[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] Par cette marche, la célérité des secours, pécuniaires ne sera pas retardée ; enfin renaîtra l’abondance. Les moyens qui la procureront seront pris dans vos propres ressources; ils agiront sans convulsion ; et, en rétablissant le déplorable état des finances, ils auront l’avantage, bien important, de conserver à la nation une propriété ira-mobiliaire de 2 milliards 100 millions, que vous aurez forcée, dans mon système, de vous produire hâtivement 502,200,000 livres, sans rien ôter à sa valeur intrinsèque, ni l’avoir frappée de stérilité. OBSERVATIONS. L’abolition que fit M. l’abbé Terray des tontines établies avant lui pourrait inspirer à quelques-uns de la défiance sur la solidité de celles que je propose; mais elles n’ont que le nom de commun avec les premières. 1° Les tontines abolies ne pouvaient qu’être à charge à l’Etat : il ne gagnait jamais rien par les extinctions, qui tournaient entièrement au bénéfice des actionnaires. 2° Elles n’avaient d’autre garantie que la probité des ministres. Celles dont je propose l’établissement versent dans le Trésor public un tiers des bénéfices produits par les extinctions, et présentent, à la fois, aux actionnaires et la garantie inviolable de la nation, et une hypothèque directe sur les revenus des biens ecclésiastiques qui supportent seuls le fardeau de l’emprunt. Le capital de l’emprunt, quoique très-considérable, se remplira cependant avec beaucoup de facilité, puisque la moitié peut être fournie en effets; et l’autre moitié, fournie en argent, surpasse les besoins de 1789 et 1790, présentée dans le plan de M. le ministre des finances. Les 6,696 personnes qui doivent composer chaque classe d’une banque resteront toujours associées, à quelque âge qu’elles parviennent, et n’hériteront jamais que les unes des autres, parles extinctions survenues dans leur classe, qui n’aura rien de commun avec les autres classes. Celui qui prendrait une action de 1,000 livres dans la classe d’un an jusqu’à cinq, s'il était le survivant de cette classe, aurait 178,560 livres de rente; et la tontine aurait, en bénéfices, 89,280 livres. Celui qui, dans la classe de 40 à 45 ans, prendrait une action de 1,000 livres, s’il était le dernier survivant deda classe, jouirait de 267,840 livres de rente, et la banque aurait en bénéfice 133,920 livres. Celui qui, dans la classe de 70 ans, prendrait une action de 1,000 livres, s’il était le dernier survivant, jouirait de 334,800 livres, et la banque aurait en bénéfice 167,400 livres. Ces trois exemples pris dans la première classe, dans la moyenne et dans la dernière, offrent les avantages déterminés, tant en faveur des actionnaires que de la tontine. Il eût été trop long et fastidieux pour le lecteur de présenter le tableau détaillé des bénéfices de chaque classe. Quand, dans le développement de mon plan, il a été annoncé que l’actionnaire heureux qui, pour une mise de 5,000 livres réparties dans les cinq banques, et toujours dans les classes de son âge, à raison d’une action de 1,000 livres dans chaque banque, s’il était le dernier survivant, jouirait de 1,087,000 livres de rente, je n’ai présenté que l’aperçu du terme moyen ; puisqu’il est vrai que celui qui, dans chacune des trois 1” Série, T. X. 369 classes ci-dessus désignées, aurait pris 5 actions, une dans chaque banque, ce qui ferait 5,000 livres, aurait, toute déduction faite du bénéfice de la tontine : Dans la classe de 1 an à 5,892,800 livres de rente; Dans la classe de 40 à 45 ans, 1,339,200 livres de rente; Et dans la classe de 70 ans, il jouirait de 1,674,000 livres de rente. M. le marquis d’Estourmcl. Il est impossible déjuger des chiffres et le plan de M. l’aDbé d’Abbecourt sur une audition incomplète. Je demande l’impression. L’impression est ordonnée. M. le Président. L’ordre du jour appelle un rapport des commissaires chargés de vérifier l'état delà Caisse d'escompte. M. le duc du Châtelet (1). Vous nous avez chargés, Messieurs, de prendre une connaissance exacte de l’état de la Caisse d’escompte, de ses opérations, de ses statuts, et de l'usage qu’elle a fait de son crédit, de ses moyens et de ses fonds. C’est l’objet du compte que nous allons vous rendre. Nous citerons littéralement les pièces qui nous paraîtront devoir être citées, et nous joindrons à la fin celles que nous n’aurons fait qu’indiquer et qui nous semblent de nature à être annexées à ce rapport. La Caisse d’escompte a été créée en 1776, sous le ministère de M. Turgot, par un simple arrêt du conseil et sans aucun privilège exclusif, à l’effet d’escompter les lettres de change ou autres effets commerciables à un taux modéré, et avec la permission de faire le commerce des matières d’or et d’argent, enfin, de recevoir les dépôts qui lui seraient volontairement confiés. Les fonds de cette société, qui devaient, selon le premier plan, être de 15 millions, dont 10 déposés au Trésor royal, furent, au bout de quelque mois, bornés à 12 millions, qui durent être formés en commandite par 4,000 actions do 3,000 livres chacune, et uniquement consacrés aux opérations de son commerce. Les conditions imposées aux actionnaires furent de ne jamais élever leurs escomptes aùdelà de 4 0/0 par année, de s’interdire tout autre commerce, de ne faire aucun emprunt portant intérêt, de ne contracter aucun engagement qui ne fût à vue et au porteur, et que la Caisse d’escompte serait réputée être la caisse personnelle et domestique de chaque particulier qui y tiendrait son argent, et serait comptable envers lesdits particuliers de la même manière que le seraient leurs caissiers domestiques. Sept administrateurs durent être élus par les actionnaires pour la direction de leurs affaires. Un pareil établissement ne pouvait espérer, dans son principe, que de faibles progrès, dans un royaume où le souvenir d’une banque qui, au commencement du même siècle, avait causé tant de désastres n’élait point encore effacé; et il choquait trop d’intérêts particuliers pour ne pas éprouver de grandes contrariétés : aussi dans les deux premières années qui suivirent sa création, c’est-à-dire jusqu’à la fin de 1778, il y eut aussi peu d’empressement pour acquérir les actions que (1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du ' rapport de M. le duc du Châtelet. 24 370 Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] de difficultés à introduire les billets dans la circulation. A cette époque, plusieurs des premières maisons de banque de la capitale se réunirent pour prendre des intérêts dans cette société, et y faire par elle une partie de leurs négociations. Le nombre des administrateurs fut porté à 13, dont 4 sont renouvelés tous les ans, et la société obtint la permission d’augmenter le taux de ses escomptes de 1/2 0/0 en temps de guerre. Ses autres statuts furent confirmés. La Caisse d’escompte alors prit un crédit que jusque-là elle n’avait point obtenu : les fonds delà société furent complétés, et ses billets reçus de préférence, à cause de leur extrême commodité, dans presque tous les payements considérables, acquirent un degré de confiance et de faveur qui ne s’est altéré que dans quelques moments de crise. La première eut lieu au mois de septembre 1783; elle avait plusieurs causes: La Caisse avait prêté au gouvernement 6 millions qu’il ne pouvait lui rendre. Les administrateurs avaient, de plus, eu l’imprudence, pour augmenter leurs escomptes, et par conséquent leurs profits, de donner trop d’extension à l’émission de leurs billets dans le public, et de laisser tomber leur numéraire jusqu’à la somme presque nulle de 138,000 livres. Cependant il leur restait des piastres avec lesquelles ils auraient pu payer encore quelque temps, attendre les rentrées de leur portefeuille, et le payement de ce que le Trésor royal devait à la Caisse, Mais le ministère n’osa autoriser des payements en monnaie étrangère ; il préféra donner un arrêt de sursôance, et nommer des commissaires pour examiner l’état des affaires de la caisse d’escompte et le rendre public. Cet événement ne fut pas aussi funeste qu’il aurait pu l’être à la Caisse d’escompte. L’inventaire a démontré queson actif surpassait son passif de plus 14 millions ; et cette vérité constatée calma lesalarmesdu public. Bientôt elle obtint le remboursement des avances qu’elle avait faite au gouvernement, et cette somme de 6 millions, jointe à la rentrée d’une partie des effets de son portefeuille, enfin la création de 1,000 actions nouvelles et une augmentation de 500 livres sur le capital des anciennes la mirent en état de reprendre ses payements à bureaux ouverts, avant l’expiration du terme fixé par l’arrêt de surséance qu’elle avait obtenu. Sur ladémonslration de cette possibilité, un nouvel arrêt du Conseil révoqua l’arrêt de surséance, et. enjoignit aux administrateurs de la Caisse d’escompte de payer à vue dès le 10 décembre. Cet arrêt établissait de nouveaux statuts pour ses opérations et de nouvelles règles pour son régime intérieur, afin de prévenir le retour des circonstances fâcheuses qu’elle venait de surmonter. Ces statuts et ces règlements, du 14 novembre 1783, forment encore la base de sa constitu tion et de son régime, et ils n’ont éprouvé depuis que de légères altérations. Par l’article 2, les actionnaires s’obligèrent à conserver toujours un fonds d’environ 2,500,000 livres en réserve, pour subvenir aux pertes imprévues » ; et ils n’ont été affranchis de cette obligation qu’en 1787, lorsqu’ils ont déposé au Trésor royal une somme de 70 millions à titre de cautionnement envers le public. 11 est stipulé dans l’article 3 que, « pour assurer que la Caisse puisse être constamment en état de satisfaire à l'obligation étroite de payer les billets à présentation, les actionnaires s’engagent de garder constamment un fonds suffisant d’espèces, dans une quotité qui sera déterminée par le règlement du régime intérieur, dans une proportion qui ne pourra jamais être moindre que du tiers au quart de la somme des billets en circulation. » L’article 6 du règlement pour le régime intérieur, expliquant les règles dont les administrateurs ne doivent pas s’écarter pour l’exécution de l’article 3 des statuts, «/leur prescrit de restreindre sensiblement les escomptes dès qu’ils s’apercevront que le numéraire effectif est baissé au-dessous du tiers, et de les cesser entièrement dès que la proportion du numéraire ne sera plus que du quart de la somme des billets en circulation. » Le terme des escomptes fut fixé par l’article 5 à 90 jours, et leur taux à 4 0/0 pour un mois et à 4 1/2 pour un plus long terme. Enfin, par divers articles du régime intérieur, il est recommandé aux administrateurs de n’accepter à l’escompte aucun effet commerçable qui n’ait au moins 15 jours d’échéance, qui ne soit re ¬ vêtu de 2 bonnes signatures et qui ne soit présenté par le dernier endosseur; enfin de distri-tribuerles escomptes sans acception depersonnes et de ne donner de préférence qu’à celles qui tiennent leurs comptes ouverts à la caisse. Il leur fut, en outre, prescrit de ne conserver jamais en réserve pour plus de 10 millions en billets au delà de la quantité réellement eu circulation dans le public. Une délibération des actionnaires a depuis étendu cette faculté jusqu’à la somme de 20 millions. Le capital de la Caisse d’escompte fut donc de 20 millions à cette époque, tant par la création de 1,000 actions nouvelles que par l’appel qui avait été fait sur les anciennes. Vous nous pardonnerez sans doute, Messieurs, de ne pas vous entretenir des détails qui n’ont rapport qu’au régime intérieur de l’administration tels que ceux qui fixent le pouvoir et les fonctions des administrateurs, des directeurs et autres employés : l’ordre le plus parfait nous a paru régner dans toutes les branches de cette immense comptabilité; les différentes parties se contrôlent mutuellement ; chaque livre est tenu à jour et rapporté sur un bilan général ; en sorte que tous les soirs les administrateurs sont en état de comparer et de constater l’état au vrai de chaque partie, et que rien ne pourrait échapper à la vigilance la moins attentive et la moins exercée. Celte clarté a beaucoup contribué à rendre l’inspection de la Caisse d’escompte facile pour les commissaires. Le mois de février 1787 devint une cinquième époque de son existence. 20,000 actions nouvelles furent créées sur le pied de 4,000 livres, et le capital gde la Caisse porté ainsi à 100 millions, dont 30, c’est-à-dire 10 millions de plus, seraient destinés aux opérations de son commerce, « et 70 seraient déposés au Trésor royal, par forme et à titre de cautionnement de ses engagements envers le public. » Conformément « l’arrêt du Conseil, |du 18 février 1787, dont nous tirons ces expressions, le dépôt en a été fait en actions, dont le Trésor royal a touché les fonds, et il a été expédié en conséquence aux actionnaires de la Caisse d’escompte « une quittance de finance, portant promesse d’en payer les intérêts sur le pied de 5 0/0, sans retenue, de 6 mois en 6 mois, jusqu’au rembour- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sement qui s’effectuera en totalité, et en espèces, lors de la cessation du privilège qui devait leur être accordé. » Ce privilège, aux termes de l’article 10, devait leur être exclusif, et durer 30 années, « à compter du jour de Penregistrementdes lettres patentes qui interviendraient sur l’arrêt » ; mais ces lettres patentes n’ont pas été enregistrées, elles n’uiit pas même été expédiées; ainsi le privilège exclusif n’existe pas; et des dispositions de l’arrêt du 18 février 1787, il n’y a de réel que le dépôt de 70 millions, la quittance de finance, l’augmentation du fonds de commerce à 30 millions, et la liberté donnée par l’article 8, d’escompter des effets qui auraient jusqu’à 180 jours de terme, à 4 et 5 0/0, selon leur échéance à 4 et à 6 mois. Sous ce nouveau régime la Caisse d’escompte a continué de prospérer pendant 14 mois, et de présenter à ses créanciers et au public l’aspect d’une grande solidité. Au mois de février 1788, elle avait pour 113 millions de billets en circulation, et plus de 50 millions en espèces. Au mois de mars ses billets montaient à 120 millions 1/2, et son numéraire à 52. Au mois d’avril les engagements étaient de 120 millions 200 et quelques" mille livres, et les espèces en caisse formaient un capital de 51 millions 1/2; enfin, dans les premiers jours du mois de mai, malgré l’inquiétude que les opérations du gouvernement commençaient à répandre, plus de 49 millions 1/2 en argent dans ses coffres formaient encore environ les cinq douzièmes des 120 millions de billets au porteur qu’elle avait en émission. Les règlements prescrivaient aux administrateurs de diminuer les escomptes dès que le numéraire en caisse faiblissait au-dessous du tiers des billets répandus dans le public. Il paraît par leurs livres qu’ils n’ont pas attendu cette époque, et que, quoiqu’ils fussent encore bien éloignés de cette proportion, le seul aspect des affaires publiques les détermina à ralentir considérablement leurs escomptes : la somme de leurs billets circulants diminua en conséquence, mais la diminution des espèces suivit une progression plus rapide; elles s’affaiblirent sensiblement dans le courant du mois d’août, et le 16 elles se trouvaient au terme au-dessous duquel tout escompte devait cesser. Les administrateurs crurent devoir se contenter de continuer à les réduire ; et elles furent en effet réduites successivement de 6,300,000 livres, du 16 août au 1er septembre. Les deniers en caisse à cette époque remontèrent au-dessus de la proportion du quart de la somme des billets en circulation dans le public ; et cette proportion qui s’est quelquefois élevée et qui ne s’est jamais affaiblie pendant les neuf mois suivants, n’a cessé d’être constamment soutenue que le 1er juillet de cette année. Vos commissaires reviendront à l’examen de ce qui s’est passé dans ces temps postérieurs. Ils doivent seulement remarquer ici que les administrateurs de la Caisse, en se bornant à diminuer l’escompte qu’ils devaient suspendre, ne se sont pas conformées à la lettre de leurs règlements. Les administrateurs allèguent pour se justifier que la différence du quart était très-légère; qu’ils avaient l’espoir fondé, et qui s’est réalisé dans l’espace de douze jours, de voir leurs fonds se relever au-dessus de cette proportion ; que le règlement n’aurait pu être exécuté à la rigueur sans un grand danger ; que si l’escompte avait été [4 décembre 1789.] 371 supprimé tout à coup, la plupart des maisons de banque et de commerce auraient été exposées à manquer, à se renverser les unes sur les autres, à écraser ainsi les principaux débiteurs delà Caisse, et par conséquent à ruiner les actionnaires, et à rendre la propriété des porteurs de billets moins assurée. C’est ici le moment de vous rendre compte des événements qui depuis ont jeté la Caisse d’escompte encore plus loin de l’exécution du règlement, et du devoir constitutif d’une banque qui a pris l’engagement de payer à vue. Ces événements, qui forment la sixième et la septième époques de l’histoire de la Caisse d’escompte, et qui l’ont conduite jusqu’à ce jour, méritent toute votre attention. Le premier est l’arrêt de surséance, donné le 18 août de l’année dernière, qui dispense la Caisse d’escompte de payer les billets à vue, l’autorise à les solder en bonnes lettres de change , et ordonne de recevoir ces mêmes billets dans tous les payements, et dans toutes les caisses publiques et privées, et qui constitue ainsi les billets de la Caisse d’escompte, pour la seconde fois, papier-monnaie. Les administrateurs de la Caisse d’escompte affirment 11’avoir pas sollicité, n’avoir pas même prévu cet arrêt. Ils ont plusieurs fois déclaré à leurs actionnaires , qu’ils n’en avaient eu connaissance que le 19 août , au matin , par l’affiche mise à la porte de leur établissement. Ils prétendent qu’ils n’en avaient pas besoin, et que c’est le discrédit, qui a été une suite de la publication de cet arrêt, et les conjonctures qui ont suivi, qui les ont forcés d’en faire usage pour réduire leurs payements. Us observent, à l’appui de cette asserlion, que dans les onze jours qui ont suivi sa publication depuis le 19 août jusqu’au 1er septembre, ils ont soldé, acquitté ou retiré pour 10 millions de leurs billets , sur le pied d’environ 1 million par jour; que leur masse en circulation était réduite de 74 millions à 64 ; que leurs fonds en caisse n’étaient cependant baissés que d’environ 960,000 livres pendant ces onze jours; que dès le 30 août, ils excédaient de 500,000 francs la popportion du quart des billets; que le 1er septembre ils l’excédaient de 1 million; que depuis l’arrêt de surséance, l’état de leur caisse s'étant amélioré, quoiqu’ils eussent payé dans une proportion plus forte qu’ils ne l’avaient fait le jour précèdent; sans le secours qu’iis ont été entraînés à donner au gouvernement, ils auraient pu , suivant toute apparence, en continuant la même marche, reprendre très-promptement leurs payements à bureaux entièrement ouverts. Voilà ce qu’ils allèguent. Mais, si vos commissaires doivent vous exposer leurs observations, ils ne peuvent, en même temps, se dispenser de vous faire remarquer les infractions qui ont été faites aux règlements de la Caisse d’escompte. II paraît, en effet, que si dans les derniers jours d’août et les premiers de septembre les administrateurs avaient soutenu leurs payements dans une très-forte proportion, ils n’avaient pas repoussé l’arrêt de surséance, et que peu après ils l’ont fait entrer dans les considérations qui les ont engagés à se rendre plus faciles sur le premier secours que le ministre des finances leur a demandé , et qu’ils ont profité de ces dis positions en rendant la forme des payements encore" plus lente, non-seulement en ne les effectuant pas à toute quotité de sommes, mais en [4 décembre 1789.] [Assemblée nationale,] ARC.U1VES PARLEMENTAIRES. 372 ne payant à présentation que 1,000 livres à chaque porteur. Or, il est certain qu’une banque dont tous les engagements sont au porteur , et doivent être pavés à présentation, est en faillite dès qu’elle ne” paye qu’en partie, et non pas à toute quotité de sommes. Nous voici maintenant arrivés au récit des torts les plus sérieux de la Caisse d’escompte, comme aussi des services les plus importants qu’elle ait rendus au gouvernement. Ces torts et ces services utiles datent du mois de septembre 1788. C’est alors que les administrateurs delà Caisse d’escompte se sont le plus sensiblement écartés de la constitution de leur société, et de la teneur des règlements. Jusqu’à cette époque, elle n'avait pris encore aucun engagement avec le gouvernement : c’était le moment où àb l’archevêque de Sens venait de laisser le ministère à M. Necker, et l’on sait quelle était alors la situation des affaires publiques. M. Necker s’adressa particulièrement aux administrateurs de la Caisse d’escompte, pour en obtenir des secours, qui seraient peut-être devenus impossibles , si la demande en avait été publique. Il n’avait que des valeurs éloignées à leur offrir. Il connaissait la sévérité des règlement auxquels ils étaient soumis ; il les convoqua; il les pressa avec réserve, mais avec force, d’oser les transgresser, sans l’aveu meme des actionnaires , pour venir plus sûrement et plus promptement au secours de la chose publique. Les administrateurs ne se dissimulèrent pas qu’en se prêtant au désir du ministre, ils manquaient à leurs statuts et aux statuts fondamentaux de toute banque constituée comme la leur , et dans sa situation ; mais les sollicitations de M. Necker et les circonstances étaient si pressantes, qu’ils cédèrent et prirent la délibération suivante. Nous croyons devoir vous mettre en entier sous les yeux ces pièces principales: DÉLIBÉRATION des administrateurs de la Caisse d'escompte Du 4 septembre 1788. M. le directeur général, ayant convoqué l’administration de la Caisse d’escompte, lui a témoigné le désir d’être aidé par elle dans ces circonstances où il est intéressant d’opérer le retour entier de la confiance ; que le secours qu’il lui demandait consistait à lui avancer : 6 millions dans ce mois, 6 millions en octobre , 3 millions en novembre contre 15 millions de rescriptions, à un an de terme ; Que, connaissant les bases et les statuts de la Caisse d’escompte, qu’aucun ministre n’a plus respectés que lui, il laissait à l’administration pleine et entière liberté de refuser ou d’admettre sa proposition ; qu il ne demandait pas même qu’on lui fît.une réponse sur-le-champ, mais qu’il lui en fut fait une dans l’après-midi, après qu’il en aurait été délibéré en administration ; Qu’il espérait que toutes choses allaient prendre une tournure favorable, qu’il mettrait sous les yeux du Roi le service essentiel que rendrait la Caisse d’escompte si elle consentait à sa proposition, et lui demanderait son bon pour garantir, dans tous les cas, le payement des rescriptions. Sur quoi, ayant été délibéré , il a été décidé à l’unanimité que la proposition nécessitée par les circonstances, l’utilité publique et la confiance méritée dont jouit le chef de l’administration des finances, devait être acceptée. On a passé ensuite à la discussion des moyens et des formes à employer pour concilier le désir et l’empressement de l’administration de la Caisse à réaliser cette opération. Il est résulté du débat des opinions , que le prêt fait au gouvernement était contre les statuts, et plusieurs, désirant accorder l’utilité publique avec l’observation exacte des règlements , ont proposé de le faire sur des engagements particuliers et personnels de tous les administrateurs ou de partie d’entre eux, appuyés des rescriptions qui seraient déposées au coffre avec le bon de Sa Majesté. Sur quoi, ayant été délibéré, il a été décidé que les billets Vêtaient pas nécessaires, et tous convaincus que la nécessité de concourir dans ce moment au bien public, en accordant ce qui était demandé, on a arrêté, à l’unanimité, d’escompter à 5 0/0 l’an les rescriptions proposées à un an de terme par M. le directeur général, et de lui demander d’obtenir de Sa Majesté son bon, qui sera pour l’administration de la Caisse d’escompte un point de tranquillité vis-à-vis des actionnaires, et pour eux la certitude du remboursement. Délibéré en assemblée d’administration, à Paris, le 4 septembre 1788. Signé : Les administrateurs de la Caisse d'escompte. Au bas de cette délibération fut écrit de la main du Roi : Approuvé la présente délibération, et M. Necker en témoignera ma satisfaction aux administra-f piii-c Signé : LOUIS. Telle fut l’origine et la nature du premier engagement que les administrateurs de la Caisse d’escompte prirent avec le gouvernement. Si on les considère comme des citoyens, comme des Français émus par l’exposition du danger de l'Etat, ils” paraissent dignes d’éloges. Si on ne les envisage que comme des associés en commandite, qui disposaient des intérêts de leurs actionnaires, et des fonds exigibles et suspendus de leurs créanciers, on les trouvera sans doute très-repréhensibles ; et l’on doit remarquer de plus que, quant à la durée de l’échéance, ils sont encore sortis de la loi qui leur était imposée; mais ils sont couverts, à ce dernier égard, vis-à-vis de leurs actionnaires, par l’approbation subséquente qu’il en ont reçue. Quant aux porteurs de billets, il est constant que l’opération faite avec le gouvernement paraît avoir visiblement reculé le terme où ils auraient pu être payés à toute quotité de somme, et à présentation, et qu’il est au moins injuste de prêter l’argent d’autrui lorsqu’on ne veut pas ou qu’on ne peut pas le payer conformément au titre de sa créance; mais il est presque aussi certain que, si le gouvernement avait cessé ses 14 décembre 1789.] [À'Semblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ôl'à payements, le sort des porteurs de billets aurait été bien plus fâcheux, et que tous les faiseurs de service, tous les fournisseurs, et, par contrecoup, la plupart des maisons de banque et de commerce, et la Caisse d’escompte elle-même, auraient été dans le cas de manquer. Le secours que M. Necker avait demandé et obtenu de la Caisse d’escompte, au moment même de son arrivée, et avant d’avoir pu connaître retendue des besoins, n’avait été qu’un moyen de pourvoir à ceux qui lui avaient paru les plus pressants. Il reconnut bientôt leur insuffisance ; les six semaines étaient à peine écoulées, qu’il se trouva forcé de recourir aux administrateurs et de leur proposer de lui accorder un nouveau secours égal au premier. Il en fit la demande au nom du Roi et la présenta comme un moyen indispensable pour seconder les dispositions que faisait le gouvernement pour convoquer les Etats généraux. Il leur eût été difficile de refuser ce second sacrifice après avoir fait le premier ; cependant leur délibération fait voir que, si leur zèle ne s’est pas refroidi, leur inquiétude sur les intérêts de leurs actionnaires et de leurs créanciers était augmentée. Voici la teneur de cette délibération : 2e DÉLIBÉRATION Des administrateurs de la Caisse d’escompte Du 16 octobre 1788. L’administration de la Caisse d’escompte ayant à délibérer sur la demande qui lui a été faite, au nom du Roi, par M. le directeur général des finances, d’une nouvelle avance de 15 millions pour un an, en trois payements de 5 millions, au 15 octobre, 15 novembre et 15 décembre, Elle a considéré qu’à la veille de l’assemblée des notables, à l’approche de celle des états généraux qui doivent établir la confiance sur des fondements solides, tous les bons citoyens doivent seconder de tout leur pouvoir les efforts du gouvernement et ceux du ministre des finances, pour concourir au bien général : Que la Caisse d’escompte est tenue, à cet égard, à des obligations encore plus étendues d’après l’influence des opérations du gouvernement sur les siennes, et la connexion qui existe entre la prospérité des établissements et celle des finances de l’Etat; Que la rareté des espèces et l’augmentation du taux de l’intérêt ayant mis plusieurs des particuliers accoutumés à faire des services au Trésor royal, dans l'impossibilité de les continuer, il en a résulté une diminution considérable dans les anticipations, et une augmentation de besoins auxquels il est important de suppléer afin de relever par la rareté le crédit des assignations et rescriptions du Trésor royal, détruit par la suspension ordonnée sur une portion des effets du même genre; Que ce but à remplir est important, non-seulement pour le gouvernement, mais encore pour tous les gens d’affaire, dont les négociations particulières sont obstruées par les intérêts élevés offerts sur les effets publics; Que dans une circonstance qui ne peut être comparée à aucune autre, on ne peut être conduit par les principes ordinaires, ni suivre les manières accoutumées; que l’arrêt du 18 août, quoique obtenu sans la participation de l’administration de la Caisse, ne lui fournit pas moins un point de tranquillité qui lui permet de donner un peu plus d’extension à ses opérations; Que cet arrêt, en diminuant ses risques, paraît suspendre en quelque façon les dispositions des | règlements qui n’ont eu d’autre objet que de les prévenir. Enfin, l’administration se trouvant, dans cette occasion importante, dans l’impossibilité de consulter le vœu des actionnaires, sans compromettre leurs intérêts par une publicité dangereuse , est réduite à ne prendre conseil que d’elle-même. Elle a réfléchi que la somme de 15 millions qui lui était demandée, jointe aux 15 millions précédemment accordés par sa délibération particulière du 4 septembre dernier, n’outrepassait pas la somme de 30 millions faisant, avec les 70 millions déjà entre les mains du Roi, le montant total du capital de ses actions, et que par conséquent le gage entier des porteurs de ses billets restant intact dans les caisses, ou dans son portefeuille, aux termes de ses statuts, il pouvait être convenable aux intérêts de ses actionnaires, de contribuer dans ce moment à l’aisance publique par la totalité de leurs fonds. En conséquence, elle a cru pouvoir s’abandonner à son zèle, et a arrêté d’accéder à la demande qui lui a été faite par M. le directeur général des finances, en le suppliant de vouloir bien porter aux pieds du Roi cette nouvelle preuve de dévouement et de zèle pour son service. D’après quoi il sera versé au Trésor royal, par la Caisse d’escompte, 5 millions dansle cours du présent mois, 5 millions en novembre, et 5 millions en décembre contre rescriptions et assignations sur les postes, ainsi que M. le directeur général voudra bien en prendre l’engagement, appuyé d’un bon du Roi, au bas de la présente délibération, qu’il approuvera et ratifiera en son entier. Délibéré en assemblée d’administration, le 16 octobre 1788. Signé : Les administrateurs de la Caisse d’escompte. Au-dessous est Approuvé. écrit de la main du Roi : Signé : LOUIS. Plus les administrateurs avaient pris d’engagements pour le soutien des opérations du gouvernement, plus il leur était devenu difficile de se refuser à aucunes demandes motivées sur des besoins indispensables. La loterie royale avait éprouvé des perles considérables et imprévues, et le ministre leur proposa encore, le 11 décembre, d’escompter pour 3,600,000 livres de billets solidaires des administrateurs de cette loterie ; de ces 3,600,000, livres, 600,000 livres seulement ont été acquittées ; 3 millions sont encore dus à la Caisse d’escompte, qui a mieux aimé garder ces effets comme un objet constamment exigible que de les renouveler. La justice nous oblige de dire que pendant, que Iles administrateurs dé la Caisse d’escompte agissaient ainsi pour le gouvernement, contre la lettre de leurs statuts, avec très-grand risque de se compromettre, ils ne négligeaient pas cependant les mesures nécessaires pour se remeilre ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] 374 [Assemblée nationale.] en état de reprendre le cours des payements de la Caisse à bureau ouvert. Ils s’étaient procuré des espèces, et au dernier décembre ils avaient en caisse 31,284,000 livres, et c’était presque le tiers de la somme de 102 millions de billets qui étaient pour lors en circulation. Ces 31 millions en espèces, et une certaine quantité de piastres qu’ils avaient achetées, leur donnaient l’espoir fondé de reprendre incessamment leurs payements; mais le ministre, qui, dans l’impossibilité d’emprunter d’une manière légale, et dans la difficulté presque insurmontable de renouveler les anticipations, ne voyait de ressource assurée que dans les efforts de la Caisse d’escompte, crut nécessaire de prolonger encore l’arrêt de surséance. Au commencement de janvier de cette année, M. Boscary proposa aux actionnaires, dans une assemblée générale, de prêter individuellement au gouvernement une somme de 25 millions, et cette proposition fut agréée. Cette opération ne peut pas être comptée au nombre des torts de la Caisse d’escompte; mais elle a pu cependant être accusée de les avoir aggravés, en ce qu’on a appliqué, en augmentation d’intérêts de cet emprunt, une portion du dividende que les actionnaires n’étaient pas dans le cas de se partager; puisque nul ne peut avoir le droit de retirer les profits d’une entreprise avant que d’en avoir acquitté les dettes, et en ce que la Caisse avança à plusieurs actionnaires leur contribution pour l’emprunt du gouvernement, sur le dépôt de leurs actions. Les administrateurs avaient dans ce même temps été obligés de recevoir pour 2 millions d’assignations sur les fermes générales, en payement de ce qui était dû à la Caisse par le Trésor royal pour le semestre de juillet, des intérêts de son cautionnement de 70 millions, quoique, d’après un arrêt du Conseil, du 18 août précédent, elle eût droit de s’attendre à ce que ces intérêts lui seraient payés en espèces qui augmenteraient son numéraire; mais comment aurait-elle pu exiger de l’argent du Trésor royal, lorsqu’elle était obligée de lui en fournir ? Gevide et le prêt fait aux actionnaires firent retomber le numéraire de la Caisse à 27,600,000 livres, les billets se montant à près de 105 millions, c’était pourtant encore 1,380,000 livres au-dessus du quart. Dans cette situation, d’après les règlements, la continuation des escomptes ne lui était point interdite; mais, en justice rigoureuse, elles auraient dû cesser depuis longtemps: car il ne peut être permis de faire valoir à son profit l’argent de ses créanciers au lieu de les payer, et l’intérêt des porteurs de billets à la continuation des opérations de la Caisse pour le soutien de sou crédit, et par conséquent de son papier en circulation, peut seul servir d’excuse légitime à cette infraction aux règles les plus connues delà stricte équité. Les administrateurs ont renouvelé à la vérité leurs efforts pour se procurer une augmentation d’espèces, et ils y étaient parvenus au dernier de mars, au point d’avoir 34,816,000 livres en écus contre 102,876,000 livres en billets. C’était plus de 500,000 livres au-dessus du tiers, et cette somme indique l’intention sincère qu’avaient les administrateurs de reprendre promptement leurs payements à toute quotité de somme; car l’argent, dans l’état où les achats de grains à l’étranger avaient mis notre change, était devenu une marchandise fort chère, et l’on ne peut raisonnablement présumer qu’ils se fussent volontairement exposés à supporter des frais considérables et à perdre de gros intérêts, s’ils n’avaient eu réellement le désir et le dessein de reprendre promptement leurs payements à bureaux ouverts. Les administrateurs avaient, par une délibération portée sur leur registre, fait un fonds particulier des intérêts qui leur étaient dûs pour les 30 millions prêtés en septembre et octobre de l’année dernière au gouvernement, afin de faire face aux frais de ces achats et transports extraordinaires d'argent. Cet objet est considérable, et ils ont rendu compte aux' commissaires de leurs actionnaires et aux vôtres. Le 6 avril, leurs combinaisons furent encore dérangées par de nouvelles demandes du ministre ; elles se montèrent à 10 millions ; c’était le moment où l’on se flattait que les Etats généraux allaient tout arranger. Les administrateurs y acquiescèrent encore, et la Caisse reçut en échange de ses billets pour 10 millions de res-criptions soutenues d’avals de M. du Rucy, administrateur du Trésor royal. Les Etats s’ouvrirent; et les contestations qui s’élevèrent entre les ordres, alors séparés, indiquèrent assez que les finances ne pouvaient pas être promptement secourues. Dès le 15 mai, M. Necker avait proposé aux administrateurs de lui donner un nouveau secours ; il leur indiqua des conditions, ils en de ¬ mandaient d’autres ; le ministre, afin de s’en rapprocher , leur écrivit une lettre que nous devons aussi vous faire connaître; elle est consignée dans la délibération que nous allons vous lire: DÉLIBÉRATION EXTRAORDINAIRE. Du 29 mai 1789. L’administration de la Caisse d’escompte extraordinairement assemblée, au sujet d’une lettre reçue de M. le directeur général, il a été fait lecture de ladite lettre , laquelle transcrite est comme suit : « Je comptais, Messieurs, aller à Paris cette après-midi, pour vous recevoir ; mais les ordres duRoi m’obligent à rester ici, pour assister à une conférence de conciliation avec les commissaires des trois ordres; et comme je présume qu’il y aura une seconde conférence demain, et que la plupart d’entre vous, Messieurs, vous absenterez pendant ces fêtes, je prends le parti de vous écrire, et c’est à regret cependant que je me trouve dans l’impossibilité d’aller vous entretenir moi-même ; car jamais la finance n’a eu d’objet plus pressant à traiter; mais le Roi pense lui-même que vous ne refuseriez pas une proposition qui approche de si près de votre offre, et qui, relativement au moment actuel, est cependant d’une importance majeure pour le Trésor royal. « Vous offrez, Messieurs, d’avançe, dans les mois de juin et de juillet, 12 millions contre les sûretés que je vous ai proposées ; mais vous voudriez donner en payement les effets de plus prochaine échéance, que vous avez reçus ci-devant du Trésor royal ; un tel arrangement laisserait notre service des mois de juin et de juillet dans l’incertitude, et je ne saùraistenirà cette inquiétude. « Je vous prie donc, Messieurs, de nous faire remettre les 12 millions, à raison de 2 millions tous les dix jours, au moyen de la liberté que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] je vous laisse de négocier à mesure de vos convenances, et à commencer dès à présent, les valeurs qui vous ont été données, et que vous voudriez rendre; ces valeurs n’ont plus, je crois, que quatre ou cinq mois à courir, et je ne vous demande que des payements graduels pendant les deux mois de juin et de juillet. « 11 est impossible, Messieurs, qu’au moyen de la liberté que je vous laisse, vous vous refusiez à un arrangement qui est devenu indispensable pour le Trésor royal. Vous êtes trop bons serviteurs du Roi, trop bons citoyens, et trop attachés aux intérêts dont vous avez la direction, pourvous refuser à une proposition qui diffère si peu de l’offre que vous m’avez faite. « La seconde condition quevousavezmise àcette offre est plus difficile à arranger -, car je ne voudrais à aucun prix vous donner ni une promesse incertaine, ni une fausse espérance. Vous voudriez que le Roi s’engageât à destiner les premiers fonds extraordinaires qui lui viendront, à retirer les autres effets que vous avez reçus du Trésor royal. C’est sur cette expression : les premiers, que repose la difficulté ; car la mesure du crédit peut seule décider si les premiers fonds extraordinaires que le Roi recevra, surpasseront ses besoins indispensables. Je crois donc, Messieurs, que vous devez vous contenter de la promesse que je vous fais de la part du Roi, de vous faire connaître nos difficultés, et de concourir ensemble au succès des emprunts qui seront nécessaires pour suppléer aux besoins extraordinaires de la finance, et pour retirer tes effets que vous voudriez nous rendre. Tout deviendra facile, je l’espère, au moment où les Etats généraux seront en activité ; car la volonté des trois ordres, pour venir au secours du Roi et de ses finances, n’est aucunement douteuse. Pourquoi ne vous occuperiez-vous pas, en. attendant, Messieurs, d’un plan qui pût remplir vos vues et les convenances du Roi ? 11 y a plus que jamais une liaison intime entre les intérêts de la caisse d’escompte,� et ceux du Trésor royal, et j’espère que vous n’êtes pas indifférents à mes embarras particuliers. Voyez, Messieurs, la crise des finances, celle des grains, celle des Etats généraux, et sortez-moi d’inquiétude pour la partie qui dépend de vous. Je vous demande, de la part du Roi, à qui je vais communiquer ma lettre, de vous assembler sur-le-champ, et de prendre une délibération qui puisse tranquilliser Sa Majesté et son ministre. Le Roi vous tiendra compte de votre empressement et vous le témoignera. J’attends votre réponse par un courrier extraordinaire ; car j’ai besoin de tranquillité. « Je suis avec le plus sincère et parfait attachement, Messieurs, votre très-humble et obéissant serviteur. Signé : NECKER. « Ce vendredi. » Et après avoir délibéré, L’administration a décidé de mettre sous les yeux de Sa Majesté les observations suivantes : 1° Par les statuts de la Caisse d’escompte, homologués par Je Roi, l’administration est obligée de conserver la proportion entre ses espèces en caisse et l’émission de ses billets sur la place de manière que la proportion du numéraire soit toujours du tiers au quart des billets. En outre elle doit ne placer ces fonds libres qu’en effets solidaires d’une rentrée certaine et ayant au plus six mois d’échéance. 37# 2° En septembre et octobre de l’année passée, les administrateurs de la Caisse d’escompte ont consenti à donner au Trésor royal un secours de 30 millions contre des assignations et rescrip-tions payables dans les derniers mois de cette année, et ils ne s’y sont déterminés que par la considération que cette somme n’excédait pas la portion qui restait libre sur le fonds des actions. 3° En avril dernier, ils se sont déterminés à une nouvelle avance de 10 millions, et cette opération pouvait encore être, jusqu’à un certain point, justifiée par la situation de la Caisse, et par les formes qui ont été prises pour concilier ce que les circonstances et les besoins de l’Etat exigeaient, avec les statuts de l’établissement. 4° Dans la position actuelle, les fonds en caisse ne montent qu’à 29,500,000 livres, et les billets dans le public s’élèvent à 119,200,000 livres; ce qui établit, à peu de chose près, la position relative du quart ; en outre, les effets proposés en • nantissement par M. le directeur général, ne pré-sentent point une rentrée fixe, et sont, par leur nature, formellement proscrits par les règlements ; de manière qu’aux termes des statuts, l’administration paraîtrait ne point devoir se prêter à cette nouvelle demande. D’un autre côté, L’administration a considéré la nécessité et Vindispensabilité du service qui lui ôtait demandé, l’importance où il était de pourvoir aux besoins actuels, jusqu’au moment où les états généraux constitués se feraient une loi de venir au secours du Roi, et de remplir ses engagements. Elle a pensé que les actionnaires et les porteurs de billets eux-mêmes, s’ils pouvaient être convoqués, se feraient une loi de remplir ce devoir» Elle est pénétrée du désir de donner au ' Roi les preuves les plus sincères de son entier dévouement, et de seconder ses vues bienfaisantes. Dans cette perplexité, l’administration a cru ne pouvoir rien faire de mieux que de s’en rapporter à Sa Majesté elle-même, et en mettant sous ses yeux l’exposé fidèle de ses devoirs et de ses désirs, la supplier, dans le cas où elle jugerait le secours de 12 millions indispensablement nécessaire, de vouloir bien, par une lettre de sa main, adressée aux administrateurs de la Caisse d’escompte, fixer d’une manière certaine les remboursements, et les garantir de tous reproches et de tous événements, le vœu personnel de Sa Majesté leur paraissant une sauvegarde pour les déterminer à une résolution qu’ils considèrent hors de leur pouvoir, mais dont ils reconnaissent la sagesse et la nécessité. Délibéré en assemblée extraordinaire d’administration, tenue le 29 mai 1789. Signé : Les administrateurs de la Caisse d'escompte. Au bas est écrit de la main du Roi : « La conduite des administrateurs de la Caisse d’escompte me paraît fort sage, et je les remercie de la confiance qu’ils me témoignent. Je crois que les circonstances actuelles rendent convenable, sous tous les rapports, le nouveau service qui leur a été demandé par le directeur général de mes finances, et je ferai en sorte que leur avance n’excède pas six mois. « Signé : LOUIS. » A RCH1VES P A H 1, EM ENTA J R E S . (4 d cembre 1789. J 376 [Assemblée nationale.] Le résultat de cette délibération fut donc de prêter encore 11,940 000 livres sur les billets des trésoriers, soutenus d’assignations sur les emprunts des pays d’Etats. A la fin du même mois, il fallut encore rece voir du Trésor royal, au lieu de l’argent qu’il devait pour les intérêts du cautionnement, 1 ,750,000 livres en assignations sur la ferme générale. Malgré toutes les facilités que vous venez de voir que la Caisse d’escompte n’avait cessé de donner au gouvernement, le 25 septembre le Trésor royal était encore aux abois. Les deux emprunts avaient manqué ; le ministre venait de proposer la contribution patriotique. Elle n’était pas décrétée, mais on y comptait. M. Necker demanda 12 millions avec les dernières instances, sur des billets de l’administrateur du Trésor royal, appuyés de bordereaux de pareille somme sur le dernier emprunt. Les administrateurs de la Caisse d’escompte, qui s’étaient obligés de secourir l’Etat sur la seule demande du Roi, tant que la nation n’avait pas d’autres représentants connus, ne murent plus le pouvoir depuis que l’Assemblée nationale s’était constituée; ils demandèrent à y être autorisés par Je consentement des membres du comité des finances, chargés de travailler avec le ministre ; et cette approbation ne leur fut pas refusée; ces 12 millions ont été compris depuis dans les nouvelles avances que la Caisse d’escompte a faites sur la contribution patriotique, et les effets de l’emprunt ont été retirés. Il paraît qu’un payement de 6 millions, fait le 5 octobre, a été négocié d’avance et délibéré le 2, avant que votre décret fût rendu, et que depuis que, par ce même décret, le premier ministre des finances a été autorisé à traiter avec la Caisse d'escompte, ou toute autre compagnie de finances, pour se procurer, sur la contribution patriotique, les sommes qui seraient indispensables au service courant ; la Caisse d’escompte a pris l’engagement de fournir au Trésor public 6 millions par semaine, et qu’elle les y a versés, quoique les commissaires que vous deviez nommer pour la suite de cette opération n’aient pas encore été nommés. Au 25 novembre, la totalité des avances faites par la Caisse d’escompte au gouvernement se montait à 119,090,000 livres, sur quoi elle avait touché 30,491,000 livres, et il lui restait dû par le Trésor royal 88,799,000 livres. Elle doit continuer de payer jusqu’à la fin de l’année ces 6 millions par chaque semaine, et elle a dû effectuer le payement de lundi dernier. Mais elle a en même temps à recevoir pour 28,799,000 livres d’effets exigibles du gouvernement, de sorte que, compensation faite, il ne lui sera dû le dernier décembre que 90 millions. Maintenant, pour apprécier l’effet que les avances que la Caisse d’escompte a faites au gouvernement ont produit sur ses opérations, sur la somme de ses escomptes et sur l’émission de ses billets dans le public, il faut se reporter à la fin d’août 1788, et par conséquent à l’époque où elle n’avait fait encore aucune avance au gouvernement, et se rappeler que ses escomptes montaient, pour le l®r septembre, à 83,344,000 livres, ses billets en circulation à 64 millions, et son numéraire effectif à 17 millions. La vérification de toutes ses opérations de mois en mois, depuis cette époque, prouve que, malgré la diminution de ses escomptes pour le commerce, qui ne montaient au 25 novembre dernier qu’à la somme de 41 millions, celle de ses billets en circulation s’est soutenue depuis 73 millions jusqu’à 115 au plus; queses engagements en billets montaient encore, au 25 novembre, à 112 millions ; que la valeur des effets de toute nature qu’elle a eus en portefeuille a varié de mois en mois, et que ces effets ne se sont considérablement accrus dans certain temps que d’après les avances qu’elle avait faites successivement au gouvernement; qu’elle a payé 160 millions effectifs en seize mois, malgré l’arrêt de surséance qui l’en dispensait ; enfin que ce n’est que depuis l’époque du mois de juillet dernier que son numéraire a souffert une diminution sensible, qui, aux termes des statuts, devait imposer aux administrateurs l’obligation de suspendre les escomptes ; qu’ils se sont cependant crus forcés de les continuer, par la crainte, en détruisant leur propre établissement, d’altérer le gage même de leurs créanciers et d’opérer la ruine d’une multitude de fortunes que la suppression de l’escompte aurait anéanties, et particulièrement par le danger de rendre illusoires, dans ces temps de crises et d’embarras, les secours qu’ils avaient prêtés à la finance. Il ne nous reste qu’à vous mettre sous les yeux le tableau de la situation de la Caisse d’escompte au 22 novembre dernier. Sa créance sur le Trésor royal se montait à 88,790,000 livres, et quand nous avons arrêté ses comptes à cette même époque, cette somme formait la majeure partie de son avoir, ci ....... 88,799,000 liv. A quoi il faut ajouter, tant en argent qu’en effets de commerce, dont nous avons fait la vérification sur ses livres et dans ses caisses, une somme de ..... 53,220,083 2° Pour prêts qu’elle a faits sur différents dépôts ...... 8,300,000 3“ Pour une avance qu’elle a faite également sur dépôt à une partie de ses actionnaires qui ont prêté individuellement 25 millions au gouvernement ..... 4,000,000 4° En récéidssé des hôtels des monnaies, pour des matières appartenant à la Caisse qui sont en fabrication, et qu’elle doit recevoir incessamment ...... 1,875,888 Total ..... . 156,194,976 liv. Sur quoi elle devait au 25 no-1 vernbre dernier : 1 pour billets en circulation. . . 112,882,880 1. En comptes courants à différentes maisons de banque ou particuliers. . . D’autres petits objets, trop longs à détailler forment pour le passif un objet de ....... Et pour l’actif de même. . . . Balance de cet objet ..... Reste de la balance générale en faveur de l’actif, la somme de ........ . ..... 31,777,716 liv. 8, $99, 708 } 124,417,260 4,340,980 1. 1,206,308 3,134,672 1. [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [4 décembre 1789.J Gette somme de 31,777,716 livres forme, avec le capital de 70 millions déposés au Trésor public, les 100 millions de fonds appartenant aux actionnaires, avec un accroissement de près de 2 millions, ce qui constitue l’actif de la Caisse d’escompte, ou son avoir, de près de 102 millions supérieur à son passif. Le résultat de ce rapport se réduit, Messieurs, à quelques points très-simples. Depuis 1783 et 1787 que la Caisse d’escompte a reçu sa constitution actuelle, jusqu’au 18 août 1788, elle a payé à vue et à bureaux ouverts. Le 14 août 1788, elle avait près de 20 millions d’espèces contre 76 millions 1/2 de billets. Le 18 août 1788, jour de. l’arrêt de surséance, il ne s’en fallait que de 100,000 écus pour que son numéraire égalât le quart de ses billets. Au 1er septembre, et malgré l’arrêt de surséance. elle avait acquitté, en dix jours de payement, 9,890,000 livres, et son numéraire, qui n’était baissé que de 975,000 livres, excédait de plus de 1 million le quart de ses billets. Au commencement de septembre elle a cédé aux instances du ministre et du Roi pour donner des secours au gouvernement, et elle s’est écartée des dispositions de sou règlement, comme de l’esprit de son institution, en prenant des valeurs à long termes et en prêtant ainsi à l’Etat la propriété des créanciers envers lesquels elle était en-377 gagée, et quoiqu’elle ne payât ses billets qu’avec lenteur, sur le pied de 8 à 10 millions par mois. Jusqu’au mois de juillet de cette année, son numéraire a été au-dessus de la proportion hors de laquelle son règlement lui défend d’escompter. Depuis ce mois, elle s’est crue obligée, quoi-qu’en restreignant de plus en plus l’escompte, de le continuer encore en partie pour prévenir les secousses dont la place et le commerce auraient été menacés par une suspension totale. Elle s’est encore en ce point écartée de ses statuts. Du reste, ses comptes sont en règle, clairs et daus un très-bel ordre, et son actif, y compris les 70 millions qu’elle a déposés au Trésor royal, excède son passif d’environ 102 millions : l’Etat lui en devra 90 à la tin de l’année sans son cau ¬ tionnement. D’après ces faits, Messieurs, vous connaissez cet établissement, sa conduite et sa position. C’est à vous de décider si le jugement que vous eu porterez doit être fondé sur la sévérité des principes obligatoires, dont elle s’est manifestement écartée, ou sur la considération de la nécessité impérieuse des circonstances et des services signalés qu’elle a rendus, et qu’elle rend encore, par ses avances, à la chose publique. N° 1. SITUATION DE LA CAISSE D’ESCOMPTE PENDANT LE MOIS D’AOUT 1788. 378 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] N° II. DU 26 NOVEMBRE 1789. EPOQUES auxquelles ont été faites les avances. 1788 Septembre . . 4 Octobre ..... 16 Décembre... 11 1789 Janvier ..... 19 Avril . . Juin . . , 27 Septembre . . 25 Octobre .... 5 12 19 26 30 Novembre... 9 16 VALEURS SUR LESQUELLES les AVANCES ONT ÉTÉ FAITES. Escompté directement au Trésor royal, sur les reseriptions et assignations ........... ) Billets solidaires des administrateurs de la lote-J rie royale de France ....................... \ Assignations sur les fermes générales, en paye-) ment des intérêts du dernier semestre 1788, [ des 70 millions en dépôt au Trésor royal...) Reseriptions soutenues d’avals de M. Durwey.l Billets de trésoriers, soutenus d’assignations) sur emprunts de pays d’Etats ............... ] Assignations sur les fermes générales en paye-) ment des intérêts du premier semestre 1789, [ des 70 millions déposés au Trésor royal.. Billets d’un des administrateurs du Trésor royal, I soutenus de bordereaux de délégation sur la! contribution patriotique ................. Nota. Les billets à trois mois ont été négociés] à 4 1/2, et ceux à deux mois à 4 0/0..... MONTANT des AVANCES primitives. 15,000,000 15,000,000 3,600,000 2,000,000 10,000,000 11,940,000 1,750,000 12,000,000 6,000,000 6,000,000 6,000,000 6,000,000 6,000,000 6,000,000 12,000,000 119,290,000 RENTREES. 16,691,000 600,000 2,000,000 6,000,000 3,450,000 1,730,000 30,491,000 RESTE 13,309,000 3,000,000 4,000,000 8,490,000 60,000,000 88,799,000 N° III. ÉTAT PAR MOIS Des somm.es payées en espèces , contre billets de caisse seulement, depuis le mois d’août 1788 jusqu’au 25 novembre 1789. Savoir : 1788 Août ...... Septembre. Octobre . . . Novembre. Décembre.. 1789 Janvier... Février.. . , Mars ...... Avril ..... . Mai ....... Juin ...... Juillet ..... Août ...... Septembre Octobre . . . Jusqu’au 25 Novembre. 18,145,100 livres. 11,655,500 10,622,900 8,465,000 9,898,200 13,058,900 6,601,300 9,572,300 11,381,600 11,363,700 12,035,900 10,547,300 6,599,600 7,696,000 6,343,500 5.958,400 Total 159,515,000 livres. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] Extrait du registre des délibérations de l'administration de la Caisse d'escompte Du 18 septembre 1789 L’administration extraordinairement assemblée, présents MM. les commissaires. D’après une lettre de M. Necker, ministre des finances, en date du 17 septembre, à l’effet d’engager l’administration à se présenter auprès de lui, 3 de ses membres y ont été, pour entendre l’objet de ses demandes. Il leur a exprimé que les besoins du Trésor royal étaient tellement impérieux dans la circonstance actuelle, qu’il ne pouvait se passer : 1° D’une somme de 200,000 livres en écus, contre des billets de caisse, pour suffire au payement de Ja solde des troupes; 2° D’une autre somme de 12 millions en billets, contre des valeurs du Trésor royal qui se rapprocheraient le plus du régime de" la Caisse d’escompte. Sur quoi il a été arrêté que, considérant le péril dont était menacée la Caisse d’escompte s’il arrivait une suspension de payement au Trésor royal, on fournirait les 200,000 livres en écus contre billets de caisse, et qu’on ferait en outre le prêt demandé de 12 millions, sur les billets de M. Darney, à 3 mois, appuyés de pareille somme de bordereaux de l’emprunt national de 80 millions, sous les termes et conditions exprimés dans la délibération envoyée à cet effet au premier ministre des finances, dont la teneur fera copiée ci-après littéralement, ainsi que la lettre d’envoi à ce ministre. Délibéré et arrêté en ladite assemblée. Copie de la lettre de M. Necker à l'administration. «Je vous prie, Messieurs, de vouloir bien prendre la peine de venir à Versailles, pour vous entretenir avec moi d’un objet important. Je serai libre demain toute la matinée. Je suis bien fâché de vous causer de l’embarras, mais nous ne pourrons nous passer de votre secours en ces moments difficiles. « J’ai l’honneur d’être, avec un parfait attachement, etc. « Signé : Necker. » Copie de la délibération envoyée au ministre des finances. L’administration de la Caisse d’escompte extraordinairement assemblée cejourd’hui, présents MM. les commissaires des actionnaires, 3 administrateurs ont dit qu’ils se sont rendus ce matin à Versailles, sur une lettre du ministre des finances , qui, en leur annonçant l’espérance prochaine de la restauration des affaires, leur a exposé les besoins urgents du Trésor royal et leur a fait la demande d’un prêt de 12 millions. Considérant que, d’après les détails dans lesquels est entré le ministre des finances, la chose publique est en danger, et que, sans les secours qu’il réclame, il ne "resterait aucune ressource pour éviter la suspension des payements; Considérant d’un autre côté, qu’aux termes de l’arrêt du Conseil du mois de juin dernier, la Caisse sera obligée de reprendre le 1ev janvier prochain ses payemen ts à bureau ouvert, et qu’elle ne peut, en conséquence, contracter aucun engagements dont le terme excède l’époque du dernier décembre ; 379 Enfin , voulant concilier autant qu’il est en elle les formes prescrites par ses statuts avec son dévouement absolu aux intérêts de la nation, son attachement pour la personne du Roi et le désir qu’elle a de seconder les efforts du ministre des finances, Elle a arrêté de prêter ladite somme de 12 millions, sur billets de M. Darney, garde du Trésor royal, payables à 3 mois, appuyés de bordereaux, espèces de l’emprunt national. Mais les circonstances fâcheuses dans lesquelles se trouve la Caisse d’escompte ne permettant pas à son administration de faire une émission de billets aussi considérable, les administrateurs de la Caisse ne sauraient trop représenter au ministre des finances qu’il leur est indispensable d’être autorisés à cette opération par le comité des finances de l’Assemblée nationale. Fait et arrêté à Paris, le 18 septembre 1789. Copie de la lettre de l'administration à M. Necker. « Monseigneur, « M. Vandenyver , Doazan et Boscary nous ont fait part des demandes que vous leur avez faites. Toujours dévoués à la chose publique, et persuadés, Monseigneur , que le Trésor royal n’usera du numéraire de la Caisse d'escompte, qu’avec le plus grand ménagement, malgré les besoins que nous avons de nos écus pour satisfaire aux demandes continues du public, nous n’avons pas hésité un seul instant à adopter les mesures que vous avez concertées avec nos députés pour que la Caisse d’escompte verse au Trésor royal, contre billets de caisse, les écus qui pourraient lui être nécessaires pour le payement des troupes et autres objets indispensables. Vous pouvez en conséquence, Monseigneur, compter sur cette exécution. « Quant à la demande de 12 millions, dont vous avez annoncé le plus pressant besoin, nous avons l’ honneur de vous remettre ci-joint la délibération que nous avons arrêtée à ce sujet. «Nous espérons qu’en cherchant à concilier nos devoirs avec notre empressement d’être utiles à la nation, nous remplirons vos vues. « Nous sommes, avec respect, etc. Signé : Les administrateurs de la Caisse d'escompte. Copie de la lettre du comité des douze . a M. le ministre des finances a rendu compte aux 12 membres du comité des finances chargés par l’Assemblée nationale de correspondre avec lui sur les affaires de finances, de la disposition où sont MM. les administrateurs de la caisse d’escompte de verser au Trésor royal, sur sa pressante sollicitation , une somme de 12 millions en billets de caisse, pour lesquels il leur sera fourni une pareille somme de billets de M. Darney, à 3 mois de date, et, à leur appui un pareil capital du dernier emprunt national. M. Necker m, en même temps, informé MM. les députés de" la nécessité absolue de ce secours pour satisfaire aux besoins indispensables du moment, qui ne permettent pas le moindre retardement; et, sur cet exposé, MM. les députés, à la demande de M. le ministre des finances, ont approuvé l’opération proposée, et 380 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] applaudi aux sentiments de zèle et de patriotisme qui l’ont inspirée. « A Versailles, le 19 septembre 1789. « Signé de Messieurs du comité des douze. » Extrait du registre des délibérations de l'administration de la Caisse d’escompte. A la suite de l’escompte de ce jour, M. Darney étant venu porteur d’une lettre de M. Dufresne, directeur général du Trésor royal, écrite d’ordre du ministre des finances, et adressée à l’administration , MM. les administrateurs soussignés en ont pris connaissance, ainsi que de l’approbation qu’elle contenait de MM. les députés de l’Assemblée nationale, composant le comité des douze, à la demande faite par le ministre des finances, détaillée dans la précédente délibération. D’après cette approbation , et conformément à ce qui a été précédemment arrêté ,| et sur la demande de M. Dufresne, MM. les administrateurs présents ont délivre à M. Darney 12 millions en billets de caisse, contre la remise que leur a fait ledit sieur Durucy de son billet de même somme, au 31 décembre fixe, soutenu d’un bordereau de comptant du dernier emprunt national, également de 12 millions; et il a été arrêté d’en rendre compte à l’assemblée de l’administration de jeudi prochain, et qu’il sera copié ci-après la lettre de M. Dufresne, et l’approbation de MM. les députés de l’Assemblée nationale. Signé : Les administrateurs de la Caisse d' escompte. La lecture du rapport de M. le duc du Châtelet a été écoutée avec une attention soutenue. M. le comte de Mirabeau. Je demande à MM. les commissaires s’ils regardent les 90 millions dus par le gouvernement à la Caisse d’escompte, comme délégués sur la contribution patriotique. M. le duc du Châtelet. L’Assemblée, par son décret du 5 octobre, a autorisé le Roi et son ministre à faire à ce sujet tel arrangement qui conviendrait au bien de l’Etat. M.le comte de Mirabeau. Je demande qu’il nous soit donné lecture du décret sur la contribution patriotique. M. le Président fait donner lecture du procès-verbal de la séance du 5 octobre qui contient ce décret. La discussion est reprise sur le projet du ministre des finances , concernant la conversion de la Caisse d’escompte en banque nationale. M. de Talleyraud , évêque d’ Autun (1). Comme membre du comité dont vous venez d’entendre le rapport, j’ai cru pouvoir vous demander la parole, soit pour vous soumettre quelques idées particulières sur la Caisse d’escompte, soit surtout pour rappeler et rattachera ce sujet des questions importantes qui en sont inséparables, et qui tiennent essentiellement aux (1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du discours de M. de Talleyrand. grands intérêts qui vous occupent et vous pressent en ce moment. L’idée de l’établissement d’une banque nationale en France vient de frapper tous les esprits et a acquis beaucoup de faveur dans l’opinion. Parmi ceux qui ont des notions saines du crédit, plusieurs regardent cet établissements comme indispensable, et ceux-là même qui sont Je plus étrangers à cette matière, qui savent à peine ce que c’est qu’une banque, et nullement quelle est l’organisation qui conviendrait à une banque nationale , paraissent rassurés sur le discrédit actuel, pour avoir entendu dire que l’Assemblée nationale décréterait l’établissement d’une banque nationale. On dirait que le mot banque suffit seul pour tout réparer; et pourtant il faut bien se persuader que ce n’est qu’une banque bien constituée qu’il pourrait être utile d’établir, et non une banque nationale quelconque. Les banques ne sont point des institutions simples; leur but est à la vérité partout le môme; c’est de favoriser la circulation, les échanges, et de faire baisser l’intérêt de l’argent; mais lès moyens qu’elles emploient doivent extrêmement varier. Les banques sont des instruments d’une trempe forte qu’il faut employer avec précaution et intelligence, parce qu’il peut en résulter ou un grand bien ou un grand mal. Ici surtout il faut se défendre contre tous les systèmes que l'avidité, la légèreté et les demi-connaissances si communes et si dangereuses se hâteront, ou peut-être se sont hâtées de vous offrir. Il ne peut donc être inutile de rappeler, en les réfutant, les diverses idées qui ont été répandues sur la création d’une banque en France, d’autant que plusieurs d’entre elles n’ont été ni combattues ni discutées, et sont de nature à pouvoir peut-être égarer de bons esprits. Parcourons-les rapidement. On a parlé de créer une banque nationale. Je pense qu’une banque bien constituée ne doit pas être une banque nationale, soit qu’on attache à ce mot l’idée seule rie la responsabilité rie la nation, soit qu’on veuille que la nation fasse faire la banque pour son propre compte. L’on est porté à croire que, parce que la nation va se rendre garant de la dette publique, elle pourrait aussi répondre des fonds d’une banque; mais il est bien essentiel de ne pas confondre. La nation doit répondre de la dette publique, sans doute, puisque les sommes qui composent cette dette ont été prêtées à la nation, employées pour la nation . confiées au seul représentan t con nu de la nation. Il faut même observer que c’est improprement que l’on a dit que la nation sera caution de cette dette. La nation n’en sera pas caution, elle en est débitrice; et il faut bien être garant du payement des sommes dont on est débiteur. Le cautionnement que la nation accorderait à la banque sera d’une nature toute différente. Loin que ce cautionnement de la nation donnât du crédit à une banque, cette combinaison devrait au contraire ôter tout crédit à la nation qui serait capable de l’adopter. Comment en effet se confier à une nation qui serait assez imprudente pour livrer à un petit nombre de particuliers la gestion d’une banque dont les opérations doivent être illimitées, et par laquelle toutes les propriétés nationales se trouveraient hypothéquées? L’on suppose bien que toutes les précautions seront prises pour que les administrateurs de lu banque ne commettent point d’infidélités: mais enfin, ce qui sera toujours possible, s’il arrivait un malheur à la banque, il faudrait que l’on gré-