600 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir. Quelques membres demandent qu’il y soit expressément dit que les troubles, qui se sont manifestés dans la séance d’bier au soir, sont partis du côté droit. Quelques membres du côté droit réclament contre cet avis. M. Goupil de Préfeln regarde les mouvements élevés hier par une partie de l’Assemblée, comme le fruit d’un concert très condamnable, puisqu’il est clair qu’il est guidé par un esprit de sédition. 11 pense que les noms des insurgés devraient toujours être dans le procès-verbal. M. le marquis de Bonnay croit, au contraire, qu’il n’est ni de la politique, ni de la sagesse de rAssemblée, de désigner, lorsqu’il s’agit d’un trouble quelconque, non seulement la droite ou la gauche, mais même un côlé de la salle. Il demande qu’il soit dit seulement qu’une partie de l’Assemblée a murmuré contre telle ou telle chose. La discussion se termine là; rien n’est arrêté sur cet objet, c’est-à-dire qu’il est seulement dit dans le procès-verbal un côté , sans désigner si c’est le droit ou le gauche. M. le due d ’ Aiguillon. En décrétant, il y a environ un mois, les articles de la constitution militaire, vous décrétâtes, comme principe, qu’aucun militaire ne pourrait être destitué de son emploi sans un jugement préalable. La rédaction de ce principe en forme de décret fut renvoyée à votre comité, pour vous être ensuite soumise : cette rédaction ne vous a point été présentée, et je demande que l’Assemblée ordonne qu’elle lui soit bientôt présentée. (L’Assemblée ordonne que ce rapport lui sera présenté lundi prochain.) M. le marquis d’Estourmel expose que plusieurs municipalités s’opposent à ce que les seigneurs voyers fassent abattre et enlever les arbres plantés le long des chemins, sur les places publiques, flegars, wareschais, et que comme cet objet est important, surtout dans les provinces qui manquaient de bois, telles que le Cambrésis et la Picardie, il demande que les comités d’agriculture et de féodalité se concertent ensemble pour proposer sous huitaine un décret. La motion de M. d’Estourmel est adoptée. L’Assemblée renvoie ensuite à jeudi prochain un rapport sur les classes de la marine. L'ordre du jour appelle d'abord la discussion du projet de décret concernant la vente des biens domaniaux et ecclésiastiques. M. le duc de la Rochefoucauld, au nom du comité des douze, chargé de l’aliénation des biens ecclésiastiques et domaniaux, fait ce rapport et dit : Le commencement des opérations dont vous ayez chargé votre comité pour l’aliénation des biens domaniaux et ecclésiasiiques, a été un f eu retardé par le délai qu’a éprouvé la nomination des commissaires de la ville de Paris; mais il est actuellement eu plein travail avec eux et pourra bientôt vous soumettre le plan du traité à faire tant avec la ville de Paris qu’avec les autres municipalités du royaume, et celui des conditions qui devront régler les traités entre les municipalités qui auront acquis directement, et celles à qui, conformément à votre décret, elles devront céder des parties de leurs acquisitions. Il a cru devoir commencer par assurer le paiement exact des obligations qui seront le gage des assignats et donner aux autres municipalités l’exemple de celle de Paris qui sera la première à traiter ;il a trouvé dans les propositions qui vous ont été faites par le bureau de la ville, l’idée d’un emprunt de 711,000,000, qui assurerait, dans tous les cas, l’acquittement àépoques fixes des premiers termes de ces obligations; il a donc proposé aux commissaires de la commune l’assurance d’une soumission à cet égard, comme une condition préalable. Les citoyens de la capitale qui, après avoir conquis les premiers la liberté, se feront toujours gloire de contribuer par tous les moyens à la maintenir et à assurer sa constitution, sentent combien il est intéressant dedonner à la confiance les bases les plus solides; tel a été le motif qui a dicté leur vœu pour l’acquisition, par les municipalités, des biens domamaux et ecclésiastiques; la soumission nécessaire sera donc fournie exactement; nous pouvons en assurer l’Assemblée nationale; mais on ne peut traiter en règle que d’après l’autorisation qu'elle voudra bien donner. Nous vous proposons, en conséquence, le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il est important d’assurer le paiement, à époque fixe, des obligations municipales, qui doivent être le gage des assignats, décrète : « Que toutes les municipalités qui voudront, en vertu des précédents décrets, acquérir des biens domaniaux et ecclésiastiques, dont la vente est ordonnée, devront préalablement au traité devente, soumettre au comité chargé par l’Assemblée de l’aliénation de ces biens, les moyens qu’elles auront pour garantir l’acquittement de leurs obligations aux termes qui seront convenus; « Qu’en conséquence, la commune de Paris sera tenuede fournir une soumission de capitalistes solvables et accrédités, qui s’engageront à faire les fonds dont elle aurait besoin pour l’acquittement de ses premières obligations, jusqu’à concurrence de 70 millions, et qu’elle est autorisée à traiter des conditions de cette soumission, à la charge d’obtenir l’approbation de l’Assemblée nationale. » M. le comte de Toustain de AI ray (1). Messieurs, le plan proposé par la municipalité de Paris, exige, par son importance, d’être examiné sous tous les rapports. Quand vous avez déclaré les biens du clergé à la disposition de la nation, vous n’avez eu en vue que le bien général et le salut de la chose publique; il faut donc pour vous renfermer dans vos principes, et remplir vos intentions, donner le plus grand cours à cette source salutaire dont vous avez rompu la digue et la faire tourner au profit de l’Etat. Je crois le projet proposé par la municipalité de Paris vicieux en bien des points. Comment concevoir une municipalité qui achète des biens de la nation et veut s’attribuer isolément un seizième pour son propre compte! c’est évidemment une (1) La motion de M. de Toustain de Viray n’a pas été insérée a\i Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] 601 diminution pour la masse générale. Gomment proposer de créer de nouveaux billets et les mettre en circulation dans un moment de crise où la crainte et la méfiance se sontemparées de tous les esprits ! Gomment donner à ces assignats un intérêt de 4 0/0 par le moyen des primes, tandis que la nature des biens qu’il représente ne rapporte rien, on très peu de chose, puisqu’ils consistent, pour la plus grande partie, en surfaces de terrains et en bâtiments dans la ville de Paris, qui ne se loueront pas et exigeront des réparations! Voilà donc une diminution sur les fonds jusqu’au moment de la vente; et il est certain que, par ce moyen, la dette augmentera etyous jettera dans de nouveaux embarras, puisque, indépendamment des pertes certaines que je viens de mettre sous vos yeux, la ville de Paris vous propose de faire un emprunt jusqu’à concurrence du tiers de la valeur de ces biens, ce qui serait évidemment une charge de plus pour la nation. J’avoue que ce nouveau mode présenté pour libérer l’Etat, ne me paraît pas admissible, et je crois qu’il aurait un effet contraire. En tout, ce projet est sujet à bien des chances; la série des articles est trop compliquée et son exécution confiée en trop de mains, pour ne pas craindre la diversité d’opinions. D’ailleurs, comment, avec le sage et patriotique progrès d’éteindre la dette publique, peut-on s’égarer au point de recourir à un emprunt, et faire supporter une rente à des assignats étayés sur des vrais hypothèques et sur la garantie de la nation Comment ne pas s’apercevoir que ce serait aggraver la dette de l’Etat, en lui faisant payer l'intérêt de l’intérêt, puisqu’une partie de la dette consiste dans des rentes dues ou arriérées? Méfions-nous, Messieurs, de ces élans de patriotisme que nous ressentons tous et qui nous font saisir avec vivacité les lueurs du bien public qu’on nous fait entrevoir dans le lointain. Je crois devoir vous communiquer un autre plan : je rie prétends pas m’en faire un mérite; il n’est ni nouveau, ni compliqué; le bon sens seul suffit pour l’apprécier : je voudrais donc, puisqu’il s'agit de libérer l’Eiat, que l’on ne s’arrêtât pas à de si petits moyens, et que l’on donnât plus de latitude à cette ressource immense qui est dans vos mains; je voudrais que l’on créât d’abord pour six cents millions d’assignats sur les biens du domaine et du clergé, en sus des quatre cents millions que vous avez déjà décrétés, de manière que la totalité se montât à un milliard, lesquels assignats ne porteraient point intérêt, et ne seraient point mis en circulation forcée, mais avec lesquels on rembourserait, sur-le-champ, les anticipations et les dettes portant les gros intérêts : par ce moyen le Trésor public se trouverait soulagé, dès ce moment et à jamais, de soixante millions à payer de moins. Cette opération exige en même temps que vous déclariez irréfragablement que ces seuls assignats seront reçus en paiement des biens mis en vente, et que même l’argent comptant n’y sera pas admis: il faudra ordonner etan-noncer que ces assignats seront brûlés aussitôt qu’ils rentreront, et prendre pour cela les précautions les plus sûres. Mais les capitalistes, sur quiseuls cette opération frappera, diront : Vous avez mis notre créance sous ta loyauté et la garantie de la nation ; vous nous donnez des assignats dont nous ne pouvons pas faire d’autre usage que pour acheter des biens du domaine et du clergé ; nous ne sommes pas dans l’intention d’en acheter; vous manquez à votre parole ; je leur répondrai : non, je ne prétends pas forcer votre intention, la mienne est de remplir sévèrement mes engagements. Je vous ai promis la garantie de votre créance, je vous donne dèsce moment une hypothèque assurée; vos assi-gnatsontseuls ledroit de représenter le prix de ces biens, et s’ils ne sont pas à votre convenance, il est incontestable que ceux qui seront dans l’intention d’en acheter, seront forcés de prendre vos assignats puisqu’ils n’auront pas d’autres moyens de payer; dès lors, vos assignats ne sont plus des effets fictifs, ils deviennent les signes représentatifs de la valeur deces biens, ils ont une véritable valeur, et je tiens ma parole. Mais, me diront-ils encore, vous nous donnez en paiement des assignats qui ue portent point intérêt ; je leur répondrai : que de sages législateurs doivent se conduire d’après les principes de la saine morale; et que, sous ce point de vue, ce qui est l’effet représentatif de l’argent ne doit pas porter intérêt. Je les inviterai, d’ailleurs, d’oublierun moment qu’ils sont capitalistes et de s’honorer de leur titre de citoyen, ce sera ma dernière réponse, et je ne crains pas qu’ils cherchent à la combattre . Je crois maintenant devoir répondre aux objections de ceux qui répète sans cesse qu’on ne trouvera point d’acquéreurs ; que la crainte du peu de solidité de ces ventes agitera tous les esprits, et que, d’ailleurs, la multiplicité de ces biens mis en vente forcera de les abandonner à un vil prix. Je répondrai d’abord, que la crainte de ne pas trouver d’acquéreurs se détruit par le motif d’intérêt qui doit nécessairement animer les porteurs d’assignats pour ne pas laisser leurs fonds dans une stagnation funeste ; et de plus, il est incontestable que cette opération sera un moyen sûr de porter la vente de ces biens à leur juste valeur. On me dira encore: vous diminuez la masse des biens du clergé, qui seul était le gage des frais du culte, de l’entretien de ses ministres et du soulagement des pauvres ; dès lors, plus d’hypothèque assurée: je répondrai qu’un bon père de famillequia beaucoup d’enfants et qui setrouvesurchargé ne dettes doit, en sage économe, commencer par se libérer, voiren grand et mettre de l’ordre dans ses affaires ; sans quoi toute sa fortune est en péril. Les biens du clergé sont à la disposition delà nation ; ses ministres, ainsi que les pauvres, en qualité de citoyens, sont les enfants de l’Etat ; il faut donc suivre la même marche. Etcomment ne pas concevoir qu’une grande famille diminuant la masse de ses dettes, tous les membres qui la composent acquièrent une certitude sur la portion qui leur revient 1 Si mon patriotisme m’a égaré, le motif mérite de l’indulgence. Je soumets mes idées à l’Assemblée. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, considérant la nécessité indispensable et urgente de mettre de l’ordre dans les finances, a cru devoir employer les moyens les plus sages et les plus prompts pour diminuer le fardeau de la dette de l’Etat qui pèse sur le peuple, et lui enlève une partie de son nécessaire pour fournir aux intérêtsde cette somme; en conséquence, elle a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Il sera vendu par les municipalités, sous la direction des départements, pour 600 millions des biens du domaine et du clergé, en sus des 400 millions déjà décrétés, de manière que la