SÉANCE DU 12 BRUMAIRE AN III (2 NOVEMBRE 1794) - N° 17 331 BORDAS, au nom du comité des Finances (98) : Citoyens, si je viens encore vous parler de la liquidation des dettes des émigrés, c’est que j’ai sans cesse devant les yeux la classe la plus nombreuse et la moins fortunée de leurs créanciers ; c’est que je pense toujours aux besoins dont ils sont accablés; c’est qu’il faut les secourir aujourd’hui même, demain peut-être il serait trop tard ; c’est qu’enfin je ne crains pas de fatiguer votre attention quand j’intéresse votre justice et votre sensibilité. Vous avez déjà fait beaucoup pour ces créanciers, mais il vous reste encore beaucoup à faire. Vous l’avez senti vous mêmes, et pour atteindre le but que vous vous êtes proposé, vous avez mis en réquisition les lumières de vos deux comités de Législation et des Finances. En partageant vos désirs, ils ont cherché à prévoir et ils ont discuté toutes les propositions qui pourraient vous être faites. Le résultat de leur délibération s’est fixé sur la nécessité d’une commission centrale, isolée de toute autre administration déjà existante. Ils ont reconnu que c’était l’unique moyen d’assurer les prompts succès d’une opération qui, depuis deux ans et demi qu’elle est confiée aux corps administratifs, n’a fait encore aucun progrès marqué. J’ai développé, citoyens, les grands motifs qui sollicitent cet établissement. Ils ne sauraient vous être étrangers ; il serait même inutile et fastidieux de vous les rappeler. Mais ce n’est pas assez d’être pénétré de ce qu’ils ont d’impérieux; il faut décréter cet établissement, il faut lui donner l’existence et la vie. Que tardons-nous à créer la commission dont nous avons tous senti la nécessité? Que tardons-nous à faire nommer le commissaire et l’adjoint dont elle doit être composée? J’aime à vous le dire que le comité s’occupe sans relâche de poser les principes d’après lesquels cette commission marchera, qu’il agite même des questions importantes sur la composition de l’actif des émigrés par rapport à leurs créanciers, mais je dois vous dire aussi que la création de cette commission, que son existence, sont indépendantes de la solution des autres questions. Commençons donc, et au nom des deux comités je vous invite à commencer par former cette commission. Jetons ensemble un coup d’oeil sur les avantages qui doivent en résulter. Avez-vous nommé le commissaire et son adjoint qu’aussitôt on leur indique un local pour établir leurs bureaux. Là, dès le même instant, ils s’occupent à recevoir, à diviser, à classer dans un ordre désormais devenu invariable tous les titres, tous les papiers que les districts et les départements sont tenus de leur faire passer de tous les points de la République. Ils ouvrent avec tous les corps administratifs, avec toutes les commissions exécutives, une correspondance nécessaire pour se procurer les renseignements dont ils ont besoin. Ils s’entourent de tous les moyens d’exécution, et méditent sur l’organisation définitive de la commission, organisation (98) Moniteur, XXII, 423-424. J. Perlet, n° 770. d’où dépend, plus qu’on ne pense, le succès de l’entreprise, et qui ne peut être que le fruit de la réflexion et de l’expérience. Il est sensible que tous ces travaux préparatoires et indispensables demanderont le sacrifice de quelques mois. Cependant les comités continuent toujours à poser les bases sur lesquelles doit porter la liquidation ; ils examinent, ils discutent les projets qui leur sont présentés, et ils adoptent ceux qui concilient le mieux les principes de la justice avec les intérêts de la République, avec ceux des créanciers; ils trouvent même auprès de la commission établie des renseignements faciles et précieux; et quand la commission est en mesure d’ouvrir ses bureaux, quand elle peut commencer ses opérations, le code des lois d’après lequel elle doit procéder est complet, et rien alors ne peut plus retarder son action. Veut-on au contraire ne penser à la commission que lorsque toutes les difficultés relatives à la liquidation des dettes auront été prévues et décidées ; veut-on que cette commission ne sorte, pour ainsi dire que toute armée du cerveau des législateurs ; alors c’est en ajourner indéfiniment la création, c’est vouloir perdre sciemment un temps précieux, puisqu’après celui que les comités et la Convention auront employé à discuter les principes, il faudra que la commission en emploie beaucoup encore à s’organiser, à se mettre en état d’user de tous les moyens d’agir qui lui auront été préparé d’avance. Considérez ce qui s’est passé à l’égard de la liquidation des dettes de l’Etat. Si l’on eût attendu pour y travailler que toute la partie législative qui devait la diriger eût été complète, on aurait couru [le] risque d’attendre longtemps, puisque quelques unes de ces lois viennent encore tout récemment d’être rendues. Mais on a mieux fait, on a d’abord établi une direction générale. Les lois sont ensuite venues successivement et à mesure qu’on en a senti le besoin, et aujourd’hui les parties les plus considérables de cette liquidation sont terminées. C’est la marche qu’il faut ici tenir pour une opération bien plus importante, et qui offre bien d’autres détails. Citoyens, au nom de l’humanité, écartons toutes les mesures qui pourraient entraîner des délais. Si vous différiez plus longtemps l’établissement d’une commission que nous désirons, vous mettriez, contre votre voeu, le désespoir dans l’âme d’une foule de bons citoyens. Eloignés de nous, ils ignorent que vos comités calculent les moyens les plus propres à assurer leur prompt payement. Du fond de leur asile, innocemment injustes, ils accusent notre indifférence. Montrons-leur que nous n’avons jamais oublié la cause du peuple; ils ne peuvent en juger que par le fruit de nos travaux. Créons donc cette commission, et l’espoir renaît dans leurs coeurs ; ils oublient ce que leur ont coûté trois années d’attente; ils voient une administration qui enfin va s’occuper d’eux, qui ne s’occupera que d’eux, qui les écoutera; ils sont consolés, ils sont presque déjà payés. Bordas présente un projet de décret dont la Convention ordonne l’impression et l’ajournement.