeté à la douceur, l’humanité à la justice, et en rendant à leurs familles, à leurs concitoyens, des individus détenus, les cris réitérés de Vive la République, vive la Convention, se sont fait entendre de toutes parts, et ont manifestés les transports de l’allégresse générale. Ce digne représentant, vous dira sans doute, quels sont les sentimens qui nous animent, toujours fermes dans nos principes, fidels observateurs des lois, nous avons applaudis vivement à votre adresse au peuple français. Nous n’aurons jamais d’autre guide que la justice, et d’autre point de ralliement que la Convention, des républicains purs ne peuvent dévier. Vive la République, vive la Convention. Suivent 83 signatures. 13 La municipalité de Visan, département de Vaucluse, applaudit à la journée du 10 thermidor, à l’Adresse au peuple français et au décret sur les sociétés populaires. Elle fait l’éloge des opérations du représentant du peuple Goupilleau [de Montaigu], et prie la Convention de proroger sa mission dans le département de Vaucluse. Mention honorable, insertion au bulletin (48). [La municipalité de Visan à la Convention nationale, Visan, le 16 brumaire an III] (49) (46) P.-V., L, 136. (47) C 328 (2), pl. 1457, p. 2. (48) P.-V., L, 137. (49) C 328 (1), pl. 1447, p. 20. 246 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Citoyens représentons, Vous avez dans les immortelles journées des 9 et 10 thermidor arraché encore une fois le peuple français à l’esclavage, grâces immortelles vous en soient rendues, vous nous avez tracé la route, c’est à nous de la suivre, nous vous promettons de vous seconder. Le tyran n’est plus, mais ses partisans existent encore, mais ces contrées fourmillent encore de chauds amis de Robespierre et des Payans. Trop longtemps, ils ont abusé le peuple sous le masque de patriote dont ils se couvraient, eux qui n’eurent jamais que le vol et le crime en partage; leur règne est passé, ils en enragent, le peuple est là, débout pour leur demander des comptes de leur conduire et ils sentent la nécessité de l’abuser pour le tromper encore, et avoir par là l’impunité de leurs forfaits, il n’est point de forme qu’ils ne prennent, point des moyens qu’ils n’employent, pour nous fasciner les yeux et nous faire retomber dans le piège ; mais ne craignez rien, le prestige n’est plus, le voile est arraché, ils restent nus à nos yeux, nous les voyons avec toute leur difformité, nous les surveillerons. Parce que nous avons eu le courage de dénoncer au représentant du peuple Goupilleau, un des plus forcenés scélérats de ces contrées, qui pour notre malheur à pris naissance dans cette commune ; déjà l’on distille contre nous le poison de la calomnie, faibles reptiles, ils s’agitent sur la tombe de Robespierre, ils évoquent son ombre, mais en vain ; toujours fermes dans les principes, nous les ferons connoître, nous dévoilerons leur turpitude. Votre adresse au peuple français vient de leur porter le dernier coup et d’augmenter notre courage et notre confiance. Par votre décret sur les sociétés populaires, vous leur enlevez leur dernière ressource sur laquelle ils comptoient, leurs moyens sont nuis, puisqu’ils ne pourront plus abuser le peuple, au nom et sous le masque du peuple même ; ils ne pourront donc plus se soustraire à l’œil vigilant qui les poursuit, ils expieront leurs forfaits, ils regorgeront tout le sang dont ils se sont abreuvés, et c’est à vous, intègres législateurs, que nous devons notre bonheur et le salut de la République. Il nous reste encore des remerciemens à vous faire, une grâce à vous demander, nos maux étoient à leur comble, vous nous avez envoyé le sage Goupilleau, il n’y a pas de bien qu’il ne nous aye fait, il essuye nos larmes, il en tarit la source, mais sa mission va finir, lorsqu’à peine nos playes commencoient à se cicatriser. Représen-tans, laissez nous notre père, nous osons assurer qu’il a bien mérité de la patrie pendant sa mission dans ce département, Nous vous demandons encore avec instance d’établir un tribunal pour réviser les sentences iniques de celui qui pendant six décades a épouvanté et dépeuplé ces contrées, le sang des meilleurs patriotes, des plus innocentes victimes vous crie vengeance, des veuves éplorées, des orphelins dans le deuil et la misère, réclament puissemment justice. Restez à votre poste, dignes représentans, achevez y l’édifice de notre bonheur, soyez toujours surs de trouver en nous de zélés déffen-seurs de vos droits. Vive la République, vive la Convention. Taulier, président, Prat, Vigne, Doux, Gras, Cave, officiers municipaux, Gourgonier, agent national, Bonnet, secrétaire-greffier. t Adresse de la municipalité de Visan au public impartial, s.cf.] (50) Les agitateurs, les fripons, les tyrans de chaque pays distillent dans ce moment leur venin sur la municipalité de Visan au sujet de l’arrestation de leur complice Jean-André-Michel Esteve. Coupables des mêmes crimes, craignant le même sort, ils intriguent, ils se débattent en cent façons différentes pour le soustraire au juste châtiment qui l’attend, et c’est moins l’intérêt qu’ils prennent à lui que les fait agir (car les méchans ne s’aiment, ni se s’estiment) que la crainte que ce ne soit ici un signal et un avertissement pour chaque commune de traiter de même les despotes et les voleurs, qui, dans ces derniers temps surtout, les ont pillées et réduites en esclavage. Vous avez beau faire, scélérats, le temps est venu où l’on va vous demander compte de vos comportemens scandaleux. Nouvel Hercule, la Convention nationale a porté la lumière dans ces antres ténébreux des modernes Cacus. Ils auront beau s’envelopper d’une épaisse fumée; en vain recourront-ils à leur art ordinaire, à la calomnie, à la fourberie, au mensonge ; en vain se masqueront-ils encore d’un faux patriotisme et d’une apparence de vertu démentie par leur vie entière. L’inévitable moment de la vengeance est enfin arrivé, et bientôt le cri puissant de guerre à mort à toutes les espèces de tyrannies et d’hypocrisie, parti du sein de la Convention, retentissant jusques dans le plus petit hameau de la République, les fera pâlir d’effroi et accélérera leur perte. Sans doute que la Municipalité de Visan, trop au-dessus des vains bruits disséminés sur sa conduite à l’égard de cet Esteve, aurait pu attendre en silence la justification de la sentence qui interviendra. Sans doute qu’elle prend ici une peine mutile, et qu’en désignant simplement cet individu comme le chef de ce qu’on appeloit si improprement dans chaque pays, les patriotes, elle l’auroit suffisamment signalé comme un tyran et un fripon. Elle ne descend point ici dans l’arêne avec lui ; elle l’a livré au tribunal; une audition de 80 témoins suffit pour le faire connoître ; et si elle veut bien, dans cet exposé, dévoiler ses motifs, et devancer par écrit le jugement qu’on doit porter de lui, c’est que jalouse, peut-être avec excès, de l’honneur que lui a mérité sa conduite ferme, courageuse, et surtout humaine dans ces derniers temps, elle veut faire taire les sifflemens (50) C 328 (1), pl. 1447, p. 21. 12 pages imprimées. SÉANCE DU 7 FRIMAIRE AN III (27 NOVEMBRE 1794) - N° 13 247 des reptiles, et conserver dans l’opinion publique la place qu’elle a su y gagner. Elle présente donc Esteve comme le tyran de sa commune; et c’est ce que dépose le 45ème témoin, son confrère au comité, en ces termes : « Le déclarant étant membre du Comité de surveillance de ce canton, a toujours vu que ledit Esteve voulait primer sur ses confrères, et qu’il a très souvent pris des vivacités pour engager le Comité à prendre des arrêtés relatifs à ses intentions. » Le 54ème témoin s’exprime ainsi : « Ledit Esteve étoit si absolu dans ses sentimens, qu’il vexoit tout le monde par ses menaces. » Le 59ème dépose que «toutes les fois qu’il a assisté aux séances de la Société, il a entendu parler Esteve d’une manière indécente, scandaleuse, menaçant bien des personnes de la guillotine pendant tout le temps qu’elle a été en exercice à Orange. » Le 60ème : « Qu’il a entendu Esteve parler à la tribune continuellement d’une manière scandaleuse, et jamais que par menaces ; qu’ils exerçoit audit Visan un despotisme absolu, et tracassoit tout le monde en général, personne n’étant à l’abri de sa mauvaise langue. » Le 62ème. « Ledit Esteve agissoit dans Visan en véritable despote, et lorsqu’il étoit à la tribune de la Société populaire, il n’y faisoit que crier et menacer, et que par-là, plutôt que de faire aimer la révolution, il la faisoit destester. » Le 65ème dit: «qu’elle a toujours regardé Esteve, ainsi que tout le public, comme un despote, ne faisant jamais que menacer tout le monde, et donnant des marques du plus grand despotisme, et qu’au lieu de faire aimer la révolution, il la faisoit haïr par le despotisme qu’il exerçoit sur tout le monde. » Le 68ème : « Qu’Esteve avoit l’art d’épouvanter tout le monde, et faire faire ce qu’il vouloit ..... Ajoutant, qu’il se comportoit en vrai despote, et qu’il étoit très dangereux de ne pas céder à sa volonté, attendu les liaisons qu’il avoit au-dehors avec des gens puissans, notamment avec les Payans dont il avoit fait voir des lettres au déclarant. » Le 71ème et autres s’expriment à peu près dans les mêmes termes. La Municipalité de Visan présente encore Esteve comme un contre-révolutionnaire par la correspondance qu’il entretenoit avec les fameux Robespierre et Payan. Jusqu’au moment de la découverte de l’horrible complot qui devoit couvrir la France entière d’un crêpe funèbre et l’inonder de sang, Esteve auroit pu alléguer pour excuse qu’il avoit été trompé par l’hypocrisie de ces profonds machina-teurs. Mais persister, après leur supplice, dans les mêmes dispositions à leur égard, est de sa part la preuve la plus complète qu’il étoit initié depuis longtemps dans leurs abominables complots. C’est une question de savoir s’il a été plus méchant qu’imbécile dans la conduite qu’il a tenue à l’égard de ces scélérats après leur chûte. Écoutons dans la déposition du 2ème témoin, celle de 70 autres au moins, de la procédure. Il déclare donc « qu’étant dans une séance de la Société populaire, il fut lu par le citoyen Sauvageon, à la tribune, un journal qui apprenoit que la conspiration de Robespierre et de ses complices avoit été découverte, et qu’ils en avoient été punis. Ensuite ledit Esteve ayant la parole, dit que les personnes qui se réjouiroient d’une pareille nouvelle seroient punis.... Et que ledit Esteve, dépose encore le même, s’étoit plaint d’une manière montée, de ce que ledit Sauvageon, avoit lu cette nouvelle avec trop de satisfaction et de zèle. » Anecdote confirmée encore par plusieurs autres témoins, qui lui avoient entendu dire la même chose. Au reste, ce langage lui a été commun, avec tous les meneurs de chaque commune du district. Presque tous les témoins déposent, qu’il fit délibérer, à la Société, une adresse de remerciement et de félicitation audit Payan ; qu’il s’en fit nomme rédacteur ; qu’il voulut faire jurer de soutenir, au péril de sa vie, Robespierre et Payan, et qu’il prête lui-même ce serment, en vociférant, selon sa coutume. Il a traité les journées des 9 et 10 thermidor de trahison, 34ème témoin. Elle l’accuse encore d’une profonde immoralité, et de corrompre les mœurs de ses concitoyens. Vingt témoins déposent l’avoir entendu parler à la tribune de manière scandaleuse ; mais le 62ème entrant dans des détails personnels, dit qu’un jour il entra chez elle, et que la trouvant seule, il employa d’abord des paroles séduisantes, ensuite les offres d’argent et de nipes, et qu’il finit par vouloir user de la force ; qu’alors « elle ramassa toutes les siennes, en sorte qu’il ne put venir à bout de ses desseins criminels, et qu’un de ses frères étant rentré, heureusement pour elle, Esteve sortit et ne revint plus. » Ce témoin est une fille de 19 ans. En voici un second de 20, car il les faut jeunes à cet effronté libertin. Celle-ci dépose donc que «le Sycophante voulut l’embrasser, et lui demanda des faveurs qu’on n’accorde que de gré à gré, mais qu’elle le repoussa d’une manière très forte, et qu’alors Esteve lui dit, qu’elle tenoit de l’Ancien Régime, et qu’une bonne patriote ne devoit rien refuser à cm bon républicain comme lui. » Ce même propos se trouve consigné dans une autre déposition. Dans quel Code Esteve a-t-il trouvé la séduction et le libertinage autorisé ? Ce n’est sûrement pas dans le nouveau Code des Français. Ce tyran éhonté, cet homme corrompu, avoit-il du moins de la probité ? C’est ce que vont nous apprendre les témoins entendus sur ce fait. Le 8ème, femme du séquestre de Pellissier-la-Coste, émigré, déclare: «qu’Esteve, après avoir fait la vente des effets de la maison de cet émigré, en qualité de commissaire du district ad hoc, se fit livrer par le séquestre trois garde-pailles qui étoient restées, disant qu’il en avoit fourni à la commune, et qu’il garderoit ces trois là en nantissement. » Le 9ème, séquestre de la maison de Chancel, détenu à Orange, et depuis supplicié, dépose qu’Esteve, alors administrateur au district d’Orange, accompagné de Fauvin, juge de paix, 248 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE enleva plusieurs scellés de ladite maison, prit plusieurs nappes, un surplis de mousseline et plusieurs rideaux d’indienne; et se disposant, ledit Esteve à les emporter, le déclarant lui observa qu’il ne pouvoit rien laisser prendre, attendu qu’il étoit responsable de tout ce qui s’y trouvoit. A quoi Esteve répondit que cela ne le regardoit pas, et qu’il ne devoit pas s’embarrasser de ce qu’il prenoit, et ledit Esteve, malgré tout ce qu’il put lui dire, enleva les objets susdits, auquel enlèvement le déclarant n’osa pas donner des suites, attendu le crédit dudit Esteve, et le pouvoir absolu dont il usoit dans la commune, et la crainte où étoit le déclarant d’être persécuté par cet homme. Déclare encore que ledit Esteve et Fauvin, juge de paix, ont été plusieurs fois dans ladite maison, où ils ont enlevés les scellés et remis ensuite. La déposition du I2ème témoin, quoique longue, est trop précieuse pour n’être pas retranscrite tout au long en ce qu’elle démontre jusqu’à l’évidence la tyrannie et les extorsions qu’exerçoit Esteve dans le pays qu’il maîtrisoit. Ce témoin déclare donc «qu’environ le premier floréal, sur des menaces qui furent faites par Esteve, par le canal de Flauvin, au déclarant, que si Pellissier, son maître, ne lui payoit pas 480 livres qu’il prétendoit lui être dues par lui, il lui en mésarriveroit, et que ledit Pellissier ne pourrait acheter sa tranquillité et la sûreté qu’à ce prix, et quoique le déclarant sût positivement que Pellisier ne lui devoit rien pour le lui avoir dit en plusieurs occasions, et notamment dans un voyage qu’il avoit fait depuis peu à Arène où il réside ; le déclarant compta audit Estève la susdite somme le 3 floréal dernier, et s’en fit faire un acquit, qu’il a en mains. Ajoutant ledit déclarant que dans le voyage qu’il fit à Arène, ledit Pellissier, son maître, lui dit qu’il pouvoit donner audit Esteve tout ce qu’il lui demanderait, pour lui procurer la sûreté. Qu’environ un mois et demi après ledit Esteve fit demander par ledit Flauvin au déclarant des meubles de la maison dudit Pellissier, dont il est concierge, consistant en un matelas, une couverture piquée de soie jaune, une glace et six chaises façonnées peintes en vert, que le déclarant refusant d’abord, mais ledit Fauvin qui en avoit fait la demande de la part d’Esteve, lui ayant conseillé de les donner, en l’assurant que ledit Esteve, qui étoit un coquin, serait capable de faire arrêter Pellissier ; alors le déclarant, pour éviter à son maître d’être chagriné, plaça dans le vestibule d’en bas de la maison dudit Pellisier les susdits effets, en remit la clef à Fauvin, qu’il fut l’ouvrir, et ledit Esteve fit prendre le tout bien avant dans la nuit. Que le surlendemain que ledit Esteve eut pris lesdits effets, ledit Fauvin rapporta au déclarant que ledit Esteve ayant été peu content du matelas, l’avoit traité d’aristocrate, de foutu coquin, et l’avoit menacé de le faire incarcérer sur ce qu’il lui avoit donné un matelas qui n’étoit pas assez bon et qui n’étoit pas présentable à un homme comme lui. Sur quoi le déclarant ayant fait dire à Esteve par Fauvin d’en venir choisir un meilleur ; peu de jours après ledit Esteve vint en choisir un pendant le jour, qu’il vint prendre ensuite lui-même, nuitamment avec un traversin et deux grands draps fins. Qu’environ le 15 messidor ledit Fauvin dit au déclarant qu’Esteve n’étoit pas content de tout ce qui lui avoit été remis, et qu’il demandoit mille livres qu’il falloit lui donner parce que c’étoit un vrai coquin, et qu’alors le déclarant se trouvant en main de l’argent appartenant audit Pellissier, remit lesdites mille livres audit Fauvin, lequel quelques jours après assura les avoir donné audit Esteve, lequel lui avoit recommandé de n’en rien dire. Déclarant encore que dans une autre occasion ledit Esteve fut seul à la maison de Pellissier et demanda au déclarant de lui remettre des effets dont il avoit besoin; qu’il les choisit effectivement, et les mit en particulier ; consistant cesdits effets, autant qu’il peut s’en rappeler, en un cabaret, des tasses à café, sucrier en terre de pipe, plusieurs plats de fayance, assiettes, vases de nuit, iine casserole de cuivre, deux compotiers verre de Bohème ; quatre supports de bouteille, un huilier en verre, et autres objets que la mémoire ne lui fournit pas; lesquels effets, Esteve bien ensuite prendre entre onze heures et minuit. Que vers la fin de messidor, Esteve, accompagné de Fauvin, se porta à la maison Pellissier, et lui dit impérieusement que quoi qu’il eût reçu 480 liv., il n’étoit pas content pour cela, parce que les intérêts de cette somme lui étoient dus, et qu’il eût à donner, en compensation, des linges et des effets, à quoi le déclarant répondit : vous êtes raisonnable, prenez tout ce que vous voudrez; et le déclarant ayant ouvert des garde-robes, ledit Esteve prit environ vingt-deux draps de lit fins, trois ou quatre douzaines de serviettes très fines, plusieurs nappes, deux grands rideaux formant un ht, en serge filoselle vert, deux rideaux de mousseline, une couverture en coton damassée, blanche; et ensuite Esteve fit un paquet du tout et le descendit dans le sallon, où étant, le déclarant dit audit Esteve : voila un bien gros paquet ; si Pellissier retourne dans sa maison, en ouvrant les placards et garde-robes, il me demandera où est passé son linge et ses effets : que devrais-je lui répondre ? Je serai forcé de lui dire que vous en avez ; à quoi ledit Esteve lui répondit qu’il se ferait faire une attestation à Pellissier comme il les lui avoit donnés. Il pressa même le déclarant à en prendre lui-même, en récompense des services qu’il lui avoit rendus, et qu’il valoit bien mieux qu’il en profitât que la nation; ce que ledit Esteve disoit aussi pour lui-même, et il vint ensuite à son ordinaire dans la nuit, prendre ledit paquet, sans en rien retrancher. Déclarant de plus, que le 27 thermidor, Esteve fut le trouver dans le jardin dudit Pellissier, et qu’il lui dit de lui remettre six chaises et une paillasse, qu’il lui remit en effet, et qu’il vint prendre dans la nuit. Déclare enfin que Fauvin lui a dit, sur la fin de thermidor, qu’Esteve vouloit le charger d’une procuration pour faire échange d’une terre considérable dudit Pellissier, avec une autre de peu de valeur dudit Esteve ; que dans l’acte on stipulerait que Pellissier aurait reçu le montant de la SÉANCE DU 7 FRIMAIRE AN III (27 NOVEMBRE 1794) - N° 13 249 plus-value, quoique ledit Esteve ne l’eût pas compté ; qu’il tiendoit cet acte caché, qu’il ne le montreroit, et en feroit usage que lorsque Pellis-sier auroit été guillotiné (51), et avant qu’on ne séquestrât ses biens, pour frustrer la nation de la terre baillée en échange à lui Esteve. Flauvin ajouta qu’il n’avoit pas voulu se charger de cette procuration, parce qu’il voyait que c’étoit une véritable friponnerie et coquinerie manifeste de la part d’Esteve. Cette déposition se trouve fortifiée par celle du 40ème témoin, envoyé comme exprès et à l’insu du témoin précédent, à Pellissier avec une lettre de Fauvin et une seconde d’Esteve. A la réception des lettres, Pellissier s’écria: «mais que me demandent ces gens là, ils veulent toujours que je leur donne de l’argent, ne leur ai-je pas assez donné ? Je ne leur dois rien. » Cependant après que le calme de la nuit eut appaisé chez Pellissier les flots de bile que les demandes aussi multipliées avoient soulevé, il dit au déposant: «qu’il n’avoit pas d’argent mais que son concierge à Visan, donneroit ce qu’il faut. Et en effet, il lui remit une lettre pour ce concierge. » A l’arrivée de l’exprès, Fauvin et Esteve s’en-quirent avec inquiétude si Pellissier n’avoit remis qu’une simple lettre. Mais il faut entendre Fauvin lui-même, 68ème témoin ses dépositions sont exactement les mêmes que celles du concierge. On voit un homme tremblant devant le despote Esteve, se prêtant, quoiqu’à regret, à tous ses caprices et toutes ces escroqueries. Il ouvre lui-même les scellés de chez le supplicié Chancel pour laisser prendre à Esteve des chandeliers de cuivre et autres effets que Chancel avoit volé à la confrérie des Pénitens, et que le consciencieux Esteve veut restituer à la nation. Il conseille au concierge de Pellissier de satisfaire aux demandes d’Esteve, vu le crédit dudit Esteve, et le danger qu’il y auroit de la désobliger. Il écrit à Pellissier, dont il se dit l’ami, de faire tous les sacrifices possibles, pour se mettre à l’abri des persécutions de ses ennemis : il ajoute que ledit Esteve se comportoit en vrai despote, et qu’il étoit très dangereux de ne pas céder à sa volonté, attendu la liaison qu’il avoit au-dehors avec des gens puissans, et notamment avec les Payans, dont il lui avoit fait voir des lettres. Cependant cet agent si complaisant se refuse à la proposition d’Esteve «de se charger de sa procuration pour se rendre auprès de Pellissier à l’effet de conformer un échange qu’Esteve vou-loit faire avec ce dernier, d’un fond d’environ 300 liv. pour un autre que Pellissier avoit dans cette commune de la valeur au moins de 4 000 liv. qu’il devoit tenir caché, pour ne le monter que lorsque Pellissier auroit été guillotiné. » Tout étoit de bonne prise pour ce voleur public; et les effets tant nationaux que particuliers ornoient et meubloient sa maison. Le (51) En bas de page : Pellissier n’étoit pas arrêté, et il ne l’a jamais été. On parloit donc prématurément de son supplice, comme d’une chose arrangée d’avance. Je le crois bien, Pellissier jouit d’une fortune au-dessus de quinze mille livres, et c’étoit assez pour être supplicié. 73ème témoin, requis par la municipalité, se transporte chez Esteve et reconnoit aux fenêtres de la chambre de ce dernier, deux rideaux qu’elle-même avoit faits et placés dans la chapelle de Notre-Dame des Sept Douleurs, dont la déclarante étoit prieure. Le 76ème déclare «qu’il y a environ dix mois, Esteve demande au nommé Doux les clefs de l’église de la congrégation des hommes ; que les ayant reçues il fut avec ledit Doux dans cette église, qu’il y prit des tapisseries d’indienne, disant: «ni plus, ni moins on les prendroit, ainsi je vais les emporter », ce qu’il fit. Le 49ème, «qu’Esteve lui ayant marchandé l’herbe de son pré, et n’ayant pas été d’accord, l’herbe n’en fut pas moins coupée et emportée, ajoutant qu’elle n’a jamais été payée du montant, et qu’elle n’a jamais osé en demander le paiement à Esteve, parce qu’elle le craignoit trop, malgré le grand besoin qu’elle avoit de cette somme, et que ledit Esteve ne lui en a jamais parlé. » Une foule d’autres témoins déposent qu’on lui a entendu dire en tribune, et ailleurs, que les biens nationaux n’étoient que pour les patriotes, et que si ce qu’il appeloit les aristocrates se pré-sentoient à Orange aux enchères, ils seroient maltraités d’importance. Les 14ème et 15ème, l’un cultivateur, l’autre chapelier, se trouvant à Orange un jour d’enchère, furent rencontrés par Esteve, qui dit au premier : «jean foutre d’aristocrate que viens-tu faire ici, tu viens troubler les enchères, si tu ne t’en vas pas, je te ferai foutre en prison». Il menaça le second d’emprisonnement s’il ne remettoit, à un de ses protégés, une portion du bien qui venoit de lui être adjugé. Le 39ème, expert nommé par Esteve lui-même, commissaire du District pour estimer et mesurer les biens des dominicains, ayant fait l’estime selon ses connoissances, fut invité, ainsi que son collègue, qui l’a de même déclaré, à en faire une seconde moins forte pour Esteve. Cette seconde ne lui ayant pas paru assez basse pour ses vues intéressées, il en fit faire une troisième, et comme celle-ci étoit encore trop forte à son gré, il en requis une quatrième, sous peine d’être regardés comme suspects, à quoi ces experts répondirent : « qu’on pouvoit les regarder comme l’on voudroit mais qu’ils ne pouvoient agir contre leur conscience.» Nous n’aurions peint encore ce monstre qu’en profit, si nous ne le montrions aussi cruel que brigand et contre-révolutionnaire. La citoyenne Seguin, que ses vertus et son étendue bienfaisante rendent chère à toute la commune, doit-elle paroître au fatal tribunal d’Orange? C’est Esteve, comme nous l’apprend le 3ème témoin qui «fait la liste des témoins, invitant même ses collègues à aller à Orange déposer contre elle, en leur disant qu’ils seront payés. » Le 16ème ajoute « qu’ayant été à Orange pour faire sa déclaration contre la Seguin, Esteve lui dit dans la salle même d’audience : on vous interrogera, soyez ferme et n’ayez point peur»; et lorsque le témoin eut fait sa déclaration, il lui dit «vous n’avez pas été ferme» et lorsqu’Esteve eut fait la sienne, il se leva avec un air joyeux, en disant : «je l’ai bien habillée. » 250 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE C’est à présent à vous, âmes honnêtes et sensibles, que s’adresse la municipalité de Visan. Dédaignant le vain bruit que font les complices du scélérat qu’elle poursuit, et reposant à la vérité sur la pureté de ses motifs et sur la justice du Tribunal qui doit la juger. Elle est pourtant trop jalouse de votre estime et de votre approbation pour souffrir la moindre incertitude dans l’opinion que vous vous formerez d’elle en attendant le jugement. Elle a donc voulu vous éclairer, elle a voulu vous faire connoître un de ces hommes dont les pareils vous ont tant fait souffrir; car quel est le pays de cette vaste et infortunée contrée qui n’a pas eu les siens? Elle a voulu vous donner un grand exemple, un exemple nécessaire. Quoi ! notre sang et nos trésors auront coulés pour assouvir les haines et la rapacité de quelques monstres, qui du sein de la fange, se sont tout à coup élevés sur nos têtes? Nous aurons échappés à tous les périls d’une révolution, pour nous voir enchaîner par des misérables qui, avant cette époque, venoient humblement nous demander l’aumône! Arbitres trop longtemps de nos vies et de nos fortunes, ils auront conduits nos proches à l’échaffaud ; un miracle, disons mieux, le courage de la Convention, nous en auront nous-mêmes à peine garantis, et nous balancerons à repousser sur leur tête coupable le fer homicide qu’ils destinoient à la notre ! De vaines considérations, de plus vaines terreurs, une miséricorde déplacée, des idées d’une fausse générosité suspendront les effets d’une juste vengeance ! Ils jouiront en paix du fruit de leurs rapines! Ils compteront encore, ils désigneront leurs victimes dans le fol espoir qu’ils ne cessent de nourrir d’une réaction des immortelles journées des 9 et 10 thermidor ! Ah ! Patriotes de ces journées mémorables, vous qui nourrissez exclusivement le feu divin du vrai patriotisme, ne le souffrez pas; démasquez les traîtres, éteignez tous les genres de despotisme, étouffez-en jusqu’au dernier germe: qu’ils tremblent à leur tour ceux qui ont répandu si longtemps parmi vous l’effroi et la terreur : livrez-les à la rigueur vengeresse des lois, et que leur chûte annonce à l’Europe étonnée de nos succès et de nos ressources, que la Nation française est digne encore de lui donner des leçons de vertu, comme elle ne cesse de luis en donner de courage et d’héroïsme. Nota : La fortune d’Esteve avant la Révolution, étoit d’environ 8 à 10 mille livres. Elle a augmenté de plus de deux tiers depuis trois ans, quoiqu’il ait cessé toute espèce de travail, et qu’il ait vécu splendidement, passant son temps en voyages, ou dans les cabarets. Taulier, président, Prat, E. Vigne, J.F. Doux, Gras, Cave, officiers municipaux, GOURGONIER, agent national, BONET, secrétaire-greffier. 14 L’agent national près le district d’Avignon [Vaucluse], annonce à la Convention nationale que ses derniers délégués dans les contrées du Midi ont déjoué les complots liberticides des agens scélérats de Robespierre. Il invite la Convention à prolonger la mission des représentons Goupilleau [de Montaigu], Perrin, Auguis et Serres, qui jouissent de la confiance générale du Midi de la France. Mention honorable, insertion au bulletin (52). [L’agent national près le district d’Avignon à la Convention nationale, Avignon, le 16 brumaire an III\ (53) Législateurs, Les horreurs commises dans le midi et dont Bédoin et Orange ont été principalement le théâtre sous le règne sanglant du Cromwell moderne, ont déjà justement provoqué toute votre indignation. La scélératesse des égorgeurs de ces païs n’est pas moins atroce que celle des noyeurs de Nantes, même esprit et même caractère, mêmes principes et même acharnement contre les citoyens riches ou vertueux. Toujours en proye à des secousses violentes, toujours agitée et troublée, tantôt par le fédéralisme, par l’intrigue et la scélératesse, qui mènent à la contre-révolution, cette malheureuse contrée respire à peine et commence à jouir de la tranquilité. L’aurore de son bonheur est votre ouvrage, oui, citoyens représentans, vos dignes collègues animés du même esprit que vous, ont par l’énergie déjoué dans les départements méridionaux les complots liberticides des agents scélérats de Robespierre, et comprimé les conspirations et les conspirateurs. Tous les véritables amis de la chose publique sont les vœux les plus ardents pour que le reste impur de ces buveurs de sang tombe bientôt sous le glaive de la loi, et ne souille plus de leur criminelle existence le sol de la Répubbque, alors la paix sera durable et consolidée, et le trône de la vertu sera aussi inébranlable que celuy de la République. Mais pour parvenir à ces précieux effets et perfectionner un aussi grand ouvrage confié à vos collègues et dont ils ont déjà jetté de si solides fondemens, le terme de leur mission est trop court. Goupilleau, Perrin, Auguis et Serre réunissent la confiance générale du midi, et si les intri-gans et les scéllérats les abhorent et osent les dénoncer aux Jacobins, c’est parce qu’ils ne voyent dans ces vertueux mandataires du peuple, que des destructeurs actifs de leurs rapines et de leurs concussions. Prolongés donc, citoyens législateurs, le terme de leur mission et vous prolongerés les sentimens de notre reconnoissance ; bien loin d’avoir à (52) P.-V., L, 137. (53) C 328 (1), pl. 1447, p. 19.