[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 17 brumaire an 11 7 novembre 1793 550 l’erreur de bonne foi, et qui dit qu’il est dé¬ trompé aujourd’hui, ne peut parler sincèrement. Léonard Bourdon. J’observe au préopinant que l’erreur dans laquelle ont été les prê¬ tres, était chez la plupart un effet des préju¬ gés dans lesquels ils étaient nourris depuis leur enfance. Aujourd’hui, ils ouvrent les yeux, c’est l’effet de l’opinion publique fortement pro¬ noncée. Je demande que le traitement qu’a le curé lui soit conservé comme pension. Thuriot. Je me réjouis de voir chaque jour la raison et la philosophie venir briser sur l’autel de la patrie les hochets de la supers¬ tition; mais cet hommage rendu à la vérité, ne doit pas nuire à l’intérêt national. Applau¬ dissons à l’homme qui abjure l’erreur, aimons à croire que bientôt on ne verra dans les lieux publics que des citoyens prêchant la morale de la raison. Je demande le renvoi de cette lettre au comité des finances. Le renvoi est décrété. Le Président fait lecture d’une lettre à lui adressée par les autorités constituées du dépar¬ tement et de la commune de Paris, dont la teneur suit : « Citoyen Président, « Les autorités constituées de Paris précèdent dans votre sein le ci-devant évêque de Paris, et son ci-devant clergé, qui viennent, de leur propre mouvement, rendre à la raison et à la justice éternelle un hommage éclatant et sincère. » « Signé : Chaumette, Momoro, président par intérim, Luliek, procureur général du département de Paris, Pache. » Elles demandent l’admission. (Accordé.) Momoro, président de la députation, dit : « Citoyens législateurs, « L’évêque de Paris et plusieurs autres prêtres, conduits par la raison, viennent dans votre sein se dépouiller du caractère que leur avait imprimé la superstition; ce grand exemple, nous n’en doutons pas, sera imité par leurs collègues. C’est ainsi que les fauteurs du despotisme en devien¬ dront les destructeurs; c’est ainsi que dans peu la République française n’aura plus d’autre culte que celui de la liberté, de l’égalité et de la vérité : culte puisé dans le sein de la nature, et qui, grâce à vos travaux, sera bientôt le culte universel. » a Signé : Momoro, président par intérim . » Gobet, évêque de Paris, prie les représentants du peuple d’entendre sa déclaration : « Né plébéien, j’eus de bonne heure dans l’âme les principes de la liberté et de l’égalité. Appelé à l’Assemblée constituante par le vœu de mes concitoyens, je n’attendis pas la déclaration des droits de l’homme pour reconnaître la souverai¬ neté du peuple. J’eus plus d’une occasion de faire publiquement ma profession de foi politique à cet égard, et depuis ce moment toutes mes opi¬ nions ont été rangées sous ce grand régulateur. Depuis ce moment la volonté du peuple souve¬ rain est devenue ma loi suprême, mon premier devoir, ma soumission à ses ordres : c’est cette volonté qui m’avait élevé au siège de l’évêché de Paris, et qui m’avait appelé en même temps à trois autres. J’ai obéi en acceptant celui de cette grande cité, et ma conscience me dit qu’en me rendant au vœu du peuple du département de Paris, je ne l’ai pas trompé; que je n’ai em¬ ployé l’ascendant que pouvait me donner mon titre et ma place, qu’à augmenter en lui son attachement aux principes éternels de la liberté, de l’égalité et de la morale, bases nécessaires de toute Constitution vraiment républicaine. « Aujourd’hui que la Révolution marche à grands pas vers une fin heureuse, puisqu’elle emmène toutes les opinions à un seul centre poli¬ tique, aujourd’hui qu’il ne doit plus y avoir d’autre culte public et national que celui de la liberté et de la sainte égalité, parce que le souve¬ rain le veut ainsi; conséquent à mes principes, je me soumets à sa volonté, et je viens vous déclarer ici hautement que dès aujourd’hui je renonce à exercer mes fonctions de ministre du culte catholique; les citoyens mes vicaires ici présents se réunissent à moi : en conséquence, nous vous remettons tous nos titres. « Puisse cet exemple servir à consolider le règne de la liberté et de l’égalité : « Vive la République! » « Signé : Gobet, Denoux, Laborey, De¬ lacroix, Lambert, Priqueler, Voi-sard, Boulliot, Gênais, Deslandes, Dherbès, Martin, dit Saint-Martin. » « Je déclare que mes lettres de prêtrise n’étant pas en mon pouvoir, je les remettrai dès que je les aurai reçues. « Telmon. » « Je fais la même déclaration et je signe. « Nourmatre. » Les mots de : « Vive la République! » ont été 1 répétés par tous les spectateurs et les membres de la Convention, au milieu des plus vifs applau¬ dissements. Chaumette, procureur de la commune de Paris, a dit : « Le jour où la raison reprend son empire mérite une place dans les brillantes époques de la Révolution française. Je fais en ce moment la pétition que la Convention charge son comité d’instruction publique de donner dans le nou¬ veau calendrier une place au jour de la Raison. » Cette proposition, convertie en motion, est décrétée. Le curé de Vaugirard a dit « Revenu des pré¬ jugés que le fanatisme avait mis dans mon cœur et dans mon esprit, je dépose mes lettres de prê¬ trise. » Le Président a répondu : « Citoyens, « Parmi les droits naturels à l’homme, on dis¬ tingue la liberté de l’exercice des cultes; il était [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. im 551 essentiel qu’elle fût consacrée dans la Déclara¬ tion des droits de l’homme et du citoyen que le peuple français vient de proclamer; ses représen¬ tante l’ont fait. C’est un hommage rendu à la raison pour ses efforts constante. « La Constitution vous a donc garanti ce libre exercice des cultes, et sous cette garantie solen¬ nelle, éclairés par la raison et bravant des pré¬ jugés anciens, vous venez de vous élever à cette hauteur de la Révolution où la philosophie vous attendait. Citoyens, vous avez fait un grand pas vers le bonheur commun. « D était sans doute réservé aux habitante de Paris de donner encore ce grand exemple à la République entière; là, commencera le triomphe de la raison. « Vous venez aussi déposer sur l’autel de la patrie ces boîtes gothiques que la crédulité de nos ancêtres avait consacrées à la superstition : vous abjurez des abus trop longtemps propagés au sein du meilleur des peuples. La récompense de ce sacrifice se retrouvera dans le bonheur pur dont vous allez jouir, sous la plus belle Constitution du monde, au sein d’un État libre et dégagé de pré¬ jugés. « Ne nous le dissimulons pas, citoyens, ces hochets insultaient à l’Etre suprême au nom du¬ quel on les entretenait; ils ne pouvaient servir à son culte puisqu’il n’exige que la pratique des vertus sociales et morales; telle est sa religion, il ne veut de culte que celui de la raison, il n’en prescrit pas d’autre, et ce sera désormais la reli¬ gion nationale. » « La Convention accepte vos offrandes, elle applaudit aux sentiments que vous venez d’ex¬ primer, et vous invite à assister à sa séance. » Les citoyens qui sont à la barre sont accueillis avec transport par les représentants du peuple au milieu des cris de : « Vive la République! » Gobet dépose sur l’autel de la patrie sa c?oix et son anneau; Denoux, son premier vicaire, dé¬ pose 3 médailles aux effigies des ci-devant rois. Plusieurs membres demandent que le Prési¬ dent donne l’accolade à l’évêque de Paris. Le Président observe que d’aprè3 l’abjuration qui vient d’être faite, l’évêque de Paris est un être de raison : « Mais je vais, dit-il, embrasser Gobet. » (On applaudit.) � Le ci-devant évêque, le bonnet de la liberté sur la tête, accompagné de Chaumette, reçoit, au milieu des acclamations du peuple, l’accolade du Président. Plusieurs prêtres, membres de la Convention, se précipitent à la tribune. Coupé (de VOise> , ci-devant curé de Sermaize, près de Noyon, dit : « Je n’ai point apporté dans l’Assemblée des représentante du , peuple d’autre caractère ni d’autre esprit que celui d’homme libre et de ci¬ toyen. Cependant, à la vue du renoncement so¬ lennel que l’évêque de Paris et ses vicaires épis¬ copaux viennent de faire ici, je dois me rappeler que j’ai aussi été curé à la campagne. « Je me suis comporté avec probité dans une portion congrue, et dans un temps où d’ailleurs toutes les lois en faisaient un état louable et bien¬ faisant. « Je dois déclarer à la Convention nationale que depuis quelque temps j’en ai quitté le titre et les fonctions, et que je ne suis plus qu’un simple citoyen. « Il me reste ici une chose à faire : c’est de lui déclarer encore que je renonce à la pension que la nation nous laissait espérer. Quoique âgé et sans fortune, je ne veux pas être à charge à mes concitoyens ; j’ai toujours vécu de mon travail; je veux continuer à plus forte raison sous la République, et donner encore cet exemple à nos successeurs lorsque je sortirai du Sénat national. « Signé : J.-M. Coupé (de VOise), ci-devant curé de Sermaize, près de Noyon. Ce discours a été vivement applaudi. Lindei, ci-devant évêque du département de l’Eure, a dit : « Je n’ai point à rougir aux yeux de la nation du charlatanisme ou du fanatisme religieux, je n’ai employé les moyens de la religion que pour contribuer au bonheur de mes concitoyens. La morale que j’ai prêchée sera celle de tous les temps. Je n’ai accepté l’évêché de l’Eure dans des moments difficiles que parce que je pouvais servir la Révolution. Dès 1789, j’avais professé l’incompatibilité des fonctions du culte avec les fonctions civiles. Fidèle à mes principes, j’ai donné ma démission de cet évêché dans l’assem¬ blée électorale qui m’a nommé à la Convention nationale. On ne l’accepta pas alors. Tous les habitants de l’Eure sont témoins de ce que j’ai fait pour combattre le fanatisme, le fédéralisme, le royalisme. La seule ville d’Evreux a été ébran¬ lée par les déclamations de quelques scélérats échappés du sein de cette Assemblée, J’ai été en butte à la fureur de leurs complices, mais j’ai contribué à garantir le reste du département de la séduction. J’ai la satisfaction de pouvoir annoncer à la Convention nationale que les mi¬ nistres employés au culte dans la ville d’Evreux et dans tout le département, ont été fidèles à maintenir les principes de la République, qu’ils ont propagé les lumières de la raison, et qu’ils ont mérité la proscription des fédéralistes. La reli¬ gion de la loi sera celle de tout le département de l’Eure. Depuis longtemps, j’y ai dit avec succès que la cause de Dieu ne devait pas être une occa¬ sion de guerre entre les hommes, que chaque ci¬ toyen devait se regarder comme le prêtre de sa famille en la formant à toutes les vertus sociales. Toute la République sait que j’ai été le premier des évêques qui ai osé, par un grand exemple, détruire les préjugés superstitieux. « Lorsque l’abdication des prêtres avait quelque danger, les prêtres devaient s’empresser de së foire citoyens. La volonté du peuple annonce que