846 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 novembre 1790.] d’être poursuivis et punis selon la rigueur des lois. » Art. 19. « Le roi sera prié de nommer deux commissaires, l’un de l’Académie des sciences et l’autre de celle d’architecture, pour arrêter avec ie sieur Brûlée, d’après les observations des départements : l°les opérations scientifiques; 2° l’emplacement le plus avantageux du canal ; 3° et les autres moyens d’exécution. » Tarif du péage accordé au sieur Brûlée. Art. 1er. « Les bateaux, quels qu’ils soient, chargés de grains, vins, chanvres, bois, fers, charbons de toutes espèces, foins, pailles, poteries, pierres, chaux, tuiles, ardoises et engrais, payeront six deniers du quintal, poids de marc, en "raison de chaque lieue de 2,000 toises, qu’ils feront sur ledit canal. Ils payeront, pour toutes autres marchandises, neuf deniers du quintal, poids de marc, en raison de chaque lieue. Art. 2. « Les trains de bois de toutes espèces et les bateaux vides qui passeront sur ce canal, payeront 12 sols par toise de longueur et par lieue. « Les bateaux qui n’auront que le tiers de leur charge ou moins payeront ces mêmes droits, en sus de ceux dus par les marchandises. « Les batelets et bachots d’environ vingt pieds de longueur payeront 15 sols par lieue. Art. 3. « Les voyageurs par les coches, diligences, batelets et galiottes établis sur ce canal payeront 3 sols par lieue, et 5 deniers par quintal par livre, pour leurs effets et marchandises, au-dessus de ce qui excédera le poids de dix livres. Art. 4. « Les bateaux chargés, les batelets ou bachots qui les suivent, et les trains de bois qui entreront dans ce canal pour se rendre à leur destination pourront y rester pendant dix jours, à compter de l'instant de leur entrée, sans rien payer pour droit de séjour ou gare* Après ce temps, les bateaux et trains de bois payeront 1 sol 3 deniers par journée de vingt-quatre heures et par toise de longueur, pendant leur séjour dans ce canal, et les batelets et bachots, 2 sols seulement par journée. « Les bateaux� vides, les batelets et bachots qui emprunteront le passage du canal pourront y rester quatre jours sans payer les frais de séjour ou de gare. Après ce terme, ils les acquitteront, comme il est dit ci-dessus. Art. 5. « Les bateaux, batelets, bachots et trains, de bois qui n’entreront dans le canal que pour s’y mettre en gare, en acquitteront les droits, à compter du moment de leur entrée. Art. 6. « Tous les objets transportés pour le service de la nation ne payeront que la moitié des droits de tarif ci-dessus rappelés. « Il sera fait un règlement pour la police du canal. » M. le Président. J’ai reçu do M. de La Tour-du-Pin une lettre dont je. donne lecture : 9 Novembre 1790. « Monsieur le Président, ♦ Je serai toujours jaloux de justifier ma conduite aux yeux de l’Assemblée nationale et du public, et la confiance dont le roi avait daigné m’honorer. « Je m’empresse de répondre à l’inculpation qui m’a été faite dans la séance du 8 au matin et de déclarer que les entreprises de transports d’artillerie ont été substituées à la régie, sous le ministère de mon prédécesseur et que' je n’ai fait qu’exécuter ses conventions. « J’ai l’honneur d’être, etc. « La Tour-du-Pin. » (Cette lettre est renvoyée au comité militaire.) M. le Président lève la séance à dix heures et demie du soir. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 9 NOVEMBRE 1790. Lettre au roi et exposé de la conduite de MM. le comte de La Tour et de Grü?istein, colonel et major du régiment Royal-Liégeois, sur les événements qui ont eu lieu à Belfort , le 21 octobre 1790 (1). Sire, deux sujets fidèles et deux serviteurs zélés de Votre Majesté vous supplient de fixer un instant votre attention sur eux. Ils mettent, avec respect et confiance, sous vos yeux, le récit vrai et détaillé de la malheureuse affaire qui les force de demander un conseil de guerre à Votre Majesté. Des dépositions évidemment fausses, des faits controuvés avec astuce, leur donnent un air coupable qui les afflige et les désole ; vous verrez, Sire, si nous le sommes, et votre cœur nous jugera, si vous daignez lire la relation que nous osons vous offrir. Est-on coupable pooravoir exprimé avec énergie et transport, dans une ville de votre Empire, les vœux qui doivent être dans le cœur de tous les bons Français, des vœux de bonheur et de prospérité pour vous, Sire, pour la reine, pour monseigneur le dauphin? alors nous le sommes, nous ne nous en défendons pas. Nous n’avons pas troublé la tranquillité publique; mais nous avons, avec nos camarades, exposé nos vies pour la rétablir à Nancy ; et c’est peut-être un crime à bien des yeux. Nous jurons sur notre honneur, et avec toute la franchise de vieux soldats, que, depuis que nous existons, nous n’avons pas proféré une parole, fait une démarche, pas eu une seule pensée qui n’ait eu pour base et pour principe, le respect et l’amour de votre personne sacrée. (1) La lettre et l’expose ont été adressés à l’Assemblée nationale, qui a jugé à propos de n’en pas prendre connaissance, et a délibéré de passer à l’ordre du jour, sans vouloir entendre la lecture de la justification de ces deux officiers. 347 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 novembre 1790.} Nous sommes, avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté, les très humbles et très obéissants serviteurs et sujets : Le comte de La Tour, colonel du régiment Royal-Liégeois au service de S. M. très chrétienne. De Grunstein, major du régiment Royal-Liégeois. Ce 10 novembre 1790. RELATION des faits qui se sont passés à Belfort le 21 octobre 1790. Les officiers du régiment Royal-Liégeois ont donné à dîner le 21 octobre à ceux de Lauzun. Les officiers duler régiment vinrent me prierd’as-sisterà ce dîner; on y avait aussi invité l’officier commandant le génie en garnison à Belfort, ainsi que tous les officiers des différents corps qui se trouvaient ou employés ou même en semestre dans ladite ville. L’emplacement de l’auberge où se donnait le dîner ne permettant pas d’être tous à une même table, l'on se partagea en trois. A celle où j’étais, se trouvaient l’officier commandant le génie, M. de Flue, capitaine dans le régiment de Salis-Samade, M. de Reding, M. de Küngling et un autre officier des chasseurs des Evêchés, le major de Lauzun ; celui de Royal-Liégeois, ainsi que plusieurs officiers de ces deux corps. On but, comme il est d’usage,. à la santé des différents corps dont étaient les officiers qui se trouvaient à table. Je portai celle desTreize Cantons, le major de Lauzun, celle du roi, moi celle de la reine et de monseigneur le Dauphin. Les différents convives sont à même d’attester qu’il ne se tint à dîner aucun propos qui annonçât la moindre idée de vouloir troubler la tranquillité publique. Au sortir de table, je me rendis aux casernes de mon régiment avec mon major et deux autres officiers, pour y faire la visite de propreté des hommes qui avaient descendu la garde, afin de présenter le lendemain le régiment à M. de Bouillé, dans la tenue que l’ordonnance prescrit. Pendant que j’étais aux casernes du régiment, quelques jeunes officiers des deux corps qui étaient allé au café, firent venir la musique et proposèrent d’accompagner le major du régiment de Lauzun chez lui. Cet officier demeurait vis-à-vis de chez moi, et il demanda aux officiers des deux corps qui Raccompagnaient de faire jouer la musique devant ma maison. Je rentrai dans ce moment des casernes. Les officiers des deux corps, qui étaient avec le major de Lauzun, me firent les plus vives instances pour que je restasse avec eux; et deux officiers du régiment de Lauzun, dont l’un est le quartier-maître et l’autre M. Pichon, me prirent par dessous le bras et ne m'ont pas quitté, ainsi qu’ils l’attesteront. J’éiais immédiatement suivi'parM. le major de Lauzun et par plusieurs officiers des deux corps, ayant la musique qui nous devançait, nous nous sommes ainsi promenés dans plusieurs rues de la ville. Je certifie sur mon honneur, que je n’ai pas crié autre chose, que : Vive le roi, vive la reine, vive monseigneur le Dauphin, vive M. de Bouillé, vive les régiments de Lauzun etdeRoyal-Liégeois, et je n’ai proféré aucune autre parole. Je me rendais chez moi, lorsque je rencontrai, dans la rue, M. le major commandant de Belfort, qui me fit part des craintes qu’avaient des membres de la municipalité, que quelques officiers, un peu pris de vin, ne troublassent le repos public, d’autant plus qu’ils étaient en grand nombre assemblés sur la place de l’Hôtel de ville. Je me rendis avec M. le commandant de la ville et le major du régiment de Lauzun, sur-le-champ, à la place, et nous montâmes ensemble l’escalier de la maison de ville. Un citoyen de Belfort me dit, ainsi qu’au major de Lauzun, que nous dévions faire cesser l’attroupement qui existait sur la place; nous lui répondîmes tous deux que cet attroupement, qu’il voyait, était presque tout entier composé de bourgeois, et pour prouver ce fait, je me retirai et! disant par deux fois, très haut et très distinctement : « Tout ce qui est du régiment Royal-Liégeois et qui est sur la place, doit se retirer sur-le-champ. » Je vis effectivement quatre ou cinq officiers qui se retirèrent à l’instant même. Dans ce moment, un citoyen de Belfort, qu’on me dit le lendemain être un membre du district, me dit: « Monsieur le colonel, il y a un caporal de votre régiment qui a cassé son sabre en frappant un citoyen. » Je lui répondis: « Venez avec moi, monsieur, aux casernes, j’en ferai avec vous la visite, chambre par chambre; si le fait que vous énoncez est vrai, et que nous trouvions un sabre cassé, je ferai mettre le caporal en prison, et j’offre même de m’y constituer moi-même; mais si le fait énoncé est faux, je demande que le dénonciateur y soit mis. » Le major du régiment Royal-Liégeois, qui avait été à Rappel en revenant, ayant ouï dire, par un citoyen, que j’étais arrêté à la municipalité, vint précipitamment sur la place et, me voyant sur l’escalier de la maison de ville, me saisit par le bras, en me disant : « Mon colonel, on veut vous arrêter. » Je me retirai chez moi avec lui, le ca-il aine de i.olice et deux autres officiers de Royal-iégeois. J’exigeai en leur présence, la parole du major du régiment qu’il ne sortirait pas de ma maison. Après y être resté quelques moments avec ces officiers, je retournai sur la place de l’Hôtel de ville : n’y trouvant que des bourgeois et aucun militaire, je revins dans ma maison. Comme j’étais vis-à-vis de la maison du directeur de la poste aux lettres, je vis cinq bourgeois, parmi lesquels il y en avait un qui avait l’uniforme de garde national, et j’entendis qu’ils disaient entre eux : « Voilà encore un des f ..... gueux, assassins des citoyens de Nancy, dont il faut faire fin. » Je ne hâtai pas mon pas et je rentrai chez moi. Le major de Lauzun vint m’y joindre, et une heure après, j’allai avec lui et le major de mon régiment faire la visite des casernes; j’appris, par le capitaine de police, qu’il avait mis, un caporat nommé Adrien en prison, lequel avait donné des coups de plat de sabre à un citoyen ; au reste, je trouvai le quartier dans la plus parfaite tran-qutllité, et afin d’éviter qu’il put y avoir le moindre désordre, pendant la nuit, je fis doubler les plantons du quartier. Un sergent nommé Régnière, delà compagnie de Resteigne, qui était de planton me dit : « Il « y a un citoyen nommé Grosjean, qui a dit de-« vant moi, à trois autres citoyens : le major « du Royal-Liégeois est un f. ... gueux dont il « faut faire lin. » Je répondis à ce sergent: « Soyez tranquille, « tenez le bon ordre à votre poste, j’entendrai de-« main votre déposition. » Je passai devant lea 348 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 novembre 1790.] casernes des hussards avec le commandant de ce régiment, lequel, après en avoir fait la visite revint chez moi et me dit : « Tous mes hussards sont couchés et tout est tranquille. » Le lendemain matin, M. le major, commandant la ville de Belfort, vint chez moi et me lit l’honneur de me dire que la municipalité avait, pendant toute la nuit, dressé un procès-verbal des dépositions de plusieurs citoyeus, sur des faits qui devaient s’être passés la veille, et qu’il y avait plusieurs officiers du régiment qui y étaient très inculpés. Je me rendis, avecM. le major commandant, à la municipalité, et priai ces messieurs de regarder ce qui s’était passé la veille comme une pure gaieté et où n’était certainement entré nul dessein de troubler le repos public. J’ajoutai que je les conjurais de m’instruire s’il y avait des plaintes contre des officiers du régiment, leur promettant, dans ce cas, de les punir sévèrement . Ces messieurs me répondirent qu’ils étaient occupés à recevoir les dépositions de différents témoins, et je me retirai. Je retournai plus tard à la municipalité, ayant avec moi le sergent Régnière. Je priai ces messieurs de recevoir sa déposition qu’il leur narra en ma présence. Ces messieurs me répondirent qu’ils étaient occupés. Alors ur citoyen qui était à la maison de ville, me dit : « Monsieur le colonel, vous commandez des perturbateurs du repos public, et les citoyeus de Belfort n’en seront pas les victimes comme ceux de Nancy. » Je ne répliquai pas un mot à ce propos, et m’adressant à messieurs de la municipalité, je leur dis : « Je suis venu, Messieurs, vous prier d’entendre la déposition d’un sergent du régiment. Je désire infiniment que vous, ainsi que tous les citoyens de Belfort, soyez convaincus que, dans la gaieté d’hier, nul individu du régiment n’a eu l’idée, encore moins la volonté, de troubler le repos public. Je le répète encore, s’il est des individus du corps que je commande, qui, dans le vin, ont tenu des propos, ou malheureusement fait des actions qui soient répréhensibles, je vous réponds que je les punirai sévèrement. Quant au propos, Messieurs, que vient de me tenir devant vous, ce citoyen, dont j'ignore le nom, je l’abandonne à votre justice. Je ne crois pas devoir m’en plaindre afin d’éviier d’en entendre encore de plus véhéments. Je me retire. » Je fis appeler chez moi plusieurs officiers du régiment et je leur dis : « Messieurs, il court un bruit que des officiers, soit du régiment, soit de celui de Lauzun, ont insulté hier, ou même maltraité des citoyens ; je vous prie de m’informer si ce bruit est fondé; vous sentez qu’il est de mon devoir de punir tous ceux qui se sont rendus coupables en troublant le repos public. » Ces messieurs me répondirent : « Il est vrai que uelques officiers des deux corps ont tiré leurs pées ou leurs sabres et qu’il y en a même eu sur lesquels ont été des mouchoirs. » Mais ils m’assurèrent qu’il n’y avait eu aucun citoyen de maltraité, moins encore de blessé. Je leur dis : « Messieurs, nombre d’officiers des deux corps m’ont fait hier les plus vives instances pour que je restasse avec eux; quand j’y ai souscrit, j’étais bien convaincu qu’il ne s’agissaiî que de s’amuser, j’étais accompagné par deux officiers du régiment de Lauzun; le major de ce régiment me suivait, immédiatement la musique du régiment me précédait, je n’ai rien vu ni pu voir de cequi se passait derrière moi, ni moins encore pu entendre ce qui se disait, vu le bruit des instruments ; si la municipalité me fait connaître des coupables au régiment, je les punirai très sévèrement, ainsi que me le prescrit mon devoir. » On vint m’annoncer, dans ce moment, l’arrivée de M. de Bouillé. Je me rendis chez lui, à la tête des officiers du régiment. Ce général qui était déjà informé, je ne sais par qui, de ce qui s’était passé la veille, me fi l’honneur de me dire devant tout le corps d’officiers qu’il blâmait très fort la conduite de plusieurs officiers des deux régiments ainsique celle des commandants des deux corps. 11 m’ordonna de lui nommer les officiers qui avaient eu leurs sabres ou épées nues. Je lui répondis que j’avais ouï dire que M. de Peravex avait eu son sabre nu à la main; il m’ordonna de le mettre aux arrêts, ce que j’exécutai. M. de Bouillé, après avoir été à la municipalité, m’ordonna de mettre le major du régiment aux arrêts, en m’ajoutant aussi de m’y rendre. J’obéis. Ne pouvant donc plus sortir, je fis prier un membre de la municipalité qui se nomme, je crois, M. Galvet, de passer chez moi. Je l’instruisis des ordres que m’avait donnés M. de Bouillé, et sollicitai vivement d’assurer à messieurs de la municipalité que tout ce qui s’était passé la veille n’était que l’effet de notre gaieté occasionnée par quelques verres de champagne. Je rappelai à M. Galvet que messieurs de la municipalité ne pouvaient ignorer que, depuis l’arrivée du régiment à Belfort, nombre de citoyens avaient reproché à plusieurs individus des deux régiments qu’ils avaient été de l’expédition de Nancy, en ajoutant même des épithètes injurieuses, que moi, personnellement, j’avais ouï plusieurs fois des citoyens dire, lorsque je passais, dans la rue : « Voilà un chef des assassins de Nancy » ; qu’espérant par la douceur et la patience réussir à calmer les esprits, je n’avais jamais voulu porter plainte à cet égard. Je rappelai encore à M. Galvet que lors de l’exécution du soldat de Royal-Liégeois, qui eut lieu d’après les ordres du roi, quelques jours après l’arrivée dix régiment à Belfort, des citoyens avait semé et distribué dans les casernes des deux régiments, ainsi que devant les corps de garde, et même dans les rues, un grand nombre de billets conçus dans les termes suivants : Braves citoyens de Belfort souffrirez-vous V exécution de nos camarades ? Le colonel La Tour mérite seul leur sort. Qu’un sergent du régiment dont je ne me rap-pelle pas le nom et un grenadier nommé Pala, ayant ramassé deux de ces billets qu’un citoyen avait affecté de laisser tomber devant le corps de garde de la place, me les ayant remis, m’offrant de me désigner où demeurait ce citoyen, je répondis à ce grenadier : « Quand on a l’avantage, comme moi de commander à de braves gens, on ne doit faire nulle attention à de pareils billets : je me borne donc à les mépriser. » J’ajoutai encore à M. Galvet qu’il devait se rappeler que lorsque j’allais à iâ municipalité, la veille de l’exécution de ce soldat, un de ces messieurs lut devant moi un de ces billets. Ma réponse fut : « Quant on obéit aux ordres du roi, on ne peut être susceptible de pareilles craintes. » Le même membre de la municipalité me fit observer que, d’après le style de ce billet, ce devaient être des soldats qui l’avaient écrit. Je me contentai de lui répondre ; « Je sais le contraire, et afin de contribuer autant qu’il est en moi à la concorde entre les citoyens de Belfort et la garnison, je ne ferai jamais mention des preuves que j’ai qu’ils ont été distribués par des citoyens et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES# [10 novembre 1790.1 849 formerai moins encore des plaintes sur cet objet. » M. Calvet me promit de rendre ma conversation à messieurs de la municipalité. Le lendemain, M. de Bouillé me prescrivit de suivre le régiment dans sa marche à Bitsch, où je me rendis, et d’y garder les arrêts. Le 3 novembre au soir j’appris, par une lettre de Paris, le décret que l’Assemblée nationale avait rendu pour me faire conduire, sous bonne escorte à la prison de l’abbaye Saint-Germain, à Paris. Me rappelant nombre d’exemples de ce que peut la fureur du peuple vis-à-vis d'un homme arrêté, je ne voulus pas m’exposer à être la victime et me décidai, d’abord, à me rendre sur le territoire étranger. Je partis de Bitsch à cinq heures du soir et fus à Brisscastel d’où j’ai prié M. de Maffre, officier au régiment de partir pour Metz, afin d’y porter une lettre que je lui remis pour M. de Bouillé, par laquelle je sollicitais ce général de supplier en mon nom le roi de m’accorder un conseil de guerre pour me juger. J’ai été informé que M. de Maffre a été arrêté à Sarreguemines, et qu’aujourd’hui même, il est détenu dans les prisons de Bitsch. J’ignore parfaitement le motif de cet acte de violence, de même si ma lettre est parvenue à M. de Bouillé : le mal-heur de cet excellent officier m’affligerait d’autant plus que je dois l’attribuer à son attachement pour moi. Le comte de La Tour. Gentilhomme savoyard, chambellan de S. A. E. G. palatine et colonel au service de S. M. Très-Chrétienne. Ce 10 novembre 1790. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHASSET. Séance du mercredi 10 novembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Lanjuinais, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. M. d’EIbecq, secrétaire , lit le procès-verbal de la séance d’hier au soir. Ges procès-verbaux sont adoptés. M. le Président fait donner lecture d’une lettre à lui adressée par-M. Reynier, député des trois Etats des villes et communes du pays Liégeois, et particulièrement de la ville de Liège, à laquelle est jointe une délibération de la municipalité de cette ville, en date du 3 de ce mois, improbative de la conduite du régiment Royal-Liégeois à Belfort. Lettre de M. Reynier . « M. le Président, député du pays de Liège vers l’Assemblée nationale de la France, je me suis hâté d’instruire mes commettants de la conduite coupable de quelques officiers du régiment (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. qui porte le nom de Royal-Liégeois. J’étais persuadé qu’ils apprendraient avec autant de douleur que d’indignation un attentat aussi criminel ; attentat qui d’ailleurs pourrait compromettre auprès de la nation française un peuple estimable, un peuple ami, qui toujours s’esfmontré jaloux de son estime et toujours se fera gloire de la mériter. « Je viens de recevoir, M. le Président, de la municipalité de Liège, un arrêté relatif à cette affaire; j’ai l’honneur de vous l’envoyer en original et vous supplie de le communiquer à l’Assemblée auguste des représentants des Français. Ils ne seront pas, sans doute, insensibles à ce nouvel hommage du peuple liégeois; et l’exemple d’un peuple étranger qui se glorifie de manifester, dans toutes les occasions, son respect pour la Constitution d’où dépend le bonheur de la France, fera rougir peut-être les aveugles, les insensés détracteurs de cette Constitution, qui ne devrait inspirer que des sentiments d’amour, d'admiration et de reconnaissance. « Mon retour récent à Paris, où je suis chargé de poursuivre l’objet de ma première mission auprès de l’Assemblée nationale, m’impose le devoir, M. le Président, de vous communiquer les nouveaux pouvoirs dont je suis muni, indépendamment des premiers qui subsistent toujours et qui sont connus. J’ai l’honneur d’en joindre des copies; et, dès qu’il sera jugé nécessaire, j’aurai celui de vous présenter les originaux. « Permettez, M. le Président , que je saississe cette occasion de rappeler au souvenir de l’Assemblée nationale la demande des Liégois, relative à leur créance sur la France. L’accueil éclatant dont l’Assemblée a honoré leurs députés; sa promesse solennelle de prendre en considération cette demande, qu’elle a renvoyée au comité de liquidation, tout doit faire espérer qu’elle daignera bientôt s’occuper du rapport de cette affaire. C'est dans la situation critique où se trouvent maintenant les Liégois, c’est dans l’état d’épuisement où les ont réduits les frais énormes d’une campagne qu’ils ont soutenue avec tant d’énergie et de courage, que le payement d’une somme qu’ils réclament pourrait avoir une grande influence sur leur sort ; oui, le calcul des ressources, des moyens qui leur resteront pour défendre encore (s’il s’y voient forcés) cette liberté qu’on cherche toujours à leur arracher, entrera pour beaucoup dans les arrangements qu'on pourrait leur proposer. Leur créance dans tout autre temps ne serait que légitime ; elle est sacrée aujourd’hui, car ils sont malheureux.» Délibération de la munipalité de Liège. Justement indigné de la conduite et des attentats criminels commis à Belfort par M. La Tour et autres officiers du régiment Royal-Liégeois au service de la France, le conseil requiert M. le conseiller Reynier, député des Etats et de la cité près de l’Assemblée nationale, de témoigner aux augustes représentants des Français combien il est affecté que des membres d’un corps qui porte le nom liégeois s’en soient montrés aussi indignes. « M. Reynier ne manquera point d’observer : 1° que ce régiment a été levé arbitrairement par l’évêque -prince seul, sans concurrence de la nation, gui aurait dû au moins partager l’honneur de présenter un corps à la nation française, et aurait su faire choix de chefs patriotes qui n’auraient point compromis son nom ;