304 [Assemblée natioaale.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790. | M. I�anjulnais. G’est dans les lieux où les corps ont été trouvés que les députés sont censés être morts; c’est là, en suivant tous les principes, que l’inhumation doit se faire. M. Belley d’Agier. M. le maire de Paris a pénétré nos sentiments d’amour et de fraternité pour nos frères d’armes, et la proposition qu’il fait d’envoyer une députation aux obsèques de ceux que nous avons eu le malheur de perdre, ne trouvera point ici de contradicteurs. M. Martineau. Les corps trouvés à Passy doivent être transportés à Paris. G’est ici que les deux confédérés ont péri, puisqu’ils assistaient à une fête donnée par la ville de Paris ; ils avaient un domicile de mission à l’hôtel-de-ville de Paris. Dans la règle générale, la famille est autorisée à réclamer les corps en payant un droit au curé ; ceux des deux confédérés appartiennent à la ville de Paris; elle les réclame, ils doivent lui être remis. M. Bailly. La ville de Paris est jalouse de rendre les derniers honneurs à ses frères d’armes; je suis chargé d’ordonner leurs obsèques, mais je ne doute pas que la municipalité de Paris ne se rende avec empressement à Passy, et qu’elle ne s’estime heureuse de donner ce premier exemple de fraternité. M. Devillas. Je demande que les corps soient transportés à Paris. Ges deux confédérés sont les seuls enfants du maire d’Aurillac, homme respectable, qui mourra peut-être de douleur; tout notre département est plongé dans le deuil ; il faut que les obsèques se fassent à Paris, afin que la députation entière du département du Cantal puisse s’y rendre. M. Bailly. Gomme les honneurs qu’on rendra à nos deux frères d’armes seront les mêmes à Passy qu’à Paris, je demande la priorité pour ma motion. (Cette priorité est accordée.) L’Assemblée décrète, avec un assentiment général, qu une députation de douze membres se rendra à Passy pour assister aux obsèques des deux confédérés. 11 est convenu que tous les députés du département du Gantai s’y rendront également. On reprend la discussion sur l’ordre judiciaire. M. Belley d’Agier . L’appel d’un tribu - nal de district au tribunal d'un district voisin rencontrera de puissants adversaires : 1° les habitants des grandes villes, qui regardent comme une espèce de propriété faisant partie de la suprématie dont se glorifient leurs cités, la fixation dans leur sein de tous les grands établissements ; 2° ceux qui, sans intérêt parliculier, tiennent encore fortement à toutes les idées d’hiérarchie ; 3» ceux qui ne peuvent concevoir la possibilité des lumières de l’instruction, qu’ont certaines castes favorisées; 4° enfin, ceux qui, sans bien démêler les sentiments qui les dirigent, sans avoir même de prétentions bien directes aux places importantes attachées aux grands tribunaux, envisagent cependant la possibilité de disposer ou d’obtenir ces places comme un avantage qu’ils veulent conserver. Au milieu de tant d’obstacles, que reste-t-il à faire? Une seule chose : bien démontrer l’utilité générale du projet qui vous est soumis, et pour cela commençons par nous former une juste idée d’un jugement et du but de l’appel. Un jugement est l’application de la loià un fait constaté; cette opération étant la seule que l’on puisse permettre au juge, le juge, le plus près du lieu où s’est passé le fait, est donc celui qui, par sa position, est le plus en état de le bien constater. Or, rien ne peut nous faire présumer que le juge, le plus à portée de constater le fait, soit le moins en état d’y appliquer la loi. Les premiers jugements rendus chez tous les peuples du monde l’ont certainement été par les voisins et les proches. Nous devons donc regarder comme démontré qu’à égalité d’impartialité, les juges de district choisis par le peuple sont plus a même de bien juger que des juges plus éloignés, également choisis par. le peuple, } et que les juges de district sont dans la véritable position pour porter de bons jugements. Maintenant quel est le but de l’appel ? G’est la faculté accordée à un plaideur de faire examiner de nouveau son procès par des juges aux lumières desquels il accorde plus de confiance. Pensez-vous que cette faculté d’appeler sera remplie d’une manière plus avantageuse à la confiance, lorsqu’au lieu de laisser aux plaideurs, dans une certaine latitude, la satisfaction de choisir leurs seconds juges, vous les obligerez à être rejugés forcément par un tribunal exclusif? Après avoir banni les privilèges, ne les conserveriez-vous que dans l’ordre judiciaire, et pensez-vous qu’il soit moins essentiel au bonheur public de laisser au plaideur, déjà si malheureux, la précieuse liberté du choix dans les cas d’appel, que ne l’eût été l’abolition de tant d’entraves dont la France vous doit la suppression ? L’on peut appliquer ici l’exemple de ces marchands exclusifs d’une denrée nécessaire, qui, sous le prétexte de vous la procurer plus saine, vous forçaient à la prendre bonne ou mauvaise, et souvent mêlée de tout ce qui pouvait en enchérir l’achat, sans en augmenter le prix apparent et réel. Maintenant le citoyen est libre de choisir son magasin et sa marchandise, et vous avez décrété que rien ne pouvait compenser l’avantage de cette liberté, à laquelle vous avez sacrifié une partie importante des revenus publics. Portez dans l’ordre judiciaire la même liberté, et deux biens en résulteront nécessairement: le premier, c’est qu’au lieu de ces avenues longues, obscures, ruineuses, qu’il fallait nécessairement traverser avant d’arriver à son juge, et que les riches seuls pouvaient franchir; au lieu de cet abord dur, insolent, surtout vis-à-vis du pauvre, qu’offraient si souvent les procureurs, avocats et juges, aux malheureux condamnés à les solliciter, vous leur verrez succéder, dans tous les tribunaux, des gens de loi obligés de se concilier et de mériter la confiance de leurs clients, et qui deviendront nécessairement plus scrupuleux, plus exacts, moins ruineux. Le second bien, c’est qu’occupés à bien remplir leurs fonctions, puisque leurs intérêts tiennent à leur réputation, ils dirigeront toutes leurs facultés vers ce grand but, et seront moins susceptibles de cet esprit d’ambition et de domination, qui porte toujours les hommes à opprimer ceux qu’ils n’ontpas intérêt de ménager. 11 est essentiel, je pense, de montrer aussi à ceux qui tiennent encore aux avantages prétendus des hiérarchies, et dont la confiance ne peut se fixer sur les officiers publics, décorés d’un titre et d’un appareil plus imposant, que, dans les jugements et les appels, le juge de district et le juge d’une cour supérieure ne devant jamais que constater un fait [Assemblée nationale.] et y appliquer la loi, le juge supérieur s’en occupe souvent avec infiniment moins de sollicitude, parce que, plus environné d’objets de distractions, et comptant presque toujours usurper sur le travail des sous-ordres, il partage sa pensée entre ce qu’il aperçoit par lui-même et ce que lui fait apercevoir celui qui, pour ainsi dire, prépare son opinion. C’est un malheur inséparable de tous les ordres émanés du pouvoir exécutif ; ces ordres sont rarement le résultat essentiel de la pensée de celui qui est censé les donner; mais l’unité d’action nécessaire à la marche toujours active de ce pouvoir ne permet pas de remède à cet abus. Il n’en est pas de même pour les juges : si cet abus existait dans les anciens grands tribunaux, où le secrétaire dictait si souvent au juge son opinion ; si nous devons craindre de le voir se rétablir dans les cours supérieures proposées par le comité, il est possible de le prévenir en supprimant ces grands corps, qui ne sont point essentiels à la constitution judiciaire. Le juge attaché à des fonctions publiques est provoqué par les citoyens, il n’a pas besoin d’autre moteur, aucune unité d’action n’est nécessaire ; chaque opération d’un juge est isolée de l’opération du juge d’un autre tribunal; ainsi, nulle nécessité à gémir sur un abus que la nature même des choses ne rend pas indispensable à l’ordre judiciaire, comme dans le pouvoir exécutif. Eh 1 si vous craignez pour un juge de district continuellement sous les yeux de ses voisins, qui connaissentjusqu’à son intérieur, qui peuvent à chaque instant, et pendant toute sa vie, lui reprocher une négligence ou la faiblesse d’avoir cédé à l’intrigue; si vous craignez, dis-je, que ce frein si puissant de l'opinion de ceux avec qui nous sommes forcés de vivre ne puisse le contenir, que ne devez-vous pas craindre d’un juge d’une cour supérieure éloignée, qui voit disparaître du lieu qu’il habite, aussitôt après le jugement, les victimes de son insouciance ou de son crime ; et qui est assuré d’une espèce d’impunité, parce qu’il ne craint plus la présence et les réclamations journalières du malheureux qui est forcé de reporter dans ses foyers son inutile désespoir ! Je pense donc que, sous* quelque point de vue que l’on considère les choses, un bon juge de district, tout entier à votre affaire, en l’examinant lui-même, est bien préférable à un juge de cour supérieure, distrait par la multiplicité des devoirs et accessoires de sa place, et s’en reposant souvent sur des sous-ordres. Ainsi, je vois daDS l’appel au district voisin l’avantage de l’appel très bien rempli. Je vois surtout disparaître, par cette forme de procéder, les cours supérieures, dont la prépondérance, toujours croissante, quelles que soient les entraves dont vous les entourerez, doit, sans cesse, alarmer les amis de la liberté. Ces cours supérieures, fortes de l’état de servitude où les tribunaux de district ne manqueront pas de tomber sous leur régime, finiront par être, dans l’Etat et au milieu d’une Constitution qui a voulu séparer tous les pouvoirs, des corps intermédiaires participant à tous ces pouvoirs, commandant à l’opinion, et sous l’égide du respect que les peuples leur porteront bientôt exclusivement, feront de continuels efforts pour étendre leurs prérogatives. De très humbles pétitions seront d’abord mises en avant, bientôt ils seront consultés; peut-être même un jour tolérera-t-on une espèce d’mitiativeen écoutantleurs représentations, en délibérant même sur leurs propositions. De là, il n’est qu’un pas vers l'asservissement ; car dès que ces corps auront obtenu lw SÉRIE. T. XVII. (23 juillet 1790.] 305 une prépondérance suffisante, tous les abus de l’ancien régime reparaîtront peu à peu. Tremblez donc de perdre un jour une liberté si difficile à recouvrer, et que vos précautions, poussées jusqu’au scrupule, averti-sent vos descendants de celles qu’ils doivent prendre eux-mêmes. N'admettez aucun établissement qui ne présente pas une nécessité absolue; car tout rouage, dont on n’aperçoit pas une nécessité absolue, est une pièce hors d’œuvre qui complique la machine et bâte sa ruine. Les cours supérieures sont dans ce cas : elles peuvent être suppléées par le mode d’appel au district voisin ; donc elles sont inutiles, et conséquemment nuisibles. Le mode d’appel an district voisin ne vous présente rien d’alarmant ; 540 tribunaux , tous égaux en considération, en fonction, continuellement contenus, stimulés les uns par les autres, roulant d’un mouvement égal, uniforme, présentent une belle simplicité d’action et de réaction digne de la plus belle Constitution. Cette simplicité doit réunir tous les suffrages, lorsqu’aux avantages déjà présentés elle en offre de plus précieux encore, celui des justiciables également traités, quant à l’éloignement de leurs juges ; celui de la grande égalité dans l’instruction des juges, bien préférable à l’ineptie des premiers juges, si rarement réparée par la prétendue science des grands tribunaux ; celuid’assurer àtous les jugesnommés par le peuple uDe égalité de respect et de considération, qui fera germer dans leurs âmes toutes les vertus ; celui de propager, de maintenir, de district à district, cet esprit de concorde et de fraternité si essentiel au bien général de toutes les parties de l’Empire; celui enfin d’augmenter la population, en la répartissant plus également; avantage toujours suivi d’une augmentation très active dans l’industrie, dans cette industrie si précieuse, qui vivifie les empires, lorsqu’elle est appelée et disséminée également sur toutes les parties, tandis qu’elle les conduit à leur ruine, dès que, seulement accaparée dans certains points, elle y prend le caractère corrupteur du luxe. M. Brillat-Savarin (1). Messieurs, c’est sans doute une conception grande et magnifique que celle de faire participer tout l’Empire français à la puissance réformatrice que le régime précédent avait concentrée à quelques points de sa surface. Cette idée était bien faite pour frapper, d’un mouvement subit, les défenseurs de Légalité civile : cependant pour nous décider eu connaissance de cause, et pour édifier tant de millions d’hommes que cette question intéresse, portons le flambeau de l’analyse dans l’intérieur des deux systèmes entre lesquels vous allez choisir. Si vous adoptez les tribunaux de département, vous exposez les parties à faire de longs et dispendieux voyages pour soutenir des procès quelquefois peu importants. Gomme, par exemple, celui qui, pour un procès de 1,200 livres, sera obligé de faire un voyage de 40 ou 50 lieues, et de hasarder ainsi une partie de son capital pour avoir la chance, au moins douteuse, de rattraper le reste. Combien de personnes d’ailleurs ne peuvent pas faire de pareils voyages à cause de leur peu de fortune, de leur sexe, de leur âge, de leurs infirmités, et ceux-là ont souvent le malheur de (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce discours. archives parlementaires. 20 306 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. perdre leurs causes, faute d’avoir pu les faire instruire ; c’est ainsi que vous donneriez au riche un grand avantage sur le pauvre, indépendamment de la longueur de toutes les affaires qui se traitent à une grande distance. Premier inconvénient des tribunaux de département. Un second, qui n’est pas moindre, c’est que les villes où seraient situés ces tribunaux, attireraient sans cesse l’argent des pays circonvoi-sins, sans jamais le rendre. Elles attireraient plus impérieusement encore tous les citoyens qui se destineraient principalement à l’étude des lois; et les petites villes, déjà diminuées par le nombre de ceux qui se fixeront dans les chefs-lieux de département, pour y suivre de plus près le mouvement de l’administration, deviendraient bientôt désertes; ce qui doit paraître un grand mai aux yeux des législateurs, car ces villes sont des centres de mouvement qui animent la circulation et vivifient tout ce qui les environne. Un troisième inconvénient des tribunaux de département, c’est que les juges institués pour juger en dernier ressort finiraient par prendre une supériorité réelle, et sur les juges de district, et sur les citoyens de leur arrondissement. Inutilement auriez-vous décrété que tous les juges sont égaux, les juges d’appel se diraient bientôt à eux-mêmes : que sont les juges de district auprès de nous? Des êtres subalternes dont le mérite dépend de notre avis; que seraient leurs décisions sans notre assentiment? Ges colloques intérieurs paraîtraient bientôt dans leur manière de se conduire, et l’inégalité de fait succéderait sans retour à l’égalité de droit. Et d’ailleurs ici la mémoire vient à l’aide du raisonnement. Tout le monde sait que la tyrannie des Parlements avait bien moins pris naissance dans la part qu’ils avaient à l’administration, que dans leur puissance judiciaire ; et tous ceux qui ont fréquenté les villes où habitaient ces magistrats, savent que leurs regards semblaient dire au citoyen : incline-toi profondément, ou crains que je ne sois ton juge! Examinez, Messieurs, le projet du comité; voyez si les tribunaux de département ne sont pas les Parlements travestis ; soyez bien certains que la même attribution de pouvoir entraînerait les mêmes abus, et craignons de conserver la chose, après avoir proscrit le mot. Je n’irai pas chercher dans notre histoire comment de simples clercs, appelés pour faciliter le jugement des procès, lorsque la renaissance du droit romain les eut rendus plus difficiles, s’investirent peu à peu d’une si grande puissance. Je n’examinerai pas comment ce qui est arrivé une fois arriverait encore. Je ne dirai pas par quelles intrigues les riches accapareraient bientôt toutes ces places, comment leur accès deviendrait difficile pour le pauvre. Je ne vous entretiendrai pas de la possibilité de voir, dans un temps de crise, ces vingt grands corps se réunir contre la liberté publique, mais pour vous peindre d’un trait combien la tyrannie judiciaire est odieuse, je me contenterai de vous rappeler qu’au mois de novembre 1789, quand vous frappâtes ces Parlements d’une paralysie, présage d’une destruction certaine, pas une voix ne s’éleva en leur faveur, pas une main ne s’avança pour retarder la chute des idoles que la crainte avait tant de fois fait encenser. A cet exposé rapide des principaux inconvé-[23 juillet 1790.] nients des tribunaux de département, faisons succéder celui de quelques-uns des avantages du sysième contraire. Le premier et le plus désirable, d’après les principes que vous avez adoptés, est l’égalitédans les tribunaux, égalité sans laquelle il n’est point d’honoeur pour le juge de district, point de liberté pour le citoyen. Le second est la commodité des justiciables, ils y trouvent la facilité de faire juger leurs contestations sans quitier leurs foyers, celle d’éclairer leurs gens d’affaires sans se ruiner en voyages; et si la manie de plaider fait venir des campagnes quelque argent dans les villes de district, il sera bientôt ramené, dans la main des agriculteurs, par l’achat des denrées de première nécessité que ceux-ci fournissent à leur tour. C’est ainsi que le cours de la justice, au lieu d’être un torrent rapide qui rongeait ses bords, deviendra un fleuve tranquille qui déposera également son limon sur toute la surface du royaume. En instituant les tribunaux de district tour à tour juges de première instance et d’appel, vous leur donnerez une consistance sans laquelle beaucoup d’entre eux ne pourraientpas avoir une occupation suffisante. En effet, il arriverait que beaucoup de plaideurs riches, préférant, par des raisons secrètes, de plaider aux tribunaux de département, ne daigneraient pas même se défendre au tribunal de district dans toutes les affaires sujettes à l’appel, ce qui, joint à la diminuiion nécessaire des procès, ôterait et aux juges, et aux geus de loi, les occasions de s’instruire. Mais si les mêmes tribunaux deviennent, en même temps, souverains pour les affaires qui y seront portées par appel, dès lors les questions y seront mieux discutées, plus attentivement approfondies; les lumières augmenteront avec rapidité et seront bientôt au niveau des affaires les plus difficiles, si, toutefois, dans le nouvel ordre de choses, il s’en rencontre encore quelques-unes de ce genre. Enfin, à mon avis, le bienfait le plus précieux que la société recevrait* de la circulation des tribunaux d’appel, serait l’émulation de probité qui s’établirait entre eux. Car si, comme il est probable, vous donnez une certaine latitude au choix des parties pour le tribunal d’appel, nul doute qu’elles ne relèvent leur appel dans les tribunaux où elles trouveront des juges plus intègres, des gens de loi plus éclairés, des officiers ministériels plus exacts. De là, une émulation louable entre les districts pour donner les places de juges aux plus habiles ; émulation entre les gens de loi pour devenir plus dignes d’une confiance absolument libre ; émulation entre les officiers ministériels pour parvenir, à moins de frais, à faire juger les procès qui leur seraient confiés. Tout tribunal où les plaideurs seraient ou mal jugés, ou mal servis, serait fui comme un lieu dangereux. C’est ainsi, Messieurs, qu’il vous serait réservé de faire cesser enfin les plaintes qu’on a quelquefois justement fait contre la justice, puisque c’est par leur intérêt même que vous inviteriez ses suppôts à devenir honnêtes gens. On n’a fait, contre ce système, qu’une seule objection plausible ; c’est de dire que, dans les tribunaux de département, la seconde épreuve devient jugement souverain, parce qu’il est probable qu’il émane d’une source de plus grandes lumières; au lieu qu’entre deux tribunaux également organisés, [Assemblée nationale,) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790.) 3Q7 il n’y a aucune raison pour que la seconde épreuve mérite plus de confiance que la première. Cette objection mérite un sérieux examen, et je vais essayer d’y répondre. D’abord, il faut remarquer que la faculté de l’appel contient deux avantages qui l’ont fait adopter. Le premier est celui pour la partie de tenter une seconde chance, où elle a l’espoir de voir les mêmes moyens faire une meilleure fortune ; le second est de lui donner un délai, soit pour recouvrer les pièces ;qu’elle pourrait avoir perdues, soit pour faire déduire les moyens qui auraient pu avoir été oubliés en première instance. Quod non deduxide-ducam, et déjà les tribunaux de district, devenus respectivement tribunaux d’appel, réunissent cet avantage principal par les délais qui s’écouleront entre les deux jugements. 11 est encore bien facile de leur donner lesecond, et l’Assemblée nationale a, pour cela, une grande quantité de moyens. Par exemple, si vous mettez cinq juges dans chaque district, trois pourront juger la première instance, et les cinq se réunir pour juger l’appel d’un autre tribunal de district. Ne craignons, pas pour cela, que les deux autres juges soient désoccupés, parce que, dans les intervalles, ils se dévoueront et à l’instruction des procès civils, et au jugement des procès criminels. Vous pourriez encore demander, dans les jugements d’appel, l’assistance d’un certain nombre de suppléants, ou d’hommes de lois, qui, entourant nécessairement le tribunal, saisiront avec empressement cetle occasion de mériter la confiance publique. Enfin, Messieurs, il vous est facile de trouver un grand nombre de moyens peu dispendieux pour donner à la seconde épreuve la confiance d’opinion que doit nécessairement avoir un jugement souverain. Et remarquez, je vous prie, que les bases que votre comité a adoptées pour les tribunaux de département vous faciliteront infiniment cette opération. Car, suivant ce projet, les tribunaux seront de huit juges, séparés en deux chambres, et le nombre de quatre juges serait suffisant pour rendre un jugement d’appel au souverain. Cette combinaison demande un examen particulier. La décision d’un tribunal composé de trois juges est l’opinion certaine de deux personnes, au moins, et l'opinion présumée de trois. La décision d’un tribunal composé de quatre juges est l’opinion certaine de trois personnes, au moins, et l’opinion présumée de quatre au plus. Ainsi, d’après l’avis du comité, le tribunal d’appel n’a, sur letribunal de première instance, qu’une seule voix de plus pour décider la réformation. Mais, si vous adoptez, pour les tribunaux de district, cinq juges, dont trois seulement jugeront en première instance, et tous les cinq en appel, non seulement vous aurez pour la réformation la certitude de trois opinions uniformes, mais encore la probabilité des deux autres. Ainsi, sous ce rapport, le tribunal de district, jugeant en appel au nombre de cinq juges, mérite encore plus de confiance que celui de département organisé de quatre juges seulement; puisque trois opinions Certaines et une probable méritent moins de confiance que trois opinions certaines et deux probables; cette réponse me paraît d’une évidence mathématique. On vous a dit encore qu’on ne trouvait pas, dans les tribunaux de district, les lumières suffisantes pour la décision des grandes causés. Sur quoi je remarque que cette objection tient plus à la mémoire du passé qu’à la prévoyance de i’avt-nir. Car, d’on partaient ces procès inextricables qui embarrassaient si souvent les gens de loi? Ils partaient des matières bénéficiale3 que vous avez réduites à une simplicité apostolique. Ils partaient des droits féodaux que vous avez proscrits, des dîmes qui sont rentrées aux mains des agriculteurs, du retrait lignager qui vient de disparaître, des substitutions qui n’échapperont certainement pas à votre sollicitude. Toutes ces sources de divisions sont taries; et on peut penser que les procès, désormais réduits à quelques questions de succession et de propriété, seront si simples, qu’il ne faudra, avec l’habitude, qu’une médiocre intensité de lumières et de travail pour les défendre et les juger. D’ailleurs, les gens instruits ne sont pas bornés à la ville qu’ils habitent : la confiance vient les chercher d’un bout du royaume à l’autre, et ceux qui la méritent ne seront jamais éloignés tant que la poste pourra leur porter des mémoires et râp� porter leur réponse. Et si on consulte l’expérience : qu’ont produit jusqu’ici les prétendues sources de lumières judiciaires répandues dans les grandes villes? Rien que des maux. On y est venu plaider à grands frais, on a essuyé des longueurs de toute espèce; on a quitté ses affaires; on a obtenu un jugement; et le plus souvent les deux parties, ruinées sans ressource, ont été obligées de venir gémir sur leurs foyers d’avoir été chercher si loin la justice, pour ne trouver que des regrets. Je ne crois pas me tromper en disant que le nombre des arrêts extorqués par la faveur, égale au moins celui des sentences injustes. Soyons de bonne foi, Messieurs, dans cette importante question, et pénétrons-nous bien que la proposition d'adopter les tribunaux de département u’est autre chose que l’intérêt d’une vingtaine de villes qui se croient faites pour les obtenir, contre l’intérêt du royaume entier; le reste d’une vieille erreur qui supposait que les justiciables étaient pour les tribunaux, et non pas les tribunaux pour les justiciables. Enfin, la demande de quelques centaines d’officiers ministériels accoutumés à pâturer dans une grande sphère, et qui voient avec impatience élever des barrières contre leur cupidité. Mais, si, à ces fantômes colorés, on oppose des avantages immenses qui résultent du système contraire, si vous voulez réfléchir, Messieurs, que vous n’avez que ce moyeu pour ramener parmi les juges cette égalité de droit et de fait, qui éloigne toute idée de tyraunie, pour conserver aux campagnes un numéraire qui irait s'enfouir au loin dans les grandes villes, pour faire qu’un procès ne soit qu’un petit mal, pour transformer chaque tribunal et ses alentours, en autant d’assemblées qui ne rivaliseront que par les lumières et la probité, de répondre, en un mot, au vœu de tous les districts, c’ast-à-dire de tout le royaume, vous aurez bientôt repoussé toute vaine considération d’intérêt et d’amour-propre, et vous décréterez avec empressement la motion de M. Chabroud à laquelle je me réfère. (Une partie de l’Assemblée applaudit à ce discours, que des applaudissements ont déjà souvent interrompu.) M. Prugnon. C’est avec une juste défiance que je me présente pour combattre un projet qui, si l’on en croit son auteur et ses défenseurs, va ré- 308 [Assemblée nationale. [ pandre l’abondance et la prospérité surle royaume. Mais dans le plus beau diamant il est permis d’apercevoir quelques taches, et sans être grand lapidaire, j’en vois beaucoup dans celui de M. Chabroud. En écartant, pour un moment, le talent du metteur en œuvre, examinons le brillant nu. Adopter le plan de M. Chabroud, c’est anéantir l’appel : en décrétant qu’il y aura lieu à l’appel, vous avez voulu faire juger de nouveau l’affaire par un juge réputé plus instruit, et sans intérêt à confirmer la sentence. L’appel est un ap ui donné au plaideur contre l’erreur ou l’injustice du premier juge. Votre objet serait absolument manqué. Il se ferait une alliance tacite entre les tribunaux de district, pour confirmer respectivement leurs jugements. L’une des parties désirerait tel ou tel tribunal, l’autre partie consentirait à ce que l’affaire fût portée au tribunal désigné, ou bien le sort en déciderait, tel est le projet. Examinons ce tribunal d’appel. Il serait juge en première instance, présidial pour l’appel des jugements de juges de paix, et tribunal supérieur pour l’appel des sentences des tribunaux de district : ainsi, il réunirait tous les pouvoirs judiciaires. Ainsi, vous auriez établi le despotisme judiciaire. (Il s'élève des murmures.) Supposons trois districts, dont l’un s’appelle Paul, l’autre Pierre et l’autre Jean. Pierre est reformé par Paul, Paul par Jean et Jean par Pierre. Si le jugement de Paul est infirmé, il se trouve humilié d’être réformé par son égal. Qu’arrive-ra-t-il? Pierre, Paul et Jean conviendront de confirmer respectivement leurs jugements; ainsi, le circulaire sera le mot, et la réciprocité la chose. (On murmure.) Ainsi, tous les juges étant élevés à la qualité de juges d’appel, tous les jugements seraient confirmés : la liberté civile et la liberté individuelle seraient compromises. Quand on renvoyait d’un parlement à un autre parlement, l’arrêt était toujours maintenu. Chacun de ces corps voyait son honneur intéressé au jugement rendu par l’un d’eux, et ici les tribunaux de district auraient bientôt un esprit de corps. L’appel serait un second jugement où toutes les chances se trouveraient contre la bonne foi. On appellerait du tribunal de la ville principale, au tribunal de district d’un village, c’est-à-dire d’un juge plus instruit à un juge moins instruit. A quelles mains abandonneriez-vous, en dernier ressort, l’honneur et la fortune des citoyens? Vous les livreriez à l’inexpérience et souvent à quelque chose de pis. Quels juges trouverez-vous dans un arrondissement restreint, où l’on aura déjà pris des administrateurs de district et de département, des officiers municipaux, des juges de paix? Les gens capables changeront-ils un état certain pour un état précaire? Quelle diversité de jurisprudence n’allez-vous pas introduire! 11 y aura des réputations de tribunaux comme il y a des réputations d’individus : on saura que tel tribunal juge telle question de telle manière. Les enquêtes n’avaient-elles pas une jurisprudence opposée à celle de la grand’ebambre? Vos districts seront-ils composés d’hommes ou d’anges?... L’appelant voudra saisir le tribunal qui jugera dans son sens ; l’intimé sera obligé de le suivre, et de là une multitude de demandes en cassation. L’application de la loi à tous les cas ne peut pas toujours être absolument directe, car tous les cas ne seront pas prévus par la loi. Les citoyens doivent se confier aux lois, les lois aux juges : c’est donc à des juges intègres qu’il faut livrer les jugements en dernier ressort. Je ne me permettrai pas de dire que c’est ici la cause des petites villes contre les grandes ; c’est [23 juillet 1790.1 aussi la cause des juges contre le peuple qui serait à leur merci. Comptez-vous pour rien la crainte que le tribunal de district ne cède à un homme puissant, dont l’influence sera plus considérable dans une petite ville que dans une grande, tandis que cette influence serait moindre dans un tribunal supérieur dont la masse serait plus étendue? Cette crainte me touche, et si j’ai tort, l’histoire n’est qu’une longue calomnie contre le genre humain... L’inégalité entre les juges est inévitable; vous l’avez décrété : vous le décréterez encore. Le législateur présente au plaideur le juge d’appel comme plus digne de confiance; saris cela pourquoi l’appel serait-il établi? Le législateur doit donner au juge d’appel une place plus distinguée, sans cela il va contre ses vues, il contredit celles de la morale et de la raison. Le principe de l’égalité n’est pas là; il faut des échelons et des degrés. Si le juge de district dépend de son confrère, et son confrère de lui, ils seront bientôt une coalition ; se réformant eux-mêmes, ils seront indifférents sur leur manière de juger, et le résultat d’une telle indifférence sera que vous n’aurez ni juges, ni défenseurs. Il ne suffit pas d’aller contre les choses établies, il faut faire mieux. Vous avez décrété qu’on serait jugé par le juge qu’on aurait élu; cependant le plaideur en première instance ne saura pas quel sera son juge d’appel. Un citoyen ne se déterminera à intenter une action, que parce qu’il dit: « Si je suis mal jugé en première instance j’aurai la ressource d’un tribunal d’appel composé de magistrats intègres et éclairés, qui, ne connaissant pas les parties, ne connaîiront que la justice et la vérité. » Il dira, dans le plan qu’on vous propose : « Mon adversaire est un homme puissant, il me conduira dans celui des districts dans lequel il aura le plus de liaison, de rapport et d’influence. » Si l’Assemblée nationale adopte un tel avis, la raison publique aura toujours quatre mille ans contre son décret. 1! est temps de rétablir la puissance morale dont la justice a besoin. Peut-on craindre que les tribunaux proposés par le comité n’attentent à la liberté? Ils seront en petit nombre; ces juges seront, pour ainsi dire, dispersés dans la Constitution ; vous avez tracé des limites qu’ils ne pourront jamais franchir. Je ne sais quelle idée de perfection préside à tous ces beaux projets; comme si les établissements de l’homme étaient susceptibles de perfection ! Ce n’est que par le temps qu’on peut éviter les inconvénients que le temps seul peut faire découvrir; c’est à la longue que les idées mûrissent, que les institutions s’épurent. La nature prodigue les siècles puur former un diamant. Prenez-y garde, si vous manquez l’ordre judiciaire, vous n’aurez fait que le buste de la liberté. M. Mougins de Roquefort. Je me propose de démontrer qu’une saine politique et l’intérêt des justiciables doivent faire adopter le plan de M. Chabroud. Je répondrai ensuite à quelques objections. — Appuyés, pour ainsi dire, sur le berceau de la Constitution naissante, la poliiique nous conseille d’écarter tout ce qui pourrait s’opposer à son achèvement et à sa perfection ; d’éloigner ces grands corps qui étaient tout dans la nation, et pour lesquels la nation n’étalt rien. En adoptant le projet de tribunal d’appel, proposé par le comité, vous renouvelleriez ces corps; ils auraient un ressort étendu, une compétence immense ; ils seraient placés dans les grandes cités; ils se livreraient bientôt à l’ambition dangereuse de partager le pouvoir législatif, et se coaliseraient pour ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 309 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790.] y réussir : ainsi vous-mêmes vous auriez prénaré une pierre d’attente qui ébranlerait les fondements de la liberté publique. Les juges doivent être égaux aux yeux du peuple comme à ceux de la loi. Iis le seront quand ils se surveilleront les uns les autres; quand leur ressort sera restreint à une très petite étendue; ils ne pourront ni dominer, ni surprendre l’opinion publique, ils ne pourront jamais se réunir pour former de dangereuses entreprises. Ainsi donc une sage politique exige que les juges soient juges d’appel les uns des autres. — J invoque aussi l’intérêt des justiciables. Le comité lui-même a dit que le temple de la justice devait être placé à la porte des justiciables; y serait-il, s’il fallait faire 40 ou 50 lieues pour aller chercher un juge d’appel, et des jugements dont l’expédition serait nécessairement très lente, pour aller s’exposer aux rapines des solliciteurs, des gens d’affaires et de la vermine praticienne? — On a objecté que les tribunaux d’appel conviendraient entre eux de confirmer toujours leurs jugements respectifs; c’est supposer que les juges ne seront pas désignés par l’opinion publique ; celui que le peuple choisira n’écoutera que le cri de la loi et de sa conscience, que les inspirations de la vérité. On craint la diversité de jurisprudence : de l’institution proposée résultera tout le contraire. On écartera cette habitude de l’esclavage et de l’erreur; on ne dira plus, tel tribunal a jugé ainsi, donc il faut juger ainsi; un tel a dit cela, donc il faut le dire; rien n’était plus incertain, pour le juge, que ce fatras de citations. On a présenté aussi comme une objection, qu’il fallait attacher au tribunal la solennité d’un lieu plus important : est-ce l’appareil qui fait la bonne ou la mauvaise justice? Saint-Louis jugeait sous un chêne, à Vincennes, et ses jugements étaient dictés par la divinité. On réclame encore l’intérêt des grandes cités; c’est l’intérêt du peuple qu’il faut écouter, c’est pour cet intérêt que je sollicite l’adoption du plan de M. Ghabroud. (On demande à aller aux voix.) M. Lanjulnais. C’est une grande nouveauté qu’on vous propose : elle doit avoir en bien ou en mal de grandes conséquences ; il faut l’examiner avec soin. Elle me paraît avoir des inconvénients très graves et point d’avantages réels. On dit que les tribunaux supérieurs tiennent à l’ancien régime, et on ne veut pas de tribunaux supérieurs. Permettez-moi de combattre cette puérilité par une trivialité : on mangeait du pain et on portait des souliers dans l’ancien régime. M. Duval (ci-devant d'Eprémesnil ). Et dans le nouveau régime on n’a plus ni pain, ni souliers. M. Lanjuinais. Notre ordre judiciaire a totalement changé. Les juges ne seront plus législateurs; ils ne seront plus choisis dans une caste particulière; le temps de leurs fonctions ne sera que de six années. Vous les avez placés au-dessous de tous les corps administratifs; vous en avez fait des pygmées. Que pouvez-vous craindre ,de leurs efforts?La liberté de la presse, le tribunal de cassation, les législatures permanentes, la crainte qu’auront les juges de perdre leur état, sont des moyens propres à vous rassurer... Pourquoi subordonner un village, qui formera un district, à un village plus considérable, qui sera le chef-lieu d’un canton? Si les juges manquent à leur devoir, il faudra recourir à un tribunal unique de cassation, qui lui-même ne pourrait exister si les juges devaient être égaux. Si vous vouliez qu’ils le fussent, l’opinion publique casserait vos décrets ; il y aura toujours une grande différence entre les juges de Paris et ceux du Bourg-la-Reine ; entre ceux de Versailles et ceux de Gonesse ; entre ceux de Rennes et ceux de Vannes. Vous ne persuaderez jamais qu’on obtiendra un meilleur jugement, en allant du centre des lumières dans le séjour de l’inexpérience. La grande majorité de la députation de l’ancienne province de Bretagne adopte le plan du comité : elle en a skné le vœu. (Plusieurs membres de cette députation s’élèvent contre cette assertion.) M. Il uot et M. Legnen de Kérangal. Le vœu de la députation n’est pas contraire à la raison; il est donc conforme au plan deM. Ghabroud. M. Lanjuinais. MM. Huot et de Kérangal ne peuvent me démentir, car je n’ai pas dit qu’ils eussent signé. On craintles grandes villes; mais n’ayez donc que des chaumières isolées. On dit que les grandes villes vivroutaux dépens des campagnes; mais ne vivons-nous pas tous aux dépens les uns des autres, je n’excepte pas même les membres de cette auguste Assemblée? C'est cette dépendance qui fait le véritable lien de la société. Rien ne prouve mieux la faiblesse d’un plan, que le besoin de l’appuyer sur de semblables moyens : c’est quelque chose de loin, et de près ce n’est rien. Mais j’ai un inconvénient majeur à vous soumettre. L’humanité ne vous est point étrangère; c’est votre humanité que j’invoque. Est-il nécessaire à la félicité publique de sacrifier les villes où étaient établis les tribunaux en dernier ressort? Je sollicite votre justice pour ces villes désolées ..... Il n’y a nulle raison pour adopter le plan deM. Ghabroud; il n’y en a aucune pour rejeter celui du comité. Je demande donc que ce dernier soit décrété. (On demande à aller aux voix.) (Il s’élève quelque discussion sur l’ordre de la parole.) (On demande que la discussion soit fermée.) M. Verchère.Il est juste d’entendre un membre du comité de Constitution. M. Thonret. Le comité n’a pas encore formé d’opinion, mais M. Le Chapelier a fait un travail qu’il est prêt à vous présenter. (Après une légère discussion sur l’ordre de la parole, l’Assemblée décide que la liste sera suivie.) (M. Garat l’aîné obtient la parole et la cède à M. Le Chapelier.) M. Le Chapelier. La proposition qui vous est faite mérite la plus grande attention, parce que, d’une part, etle influerait sur l’ordre judiciaire, et que, de l’autre, l’ordre judiciaire influe sur les mœurs de tous les hommes. Les réflexions que j’ai fanes m’ont convaincu que ce système est le plus funeste de ceux que le désir de dire des choses nouvelles a pu produire. Vous avez décrété l’appel sans aucune contradiction ; quel à été votre but? Est-ce de faire juger deux fois le même procès? Non, l’appel deviendrait dangereux; il multiplierait les chances contre le bon droit. G’est d’obtenir un jugement plus sain d’un tribunal plus nombreux, et qui, par sa situation, se trouvât envi-ronnéd’un plus grand nombre d’hommes instruits, des lumières desquels les juges pussent profiter; si ce n’est pas là votre motif, il faut anéantir l’appel. Daignez remarquer que ce sont deux opéra- 310 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 juillet 1790.] rations différentes, ou de faire porter l’appel des jugements d’un tribunal d’une petite ville, dans le le tribunal supérieur d’une grande ville, ou de faire juger deux fois une affaire par un tribunal égal. Ici vous avez l’avantage d’apprécier le dan-er d’un double jugement; vous avez une large ase pour la bonne foi : là, vous n’avez aucune base, vous trouvez des inconvénients sans avantages. Dans l’origine des sociétés, quand une contestation s’élevait, les voisins étaient consultés; s’ils n’accordaient pas les contestants, on disait : Il existe tel homme renommé par sa sagesse, et c’est à lui qu’on s’en rapportait. Voilà l’origine des jugements et des appels. Avoir démontré que la proposition de faire juger la sentence d’un tribunal de district par un autre, et l’appel, ce sont deux choses différentes : c’est avoir prouvé qu’il est impossible d’adopter cette proposition, puisque vous avez décrété que l’appel aurait lieu. J’ajoute une observation. Il est naturel d’appeler d’un juge moins éclairé à un juge qui l’est davantage, et non d’un juge qui l’est davantage à celui qui l’est moins. C’est dans les grandes villes que se trouvent les grands talents; c’est au milieu des grandes affaires que se fqrment les grands juges et les grands jurisconsultes. Renoncez à en avoir, si vous vous restreignez dans l’étendue d’un seul district ; renoncez à exciter l’émulation. Il n’y a dans les petites villes que de petits intérêts ; les petites choses tiennent toujours les hommes à leur hauteur : dans les grandes villes, au contraire, il y a plus de rapports, plus de conventions, plus de grands intérêts, ainsi plus de procès et de grandes discussions. Si vous répondez qu’il importe peu d’avoir de grands juges et de grands jurisconsultes, je n’ai rien à opposer à une telle réponse. Cependant le législateur doit chercher à les faire naître, il doit reconnaître leur influence sur l’opinion et sur les moeurs. Vous n’aurez donc que des tribunaux qui feront la honte de la Constitution, et si l’on vient à dire : L’ancien ordre valait mieux, la Constitution est souillée, elle est affaiblie, et les peuples sontmalbeureux; jugezdufutur par l’expérience du passé. On citait avec étonnement une petite ville qui renfermait un grand juge. On craint les grands établissements qui tendent toujours à s’agrandir; les parlements n’étaient pas dangereux non parce qu’ils étaient juges, mais parce qu’ils étaient administrateurs et législateurs. Que les tribunaux ne jugent que des procès, et çe danger ne se renouvellera jamais. Ne ersignez pas qu’ils s’agrandissent sous la surveillance des assemblées administratives et du corps législatif. Autrefois c’était pour les cours un mérite que de s’opposer aux entreprises des ministres, que de se mêler de l'administration, et souvent elles l’ont fait avec succès pour l’intérêt public; aujourd’hui ce serait un crime que de s’opposer à l’exécution des lois du Corps législatif. Il est une seconde objection; elle est déjà réfutée par ce peu de mots, ce ne sont pas de petits établissements qu’il faut à un grand peuple; je me fais des juges d’appel une idée bien différente de celle que plusieurs préopinants en ont voulu donner : je pense qu’il est nécessaire que ces juges soient très éclairés, qu’on leur accorde un traitement avantageux, quqls soient payés avec munificence, afin que la science et l’intégrité soient dans un tel honneur, que tous les citoyens s’empressent à l’envi à mériter un jour de partager cette glpire< Si l’on adopte l’appel d’un tribunal de district à qo autre, tous ces avantages sont perdus» On dit que la machine sera compliquée, que les tribunaux seront trop éloignés des justiciables, Mais cette complication n’existera pas pour quelques tribunaux déplus; mais s'il faut rapprocher la justice des justiciables en première instance, il faut présenter pour l’appel moins de facilités que d’obstacles. Si vous placez, pour ainsi dire, un tribunal d’appel à la porte du plaideur, il y recourra; éloignez-le, il balancera, et sans douté cette incertitude est salutaire, puisque même en gagnant il serait obligé de faire des sacrifices. Tous ces inconvénients se trouvent dans ]a proposition de M. Ghabroud, Si ma pensée était suivie, on diminuerait le nombre des tribunaux d’appel au lieu de l’augmenter. Le comité propose de composer ces tribunaux de huit juges, divisés en deux chambres. Le nombre quatre présente la meilleure chance puisque l’arrêt passe la majorité de trois contre un ; c’est un bien réel que d’être jugé aux trois quarts des voix, tandis qu’en première instance, on ne le sera qu’aux deux tiers. Un des avantages des tribunaux d’appel éloignés des parties, c’est la difficulté des sollicitations : autrefois elles étaient un besoin, à présent elles seraient un délit. Vous devez désirer que les parties soient ignorées des juges. Compte-t-on pour rien l’inconvénient de faire juger la sentence d’un juge par le juge du district voisin? On dit que les parties choisiront, ou bien que, si plusieurs tribunaux sont proposés par elles, le sort en décidera. Qui est-ce qui choisira ? Est-ce l’appelant ? L’intimé a en sa faveur la présomption de la chose jugée; si l’appelant indique quatre tribunaux, l’intimé peut concevoir des craintes sur les motifs qui ont déterminé ce choix, et cette défiance est un défaut énorme. Si le sort doit décider, la même défiance, qui alarmait une des parties, l’accompagnera toujours; elle regardera l’appel comme un nouveau fléau. Je vais plus loin : je dis que cette loi est inexécutable; le nombre des districts est inégal. Il faudra donc une loi particulière pour chaque département; ce système est d’ailleurs contraire à vos décrets; vous avez décidé que les parties éliraient leurs juges : c’est une base constitutionnelle. Or, je vous demande si l’intimé pu l’appelant, traduits dans un district voisin, auraient choisi leurs juges? Je conclus, et je demande la question préalable sur la motion de M, Ghabroud, ou que, si on l’adopte, les appels soient supprimés. Personne plus que moi ne tient à la stabilité de yos décrets, personne ne sent mieux que moi l’inconvénient de détruire l’appel; mais, 1° il ne serait pas très dangereux de revenir sur un décret qui n’a été rendu que pôur ordre de travail, et qui n’est pas accepté; 2° il vaudrait mieux ne pas avoir d’appel que d’avoir des tribunaux circulaires. (M, Gaultier de Biauzat a la parole; il la cède à M. Ghabroud.) M. ÇI|»l»roiid. Je récapitulerai mes moyens, ceux qui m’ont été opposés, et je répondrai aux objections qui m’ont été faites. En proposant fie rendre les tribunaux de district propres à fournir les deux degrés de juridiction, j’ai fait remarquer la simplicité de ce moyen, et combien les moyens simples méritaient la préférence ; on n’a pas présenté sur cela d’objections importantes : j’ai dit que ces tribunaux supérieurs seraient dangereux, en ce qu’ils menaceraient la liberté publique et individuelle, et qu’au contraire les tribunaux de district, dans leur obscurité, seraient utiles, sans être redoutables. Je ne vois pas d’objections à cet égard. J’ai fait sentir la nécessité de [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790.J l’égalité parmi les juges : cette égalité a été attaquée; cependant le comité l’avait consacrée par un article particulier. On a dit que les lumières étaient plus rassemblées dans les grandes villes et autour des grands tribunaux. Mais à côté de cette proposition on veut faire juger les intérêts des pauvres par des tribunaux inférieurs; l’Assemblée nationale, qui a décrété tous les citoyens égaux en droits, ne peut consentir à une distribution de la justice, établie de manière qu’il y ait une balance moins sûre pour le pauvre, et une balance plus sûre pour le riche. Vous n’avez pas manqué de vous pénétrer des craintes que j’avais conçues sur les rivalités qui auraient eu lieu entre lés vilies et les départements, au sujet des tribunaux supérieurs; ces craintes sont restées sans réplique. J’ai parlé d’économie; on s’est borné à des dénégations simples. Je présenterai à cet égard un plan détaillé, à la fin de mon opinion. Je passe aux moyens qui m’ont été opposés : le premier est le décret par lequel vous avez ordonné qu’il y aurait deux degrés de juridiction ; ce décret ne dit pas qu’il y aura des tribunaux d’appel. On ajoute que le mot degré emporte des idées de comparaison, d’où résultent des juges supérieurs et inférieurs. Je dis que l’ Assemblée a seulement eu en vue les premiers et les seconds jugements, et non les personnes qui jugeront. Je n’ai donc pas contrevenu à ce décret et aux principes de l’Assemblée. On a dit que mon projet était anticonstitutionnel, qu’il anéantissait l’appel, et que l’appel entraînait l’idée de cour supérieure et de cour inférieure : je n’ai pas besoin de répéter ma démonstration : Rappel a pour objet unique de faire juger de nouveau, et non de recourir aune puissance supérieure que la Constitution n’admet nullement. On a dit cependant que vous avez des juges de paix qui sont inférieurs aux juges de district; je regarde les juges de paix comme n’étant pas placés dans l’ordre judiciaire : les juges de paix ont été établis en avant de l’ordre judiciaire, et afin d’empêcher que, pour de petits intérêts, les habitants du royaume ne fussent obligés d’entrer dans les formes; et, en effet, les juges de paix ne jugent point de procès. L’ordre judiciaire ne commence que lorsqu’il y a procès; donc les juges de paix ne sont pas dans l’ordre judiciaire. On a dit qu’il n’y avait pas de raison pour entretenir la voie de l’appel, s’il n’y à pas de recours d’un tribunal moins éclairé à un tribunal plus éclairé. J’exige des lumières dans tous les juges, et en cela je me conforme davantage à vos décrets et à vos intentions. Le juge qui examinera de nouveau l’affaire aura deux avantages : 1° Le nouvel examen des jurisconsultes; 2° les motifs du jugement du premier juge, parce que sans doute vous obligerez celui-ci à les joindre à sa sentence. Il est donc vrai qu’on aura tous les avantages de l’appel; qu’on en aura de plus intéressants encore, qui résulteront, non des personnes, mais de l’état des choses. Il est donc vrai que je n’ai pas blessé les décrets constitutionnels. Un opinant a dit que les tribunaux de district seraient à la fois juges de première instance, juges présidiaux pour les jugements des juges de paix, et juges supérieurs; qu’ils ramasseraient toutes les branches de l’ordre judiciaire, et qu’ils présenteraient un véritable despotisme. Cette objection est bien faible à l’égard du jugement en première instance. Il n’y a pas de danger à l’égard de l’appel des jugements des juges de paix, qui est une espèce de prépjdialité. S’il y a quelque in-311 convéniont, il est bien racheté par la considération de Pinlérêt du pauvre. Quant à ce que les tribunaux de district seront juges supérieurs, et à l’égard du despotisme qu’on parait redouter’ je réponds que celte crainte est nulle dans mon système, puisque, comme tribunaux supérieurs, ifs n’auront aucun territoire; puisque, ne sachant pas s’ils seront chargés de juger les causes de tels ou tels citoyens, ils ne pourront prendre aucun ascendant, ils ne pourront avoir aucune influence politique. On a dit qu’il était naturel d’établir, pour réformer les jugements, un plus grand nombre de juges ; mais cette nécessité est plus dans nos habitudes que dans la réalité. M. Thouret a d’ailleurs appuyé ma proposition. Voici le détail des dangers d’un grand nombre de juges : plus ils sont nombreux, plus les rivalités se multiplient, et jamais elles ne sont à l’avantage du plaideur; ce sont elles qui ont donné lieu à ce qu’on appelle au palais le rapporteur et le compartiteur. Il arrive que deux hommes conduisent tout dans un tribunal, qu’ils préparent tous les résultats, et qu’avec 20 juges, on n’en a réellement que deux. La sollicitation a plus de prisij, quand il y a plus de juges; chacun a ses entours, et ce sont autant de moyens pour faire valoir l’intrigue. Avec un grand nombre de juges, il faut moins compter sur l’expédition des affaires quand ils sont peu nombreux, ils s’entendent mieux pour marcher ensemble; quand ils sont eu grand nombre, ils comptent les uns sur les autres ; l’un est prêt, l’autre ne l’est pas. Ces observations ne sont ici que des faits. J’atteste l’expérience de plusieurs membres de cette Assemblée. Je dis encore qu’avec un grand nombre, on est plus exposé à l’erreur. On ne peut pas réduire les questions à la négative ou à. l’affirmative; il faut prendre les milieux, et les milieux ne sont pas la justice; de là viennent ces prononcés de hors de cour , qui jugent qu’on n’a pas su juger. Enfin j’observe que, dans le projet du comité, on propose de faire rendre le jugement d’appel par quatre juges. Vous voyez qu’il est facile de faire ployer mon plana cette disposition : le comité a voulu qu’il y eût quatre juges pour réformer le jugement qui aurait été rendu par trois. J’aurais de même quatre juges pour réformer le jugement de trois. Je crois donc avoir encore répondu à ce moyeu; je suis obligé de revenir sur l’observation qui a été faite, qu’auprès des grands tribunaux, il y avait plus de lumières. Je confesse que cela était vrai dans l’ancien état des choses ; c’est là que ces talents trouvaient de la gloire et du profit : ceux qui se sentaient des talents s’y rendaient de toutes parts; les hommes à qui la nature avait donné des talents ne pouvaient rester subordonnés; désormais ils se répartiront dans les lieux où ils pourront les exercer; ils resteront dans les villes peu considérables, puisqu’ils y trouveront de la gloire et des avantages pécuniaires. Remarquez qu’une moindre fortune y est nécessaire. Dans le sein de leur famille, au milieu de leurs concitoyens, ils se respecteront davantage; les mœurs y gagneront, et c’est surtout à cela que je tends. J’ajoute une considération dont j’espère que la vérité frappera toute l’Assemblée, Il y a dans les grandes villes de grands jurisconsultes : je demande par qui ils sont consultés ; par qui l’avocat éloquent est employé ? par les gens riches, qui peuvent les payer : ils n’existent pas pour le pauvre. L’avocat recherché, le jurisconsulte qui a acquis de la célébrité, est inabordable; le pauvre est abandonné au peuple du 34 2 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {23 juillet 1790,] palais. Je ne veux pas accuser cette classe d’hommes que je suis accoutumé à estimer; mais je peins les hommes comme ils sont. Je sais que le pauvre n’est pas repoussé par l’avocat célèbre ; mais les moments de ces messieurs sont si bien comptés, qu’il est rare que le pauvre puisse aller jusqu’à l’homme humain, qui l’écouterait. On vous a dit que, dans les petites villes, la prévention est extrêmement facile, que l’opinion y est moins éclairée. Je répondrai sèchement que la prévention est là où l’enthousiasme peut naître, et qu’il ne peut naître que là où il y a de la foule. On vous a dit que tous ces tribunaux, qui s’occuperaient des appels, seraient une source abondante de cassation. Je ne sais sur quel calcul cette objection est établie. Il me semble qu’il y aura toujours le même nombre de jugements infirmés ou confirmés : ainsi le nombre des tribunaux ne multiplie pas celui des cassations. On vous a dit que les citoyens seraient jugés par des juges qu’ils n’auraient pas choisis. Je vous prie de vous rappeler qu’il n’est pas dit dans vos décrets que les juges seraient choisis par le peuple du district, mais par le peuple. Je crois que l’électeur qui nommera dans un département, nommera au nom du peuple français; et votre principe consiste à avoir des juges nommés par le peuple. Il est si vrai que cette observation est uste, que vous décréterez que les juges seront es juges du domicile du défendeur, en matière personnelle, et, en matière réelle, ceux du lieu de l’immeuble, qui fera l’objet de la contestation ; et je m’atfache à ceci. Il arrivera souvent, en matière réelle, que le demandeur et le défendeur n’auront pas leur domicile dans le lieu de l’immeuble, et assurément ils n’auront pas influé sur l’élection des juges. 11 me reste de cette considération que les juges, élus par district ou par département, seront b s juges de la masse du peuple, et que le décret sera exécuté. Dans mon système, le peuple choisira plus réellement ses juges, puisque c’est d’après ces motifs particuliers de confiance qu’on s’adressera à tel tribunal. Je crois que, par ces considérations, je mets de côté le reproche de m’être écarté de la Constitution. Il me reste à m’occuper des moyens d’économie. Dans le plan du comité, il y aura 1,494 juges de district, 498 officiers du ministère public; pour 21 cours supérieures, 168 juges et 21 officiers du ministère public. Je suppose que le traitement de chaque officier du tribunal de district sera de 2r000 livres, cela fait deux millions 988 mille livres et 996 mille livres pour le ministère public; restent les cours supérieures. Le préopinant a dit qu’il fallait payer ces juges avec munificence; qu’ils auraient un territoire étendu ; qu’un homme ne se déplacerait pas, s’il ne trouvait de véritables avantages : le comité proposerait, sans doute, de leur donner trois fois plus qu’aux juges inférieurs ; je ne fais que doubler, ce qui me donne pour les juges des cours supérieures 672,000 livres, pour les officiers du ministère public 84,000 livres ; le total des premières dépenses du pian du comité est de 4,740,000 livres. J’aurai plusieurs objets à y ajouter dans mon plan ; j’ai un juge de plus par tribunal de district; ce qui me fait 2,480 juges à deux mille livres, et une dépense de 4,960,000 livres : elle excède celle du comité de 200,000 livres. Si mon plan est plus avantageux, ce u’est pas une telle somme qui doit arrêter l’Assemblée Dationalede France; mais j’observe qu’il faudra, pourles21 cours supérieures, des bâtiments d’un certain luxe, et que cette dépense sera très considérable; ensuite l’entretien de ces bâtiments, et l’on sait que l’entretien des bâtiments publics est énorme. Je pourrais ajouter encore les frais communs qui se fout dans tous les tribunaux. J’observerai aussi que votre comité ne propose que huit juges par cour supérieure : j’assure que, si une fois vous décrétez ces établissements, il sera aisé de vous prouver qu’elles ne doivent pas être de huit, mais de deux et de trente officiers; voilà quels sont mes calculs; l’excédent de 200,000 livres me semble compensé. Mon projet n’est donc pas plus cher que celui du comité. (Une très grande partie de l’Assemblée applaudit.) (On demande à aller aux voix.) M. de FollevIUe. M. Chabroud ayant donné de grands développements à son plan, “il est naturel que le comité jouisse du même avantage. Une partie de l’Assemblée propose de continuer la discussion à demain. On délibère sur cette proposition. — Une première épreuve est douteuse, une seconde est pour la négative. La discussion est fermée à une grande majorité. La priorité est accordée à la proposition de M. Chabroud. (On demande à proposer des amendements.) M. Chabroud. Je demande la permission d’observer qu’il s’agit uniquement d’arrêter le principe, qui n’est pas susceptible d’amendements ; ils ne peuvent porter que sur les détails qui seront réservés. Le principe est mis aux voix, et décrété en ces termes, à une très grande majorité : « L'Assemblée nationale décrète que les juges de district seront juges d’appel Jes uns à l’égard des autres, suivant les rapports qui seront déterminés ci-après. » M. le Président annonce que les douze membres qui, avec la députation du Cantal, assisteront aux obsèques des deux fédérés noyés dans la Seine, sont : MM. Anthoine. de Talaruc, évêque de Goutances. Melon, député de la Corrèze. l’abbé Bourdon. Gérard. Papin, curé de Mari y. de Broglie. Etienne Chevalier. Stanislas de Clermont-Tonnerre. Cbambors. de Bonnal, évêque de Clermont. Laurendeau. La séance esl levée à 4 heures.