[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 septembre 1790.] lugubres des cachots, j’ai tenté de reconstruire l’image de ce tombeau des vivants. Je me propose d’en envoyer aux 83 départements, et aux sections de la capitale : déjà plusieurs municipalités m’honorent des vestiges qui leur en sont parvenus; l’Angleterre elle-même y attache un prix naturel à des âmes fortes et libres. On dirait que la chute de la Bastille est consacrée par les vœux des peuples, comme un événement qui les concerne tous également. Ce sont autant d’hommages à la liberté, en attendant que le Français lui élève une statue digne de lui. Que ne puis-je un jour moi-même y contribuer 1 « Une observation peut-être digne de votre attention, Messieurs, c’est de voir le portrait du meilleur des rois, gravé sur ces mêmes pierres où se sont meurtries dans l’horreur des cachots tant de victimes infortunées. « La bienfaisance et l’amour de mes semblables m’ont engagé à cette entreprise, autant que le zèle de la liberté. Une multitude d’artistes, des pères de familles sans occupations, ont trouvé et trouvent encore dans ces nouveaux travaux ce qui peut servir à alimenter leur patriotisme, par le spectacle continuel de cette Bastille si longtemps l’effroi de l’innocence et l’appui du pouvoir arbitraire. « A cette récompense qui ne peut échapper à l’homme qui a eu le bonheur d’être utile, daignez, Messieurs, y en ajouter une autre qui me sera toujours chère, l’espérance que l’offre de mes travaux ne vous aura point déplu. On pouvais-je mieux placer les débris de la servitude française, que dans l’auguste sénat où la liberté prit naissance au milieu des lois que vous préparez à la nation et aux siècles à venir? » M. Titon-Bergeras, l’un de MM. de la garde nationale, qui accompagnent M. Palioy, prononce ensuite le discours suivant : « Messieurs, l’hommage que M. Palioy a l’honneur de vous offrir, doit vous être précieux. Ce monument construit, d’après le plan exact de l’ancienne Bastille, doit rappeler à tous les Français patriotes, que nous sommes libres, et que sans liberté il n’est point de bonheur. Nos lois ne seront plus désormais le fruit du despotisme; l’homme sage vivra tranquille dans ses foyers ; l’interprète des lois et le chef des armées n’auront plus à redouter ces ministres absolus qui disposaient à leur gré du sort des citoyens, quand ils n’avaient la faiblesse de se courber sous leur joug, ou de ramper comme de vils esclaves, auprès de ces malheureux esclaves eux-mêmes de quiconque savait les flatter. « Leur autorité est renversée, les murs de cette horrible Bastille sont détruits, ses chaînes sont brisées, ses guichets, ses verroux sont rompus, et ses cachots souterrains, comblés de ces débris, ne verront plus gémir l’innocence opprimée par ces hommes pervers et tyranniques, qui sacrifiaient tout impunément à leur haine et à leur ambition. « Il ne leur resie plus aujourd’hui que le remords des victimes qu’ils ont immolées, ou la rage de ne pouvoir plus commettre des forfaits. « Assez longtemps, Messieurs, nous avons souffert ces actes de despotisme; assez longtemps nous avons supporté le fardeau accablant d’une poignée d’individus, qui s'étaient élevés parmi nous, et qui, sous le vain titre de nobles, prétendaient exclusivement au droit de nous commander. « Le temps est venu, où le Français a senti qu’il était homme, et qu’il devait, en cette qualité, jouir des droits que la nature lui donne ; c’est à vous, Messieurs, à consolider, par votre fermeté et votre patriotisme, cette mutation si désirée et si nécessaire, et à apprendre à la postérité, par l’exemple de vos vertus, que si la tyrannie fait des esclaves, la liberté fait de bons citoyens. « Puisse cette nation immense, qui renait de ses cendres, reprendre sa première splendeur 1 « Puissent, Messieurs, vos sages décrets opérer la régénération de tous les peuples de la terre 1 « Puisse enfin le nom français, d’un bout du monde à l’autre, devenir à jamais le synonyme de la liberté! » M. le Président répond : « Le don que vous présentez à l’Assemblée nationale, et que vous destinez aux différents départements, est celui d’un artiste citoyen. L’Assemblée voit avec plaisir la représentation de ce château, qui a été effacé de la terre sous les premiers pas de la liberté ; c’est lui rappeler ses propres trophées et ceux des courageux habitants de cette cité. Elle apprécie votre offrande, ainsi que l’idée ingénieuse et sensible qui la recommande, et vous invite à sa séance. » M. Darnaudat. Je demande que les discours qui viennent d’être prononcés soient insérés en entier au procès-verbal. (Cette motion est adoptée.) M. de.Mirabeau l’aîné entre dans la salle. L(Assemblée passe immédiatement à son ordre du jour, qui est l 'affaire de M. Riquetti le jeune , ci-devant vicomte de Mirabeau. Le comité des rapports propose le projet de décret qui suit : « L’Assemblée nationale décrète qu’il y a lieu à accusation contre le sieur Riquetti le jeune; elle renvoie l’instruction et le jugement de l’accusation contre lui intentée à un conseil de guerre; elle supplie le roi de donner les ordres nécessaires pour l’exécution de son décret. » M. Riquetti l’aîné , ci-devant de Mirabeau. Lorsque je demandais que l’affaire de M. Riquetti le jeune fût ajournée, c’était moins pour entrer dans les détails de cette affaire que pour former et donner mon opinion personnelle. L’intérêt personnel de mon frère est que sa cause soit jugée par un conseil de guerre, qui pourra décider, avec équité, jusqu’à quel point l’agresseur peut excuser la conduite de l’offensé , et quel est l’agresseur , d’un régiment rebelle ou d’un colonel qui veut le maintenir dans le devoir. M. Riquetti le jeune, ayantdonné sa démission, ne doit plus jouir des immunités de cette Assemblée ; il n’est plus votre justiciable; vous n’êtes pas libres d’accepter ou de refuser sa démission ; vous ne pouvez forcer un homme à exercer des fonctions dont il veut se démettre : je demande qu’attendu la démission de M. Riquetti le jeune, l’Assemblée nationale décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Alexandre de Eameth.M. Riquetti le jeune a été dénoncé pour un délit à l’Assemblée dont il était membre ; c’est au moment où vous allez prononcer sur son affaire qu’il donne sa démission. Vous avez refusé cette démission ; les tribunaux ne pourraient donc pas informer contre lui; ce qui nécessite de la part de l’Assemblée un décret formel qui lève son inviolabilité. M. d’Estourmel. La démission a été donnée. [3 septembre 1790.] [Assemblée nationale.] Si le procès-verbal n’en a pas fait mention, tant pis, car il est inexact et il devait le faire. Il est constant que la lettre a été lue dans l’Assemblée. On ne peut affirmer qu’elle n’est pas connue. M. Le Chapelier. L’Assemblée a été saisie de l’affaire de M. Riquetti le jeune ; elle s’est réservé, par un décret, de prononcer sur cette affaire : l’Assemblée n’a pas formellement accepté la démission de M. Riquetti le jeune, parce qu’elle est irrégulière et accompagnée de protestations. M. Riquetti est accusé d’avoir excité l’insubordination de son régiment ; ainsi donc, quand même vous ne le regarderiez plus comme député, vous pourriez charger votre président de le faire juger par un conseil de guerre. Yoici le décret que je propose : « L’Assemblée nationale, ouï son comité des rapports, a décrété que son président se retirera par devers le roi, pour le supplier de nommer un conseil de guerre, auquel sera soumis l’examen et le jugement de la conduite du régiment de Touraine, et de M. de Mirabeau, colonel de ce régiment. » M. l’abbé Manry. La question se réduit à trois points : 1° La démission de M. de Mirabeau le jeune est-elle valide? 2° Le droit qu’on attribue à l’Assemblée de juger, s’il y a lieu ou non à accusation, est-il certain? 3° Quand l’Assemblée nationale aurait ce droit, devrait-elle l’exercer ? Premièrement, rien ne peut obliger un membre d’un corps quelconque à rester attaché à ce corps; autrement il n’est pas libre; ce principe est incontestable : la démission de M. de Mirabeau le jeune est donc valide. Secondement , si l’Assemblée pouvait juger un membre qui s’est validement démis, elle commettrait un acte de tyrannie, elle ferait une absurdité. La démission dépouille du caractère de député ; l’inviolabilité n’est attachée qu’à ce caractère. Si après la démission elle existait encore, elle appartiendrait donc à la personne. Or, rien n’est plus absurde, donc on ne peut exercer, en faveur de la personne de M. de Mirabeau le jeune, un droit qui n’est attaché qu’au caractère dont il s’est dépouillé; donc l’Assemblée n’a pas le droit certain de juger s’il y a lieu à accusation. Troisièmement, le droit de juger s’il y a lieu à accusation ne pourrait être qu'un droit de faveur et de protection. Or, ce droit exercé contre un membre ui s’est démis deviendrait un véritable acte 'oppression. Les juges ne sont-ils pas disposés à trouver coupable celui que ses pairs auraient regardé comme pouvant l’être ? Donc l’Assemblée, quand elle aurait le droit de juger s’il y a lieu à accusation, ne devrait pas exercer ce droit. M. Maurissart. Un suppléant est prêt à remplacer M. Riquetti le jeune. Si l’Assemblée s'attribue le droit de retenir ses membres malgré eux, elle altère les principes de la représentation nationale; elle a aussi le pouvoir d’exclure ses membres, et le droit des suppléants devient illusoire. La discussion est fermée. La priorité est accordée au projet de décret du comité. Ce projet est adopté. M. le Président lève la séance à neuf heures et demie. m ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE JESSÉ. Séance du vendredi 3 septembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Gillet de La Jacqueminière, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier soir jeudi. Ce procès-verbal est adopté. M. le Président fait donner lecture d’une note de M. le garde des sceaux, qui annonce la sanction donnée par le roi aux décrets suivants : 1° Au décret de l’Assemblée nationale, du 20 janvier dernier, portant abolition et suppression du régime prohibitif et des dépenses des haras ; 2° Au décret du 21 août, relatif aux réclamations élevées contre le3 droits de navigation exclusive, concédés ci-devant aux bélandriers de Dunkerque et aux bateliers de Gondé ; 3° Et au décret du 27, portant que les citoyens d’Avignon détenus, depuis le 12 juin, dans les prisons d’Orange seront provisoirement élargis. M. Dinochean, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier 2 septembre, au matin. Il ne se produit aucune réclamation. M. Millet de La Mambre, député de Sedan , demande un congé de quelques jours pour affaires importantes. M. Quatrefages de La Roqnette, député de Nîmes , demande également à s’absenter pour quelque temps. Ges congés sont accordés. M. Vieillard, député de Coutances, rend compte, au nom du comité des rapports, d’une arrestation illégale faite par la municipalité de Marnoz, du sieur Pillot, ci-devant seigneur, et du sieur Sail-lard, son agent, actuellement détenus dans les prisons de Salins. Le rapporteur propose un décret pour faire rendre la liberté aux deux détenus et pour im-prouver la conduite de la municipalité de Marnoz. M. Merlin. L’Assemblée nationale a établi une hiérarchie de pouvoir; il est temps de l’observer: s’il y a quelque plainte à formuler contre une municipalité, elle doit être adressée au directoire de district et successivement au directoire de département. L’Assemblée ne doit intervenir que s’il y a déni de leur part. Je demande la •question préalable sur le projet de décret. M. Démeunier. Les principes sur lesquels M. Merlin vient d’appuyer sa proposition sont incontestables. Cependant il s’agit dans l’espèce des citoyens arbitrairement détenus ; c’est pour ce motif que je propose de renvoyer l’affaire au tribunal de Salins pour y être statué sur l’élar-33 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I" Série. T. XVIII. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.