[30 août 1791.] 89 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. greniers, en promettant solennellement qu’on remplacerait les blés qu’elle allait fournir et que sous très peu de temps il arriverait au port de Saint-Valéry des chargements considérables qui ramèneraient l'abondance, et qui dissiperaient toutes les alarmes. C’était en 1789 que M. deNec-ker faisait cela, et que, pleines de confiance dans ce ministre, les villes et les campagnes souffrirent qu’on leur enlevât leurs subsistances pour alimenter la ville de Paris. On attendit bien vainement l’effet de ses promesses, et, soit par le défaut d’ordre, soit par impossibilité, la ville d’Amiens vit arriver le moment où le peuple, livré à la famine, essuierait toute l’horreur des maux qu’elle traîne après elle. Ce fut dans cet instant que les plus notables citoyens, justement effrayés du malheur extrême qui allait frapper la classe la plus indigente, formèrent le projet de se réunir pour concerter les mesures nécessaires et prévenir les maux qu’on pressentait. Ils proposèrent une souscription ou mise de fonds qui seraient employés à acheter des grains chez l’étranger, et une société fut formée sous le nom de société civique. Les conditions qui furent proposées étaient de nature à exciter le zèle des bons citoyens, la principale et la plus importante, parce qu’elle fait connaître l’esprit de la société, était de renoncer à toute espèce de bénéfice. Le roi, J’in-tendant, les municipalités entrèrent dans cette association qui, ne calculant que le moment présent, fit partir sur l’heure des députés pour l'Angleterre et la Hollande : ce voyage fut heureux; sous peu de temps, il arriva 51,430 setiers de grains destinés à l’approvisionnement de la ville et des campagnes. La première distribution qui fut faite calma les inquiétudes; les ventes furent exécutées avec ordre, et le produit devait servir bientôt à amener d’autres cargaisons ; mais le peuple, comparant le prix des grains avec celui qu’il avait ci-devant payé, ne put plus reconnaître le zèle ni les intentions de ceux qui leur fournissaient les subsistances. Il s’arma de bûches, pilla une partie de ces grains ; et, lorsque l’autorité municipale se montra pour réprimer ces excès, une multitude menaçante força les officiers municipaux de rendre une ordonnance par laquelle le prix des grains fut baissé à près de moitié de sa valeur. Cet événement fit faire à la société des pertes considérables, elle fit dresser ses comptes, instruisit le corps municipal du montant de ses engagements et du prix des ventes pour l s acquérir. La différence se trouva être de plus de 500,000 livres ; et elle demanda à la municipalité de fournir à ce déficit. La municipalité impuissante pour couvrir les pertes, se rejeta sur le gouvernement, et prouva que l’extrême pénurie des grains ne pouvait lui être imputée, mais bien au gouvernement. La seule question, sur laquelle les avis ont été divisés dans votre comité, a été de savoir par qui et comment serait payée cette indemnité. On n’a pu parvenir à trouver aucun parti mitoyen. Votre comité, justement économe des fonds du Trésor public, n’a pu consentir à vous proposer que le prix de l’indemnité réclamée soit payée par la nation. C’est à vous à juger si le civisme qui a formé subitement une association pour prévenir les horreurs de la disette, doit être mis au nombre de ces actes de patriotisme qui ont si éminemment distingué la nation ; c'est à vous à juger si le gouvernement, qui a approuvé, excité cette société philanthropique et de bienfaisance, doit partager les dommages qu’elle a soufferts. Voici notre projet de décret ; « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des finances sur la réclamation en indemnité faite par la société civique d'Amiens, décrète que le Trésor public ne peut être chargé du payement de cette indemnité, et renvoie les parties devant les tribunaux, pour se pourvoie comme elles trouveront convenir. » Je viens de vous lire le projet du comité ; je vais maintenant vous proposer un moyen qui pourrait concilier tout le monde. Je propose d'imputer une portion de cette perte sur la somme qui reste eu caisse de l’imposition de 1789 et qui, aux termes du décret du 26 septembre, doit être répartie en moins et imposée sur la généralité de la province d’une part; en second lieu, de prendre sur le seizième du produit des biens nationaux qui doit, revenir à la ville d’Amiens, une seconde part égale à ia première ; et enfin, Messieurs, quant à la troisième partie, ce serait que l’Assemblée nationale ordonnât une imposition accessoire de 2 ou 3 deniers pour livre pendant une année seulement sur le district d’Amiens ou sur tout le département. (Murmures.) M. Laurendeau. Toutes les circonstances dont M. le rapporteur vient de rendre compte doivent déterminer l’Assemblée à ordonner que l’indemnité réclamée pour l’association civique d’Amiens lui soit payée par le Trésor public. Si cependant l’Assemblée trouve quelque difficulté à ordonner cette mesure, elle ne peut pas décider, comme le comité lui propose de le faire, que cette indemnité ne peut pas être mise à la i harge de la nation, parce que, d’après la Constitution, les actions dirigées contre la nation doivent être jugées dans les tribunaux, comme celles qui sont intentées contre les particuliers. Je conclus donc, Messieurs, à ce qu’en rejetant le projet du comité, il soit ordonné que l’indemnité réclamée par l’association civique soit payée par le Trésor public ou que cette société soit renvoyée à se pourvoir dans les tribunaux contre qui et ainsi qu’elle avisera. M. Defermou. Messieurs, la question qu’on vous présente n’en peut pas être une. Si l’Assemblée voulait indemniser toutes les sociétés qui ont fait des sacrifices dans la Révolution, il faudrait avoir de nouveau une source abondante oü puiser, ll est beaucoup de ces sociétés qui ont perdu un quart, une moitié, les trois quarts sur leurs achats; mais elles ont cru devoir le faire; elles ont cru que leur patriotisme et les circonstances exigeaient ce sacrifice et elles l’ont fait. Au surplus, si la société civique d’Amiens a réellement droit à l’indemnité dont il s’agit, il n’est pas besoin d’un décret de l'Assemblée qui l’autorise à se pourvoir devant les tribunaux pour se la faire adjuger, elle a cette action de plein droit; elle n’a qu’à se pourvoir d’elle-rnême. Ainsi donc, en me réunissant au parti proposé de rejeter l’avis du comité, je demande que i’As-sembiée passe à l’ordre du jour ; cette décision remplira en effet le but poursuivi par le préopinant. (L’Assemblée, consultée , décrète l’ordre du 90 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] jour sur le projet de décret du comité des finances.) M. le Président lève la séance à neuf heures. ASSEIBLÉÉ NATIONALE. Présidence de m. vernier. Séance du mercredi 31 août 1791 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Bouche. Je demande à l’Assemblée la permission de lui donner connaissance d’un hommage patriotique de M. Negret-Èruny, juge de paix du canton de Roquevaire , département de L’Ain ; voici sa lettre : « Messieurs, « Élevé à la place de juge de paix par les suffrages libres de mes concitoyëns, je m’empresse d’offrir à la patrie les salaires de 8 mois qui me sont dus par le canton de Roquevaire : c’est un objet de 400 livres dont je m’estime heureux de pouvoir faire hommage à la nation pour l’entretien de l’armée destinée à agir contre les ennemis de l’Etat. « En consacrant mes travaux à rendre la justice à mes concitoyens et à maintenir la paix parmi eux, je ne me crois pas dispensé de prendre les armes pour leë défendre. Veuillez bien me permettre, illustres représentants, de me faire remplacer dans mes fonctions, dans lé cas où mes concitoyens marcheraient contre les ennemis du dehors. Ma qualité de fonctionnaire public ne doit pas me priver de l’honneur d’accompagner aux frontières mes braves frètes d’armés, lés volontaires de ma compagnie de la garde nationale de itoquevaire. « Vivre libre ou mourir est ie vœu de tous les bons Français. Notre courage ne le cédera pas à celui des anciens peuples; comme les Romains, nous répéterons, en perdant la vie pour la nation : Qu’il est doux et glorieux de mourir pour sa patrie 1 « J’ai l’honneur d’être, etc. « Signé : Negret-Bruny, juge de paix du canton de Roquevaire. » (L’Assemblée reçoit avec satisfaction l’offre patriotique de M. Negret-Bruny et ordonne qu’il en soit fait mention honorable dans le proces-verbal.) M. Gossin, au nom du comité de judicature, fait un rapport sur la liquidation des procureurs au grand conseil ; il s’exprime ainsi : Messieurs, les procureurs au grand conseil ont été supprimés de fait, avant tous les autres officiers ministériels, par l’abolition des privilèges, par la destruction de la féodalité, par l’extinction des matières bénéficiâtes, et il n’a été jusqu’ici prononcé aucun mode de remboursement et d’indemnité qui puissent les concerner. Ces officiers, voulant trouver leur sort textnel-tuellement écrit dans le décret du 21 décembre dernier, sur la liquidation des offices ministériels, forçaient le sens de l’article 19 de ce décret, qui s’est trouvé applicablé aux avocats aux conseils; en conséqùence, ils n’ont cessé de solliciter un mode dé remboursement et d’indemnité en tout semblable à fcelui qui serait adopté poür ces derniers. Les àvofcats aux conseils n’avaient pas été soumis à l’évaluation prescrite par l’édit dé 1771, et c’est sous ce point de vue qu’ils se sont trouvés compris dans l’article 19 du décret du 21 décembre dernier, qui veut que les officiers non soumis à l’évaluation soient remboursés sur le pied des contrats d’acquisition. Les procureurs au grand conseil ont exposé à votre comité que les anciens offices de procureurs en ce tribunal ont été supprimés par un édit de 1768. A cette époque ils ont été pourvus d’offices d’avocats aux conseils, dont ils étaient encore titulaires lors de l’édit de 1771, qui a exempté les avocats aux conseils de l’évaluation présenté aux autres officiers. En 1774, on a créé les offices dé procureurs au grand conseil, dont ils viennent d’être dépossédés, et par une déclaration dé 1775, la finance dë ces nouveaux offices a été fixée à une somme de 4,000 livres qu’ils Ont payée par le simple rapport de leur quittance de finance d’avocats aux conseils, qui était de pareille somme de 4,000 livres. D’après ces faits, dont l’exactitude a été vérifiée sur les lois qu’ils rapportent, les procureurs au grand conseil prétendent qu’ils n’ont point été soumis à l’évaluation lors de l’édit de 1771, puis-qu’à cette époque ils étaient avocats aux conseils, et que ceux-ci en ont été exceptés : ils ajoutent qu’ils n’ont pu y être soumis postérieurement, parce qu’il était impossible de soumettre à l’évaluation les offices qui seraient créés postérieurement à l’édit de 1771, puisqu’en jes créant, on devait nécessairement en fixer la finance, ce qui établissait l’inutilité de soumettre l’officier à l’é valuation de son office : ils concluent de ces observations, qu’ils n’ont jamais été soumis à l’évaluation, que leur sort est par conséquent réglé par l’article 19 du décret du 21 décembre dernier, aussi bien que celui des avocats aux conseils. L’article 21 du même décret exigeait que, sur le prix du contrat des offices ministériels non soumis à l’évaluation, il fût fait déduction d’un tiers, lorsqu’ils auraient acquis des recouvrements sans spécification de somme. Des considérations frappantes résultant de la nature de la clientèle des avocats aux conseils et du peu de recouvrements qu’ils étaient censés avoir acquis, ont déterminé le comité et l’Assemblée nationale à s’écarter de la règle prescrite à cet égard, pour ne leur retenir qu’un huitième, Les procureurs au grand conseil ont invoqué les mêmes motifs, les mêmes considérations, de sorte que se comparant, toujours et en tous points, aux avocats aux conseils, non seulement ils ont réclamé la règle établie par les articles 19, 20 et 21 du décret dn 21 décembre dernier, mais encore ils ont voulu se ranger sous l’exception qui u été décrétée depuis en faveur des avocats aux conseils. Votre comité n’a pu voir, entre ces deux espèces d’officiers ministériels, ie rapport que les procureurs au grand conseil ont vainement tenté d’é-lablir. Vous savez, Messieurs, que, pour parvenir à fixer le remboursement et l'indemnité que les officiers ministériels attendaient rie votre justice et de votre humanité, il a fallu considérer trois objets : ie tûre, la clientèle et les recouvrements; (1) Cette séance est incomplète au Moniteur,