754 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1T89.J [Assemblée nationale.] de ses facultés et la détresse occasionnée par une année désastrueuse, ne lui permettent pas d'offrir une somme plus considérable. On donne lecture d’une adresse des loueurs de carrosses de place de la ville de Paris, par laquelle ils demandent la liberté d’exercer leur état sans autre rétribution que celle nécessaire au maintien du bon ordre, de la police, et pour l’acquit des dettes qui peuvent être à la charge de leur communauté : l’Assemblée décrète le rem-voi de cette adresse au comité des rapports. M. Morel, député de Chaumonl-en-Bassigny, ayant donné sa démission, se trouve remplacé par M. Gombert. M. Gombert, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis. On allait pa ser à l’ordre du jour, lorsqu’un membre a demandé que les personnse qui avaient desséché des marais, fussent maintenues dans les exemptions accordées par plusieurs règlements, malgré l’abolition de tous les autres privilèges : il est observé que cette question a déjà été renvoyée au comité d’agriculture. Enfin l’ordre du jour est repris sur la modification concernant V admission des non catholiques , à toutes les fonctions municipales et provinciales , et à tous les emplois civils et militaires , comme tous les autres citoyens. M. le comte de Clermont-Tonnerre, député de Paris (1). Messieurs, dans Ja déclaration que vous avez cru devoir mettre à la tète de la constitution française, vous avez établi, consacré, les droits de l’homme et du citoyen. Dans le travail constitutionnel que vous avez arrêté, relativement à l’organisation des municipalités, travail accepté par le Roi, vous avez fixé les conditions d’éligibilité que l’on pouvait demander aux citoyens. Il semblerait, Messieurs, qu’il n’y eût plus rien à faire et que les préjuges dussent se taire devant la langage de la loi ; mais un honorable membre nous a appris que les non catholiques de quelques provinces éprouvaient encore des vexations fondées sur les lois anciennes, et se voyaient écartés des élections et des emplois publics, un autre honorable membre a réclamé contre l’effet du préjugé qui poursuit quelques professions. Ce préjugé , ces lois, vous forcent à vous expliquer ; j’ai eu l’honneur de vous présenter la rédaction d’un décret, c’est cette rédaction que je défends. J’y établis en principe que les professions et les cultes ne peuvent jamais devenir des motifs d’inéligibilité : je commence par les professions. Elles sont nuisibles, ou elles ne le sont pas : si elles sont nuisibles, elles sont un délit habituel , et la loi ne peut pas les souffrir : si elles ne sont pas nuisibles, la loi ne peut pas les frapper de proscription, et si le préjugé a rendu nécessaire le prononcé de la loi, il faut qu’elle prononce selon la justice. Des professions peuvent, il est vrai, par des circonstances accessoires, avoir armé l’opinion contre ceux qui les exercent : que doit alors faire le législateur? il doit les ramener à leur véritable but. Il doit corriger les abus ; il ne doit pas arracher l’arbre qu’il est possible de redresser ou de greffer. Je viens à l’application de ces principes : les professions que les adversaires de mon opinion prétendent frapper d’infamie, se réduisent à deux ; l’exécution des arrêts criminels, et les (1) L’opinion de M. le comte de Clermont-Tonnerre est incomplète au Moniteur. acteurs qui occupent nos divers théâtres. Je rougis de rapprocher les enfants des arts de l’instrument des lois pénales; mais les objections m’y forcent ; d’ailleurs, tout ce qui est vrai doit être dit; toutes les conséquences d’un principe juste doivent être adoptées, et je dois suivre mes adversaires dans la route qu’ils m’ont tracée (1). Les lois principales existant, leur exécution est nécessaire. Il est de l’humanité et peut-être de la politique et d’une saine législation de trouver des moyens d’exécution qui ne répandent pas sur l’agent du pouvoir judiciaire, sur l’homme de la loi, une infamie que la loi désapprouve. Un honorable membre (M. Guillotin) a fait à ce sujet une motion qui est ajournée ; un comité de législation criminelle peut nous présenter d’autres moyens d’arriver au même but. Il est, Messieurs, de la nature du préjugé de s’attacher à des formes, à des apparences. Il est porté sur les nuages, et souvent il disparaît, si ces nuages se dissipent. Il ne s’agit, pour arracher l’exéculeur à l’infamie, que de le rendre un agent moins immédiat, que de changer le genre des peines. Vous vous rappelez l’ancien supplice des déserteurs, nous avons encore le supplice militaire des verges et des courroies ; flétrissant pour celui qui l’endure, il ne flétrit point les soldats qui sont les agents de la loi. Mais, quand tous ces moyens seraient illusoires, il faudrait encore être vrai : ce que la loi ordonne est bien ; la loi ordonne la mort du coupable, l’exécuteur n’obéit qu’à la loi : il est contre la justice que la loi lui inflige une punition légale; il est contre la raison qu’elle lui dise: Fais cela, et si tu le fais tu seras infâme (2). Je passe à la discussion de ce qui regarde les acteurs, et j’aurai certainement moins de peine à désarmer un préjugé affaibli dès longtemps par l’influence des lumières, l’amour des arts et la raison : je ne vous dirai pas, Messieurs, ce qu’ils ont été et tout ce qu’ils peuvent être. Plusieurs causes ont influé sur l’opinion qui les attaque : la licence de mœurs, et n’oublions pas , Messieurs, qu’un gouvernement qui n’a jamais eu d’autre but que de faire obéir, a dû souvent prendre les moyens de corrompre , et que les spectacles, par leur influence, et sur les mœurs et sur les opinions ont été dirigés vers ce but par la police, l’une des branches les plus corrompues de l’ancienne administration, et à l’influence de laquelle ils ont toujours été livrés. La dépendance absolue où les acteurs sont de l’opinion publique , qu’il était dans l’esprit de l’ancien régime de présenter comme une honte, et qui présentée sous un point de vue plus noble, fait à présent notre gloire. Une troisième cause est la frivolité et souvent (1) Au moment où j’ai articulé la veille que les professions ne devraient point rendre inéligibles, et où M. de Rœderer a réclamé pour les comédiens, on s’est hâté de crier: Et le bourreau... Ce mot m’a affligé, mais raisonnant juste, et suivant mon principe il a fallu parler du bourreau, et j’ai dit : Oui, et le bourreau. (2) M. l’abbé Maury m’a répondu, que le métier de bourreau étant involontaire, ce langage de la loi ne s’adressait à personne en particulier ; lui paraît-il plus raisonnable que la loi dise : je veux que l’on exécute ma disposition, celui qui l’exécutera sera infâme, et je le reconnaîtrai pour mon agent. Ce langage ne paraît pas plus raisonnable. Le fait est, ou qu’il faut se passer du bourreau, ce qui se peut, et accorder la raison et l’humanité, ou qu’il ne faut pas proscrire l’agent nécessaire de la loi.